CA Paris, Pôle 2 ch. 3, 15 juin 2020, n° 17/10735
PARIS
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Défendeur :
Aig Europe (SA), Viparis (SAS), La Cpam Val De Marne (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme D'ardailhon Miramon
Conseillers :
Mme Grillon, Mme Bardiau
EXPOSE DU LITIGE :
Le 8 mai 2009, Mme Régine H., née le 4 décembre 1956 et alors âgée de 52 ans, a été victime d'un accident corporel au sein du Parc des Expositions de la Porte de Versailles, dont la gestion était assurée par la société Viparis Porte de Versailles. Elle a déclaré avoir fait une chute au niveau du palier d'un escalier mécanique montant situé au pavillon 7, à l'origine d'une fracture bimalléolaire de la cheville gauche.
Par ordonnance de référé du 6 décembre 2010, le docteur G. a été désigné en qualité d'expert pour examiner Mme H.. Il a clos son rapport le 8 avril 2013.
Par jugement du 24 mars 2016 (instance n°13/15204), le tribunal de grande instance de Paris a :
- débouté Mme Régine H. de l'ensemble de ses demandes à l'encontre des sociétés Viparis porte de Versailles et AIG Europe limited,
- débouté la caisse primaire d'assurance maladie du Val de Marne de l'ensemble de ses demandes à l'encontre des sociétés Viparis porte de Versailles et AIG Europe limited,
- dit que la caisse primaire d'assurance maladie du Val de Marne conservera à sa charge ses propres dépens,
- condamné Mme Régine H. au paiement du surplus des dépens comprenant les frais de l'expertise ordonnée en référé, avec droit de recouvrement direct au profit de Maître Christophe A., dans les conditions prévues à l'article 699 du code de procédure civile,
- dit qu'il ne sera pas fait application de l'article 700 du même code.
Mme H. a interjeté appel par déclaration du 15 avril 2016.
Par ordonnance du 3 octobre 2016, le conseiller de la mise en état a ordonné une mesure de consultation, en confiant au consultant la mission de :
- se faire remettre par la société AIG Europe limited et/ou la société Viparis porte de Versailles les plans du hall 7 bloc 4 du parc des expositions de la porte de Versailles, dans la configuration des lieux en date du 8 mai 2009,
- déterminer, au vu de ces plans, la localisation des escalators n°719136 et 719129,
- en tant que de besoin, et s'il l'estime utile à l'accomplissement de sa mission, se rendre sur les lieux, les parties et leurs conseils préalablement avisés, y faire toute constatation utile et prendre le cas échéant toute photographie utile.
Cette mesure de consultation n'ayant pu être réalisée, les consultants successivement désignés n'ayant pas oeuvré ou ayant refusé la mission, le conseiller de la mise en état a, par ordonnance du 2 juillet 2018, ordonné une mesure de constatation confiée à Maître R., huissier de justice, avec mission similaire. Ce dernier a déposé son procès-verbal de constatation le 19 octobre 2018, puis une note complémentaire le 24 mai 2019.
Selon dernières conclusions notifiées le 3 janvier 2020, Mme Régine H. demande à la cour de :
- réformer en toutes ses dispositions le jugement entrepris et statuant à nouveau,
- constater qu'elle a bien été victime le 8 mai 2009 d'un accident au parc des expositions de Paris exploité par la société Viparis,
- juger que la société Viparis est de plein droit responsable de l'accident survenu le 8 mai 2009 dans l'enceinte de l'établissement qu'elle exploite, au titre d'une obligation générale de sécurité de résultat,
- juger que la société Viparis est entièrement responsable de l'accident survenu le 8 mai 2009, en présence d'un tapis de sortie d'escalator présentant un caractère anormal et dangereux,
- à titre subsidiaire, juger que la société Viparis a commis des fautes à l'origine directe de son accident au titre de la responsabilité contractuelle, à titre plus subsidiaire sur le fondement de la responsabilité extra-contractuelle,
- en conséquence, condamner in solidum la société Viparis et son assureur la société AIG Europe à lui verser les sommes détaillées ci-après,
- condamner in solidum la société Viparis et la société AIG Europe à lui verser une somme de 12 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- déclarer l'ordonnance (sic) commune et opposable à la caisse primaire d'assurance maladie auprès de laquelle elle est affiliée,
- condamner in solidum la société Viparis et la société AIG Europe aux entiers dépens de première instance et d'appel qui comprendront les frais d'expertise, les honoraires de l'huissier constatant pour un montant de 2 100 €, les dépens de référé, et autoriser Maître Dominique L., avocat, à en recouvrer le montant conformément à l'article 699 du même code.
Selon dernières conclusions notifiées le 10 janvier 2020, la société AIG Europe SA, intervenant volontairement, venant aux droits de la société AIG Europe Limited venant elle-même aux droits de la société Chartis Europe, et la société Viparis porte de Versailles demandent à la cour de :
- à titre préalable,
Juger que la société AIG Europe Limited, société de droit étranger dont le siège se situait [...] (et dont l'établissement en France se situait [...], immatriculée au RCS de Nanterre sous le n°752 862 540), a fait l'objet d'une fusion absorption par la société AIG Europe SA, société de droit étranger immatriculée sous le n°B218806, et dont l'établissement en France se situe [...], immatriculé au RCS de Nanterre sous le n°838 136 483),
En conséquence, donner acte à la société AIG Europe SA, société de droit étranger et dont l'établissement en France se situe [...] RCS de Nanterre - n°838 136 483) sans reconnaissance de responsabilité ni de garantie et sous les plus expresses réserves, de son intervention volontaire en lieu et place de la société AIG Europe Limited,
- à titre principal,
Juger que Mme H. se fonde à la fois sur des régimes de responsabilité contractuelle et délictuelle au mépris du principe de non-cumul,
Juger que le ticket d'entrée dont se prévaut Mme H. atteste d'une relation contractuelle avec l'organisateur de l'exposition, c'est-à-dire la Foire de Paris, mais pas avec la société Viparis,
Juger que la société Comexposium exerçant sous l'enseigne Foire de Paris et la société Viparis porte de Versailles sont deux entités distinctes,
Juger que l'article L.221-1 ancien du code de la consommation concerne les producteurs et les distributeurs au sens de l'article L.221-1 ancien du même code (actuel article L.421-1 et suivants du même code),
Juger que l'arrêt de la Cour de cassation dont se prévaut Mme H. a jugé que l'obligation générale de sécurité émanant de L.221-1 ancien du code de la consommation bénéficiait à 'la clientèle' de « l'entreprise de distribution »,
Juger, d'une part, que la société Viparis porte de Versailles n'est ni un producteur ni un distributeur au sens de l'article L.221-1 ancien du code de la consommation,
Juger, d'autre part, que Mme H. n'est pas une cliente de la société Viparis porte de Versailles (mais est une cliente de la société Comexposium 'Foire de Paris'),
Juger que Mme H. est tenue de rapporter, sur le fondement de l'article 1384 alinéa 1 du code civil, la preuve du caractère anormal du palier de l'escalator, chose inerte, pour engager la responsabilité de son gardien,
Juger que Mme H. est tenue de rapporter l'existence d'une faute sur le fondement des articles 1382 et 1383 anciens du code civil, en lien de causalité avec le préjudice qu'elle invoque,
Juger que Mme H., quel que soit le fondement retenu, ne rapporte par la preuve qui lui incombe,
En conséquence, juger qu'il n'existe pas de rapports contractuels entre Mme H. et la société Viparis,
Juger en outre que l'article L.221-3 ancien du code de la consommation (actuel article L.421-3 du même code) n'est pas applicable en l'espèce,
Confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,
Débouter Mme Régine H. et la caisse primaire d'assurance maladie du Val du Marne de l'intégralité de leurs demandes dirigées contre les sociétés Viparis porte de Versailles et AIG Europe SA venant dans les droits de la société AIG Europe Limited,
Mettre hors de cause les sociétés Viparis porte de Versailles et AIG Europe SA venant dans les droits de la société AIG Europe Limited,
- à titre subsidiaire,
Juger que Mme H. ne saurait prétendre à des sommes supérieures à celles offertes par les intimées, récapitulées ci-après,
Donner acte à la société AIG Europe SA venant dans les droits de la société AIG Europe Limited de ses limites de garantie (notamment de ses franchise et plafond de garantie),
En tout état de cause, condamner Mme H. au paiement de la somme de 7 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel, dont distraction au profit de Maître Jean-Michel G..
Selon conclusions notifiées le 21 juillet 2016, la caisse primaire d'assurance maladie du Val de Marne demande à la cour de :
- prendre acte qu'elle s'en rapporte à justice sur l'appel de Mme H.,
- pour le cas où l'appel serait accueilli, si la cour estimait que la société Viparis était entièrement responsable de l'accident à l'origine des préjudices subis par Mme H. engageant ainsi sa responsabilité :
- dire la société Viparis et la société AIG Europe Ltd, ès qualités d'assureur de la société Viparis, tenues de l'indemniser dans son intégralité,
- en conséquence, condamner solidairement la société Viparis et la société AIG Europe Ltd, en qualité d'assureur de la société Viparis, à lui verser la somme de 89 589,13 € avec intérêts au taux légal à compter de la demande,
- condamner solidairement la société Viparis et la société AIG Europe Ltd, ès qualités, à lui verser les frais futurs, au fur et à mesure de leur engagement, pour un capital représentatif s'élevant à la somme de 15 534,70 €, avec intérêt de droit à compter de leur engagement ou du jugement à intervenir si le tiers opte pour un versement en capital,
- condamner solidairement la société Viparis et la société AIG Europe Ltd, ès qualités, à lui verser une somme de 3 000 € par application de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner également solidairement la société Viparis et la société AIG Europe Ltd, ès qualités, en tous les dépens dont distraction au profit de la SELARL B. & Associés, avocats, en application de l'article 699 du même code.
La clôture de l'instruction a été prononcée le 13 janvier 2020.
Selon conclusions notifiées le 23 janvier 2020, la caisse primaire d'assurance maladie du Val de Marne réitère ses demandes.
Selon conclusions notifiées le 27 janvier 2020, la société AIG Europe SA, intervenant volontairement comme venant aux droits de la société AIG Europe Limited venant elle-même aux droits de la société Chartis Europe, et la société Viparis porte de Versailles soulèvent l'irrecevabilité de ces conclusions notifiées postérieurement à l'ordonnance de clôture.
MOTIFS DE L'ARRÊT
En application de l'article 783 alinéa 1 du code de procédure civile, il y a lieu de déclarer irrecevables les conclusions notifiées par la CPAM du Val de Marne le 23 janvier 2020, soit postérieurement à l'ordonnance de clôture du 13 janvier 2020.
L'article 9 alinéas 1 et 3 de l'ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations dispose : les dispositions de la présente ordonnance entreront en vigueur le 1er octobre 2016. Lorsqu'une instance a été introduite avant l'entrée en vigueur de la présente ordonnance, l'action est poursuivie et jugée conformément à la loi ancienne. Cette loi s'applique également en appel et en cassation.
En application de cette disposition transitoire, dès lors que l'assignation introductive de la première instance a été délivrée le 8 octobre 2013, les articles du code civil visés ci-après sont ceux dans leur rédaction antérieure à ladite ordonnance, applicables dans la présente instance d'appel.
1 - Sur l'action en responsabilité civile à l'encontre de la société Viparis Porte de Versailles
Le tribunal a jugé que Mme H., sur qui pèse la charge de la preuve, ne démontre pas que l'un des escalators sous la garde de la société Viparis aurait été l'instrument du dommage et que la responsabilité de cette dernière serait donc engagée sur le fondement de l'article 1384 alinéa 1 du code civil ; qu'elle ne rapporte pas davantage la preuve de l'existence d'une faute de la société Viparis de nature à engager sa responsabilité sur le fondement de l'article 1382 du code civil.
Mme H. sollicite l'infirmation du jugement en faisant valoir que les pièces versées aux débats établissent de manière certaine les circonstances de l'accident et que celles-ci engagent la responsabilité de plein droit de la société Viparis, et à titre subsidiaire sa responsabilité pour faute.
Elle expose :
- que le lieu de l'accident est déterminé et résulte des photographies prises le jour des faits, de l'attestation de M. F. qui a été témoin de sa chute, du rapport de l'inspecteur de la Matmut, enfin du procès-verbal dressé par l'huissier de justice, qui a expressément constaté l'existence de l'escalator n°719136 situé à mi-étage entre le rez-de-chaussée et le premier étage du hall 7 bloc 4,
- que l'état défectueux du tapis de seuil de l'escalator est démontré par les photographies prises le jour de l'accident, identiques à celles annexées au rapport de la Matmut, dont les constatations confirment le témoignage de M. F. ; que son caractère dangereux, lié au dénivelé de 3 centimètres mal rattrapé par la bande de ciment présente autour de l'encadrement métallique, est corroboré par le refus de la société Viparis de communiquer une photographie de l'escalator litigieux, puisque seuls les clichés des escalators n°719129 et 719128 sont versés aux débats.
Mme H. soutient que la responsabilité de plein droit de la société Viparis est engagée sur le fondement :
- De l'article L.221-1 du code de la consommation au titre d'une obligation générale de sécurité de résultat, en ce qu'elle offre un service en accueillant du public dans le cadre de ventes de divers produits et qu'elle présente la qualité de professionnel d'une chaîne de commercialisation, hypothèse expressément visée par le texte précité,
- Subsidiairement, de l'article 1147 du code civil, un rapport contractuel s'étant implicitement formé avec la société Viparis, propriétaire des lieux et organisatrice d'une manifestation ouverte au public, à ce titre débitrice d'une obligation de sécurité de résultat consistant à mettre à la disposition du public des infrastructures ne présentant aucun danger,
- Plus subsidiairement, de l'article 1384 alinéa 1er du code civil, en sa qualité de gardienne du tapis desservant l'escalator n°719136, présentant un caractère anormal et dangereux et ayant constitué l'instrument du dommage.
A titre encore plus subsidiaire, elle considère que la société Viparis a commis une faute de négligence en n'assurant pas l'entretien et par suite la sécurité de ce tapis, ce qui engage sa responsabilité contractuelle ou extracontractuelle sur le fondement des articles 1147, 1382 et 1383 du code civil.
La société Viparis sollicite la confirmation du jugement qui a débouté Mme H. de l'ensemble de ses demandes, en faisant valoir :
- qu'elle ne peut se fonder à la fois sur les régimes de responsabilité délictuelle et contractuelle,
- qu'il n'existe pas de rapports contractuels entre la société Viparis et Mme H., qui est une cliente de la société Comexposium « Foire de Paris » comme en atteste le ticket d'entrée versé aux débats ; que les professionnels visés par l'article L.221-1 du code de la consommation sont limitativement énumérés et que la société Viparis ne peut être considérée comme un producteur, n'étant ni fabricant ni représentant d'un fabricant, et n'a pas la qualité de distributeur puisqu'elle ne participe à aucune chaîne de commercialisation et n'a aucune activité de distribution ; qu'elle a seulement mis à disposition de la société Comexposium « Foire de Paris » des locaux afin que cette dernière organise l'événement et accueille le public,
- que Mme H. ne rapporte pas la preuve des circonstances exactes de sa chute, et notamment de sa localisation, et que sa relation des faits a été modifiée au gré de l'évolution de la procédure et manque donc de fiabilité ; que le rapport du constatant judiciaire et sa note complémentaire ne permettent pas de confirmer qu'elle aurait chuté devant l'escalator n°719136, étant observé que le constat d'huissier, qui précise l'emplacement de l'escalator n°719136 en 2018, ne permet pas de connaître avec certitude son emplacement en 2009 compte tenu des travaux intervenus en 2016-2017,
- que Mme H. ne démontre pas que le palier de l'escalator montant situé au pavillon 7 mezzanine 1 bloc 4, qui constitue une chose inerte, présentait un caractère anormal ; que le compte rendu établi par l'inspecteur de la Matmut ne présente pas de garanties objectives, s'agissant de l'assureur de la victime qui s'est déplacé sur les lieux en son absence ; que les photographies de l'escalator désigné par Mme H. et sur le palier duquel elle aurait chuté, annexées au courrier adressé par la société Viparis au cabinet D. le 17 septembre 2009, démontrent que son palier n'est affecté d'aucune irrégularité, le sol étant sans barre métallique ni dénivelé pouvant affecter la circulation des piétons.
1.1 - La société Viparis a pour activité l'administration et la gestion commerciale et technique du Parc des Expositions de Paris - Porte de Versailles, au sein duquel se tenait la 'Foire de Paris' où s'est rendue Mme H., en compagnie de M. F., le 8 mai 2009. Elle verse aux débats deux billets électroniques valables pour une entrée à la « Foire de Paris » entre le 30 avril et le 10 mai 2009, qui attestent d'une relation contractuelle avec l'organisateur de l'exposition, la société Comexpo Paris, une filiale du groupe Comexposium.
Mme H. ne démontrant aucun rapport contractuel avec la société Viparis, elle est mal fondée à agir à son encontre sur le fondement de la responsabilité contractuelle.
La demande dirigée à l'encontre de la société Viparis ne peut davantage prospérer sur le fondement de l'article L.221-1 du code de la consommation qui dispose, dans sa version en vigueur au moment des faits : "Les produits et les services doivent, dans des conditions normales d'utilisation ou dans d'autres conditions raisonnablement prévisibles par le professionnel, présenter la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre et ne pas porter atteinte à la santé des personnes".
Mme H. ne démontre nullement que la société Viparis aurait, au sens de ce texte, la qualité de « producteur » en étant un fabricant de produit, un représentant du fabricant ou encore un professionnel de la chaîne de commercialisation, ou encore l'activité de « distributeur », en étant un professionnel de la chaîne de commercialisation dont l'activité n'a pas d'incidence sur les caractéristiques de sécurité du produit.
C'est donc à bon droit que la société Viparis conteste toute responsabilité de plein droit qui serait fondée sur cette disposition, en rappelant qu'elle a seulement mis à disposition de la société Comexposium « Foire de Paris » des locaux permettant l'organisation de l'événement et l'accueil du public.
A cette fin, la société Viparis ne conteste pas sa qualité de gardienne des escalators équipant le Parc des Expositions dont elle assure l'administration et la gestion commerciale et technique.
En droit, l'article 1384 alinéa 1er du code civil dispose que l'on est responsable non seulement du dommage que l'on cause par son propre fait mais encore de celui qui est causé par le fait des personnes dont on doit répondre, ou des choses que l'on a sous sa garde.
Il résulte de ce texte qu'est engagée la responsabilité du gardien d'une chose inerte se trouvant en position anormale ou dangereuse et qui a été l'instrument d'un dommage.
En application de l'article 9 du code de procédure civile, il incombe à Mme H., demanderesse en indemnisation, de démontrer que la responsabilité de la société Viparis est engagée sur le fondement du texte précité, en rapportant la double preuve du rôle causal du tapis d'accès à l'escalator dans la réalisation de son dommage, et s'agissant d'une chose inerte, de sa position ou de son caractère anormal ou dangereux.
1.2 - Au soutien de son appel, Mme H. verse aux débats :
- une attestation d'intervention du docteur Laborie de la Croix-Rouge, qui indique qu'elle a été victime d'une « chute mécanique de sa hauteur avec traumatisme à la cheville du pied gauche » sur le site du Parc des Expositions de Versailles, sans autre précision,
- des photographies prises au moyen de son téléphone portable le jour des faits, représentant le tapis de sol contre lequel elle a trébuché, soit un tapis en caoutchouc encadré par une barre métallique, situé devant l'escalator n°719136,
- une attestation rédigée le 19 juin 2009 par M. F., témoin de sa chute, qui indique : « Empruntant l'escalator central de l'arrière du hall 7 (...), Mme H. qui me précédait dans l'escalator a buté avec son pied gauche dans la barre métallique de fixation du tapis caoutchouté de l'étage intermédiaire d'accès au 1er étage. Cette barre métallique dépasse d'environ 2 cm le niveau du sol (irrégulier à cet emplacement) présentant un réel danger en période d'affluence du public (ce qui était le cas à cette heure), en effet de nombreuses personnes empruntaient l'escalator. Mme H. après avoir buté sur cette barre métallique a été déséquilibrée et a chuté sur sa cheville gauche de tout son poids (...) »,
- un rapport établi par M. C., un inspecteur de son assureur la Matmut, qui s'est rendu sur les lieux de l'accident à la suite à la déclaration de sinistre de Mme H. et qui écrit : « Le mardi 30 juin 2009, nous nous rendions au Parc des Expositions où nous étions reçu par M. D., qui à la suite de nos explications nous conduisait à l'endroit de la chute de notre sociétaire, à savoir bloc 4, escalators desservant le bloc où se trouvent les toilettes. Au demi-niveau situé entre le rez-de-chaussée et le premier étage, au pied de l'escalator n°719136, nous notions un dénivelé entre l'encadrement métallique emprisonnant le tapis d'accès à l'escalator et le sol proprement dit. Ce dénivelé était compensé par un rattrapage en ciment en pente à 45° et ce afin d'éviter un risque de chute en butant carrément dans l'encadrement métallique. Ce dénivelé représente un décalage de 3 cm avec le sol. Disons prendre deux clichés photographiques que nous joignons au présent. Il est à noter que lors des faits, l'endroit était fortement fréquenté et que notre sociétaire n'a pas vu ce changement de hauteur et a perdu l'équilibre après avoir buté sur l'encadrement métallique du tapis. »
Sont également produits :
- le courrier de la Matmut, assureur de Mme H., adressé le 15 juin 2009 à la société Viparis, décrivant « un défaut d'entretien du sol et des irrégularités importantes » à l'origine de la chute de son assurée « alors qu'elle empruntait l'escalator au fond du hall n°7 pour monter aux étages supérieurs »,
- le courrier en réponse daté du 17 septembre 2009, auxquelles sont annexées cinq photographies et par lequel la société Viparis conteste toute irrégularité de sol au niveau du palier de l'escalator montant situé au pavillon 7 mezzanine 1 bloc 4.
Enfin, sont versés aux débats un procès-verbal de constat dressé le 19 octobre 2018 par l'huissier de justice désigné en qualité de constatant, comprenant plusieurs photographies, ainsi qu'une note complémentaire établie le 24 mai 2019 comportant les plans 2009 et 2018 représentants les trois escalators présents dans la zone mezzanine/mi-étage du pavillon 7 bloc 4, dont l'escalator désigné par Mme H. comme étant celui au pied duquel elle déclare avoir chuté. En revanche, seuls deux escalators apparaissent au niveau du rez-de-chaussée, portant les n°719129 et 719128.
1.3 - Si la chute de Mme H., survenue le 8 mai 2009 dans les locaux du Parc des Expositions de la porte de Versailles, n'est pas contestée par la société Viparis, les parties sont en revanche en désaccord sur la localisation de celle-ci d'une part, et sur la position anormale ou le caractère dangereux du tapis d'accès à l'escalator litigieux d'autre part.
- Sur la localisation de la chute et l'identification de l'escalator litigieux
Mme H. déclare avoir chuté devant l'escalator n°719136 situé entre le rez-de-chaussée et le premier étage du pavillon 7 bloc 4, soit au niveau de la mezzanine, tandis que la société Viparis lui reproche une relation des faits fluctuante au gré des jeux de conclusions et considère que la localisation de la chute au niveau de l'escalator n°719136 n'est pas établie.
Or au soutien de son appel, Mme H. verse aux débats le témoignage précis et circonstancié de M. F., qui a assisté à sa chute, ainsi que le rapport de M. C. de la Matmut, qui s'est transporté sur les lieux suite à la déclaration d'accident de son assurée, certes en son absence puisque Mme H. était alors en centre de rééducation de l'hôpital Saint Maurice, mais en suivant ses indications.
Les déclarations du premier, qui indique le 19 juin 2009 que Mme H. a buté avec son pied gauche « dans la barre métallique de fixation du tapis caoutchouté de l'étage intermédiaire d'accès au 1er étage », sont confirmées par les constatations du second réalisées le 30 juin 2009, qui décrit à l'endroit désigné, soit « au demi-niveau situé entre le rez-de-chaussée et le premier étage, au pied de l'escalator n°719136 », la présence d'un dénivelé entre l'encadrement métallique emprisonnant le tapis d'accès à l'escalator et le sol proprement dit.
Elle produit en outre des photographies prises le jour des faits, comme le démontre la copie d'écran de son ordinateur, représentant le tapis qui a été à l'origine de sa chute. Si ces photographies sont dépourvues d'arrière-plan, elles peuvent toutefois être comparées aux deux photographies prises par l'inspecteur de la Matmut, qui a localisé précisément ce tapis au pied de l'escalator n°719136. Or il résulte du rapprochement de ces photographies prises le 8 mai puis le 30 juin 2009, par deux personnes différentes, qu'elles concernent sans aucun doute possible le même tapis en caoutchouc de couleur gris foncé : il est en effet composé de deux parties, soit 2/3 - 1/3, et 25 ronds en caoutchouc peuvent être dénombrés sur sa longueur tant sur la photographie n°1 produite par Mme H. que sur la photographie n°1 prise par M. C. ; par ailleurs, manifestement surélevé par rapport au niveau sol, ce tapis présente, sur sa partie gauche face à l'escalator, une bande en ciment de quelques centimètres de large, qui forme manifestement un dénivelé ; enfin, s'il présente un cerclage métallique qui semble en bon état, l'extrémité du raccord en ciment dépasse légèrement sur la même partie gauche et forme à l'évidence une butée.
Les déclarations de Mme H. quant au lieu et aux circonstances de sa chute ont ainsi été confirmées par les constatations de la Matmut, réalisées moins de deux mois après l'accident.
La société Viparis se réfère aux photographies annexées à son courrier du 17 septembre 2009 pour affirmer que les paliers d'escalator ne font apparaître ni barre métallique ni dénivelé pouvant présenter un caractère dangereux. Or les photographies communiquées correspondent aux escalators n°719129 et 719128, de sorte qu'elle est mal fondée à affirmer qu'elle serait « allée vérifier l'état du palier de l'escalator à l'emplacement désigné par Mme H. » (page 20 des conclusions), pourtant désigné comme portant le n°719316 dans le rapport de la Matmut établi le 30 juin 2009. Les photographies produites par la société Viparis, qui ne concernent pas ledit escalator, sont donc sans intérêt pour la solution du litige.
Enfin, les constatations réalisées par l'huissier de justice confirment la présence de trois escalators au niveau de la mezzanine du bloc 4 du pavillon 7, dont l'escalator n°719136. La configuration des lieux est en effet la même malgré la réalisation de travaux de rénovation, mais le revêtement de sol qui constitue le palier des escalators n'apparaît plus sous la forme d'un tapis en caoutchouc et ne présente aucune irrégularité.
Sur les plans communiqués, les escalators situés au niveau mezzanine/mi-étage ne sont pas numérotés. Les numérotations ont toutefois été reportées manuscritement sur les plans communiqués, les mentions de l'huissier étant toutefois contradictoires puisqu'il indique que l'escalator n°719136 « figure en partie centrale (dans le sens de la descente), accolé à l'escalator situé sur la droite (...) au centre sur le plan de 2009 » (page 9 de la note complémentaire), tout en mentionnant (page 4 de ladite note) « un troisième escalator (n°719136) (...) éloigné des deux précédents et situé franchement sur la gauche lorsqu'on fait face aux trois escalators depuis la mezzanine », en confirmant sa réponse au dire qui lui a été adressé quelques mois auparavant par le conseil de la victime (« Je confirme que l'escalator n°719136 est bien celui situé sur la gauche lorsqu'on se trouve sur le niveau mezzanine/mi-étage du 7.1, faisant face aux escalators », page 19 du constat).
Cette localisation sur la gauche de l'escalator devant lequel la chute est survenue correspond à la description faite par Mme H..
Il est ainsi établi que l'escalator désigné par la victime est bien l'un des trois escalators présents au niveau mezzanine, étant souligné que tous trois sont représentés sur les plans de 2009 et ceux de 2018 et sont sous la garde de la société Viparis, qui ne le conteste pas.
Au vu des éléments ainsi réunis, il existe un faisceau de présomptions graves, précises et concordantes, au sens de l'article 1353 du code civil, de nature à établir les circonstances de la chute telles que décrites par Mme H., survenue sur le palier de l'escalator montant n°719136 situé au pavillon d'exposition n°7 au niveau de la mezzanine du bloc 4.
Le jugement entrepris sera donc infirmé en ce qu'il a considéré que les pièces versées au dossier sont insuffisantes pour déterminer avec certitude le lieu de l'accident.
- Sur la position anormale ou la dangerosité du tapis d'accès à l'escalator
Les déclarations de la victime, qui indique avoir heurté l'encadrement métallique du tapis en caoutchouc situé à l'entrée de l'escalator n°719136, sont corroborées par la description faite par le témoin des faits, M. F., mais également par les constatations de l'inspecteur de la Matmut, tout deux décrivant un tapis de sol caoutchouté comportant une barre métallique, « dépassant d'environ 2 cm le niveau du sol » selon M. F., et formant « un dénivelé qui représente un décalage de 3 cm avec le sol » selon M. C..
Contrairement à l'affirmation de la société Viparis, il n'existe aucune contradiction entre l'attestation de M. F. et les constatations de M. C., qui mentionnent tous deux la présence d'un encadrement métallique contre lequel aurait buté Mme H. et qui est à l'origine de sa chute accidentelle.
Cette anormalité du tapis de sol résulte également des photographies versées aux débats, qui montrent que le dénivelé de quelques centimètres entre l'encadrement métallique entourant le tapis et le niveau du sol a été compensé par un rattrapage en ciment, en pente à 45° selon M. C.. Or ce raccord en ciment déborde légèrement de l'encadrement métallique du tapis et forme une saillie visible sur les photographies.
Le positionnement anormal du tapis d'accès à l'escalator résulte ainsi du décalage de 3 centimètres entre le sol et le tapis emprisonné dans un encadrement métallique et du rattrapage en ciment irrégulier destiné à compenser ce dénivelé, étant souligné que la société Viparis ne démontre pas que le positionnement anormal du tapis ait été signalé afin de prévenir les risques de chute.
La dangerosité du tapis de l'escalator n°719136 est donc démontrée, également par la comparaison du palier litigieux avec les paliers d'escalator photographiés par l'huissier de justice le 19 octobre 2018, dont les tapis de seuil « sont engagés dans le sol et ne génèrent pas d'affleurement ».
Il résulte des éléments de preuve ci-dessus réunis que le tapis desservant l'escalator n°719136 présentait un caractère anormal et dangereux et a été l'instrument du dommage subi par Mme H.. La responsabilité de la société Viparis est donc engagée en application de l'article 1384 alinéa 1er du code civil.
Le jugement entrepris sera par conséquent infirmé en toutes ses dispositions et la société Viparis Porte de Versailles déclarée, in solidum avec son assureur, responsable de la chute dont a été victime Mme H. le 8 mai 2009 et tenue par conséquent d'indemniser les conséquences dommageables de cet accident.
2 - Sur la réparation du préjudice corporel de Mme H.
Les prétentions des parties peuvent être récapitulées comme suit :
Demandes | Offres | |
Préjudices patrimoniaux | (Subsidiairement) | |
Temporaires | ||
- assistance par tierce personne | 8 802,00 € | 7 335,00 € |
- perte de gains professionnels | 5 670,00 € | 0,00 € |
Permanents | ||
- frais de logement adapté | 5 047,00 € | 3 364,66 € |
- frais de véhicule adapté | 35 288,95 € | 11 763,00 € |
- assistance par tierce personne | 60 209,78 € | 24 588,66 € |
Préjudices extra-patrimoniaux | ||
Temporaires | ||
- déficit fonctionnel temporaire | 13 593,00 € | 9 595,00 € |
- souffrances endurées | 16 000,00 € | 10 000,00 € |
- préjudice esthétique temporaire | 5 000,00 € | |
Permanents | ||
- déficit fonctionnel permanent | 17 000,00 € | |
- préjudice esthétique permanent | 5 000,00 € | 2 000,00 € |
- préjudice d'agrément | 7 000,00 € | 0,00 € |
- totaux | 178 610,73 € | 68 646,32 € |
Le docteur G., expert, a émis l'avis suivant sur le préjudice corporel subi par Mme H., après avoir recueilli l'avis d'un sapiteur en la personne du docteur C., neurologue, afin de déterminer l'influence de la fracture sur l'évolution de la myopathie et l'influence de la myopathie sur l'état fonctionnel de la victime :
- blessures provoquées par l'accident du 8 mai 2009 : fracture bimalléolaire de la cheville gauche, ayant nécessité une ostéosynthèse suivie du port d'une attelle suro-pédieuse en résine pendant 45 jours ; au cours de l'évolution, Mme H. a présenté une thrombophlébite soléaire gauche qui s'est résorbée sous anti-coagulant, un très important œdème de la cheville gauche et du pied en rapport avec une algoneurodystrophie, outre un syndrome dépressif,
- état antérieur : myopathie facio-scapulo-humérale suivie dans le service de neurologie de la Pitié Salpêtrière,
- déficit fonctionnel temporaire :
début de période 08/05/2009 taux déficit
fin de période 23/08/2009 108 jours 100 %
fin de période 01/11/2009 70 jours 75 %
fin de période 01/05/2010 181 jours 50 %
fin de période 11/10/2012 894 jours 25 %
- assistance temporaire par tierce personne temporaire : 3 heures par semaine en dehors des périodes d'hospitalisation,
- préjudice professionnel temporaire : du 1er octobre 2011 au 10 avril 2012,
- souffrances endurées : 4/7,
- préjudice esthétique temporaire : 2/7,
- consolidation fixée au 11 octobre 2012 (à l'âge de 55 ans),
- besoin en matériel : justifié pour l'attribution d'un fauteuil roulant électrique (dont 2/3 imputables à l'accident),
- aménagement de la salle de bains : justifié (pris en charge aux 2/3 de la facture),
- aménagement du véhicule : justifié pour la fourniture d'une boîte de vitesses automatique et pour l'aménagement du coffre (pris en charge aux 2/3 de la facture),
- assistance par tierce personne permanente : 2 heures par semaine (dont 2/3 imputables à l'accident),
- préjudice professionnel permanent : absent, la victime étant à la retraite,
- déficit fonctionnel permanent : 15 % (dont 2/3 imputables à l'accident),
- préjudice esthétique permanent : 2/7 (dont 2/3 imputables à l'accident),
- préjudice d'agrément (à prendre en compte pour 2/3).
Le docteur G. a considéré, après avis de son sapiteur compte tenu de l'état antérieur de la victime, que l'ensemble des préjudices permanents sont imputables pour 2/3 à l'accident du 8 mai 2009. Il souligne que la myopathie facio-scapulo-humérale « entraînait un déficit musculaire modéré, prédominant au niveau des racines des quatre membres, mais semble-t-il d'aggravation lentement progressive ».
Mme H. retient cette part d'imputabilité pour certains postes de préjudices permanents (aménagement du véhicule et déficit fonctionnel permanent), tandis qu'elle la conteste pour d'autres (tierce personne, aménagement de la salle de bain, préjudice esthétique, préjudice d'agrément).
En l'absence de tout avis médical circonstancié qui infirmerait les conclusions de l'expert judiciaire, l'imputabilité à l'accident des préjudices permanents subis par la victime est entérinée par la cour à hauteur des 2/3, le 1/3 restant étant imputable à l'état antérieur de la victime.
Au vu de ces éléments et des pièces produites par les parties, le préjudice corporel de Mme H. sera indemnisé comme suit.
Préjudices patrimoniaux temporaires (avant consolidation)
- assistance par tierce personne
L'expert a conclu à la nécessité d'une assistance par tierce personne hors hospitalisation à raison de 3 heures par semaine, entre le 23 août 2009 et le 10 octobre 2012, pour les courses et le ménage.
Les parties acquiescent à l'avis expertal concernant le volume du besoin d'aide avant consolidation (163 semaines x 3h) mais s'opposent sur le coût horaire, Mme H. réclamant 18 € et la société Viparis offrant 15 €.
Il sera fait application du coût horaire d'indemnisation de 16 €, s'agissant d'une assistance non médicalisée et non spécialisée, et ce poste de préjudice sera indemnisé comme suit : 163 semaines x 3h x 16 € = 7 824 €.
- perte de gains professionnels actuels
Mme H. fait valoir :
- qu'à l'époque de l'accident, elle exerçait son activité professionnelle à mi-temps, pour cause de fatigabilité, mais était rémunérée à 100 % grâce à un congé longue maladie fractionné qui devait perdurer jusqu'à la retraite,
- que du fait de l'accident, il ne lui a pas été possible de reprendre son travail ni d'être reclassée, comme le relève l'expert judiciaire, qui considère que son préjudice professionnel est imputable pour les 2/3 au fait dommageable,
- qu'elle avait l'intention de poursuivre son activité jusqu'en avril 2012, date de sa retraite (le personnel médical prenant sa retraite à 55 ans),
- qu'elle a donc subi un préjudice financier puisqu'elle n'a perçu que 945 € par mois entre le 1er octobre 2011 et le 12 avril 2012, en l'absence de complément de salaire versé par le CGOS, alors qu'elle aurait dû percevoir le double ; que son préjudice s'élève ainsi à la somme de 5 670 € (soit 945 € x 6).
La société Viparis soutient que le lien de causalité entre l'accident et la situation de Mme H. en congé maladie et ses suites n'est pas établi, dès lors :
- que l'expert n'a pas retenu ce poste de préjudice (sic),
- qu'elle était placée en congé longue maladie depuis le 10 janvier 2009, soit plusieurs mois avant l'accident, ce qui implique que sa maladie était déjà à un stade nécessitant un tel congé,
- que les éléments du dossier ne permettent pas d'établir que l'évolution de sa situation professionnelle jusqu'au 1er avril 2012 aurait été différente sans la survenance de l'accident.
Ce poste de préjudice tend à compenser les répercussions de l'invalidité sur la sphère professionnelle de la victime jusqu'à la consolidation de son état de santé. L'évaluation de la perte de gains alléguée doit être effectuée in concreto, au regard de la preuve d'une perte de revenus établie par la victime, à qui incombe la charge de la preuve de son imputabilité à l'accident.
Il résulte des pièces versées aux débats qu'à la date de l'accident, Mme H. était employée à mi-temps en qualité d'aide-soignante en consultation, sur un poste adapté à l'hôpital Saint Maurice du fait de sa myopathie, et bénéficiait d'un congé longue maladie fractionné à plein traitement depuis le 10 janvier 2009, lequel a été renouvelé jusqu'au 9 janvier 2010.
Par décision du 18 janvier 2010, elle a été placée en congé longue maladie fractionné à demi-traitement, puis par décision du 22 septembre 2011, placée en disponibilité d'office pour maladie à compter du 1er octobre 2011 avec versement d'indemnités journalières dans l'attente d'une retraite pour invalidité. Enfin, elle a été admise à faire valoir ses droits à la retraite pour invalidité à compter du 1er avril 2012.
Malgré son passage à mi-traitement à compter de 2010, Mme H. ne déplore aucune perte de revenus entre la date de l'accident et le 1er octobre 2011, compte tenu du complément de salaire versé par le comité de gestion des œuvres sociales de établissements hospitaliers publics (CGOS). Elle produit ses bulletins de salaire d'octobre 2011 à mars 2012 et évalue à 945 € par mois sa perte de gains du 1er octobre 2011 au 31 mars 2012, par comparaison entre le salaire perçu et celui qu'elle percevait au titre de l'année 2009.
L'expert a retenu un préjudice professionnel temporaire du 1er octobre 2011 au 10 avril 2012, « période durant laquelle Mme H. a subi une perte de salaire. En effet, les décisions administratives prises par son employeur sont directement liées à son accident » (page 17 du rapport). Cette affirmation ne résulte pourtant d'aucun élément de preuve, l'expert ayant simplement pris acte des décisions administratives qui ont été portées à sa connaissance sans solliciter aucune explication complémentaire ni émettre un avis argumenté.
Or aucune des décisions administratives précitées, relatives au congé longue maladie de la victime qui préexistait à l'accident compte tenu de sa pathologie, suivi de son placement en disponibilité d'office pour maladie, ne fait référence au fait traumatique du 8 mai 2009.
Par ailleurs, Mme H. ne produit aucune attestation de son employeur relative à l'évolution de la situation qui aurait été la sienne sans la survenance de l'accident, notamment quant à sa rémunération, ni aucun élément concernant les congés de maladie des agents de la fonction publique hospitalière, et notamment les dispositions spécifiques relatives à l'évolution de la rémunération des agents placés en congés longue maladie fractionnés.
La preuve de l'imputabilité à l'accident de la perte de gains alléguée n'étant pas rapportée, la demande est rejetée.
Préjudices patrimoniaux permanents (après consolidation)
Il sera fait application du barème de capitalisation publié par la Gazette du Palais du 28 novembre 2017, comme réclamé par la victime, établi selon les tables de mortalité INSEE les plus récentes (2010-2012) et dont le taux d'actualisation (basé sur la valeur moyenne du TEC 10 et la prise en compte de l'inflation générale des prix) est fixé à 0,5 %.
- frais de logement adapté
Mme H. sollicite à ce titre la somme de 5 047 € en produisant un devis d'aménagement de la salle de bains, tout en soulignant qu'elle n'aurait pas eu besoin de cet aménagement sans la survenance de l'accident.
La société Viparis ne conteste ni le principe ni le coût de l'aménagement mais sollicite l'application de la part d'imputabilité retenue par l'expert.
Le docteur G. ayant retenu que l'aménagement de la salle de bains était imputable à l'accident pour 2/3 de la facture, ce poste de préjudice est liquidé à la somme de 3 364,67 € (soit 5 047 € x 2/3).
- frais de véhicule adapté
L'expert considère que l'aménagement du véhicule est justifié pour la fourniture d'une boîte de vitesses automatique et l'adaptation du coffre afin d'y placer le fauteuil roulant électrique, avec prise en charge des 2/3 de la facture.
Mme H. produit deux devis et sollicite la somme totale de 35 288,95 €, correspondant aux frais suivants (aménagement du véhicule : 7 311,15 € x 2/3 + boîte de vitesses automatique : 1 304 € x 2/3), sur la base d'un renouvellement tous les 5 ans et avec capitalisation viagère en barème publié par la Gazette du Palais 2018 pour une femme âgée de 54 ans.
La société Viparis retient, en application de la part d'imputabilité des 2/3, une dépense de 4 874,10 € au titre de l'aménagement + 579,55 € pour la boîte de vitesses automatique, et un renouvellement tous les 10 ans, en offrant après capitalisation selon l'euro de rente de 21,569 (sans autre précision) une somme de 11 763 €.
Il résulte des devis versés aux débats les coûts suivants :
- aménagement du véhicule pour l'installation du fauteuil électrique : 7 311,15 €
- boîte de vitesses automatique : 1 304 €
- soit une dépense totale après imputabilité des 2/3 à l'accident : 5 743,43 €.
Sur la base d'une périodicité de renouvellement du véhicule de 7 ans, et le besoin d'un véhicule adapté étant retenu à compter de la consolidation de la victime (soit le 11 octobre 2012), l'indemnisation de ce poste de préjudice est calculée comme suit :
- période échue : 5 743,43 €
- période future : 5 743,43 € / 7 ans x 23,229 (euro de rente viagère pour une femme de 62 ans au 11 octobre 2019, date du premier renouvellement) = 19 059,16 €.
Ce poste de préjudice est liquidé à la somme de 24 802,59 €.
- assistance par tierce personne
L'expert a retenu un besoin viager d'assistance par tierce personne de 2 heures par semaine, dont 2/3 imputables à l'accident.
Les parties acquiescent à l'avis expertal concernant le volume du besoin d'aide annuel après consolidation, soit 2h x 57 semaines.
Elles s'opposent en revanche sur le calcul de l'indemnisation : Mme H. sollicite une indemnité de 18 € de l'heure et une capitalisation selon l'euro de rente viagère issu du barème publié par la Gazette du Palais 2018 pour une femme de 54 ans (soit 29,342), tandis que la société Viparis offre un coût horaire d'indemnisation de 15 €, retient un euro de rente de 21,569 (sans autre précision) et applique le coefficient d'imputabilité à l'accident soit 2/3.
Le juge ayant l'obligation d'évaluer le préjudice à la date la plus proche du jour où il statue, et Mme H. ne justifiant pas avoir recouru à l'assistance d'une tierce personne rémunérée pour la période échue, le coût horaire d'indemnisation sera maintenu à 16 € pour la période échue et porté à 18 € pour la période future à compter du 10 février 2020, date de l'audience de plaidoirie, afin de tenir compte de l'érosion monétaire, l'indemnisation étant liquidée sur la base d'une durée annuelle indemnisable de 365 jours pour la période échue et de 57 semaines pour la période future conformément à l'accord des parties.
Ce poste de préjudice est ainsi évalué à la somme totale de 58 318,08 € détaillée comme suit :
- période du 11 octobre 2012 au 10 février 2020 : 382 semaines x 2h x 16 € = 12 224 €,
- à compter du 11 février 2020 : (57 semaines x 2h x 18 €) x 22,463 (euro de rente viagère pour une femme âgée de 63 ans) = 46 094,08 €.
Ce poste de préjudice est par conséquent liquidé à la somme de 38 878,72 € (soit 58 318,08 € x 2/3).
Préjudices extra-patrimoniaux temporaires (avant consolidation)
- déficit fonctionnel temporaire
Les parties s'accordent sur les conclusions de l'expert mais s'opposent sur la base journalière d'indemnisation, Mme H. réclamant une somme de 28 € tandis que la société Viparis offre une somme de 20 €.
L'indemnisation du déficit fonctionnel temporaire sera liquidée comme suit, en conformité avec l'avis expertal, et sur une base journalière de 25 € :
Dates 25,00 € / jour
08/05/2009 taux déficit total
23/08/2009 108 jours 100% 2 700,00 €
01/11/2009 70 jours 75% 1 312,50 €
01/05/2010 181 jours 50% 2 262,50 €
11/10/2012 894 jours 25% 5 587,50 € 11 862,50 €
- souffrances endurées
L'expert les a évaluées à 4/7, incluant les complications et les répercussions psychologiques.
L'indemnisation de ce poste de préjudice sera liquidée à la somme de 14 000 €.
- préjudice esthétique temporaire
L'expert l'a évalué à 2/7 au vu des cicatrices et de l'augmentation du volume de la cheville. Il précise qu'avant l'accident Mme H. marchait avec une canne simple du fait de sa myopathie facio-humérale mais était totalement autonome.
L'indemnisation de ce poste de préjudice sera liquidée à la somme de 2 000 €.
Préjudices extra-patrimoniaux permanents (après consolidation)
- déficit fonctionnel permanent
L'expert l'a évalué au taux de 15 %, dont 2/3 imputables à l'accident.
La victime étant âgée de 55 ans au jour de sa consolidation, ce poste de préjudice sera indemnisé à hauteur de 24 450 € et liquidé à la somme de 16 300 € (soit 24 450 € x 2/3).
- préjudice esthétique permanent
L'expert l'a évalué à 2/7, dont 2/3 imputables à l'accident, en soulignant que la victime présente une légère boiterie nécessitant l'utilisation de deux cannes anglaises pour les déplacements extérieurs.
Mme H. souligne que depuis l'accident, elle doit marcher avec des béquilles, que sa jambe gonfle et que la limitation de ses mouvements est à l'origine d'une prise de poids. Celle-ci a été relevée par l'expert, qui a également rappelé que Mme H. marchait avec une canne avant l'accident du fait de sa myopathie.
Au vu de ces éléments et de l'âge de la victime à la consolidation, ce poste de préjudice sera indemnisé à hauteur de 3 000 € comme proposé par la société Viparis, et liquidé à la somme de 2 000 € (soit 3 000 € x 2/3).
- préjudice d'agrément
Mme H. sollicite la somme de 5 000 € à ce titre, sur la base des conclusions de l'expert.
La société Viparis conclut au rejet de sa demande compte tenu de la carence probatoire de la victime.
Le docteur G. conclut en effet à l'existence d'un préjudice d'agrément à prendre en compte pour 2/3, « du fait de la gêne permanente accentuée à la marche, nécessitant l'utilisation de deux cannes anglaises, ce qui objectivement empêche la victime de pratiquer toutes activités de loisirs comme auparavant ».
Toutefois, ce poste de préjudice ayant vocation à réparer l'impossibilité pour la victime de continuer à pratiquer régulièrement une activité spécifique sportive ou de loisirs, mais également la limitation de la pratique antérieure, il appartient à la victime qui invoque l'existence de ce préjudice spécifique de justifier de la pratique régulière, avant l'accident, d'une activité sportive ou de loisir devenue impossible ou difficilement praticable depuis le fait dommageable.
Mme H. ne mentionne aucune activité spécifique, sportive ou de loisirs, pratiquée de manière régulière avant l'accident, et ne verse aux débats aucun élément de preuve qui permettrait de caractériser ce préjudice spécifique dont elle réclame réparation, alors même que la société Viparis conclut à son débouté faute de justificatifs.
Sa demande est donc rejetée.
En résumé, le préjudice de Mme H. s'établit comme suit pour un montant total de 121 032,48 € :
- assistance par tierce personne 7 824,00 €
- perte de gains professionnels 0,00 €
- frais de logement adapté 3 364,67 €
- frais de véhicule adapté 24 802,59 €
- assistance par tierce personne 38 878,72 €
- déficit fonctionnel temporaire 11 862,50 €
- souffrances endurées 14 000,00 €
- préjudice esthétique temporaire 2 000,00 €
- déficit fonctionnel permanent 16 300,00 €
- préjudice esthétique permanent 2 000,00 €
- préjudice d'agrément 0,00 €
La société Viparis et la société AIG Europe seront condamnées, in solidum à lui payer ces sommes.
Il n'y a pas lieu de « donner acte » à la société AIG Europe « de ses limites de garantie » en l'absence de tout document contractuel versé aux débats et alors que cette demande ne constitue pas une prétention au sens des dispositions de l'article 4 du code de procédure civile.
3 - Sur les demandes de la CPAM du Val de Marne
La CPAM du Val de Marne sollicite, en application de son recours subrogatoire fondé sur l'article L.376-1 du code de la sécurité sociale, le paiement de la somme totale de 105 123,83 €, détaillée comme suit :
- prestations en nature : 89 589,13 €
- frais futurs : 15 534,70 €.
Elle verse aux débats, outre une attestation de créance définitive en date du 11 mars 2014, une attestation d'imputabilité du 3 mars 2014 établie par le docteur R., médecin conseil.
La société Viparis n'a pas conclu sur cette demande.
Au vu des pièces versées aux débats, il est fait droit à la demande de la caisse, justifiée tant dans son principe que dans son montant.
La société Viparis et la société AIG Europe seront donc condamnées in solidum à lui payer la somme de 89 589,13 € avec intérêt au taux légal à compter de la demande, soit à défaut de précision, à compter du 21 juillet 2016, date de notification des conclusions saisissant la cour, outre les frais futurs au fur et à mesure de leur engagement, pour un capital représentatif s'élevant à 15 534,70 €, avec intérêt au taux légal à compter de leur engagement ou du présent arrêt si elles optent pour un versement en capital.
4 - Sur les dépens et les frais irrépétibles
Les dépens de première instance et d'appel incomberont in solidum à la société Viparis et à la société AIG Europe, partie débitrice de l'indemnisation, comprenant les frais d'expertise médicale, les honoraires de l'huissier constatant (pour un montant de 2 100 €) et les dépens de référé.
La demande indemnitaire de Mme H., fondée sur l'article 700 du code de procédure civile, sera accueillie dans son principe et à hauteur de 6 000 €.
La somme de 2 000 € sera allouée à la CPAM sur le même fondement.
PAR CES MOTIFS,
La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire et par mise à disposition au greffe,
Déclare irrecevables les conclusions notifiées par la caisse primaire d'assurance maladie du Val de Marne le 23 janvier 2020,
Donne acte à la société AIG Europe SA de son intervention volontaire en lieu et place de la société AIG Europe Limited,
Infirme le jugement rendu par le tribunal de grande instance de Paris le 24 mars 2016 en toutes ses dispositions,
Statuant à nouveau,
Déclare la société Viparis Porte de Versailles responsable des conséquences dommageables de l'accident corporel dont a été victime Mme Régine H. le 8 mai 2009,
Condamne in solidum la société Viparis Porte de Versailles et la société AIG Europe SA à payer à Mme Régine H. les sommes suivantes à titre de réparation du préjudice corporel causé par l'accident, avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt :
- assistance par tierce personne 7 824,00 €
- frais de logement adapté 3 364,67 €
- frais de véhicule adapté 24 802,59 €
- assistance par tierce personne 38 878,72 €
- déficit fonctionnel temporaire 11 862,50 €
- souffrances endurées 14 000,00 €
- préjudice esthétique temporaire 2 000,00 €
- déficit fonctionnel permanent 16 300,00 €
- préjudice esthétique permanent 2 000,00 €
Rejette les demandes présentées par Mme Régine H. au titre de la perte de gains professionnels actuels et du préjudice d'agrément,
Condamne in solidum la société Viparis Porte de Versailles et la société AIG Europe SA à payer à la caisse primaire d'assurance maladie de Val de Marne :
- la somme de 89 589,13 € avec intérêt au taux légal à compter du 21 juillet 2016,
- les frais futurs au fur et à mesure de leur engagement, pour un capital représentatif de 15 534,70 €, avec intérêt au taux légal à compter de leur engagement ou du présent arrêt si elles optent pour un versement en capital,
Condamne in solidum la société Viparis Porte de Versailles et la société AIG Europe SA aux dépens d'appel, comprenant les frais d'expertise médicale, les honoraires de l'huissier constatant (2 100 €) et les dépens de référé,
Dit qu'il pourra être fait application de l'article 699 du code de procédure civile au profit de l'avocat de Mme Régine H. et de celui de la caisse primaire d'assurance maladie du Val de Marne,
Condamne in solidum la société Viparis Porte de Versailles et la société AIG Europe SA à payer, sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, la somme de
6 000 € à Mme Régine H. et celle de 2 000 € à la caisse primaire d'assurance maladie du Val de Marne.