CCE, 27 juin 2005, n° M.3870
COMMISSION DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Décision
Carlyle/ Otor
Objet : Affaire No COMP/M.3870 – Carlyle/ Otor
Votre demande de dérogation au titre de l’article 7(3) du Règlement N°139/2004 du Conseil du 20 Janvier 2004 (« Règlement Concentration »).
Mesdames, Messieurs,
1. Par courrier du 15 juin 2005 et par des informations complémentaires reçues les 21 et 22 juin 2005, le groupe Carlyle a demandé, en application de l’Article 7(3), du Règlement Concentration, une dérogation à l’obligation de suspension d’une opération de concentration par laquelle le groupe Carlyle acquiert, au sens de l’article 3(1)(b) du même Règlement, le contrôle de l’ensemble de l’entreprise Otor (« Otor ») par conversion en actions d’obligations convertibles.
I. LES PARTIES ET L’OPERATION
2. Carlyle est un groupe américain de conseil et de gestion de fonds d’investissement à spécificité géographique ou sectorielle. Carlyle gère en particulier le fonds Carlyle Europe Partners qui investit essentiellement en Europe à travers des opérations de Leveraged Buy Out (acquisition avec effet de levier).
3. Otor est une société française active dans le secteur de l’emballage et en particulier sur le marché de la fabrication d’emballages en carton ondulé et sur celui de la fabrication du papier pour ondulés.
4. Carlyle et les fondateurs d’Otor, qui détenaient une majorité du capital d’Otor, ont conclu en mai 2000 un pacte d’actionnaires en application duquel Carlyle investissait un montant de […] en actions (20% du capital d’Otor Finance) et en obligations convertibles en actions Otor Finance, une société qui détenait 80% d’Otor. La conversion de ces obligations, qui correspondent à 90% du capital d’Otor Finance, pouvait être réalisée sous certaines conditions […].
5. Estimant que les conditions pour la conversion des obligations prévues par le pacte d’actionnaires étaient remplies, Carlyle décida d’exercer son droit de convertir ses obligations par anticipation en septembre 2001. Devant l’opposition des fondateurs d’Otor, une longue procédure judiciaire fût engagée, marquée par de nombreuses requêtes et interventions des fondateurs d’Otor.
6. Le 23 mars 2005, le Tribunal Arbitral conclut finalement que les conditions d’exercice des obligations convertibles d’Otor étaient réunies en 2000 et que Carlyle était donc en droit de convertir ses obligations par anticipation. Le 29 mars 2005, le Tribunal de Grande Instance de Paris rendait cette sentence exécutoire. Le 30 mars 2005, les fondateurs d’Otor introduirent un recours en annulation de la sentence et un recours en suspension de l’exécution provisoire, ce dernier étant rejeté le 2 juin 2005. L’examen du recours en annulation de la sentence du Tribunal Arbitral est toujours en cours. Le 10 Juin 2005, le conseil d’administration d’Otor refusa de nouveau de constater la conversion des obligations, la rendant ineffective.
7. Par ailleurs, Carlyle a assigné en référé Otor Participations (la société regroupant la quasi intégralité de l’intérêt des fondateurs d’Otor dans Otor Finance) pour la nomination d’un mandataire dont la mission sera d’exercer les droits de vote d’Otor participations dans Otor Finance en faveur des administrateurs représentant Carlyle le 28 Juin 2005. Selon Carlyle, la décision sur cette assignation en référé devrait intervenir avant le 28 Juin.
8. Cependant, selon Carlyle et la presse économique, les administrateurs représentant des fondateurs d’Otor ont indiqué qu’ils démissionneraient lors des assemblées d’Otor Finance et Otor devant se tenir le 28 Juin. Selon Carlyle, le nouveau Conseil d’Administration issu de ces assemblées sera dans l’obligation de procéder à la conversion des obligations en actions, impliquant le jour même une prise de contrôle d’Otor Finance et d’Otor par Carlyle.
9. Enfin, Carlyle a indiqué à la Commission son intention de redresser la situation financière d’Otor et de développer ses activités dans le secteur de l’emballage.
II. LA DEMANDE DE DEROGATION
10. Par la présente requête, Carlyle demande à la Commission une dérogation de l’obligation de suspension au titre de l’article 7(3) du Règlement Concentration, afin de pouvoir prendre le contrôle d’Otor par la conversion en action de ses obligations convertibles. Carlyle s’engage à ne pas prendre de décision en dehors de la gestion courante ou qui ne serait pas destinée à préserver la valeur de son investissement dans Otor avant que la concentration n’ait été déclarée compatible avec le Marché Commun, exception faite de la nomination d’un Président et d’un Directeur Général en cas de vacance de ces postes.
11. Selon Carlyle, l’obtention d’une dérogation est nécessaire pour pouvoir appliquer la décision de justice précitée dès que possible, c'est-à-dire le 28 Juin 2005.
III. LES CONDITIONS POUR L’OCTROI D’UNE DEROGATION SELON L’ARTICLE 7(3) DU REGLEMENT CONCENTRATION
12. Il résulte des dispositions de l’Article 7(1) du Règlement Concentration qu’une concentration telle que définie à l’Article (1) du même règlement ne peut être réalisée ni avant d’être notifiée, ni avant d’avoir été déclarée compatible avec le marché commun par une décision prise en vertu de l’article 6(1) (b) ou de l’article 8(2) ou sur la base de la présomption établie à l’article 10(6) du Règlement Concentration.
13. Toutefois, selon les termes de l’article 7(3) du Règlement Concentration, la Commission peut, sur demande, octroyer une dérogation aux obligations prévues aux paragraphes 7(1) et 7(2). Lorsqu’elle se prononce sur la demande, la Commission doit prendre en compte notamment les effets que la suspension peut produire sur les entreprises concernées par l’opération ou sur des parties tierces, et la menace que la concentration peut présenter pour la concurrence.
A. L’OPERATION EST SOUMISE A L’OBLIGATION DE SUSPENSION INSCRITE DANS L’ARTICLE 7(1) DU REGLEMENT CONCENTRATION.
14. L’opération consiste en l’acquisition du contrôle par Carlyle de la société Otor Finance (acquisition de 90% des actions) et en conséquence du contrôle de la société Otor, détenue à 80% par Otor Finance.
15. En droit français, la conversion des obligations en actions et la création des actions sont réalisées à partir du moment où le détenteur des obligations décide d’exercer son option de conversion. Cette décision a été prise par Carlyle en septembre 2001 mais elle a été contestée par les fondateurs d’Otor. Le droit d’exercice de Carlyle a été néanmoins reconnu par le Tribunal Arbitral le 23 mars 2005 dont l’exécution provisoire a été confirmée le 2 Juin 2005 par la Cours d’Appel de Paris. Selon Carlyle, d’un point de vue juridique, la conversion des obligations a donc eu lieu le 2 Juin 2005.
16. Du point de vue du Règlement Concentration, la concentration est réalisée dès lors qu’un changement de contrôle durable a lieu, c'est-à-dire lorsque Carlyle sera en mesure d’exercer une influence déterminante sur la gestion d’Otor. Selon Carlyle, la concentration sera donc réalisée le 28 Juin 2005 avec la conversion effective des obligations convertibles de Carlyle en actions Otor, leur inscription dans les livres de la société et l’obtention de la majorité des voix au Conseil d’administration. C’est en effet à partir de cette date seulement que Carlyle sera en mesure d’exercer une influence déterminante sur la gestion d’Otor, ce qui n’est pas le cas jusqu’à présent en raison de l’opposition des fondateurs d’Otor. Il n’est toutefois pas nécessaire de statuer sur la date précise de la réalisation de la concentration pour les besoins de cette décision.
17. Selon les informations mises à la disposition de la Commission, l’opération a une dimension communautaire au sens des articles 1er et 3 du Règlement Concentration. En 2004, Carlyle avait un chiffre d’affaires mondial de EUR 16,6 milliards, dont EUR […] réalisés dans l’Union Européenne, et Otor un chiffre d’affaires mondial de EUR 422 millions dont la quasi-totalité réalisée dans l’Union Européenne. Les entreprises concernées n’ont pas réalisé plus de deux tiers de leurs chiffres d’affaires communautaire dans un seul et même Etat membre.
18. Ainsi, l’opération est soumise à l’obligation de suspension inscrite dans l’Article 7(3) du Règlement Concentration.
B. LES EFFETS DE LA SUSPENSION SUR LES ENTREPRISES CONCERNEES ET LES PARTIES TIERCES
19. Le Tribunal de grande instance de Paris a rendu exécutoire la sentence du Tribunal arbitral le 29 mars 2005 et la Cour d’Appel de Paris a rejeté la suspension de l’exécution provisoire le 2 Juin 2005. En conséquence, Carlyle est en droit de convertir ses obligations par anticipation.
20. Selon Carlyle, l’octroi de la dérogation n’est pas susceptible d’avoir des effets négatifs sur une ou plusieurs des parties ou toute autre partie tierce, y compris sur les fondateurs d’Otor. Le différend entre Carlyle et les fondateurs d’Otor a fait l’objet de la décision du Tribunal Arbitral citée ci-avant et la prise de contrôle d’Otor par Carlyle en résulte directement.
C. IMPACT DE LA CONCENTRATION SUR LA CONCURRENCE
21. Selon Carlyle, l’opération envisagée n’entraîne aucun chevauchement d’activité entre les parties, Carlyle ne détenant de participation de contrôle dans aucune entreprise active sur les marchés sur lesquels Otor est présent, ni sur des marchés verticalement liés ou voisins. De plus, les positions d’Otor sur les marchés concernés sont négligeables à l’échelle européenne (<5%) et ne dépassent pas 15% au niveau national.
22. En conséquence, sur la base des informations actuellement disponibles pour la Commission, l’opération ne semble pas susceptible de soulever de problème au regard de la concurrence.
D. CONCLUSION
23. Il résulte directement de ce qui précède que les conditions prévues par l’article 7(3) du Règlement Concentration pour l’octroi d’une telle dérogation sont réunies. La Commission estime qu’une dérogation peut être accordée conformément et dans les strictes limites de la demande de dérogation.
IV. CONDITIONS ET OBLIGATIONS
24. Selon l’Article 7(3) du Règlement Concentration, une dérogation peut être sujette à des conditions et obligations.
25. Etant donné l’incertitude sur les décisions qui seront adoptées à l’issue des réunions des assemblées d’Otor Finance et d’Otor du 28 Juin 2005 et en conséquence l’incertitude concernant la prise de contrôle par Carlyle d’Otor à cette date, la présente dérogation est accordée dans le seul cas où les administrateurs d’Otor Finances nommés par les fondateurs d’Otor démissionnent le 28 Juin 2005 et où Carlyle acquiert effectivement le contrôle d’Otor à l’issue de ces réunions.
26. De plus, cette dérogation est sujette à la condition que Carlyle n’exerce pas son droit de vote ou tout autre droit d’actionnaire pour toutes autres fins que celles exposées dans le complément à la demande de dérogation daté du 21 Juin 2005 avant que l’opération n’ait été déclarée compatible avec le marché commun. Carlyle s’engage à ne pas prendre de décision en dehors de la gestion courante ou qui ne serait pas destinée à préserver la valeur de son investissement dans Otor avant que la concentration n’ait été déclarée compatible avec le Marché Commun, exception faite de la nomination d’un Président et d’un Directeur Général en cas de vacance de ces postes.
27. Enfin, la Commission note que Carlyle dans un complément à la demande de dérogation daté du 22 Juin, s’engage à procéder à la notification de l’opération dans un délai de 15 jours après réception de la présente décision.
V. CONCLUSION
28. Pour ces motifs, la Commission octroie, en application de l’article 7(3) du Règlement Concentration, à Carlyle une dérogation à l’obligation de suspension prévue à l’article 7(1) du même règlement permettant à cette société d’acquérir le contrôle de l’ensemble d’Otor, dans le seul cas où les administrateurs d’Otor Finances nommés par les fondateurs d’Otor démissionnent le 28 Juin 2005 et où Carlyle acquiert effectivement le contrôle d’Otor à l’issue de ces réunions.
29. Cette dérogation est soumise à la condition que Carlyle ne prenne pas de décision en dehors de la gestion courante ou qui ne serait pas destinée à préserver la valeur de son investissement dans Otor avant que la concentration n’ait été déclarée compatible avec le Marché Commun, exception faite de la nomination d’un Président et d’un Directeur Général en cas de vacance de ces postes.