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Décisions

CA Saint-Denis, ch. com., 10 octobre 2018, n° 16/00574

COUR D'APPEL DE SAINT-DENIS

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

Caille Grande Distribution (SAS)

Défendeur :

Socak (SARL), Selarl Hirou (ès qual.), Kenys (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Avocats :

Me Poitrasson, Me Kichenin,

T. com. mixte Saint-Denis, du 15 févr. 2…

15 février 2016

EXPOSÉ DU LITIGE

La SAS CAILLE Grande Distribution (CGD) exploite à La Réunion un réseau de magasins de distribution d'articles alimentaires et non alimentaires sous l'enseigne « LEADER PRICE » en vertu d'un contrat de « Master Franchise » du 21 avril 2009.

Le 31 août 2009 la société CGD (franchiseur) a conclu un contrat de sous-franchise LEADER PRICE avec la société SOCAK (franchisé) propriétaire et exploitante d'un fonds de commerce <adresse> consistant en un supermarché et un point chaud.

La société SOCAK a donné en location-gérance le supermarché à la société SODEMAGO avec l'accord du franchiseur.

Le 25 mai 2011 une procédure de redressement judiciaire a été ouverte à l'égard de la société SODEMAGO laquelle a été convertie en liquidation judiciaire par jugement du 25 janvier 2012. Me X liquidateur de la société SODEMAGO a résilié le contrat de location-gérance liant la société liquidée et la société SOCAK.

Le 30 janvier 2012 la société SOCAK a conclu un contrat de location-gérance avec la société KENYS.

Elle a également résilié le contrat de franchise « LEADER PRICE ».

Estimant que la société SOCAK avait rompu abusivement et brutalement le contrat de franchise et qu'elle s'était rendue coupable avec la société KENYS d'actes de concurrence déloyale, la société CGD a saisi le tribunal mixte de commerce de Saint-Denis afin d'obtenir réparation de ses préjudices.

Par jugement du 15 février 2016 le tribunal a :

- dit n'y avoir lieu à prononcer la nullité du contrat de franchise conclu le 31 août 2009 ;

- dit que la résiliation du contrat est intervenue aux torts exclusifs du franchiseur ;

- débouté la société CGD de l'ensemble de ses demandes ;

- condamné la société CGD à payer à la société SOCAK la somme de 4000,00 sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens.

Le tribunal a en effet estimé qu'il n'était pas démontré que le consentement du franchisé avait été déterminé par une erreur sur les qualités substantielles de l'entreprise, mais qu'en revanche les manquements graves de la société CGD à ses obligations (défaut d'information sur les modalités d'approvisionnement dans le cadre du contrat LEADER PRICE et sur l'usage de la marque, absence de réalisation de la marge garantie 21 %) justifiaient la résiliation du contrat par le franchisé aux torts exclusifs du franchiseur en application de l'article 14-1-2 du contrat.

Par déclaration formulée par voie électronique 5 avril 2016 au greffe de la Cour d'appel la Société CGD a relevé appel de cette décision à l'égard de la Société SOCAK la procédure étant enrôlée sous le n° 16/00574.

Par déclaration formulée par voie électronique 27 juin 2016 au greffe de la Cour d'appel la Société CGD a relevé appel de cette décision à l'égard de la SELARL HIROU ès qualités de mandataire liquidateur de la société KENYS la procédure étant enrôlée sous le n° 16/01096.

La jonction entre ces deux procédures a été ordonnée le 1er décembre 2016 l'affaire étant suivie sous le n° 16/00574.

MOYENS ET PRETENTIONS

Dans ses dernières conclusions déposées et notifiées par voie électronique le 23 novembre 2016 la société CGD demande à la Cour de :

- infirmer le jugement entrepris ;

- dire et juger que la société SOCAK a rompu abusivement et brutalement le contrat de franchise conclu le 31 août 2009 ;

- dire et juger que ladite rupture a été initiée au moyen de manœuvres frauduleuses ;

- dire et juger que la société SOCAK a contrevenu gravement à son obligation de non-concurrence ;

En conséquence

- condamner la société SOCAK au paiement des sommes suivantes au profit de CDG :

- 1 744 679,99 à titre de dommages et intérêts ;

- 115 514,00 HT soit 125 332,69 TTC au titre du remboursement du budget d'ouverture accordé par la société CDG ;

- 61 272,00 HT soit 66 480,12 TTC au titre de la cotisation publicitaire due pour l'année 2012 ;

- 38 604,82 HT soit 41 886,22 TTC au titre des loyers impayés pour les matériels loués par la société CGD ;

- 100 000,00 au titre du préjudice moral résultant de l'atteinte à l'image de marque du réseau de la société CGD ;

sur l'appel incident de la société SOCAK

- constater qu'il n'est pas démontré que le consentement du franchisé a été déterminé par une erreur sur les qualités substantielles de l'entreprise ;

- débouté la société SOCAK de son appel incident ;

en tout état de cause

- condamner la société SOCAK au paiement de la somme de 25 000,00 au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile ;

- condamner la société SOCAK aux entiers dépens de première instance et d'appel avec distraction.

A l'appui de ses prétentions la société CGD fait essentiellement valoir :

Sur la rupture abusive et brutale du contrat de franchise

- que le contrat de Master franchise conclu entre elle-même et la société de distribution LEADER PRICE prévoit des obligations particulièrement contraignantes, au respect desquelles elle a la charge de veiller ;

- qu'elle n'était pas tenue de révéler les circonstances exactes de la résiliation du contrat de Master franchise CHAMPION, comme l'a retenu le tribunal de commerce de Saint-Denis dans une décision du 30 mars 2015, la réticence dolosive ne pouvant être invoquée ;

- que contrairement à ce qu'ont retenu les premiers juges, elle a délivré au franchisé un document précontractuel contenant les informations prévues par l'article R. 330-1 du code de commerce ;

- que liée contractuellement par une clause de confidentialité elle ne pouvait transmettre à la société SOCAK le contrat de Master franchise la liant à la société LEADER PRICE ;

- que le document précontractuel contenait un projet de contrat de franchise précisant les modalités d'approvisionnement et l'usage de la marque, la société SOCAK disposant incontestablement de ces informations ;

- que le document précontractuel ne garantit aucunement une marge de 21 % laquelle ne peut être exigée par la société SOCAK ;

- qu'en réalité la société SOCAK lui a fait parvenir le 30 janvier 2012 une demande de résiliation du contrat de franchise, et a conclu le même jour sans l'en informer un contrat de location-gérance avec la société KENYS lequel prévoyait que le contrat de franchise était exclu du champ contractuel ;

- qu'il est donc incontestable que dès le 30 janvier 2012 la société SOCAK avait d'ores et déjà résilié unilatéralement le contrat de franchise et n'entendait plus l'exécuter ;

- que par la signature d'un contrat de location-gérance, sans information du franchiseur, la société SOCAK s'est unilatéralement dispensée d'exploiter ou de faire exploiter la franchise ;

- que la résiliation unilatérale contrevient aux dispositions du contrat de franchise et tout particulièrement à la clause intuitu personae ainsi qu'au droit de premier refus ;

- qu'en raison de l'existence du contrat de franchise, le fonds de commerce de la société SOCAK avait pour seuls éléments incorporels et corporels, l'enseigne LEADER PRICE, l'achalandage en produits LEADER PRICE, le droit d'usage de la marque et la clientèle y attachée, les matériels loués par elle-même, les locaux commerciaux ;

- qu'en excluant expressément dans le cadre du contrat de location-gérance consenti à la société KENYS la franchise LEADER PRICE, seul le bail commercial a pu être transmis au locataire gérant, la location-gérance étant en réalité fictive comme n'ayant pas pour objet la location du fonds mais constitutant en réalité une promesse synallagmatique de vente du fonds ;

- que la fictivité de la location-gérance constitue en elle-même un manquement grave au contrat de franchise et que sa conclusion est dolosive puisqu'elle est uniquement destinée à contourner les obligations de la société SOCAK ;

- que la lettre de résiliation du 26 mars 2012 est confuse et n'est appuyée par aucune pièce justificative. En outre le délai de préavis n'a pas été respecté ;

- que la rupture unilatérale du contrat de franchise est abusive et brutale, mais présente également un caractère frauduleux de par les manœuvres l'entourant ;

- qu'en raison de la perte définitive du point de vente, le préjudice qu'elle subit doit être calculé sur la durée restant à courir du contrat de franchise conclu avec la société SOCAK et que la marge brute perdue réside sur la perte de chiffre d'affaires au travers de sa centrale d'achat soit sur 4 ans et 7 mois la somme de 1 744 679,99 ;

- qu'elle est également en droit d'obtenir le remboursement du budget d'ouverture qu'elle a accordé à la société SOCAK, le paiement de la cotisation publicitaire puisque la société SOCAK par l'intermédiaire de son locataire gérant continue d'exploiter le magasin sous l'enseigne LEADER PRICE et bénéficie des retombées liées à la publicité faite localement ainsi que le paiement des loyers des matériels mis à disposition ;

Sur la concurrence déloyale

- qu'aux termes du contrat de franchise (art 17) la société SOCAK était soumise à une obligation de non-concurrence qu'elle a violé avec la complicité de la société KENYS ;

- que cette violation a entraîné un important trouble commercial du fait de l'atteinte à son réseau de distribution et à son image un de ses magasins franchisés n'étant plus exploité selon les normes du réseau de franchise.

Dans ses dernières conclusions déposées et notifiées par voie électronique le 23 septembre 2016 la société SOCAK demande à la Cour de :

- confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;

subsidiairement et incidemment

- prononcer la nullité du contrat de franchise conclu avec la société SOCAK le 31 août 2009 avec toutes conséquences de droit ;

- condamner la société CGD à lui verser la somme de 300 000,00 à titre de dommages et intérêts ;

- condamner la société CGD à lui verser la somme de 20 000,00 au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

La société SOCAK explique et réplique essentiellement :

- qu'elle exploitait précédemment l'enseigne CHAMPION et qu'au moment de la signature du contrat de franchise avec la société CGD substituant l'enseigne LEADER PRICE à l'enseigne CHAMPION, il lui a été faussement indiqué que le contrat de franchise CHAMPION était parvenu à son terme ;

- que dans les faits en signant un contrat de franchise pour l'enseigne LEADER PRICE, la CGD a violé les termes du contrat de Master Franchise CHAMPION ;

- qu'elle ne pouvait pas disposer le 31 août 2009 valablement des droits du contrat de Master franchise LEADER PRICE alors qu'elle se trouvait encore liée à l'enseigne CHAMPION jusqu'au 15 septembre 2009 ;

- que la rétention d'information du franchiseur a emporté son consentement au contrat de franchise LEADER PRICE sans obtenir ni de précisions sur la rentabilité de cette nouvelle enseigne ni de précisions sur les circonstances ayant présidé à la rupture de la franchise CHAMPION ;

- que si elle avait eu connaissance des conditions réelles de la rupture elle n'aurait pas souscrit le contrat de franchise LEADER PRICE ce d'autant plus qu'à l'époque elle était elle-même franchisée CHAMPION ;

- que le contrat de franchise litigieux est donc nul pour avoir été conclu au mépris des dispositions du contrat de Master franchise CHAMPION et du préavis, mais également en raison des manœuvres dolosives de CGD à son égard ;

- que la société CGD n'a jamais respecté à son égard les obligations découlant des articles L. 330-3 et R 330-1 du code de commerce, puisque le document précontractuel produit ne contient notamment pas le protocole d'accord financier de CGD, ne la mettant ainsi pas en mesure d'apprécier la rentabilité de la nouvelle franchise ;

- qu'ainsi son consentement a été déterminé par une erreur substantielle sur la rentabilité de l'activité ;

-que la société CGD était parfaitement informée de la situation du locataire gérant placé en liquidation judiciaire, de son impossibilité d'exploiter le fonds et de la nécessité de conclure un nouveau contrat de location-gérance ;

- que le mail du 30 janvier 2012 qualifie par la société CGD de résiliation est une simple proposition pour parvenir à une résiliation amiable ;

- que la société CGD a explicitement reconnu et approuvé l'existence de la société KENYS en lieu et place de la société SODEMAGO liquidée, auprès de laquelle elle s'est engagée à lui remettre un contrat de franchise ;

- que le seul document emportant résiliation est le courrier du 26 mars 2012, la résiliation ayant pris effet le 29 septembre 2012 après respect du préavis de 6 mois ;

- que la rupture du contrat était justifiée par la rupture d'approvisionnement concernant 20 produits les plus vendus représentant à eux seuls 80 % du chiffre d'affaires survenue au cours du dernier trimestre 2009, la société CGD étant placée sous le régime de la sauvegarde, les produits livrés comportant une date de péremption très brève entraînant la perte des marges, cette situation ne permettant pas au franchisé d'atteindre la marge garantie de 21 % ;

- que la rupture était également justifiée au regard de l'article 14-1-2 du contrat de franchise par la réalisation par le sous-franchisé d'un chiffre d'affaire pour l'exercice 2011 inférieur à celui de l'année antérieure ;

- que la rupture se trouvait justifiée par le non-respect de l'article 7-1 du contrat le franchiseur n'ayant jamais voulu appliquer une politique permettant de rendre réellement l'enseigne LEADER PRICE la moins chère de l'Ile ;

- que la rupture se trouvait justifiée par l'impossibilité pour le franchisé de bénéficier d'un suivi commercial de la possibilité de fixer librement ses prix de revente (article 4-3-14-4) ;

- que la rupture se trouvait justifiée par la situation financière du franchiseur laquelle a suscité de graves problèmes d'approvisionnement mais également la méfiance croissante des fournisseurs et des organismes financiers et bancaires ;

- que ces manquements ont directement impacté le chiffre d'affaire du franchisé ;

- que le franchiseur doit être regardé comme seul responsable de la liquidation de la société SODEMAGO et de la rupture du lien contractuel avec SOCAK ;

- que le sort des demandes indemnitaires de la société CDG a été scellé par ordonnance de référé du 16 avril 2012 qui a rejeté ses demandes de provision, la société CDG ne rapportant la preuve d'aucun élément nouveau susceptible de justifier de ses prétentions ;

- que s'agissant du matériel loué il appartenait à la société CDG de le récupérer.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 22 août 2017.

Pour plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, il convient de se reporter à leurs écritures ci-dessus visées figurant au dossier de la procédure.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la procédure

Vu l'article 367 du code de procédure civile,

Vu les articles 125 et 553 du code de procédure civile,

La jonction entre la procédure enrôlée sous le n° 16/01096 et la procédure 16/00574 a été ordonnée le 1er décembre 2016.

Les déclarations d'appel portent sur le même jugement. Cependant dans la procédure 16/01096 seul le liquidateur de la société KENYS a été visé dans l'acte d'appel sans que la société KENYS partie en première instance soit elle-même intimée.

En cas d'indivisibilité à l'égard de plusieurs parties l'appel formé contre l'une n'est recevable que si toutes les parties sont appelées à l'instance ; qu'il existe un tel lien d'indivisibilité du litige entre le débiteur placé en liquidation judiciaire et le liquidateur.

En raison de l'indivisibilité du litige entre la société KENYS et son liquidateur, l'irrecevabilité de l'appel est encourue.

Il y a lieu par conséquent d'ordonner la disjonction afin de permettre aux parties de s'exprimer sur la recevabilité de l'appel formé uniquement à l'égard de la SELARL HIROU es qualités de liquidateur de la société KENYS étant en outre observé qu'aucune demande n'est formulée à l'égard de la société KENYS.

Sur la nullité du contrat de franchise

* Le dol

Vu l'article 1116 devenu l'article 1137 du code civil,

Il ressort des termes du contrat de franchise conclu entre la société CGD et la société SOCAK le 31 août 2009 (P2), que le contrat de franchise qui permettait à la CDG en tant que franchiseur d'exploiter des magasins sous l'enseigne « CHAMPION » avait été résilié le 12 mars 2009 avec prise d'effet le 15 septembre 2009.

La circonstance que cette résiliation ait donné lieu entre la société CDG et la société CSF propriétaire de la franchise « CHAMPION » à un contentieux portant sur l'imputabilité de la rupture du contrat de franchise et son caractère abusif est indifférente à l'égard de la société SOCAK.

Les mentions du contrat du 31 août 2009 sur ce point n'ont aucun caractère mensonger puisqu'il ressort de l'exposé de la sentence arbitrale prononcée entre la CDG et CSF (pièces 10/3 intimée) qu'une lettre de résiliation a bien été adressée par la société CDG à la société CSF le 12 mars 2009 avec effet au 15 septembre 2009 et que le contrat s'est trouvé résilié.

Si la société SOKAC souhaitait rester sous la franchise CHAMPION il lui appartenait d'effectuer des démarches en ce sens et de refuser de signer le contrat de franchise que lui proposait la société CDG, étant observé que c'est la disparition de la franchise « CHAMPION » remplacée par la franchise « CARREFOUR Market » qui est à l'origine de la rupture du contrat qui existait entre CDG et CSF.

Le dol invoqué par la société SOCAK n'est pas établi et la nullité du contrat ne peut être prononcée de ce chef.

* L'erreur substantielle sur la rentabilité de la nouvelle franchise

En application de l'article L. 330-3 du code de commerce toute personne qui met à la disposition d'une autre personne un nom commercial, une marque ou une enseigne, en exigeant d'elle un engagement d'exclusivité ou de quasi-exclusivité pour l'exercice de son activité, est tenue, préalablement à la signature de tout contrat conclu dans l'intérêt commun des deux parties, de fournir à l'autre partie un document donnant des informations sincères, qui lui permette de s'engager en connaissance de cause.

Ce document, dont le contenu est fixé par décret, précise notamment, l'ancienneté et l'expérience de l'entreprise, l'état et les perspectives de développement du marché concerné, l'importance du réseau d'exploitants, la durée, les conditions de renouvellement, de résiliation et de cession du contrat ainsi que le champ des exclusivités.

L'article R 330-1 du code de commerce précise que le document prévu au premier alinéa de l'article L. 330-3 contient notamment une présentation de l'état général et local du marché des produits ou services devant faire l'objet du contrat et des perspectives de développement de ce marché et que doivent être annexés les comptes annuels des deux derniers exercices.

En l'espèce la société CDG justifie qu'elle a fait précéder la conclusion du contrat de franchise signé le 31 août 2009, d'un document précontractuel en application des dispositions légales et réglementaires ci-dessus visées, qui lui a été remis le 10 août 2009. Si ce document ne comprend pas en annexe toutes les annexes visées en page 16 et notamment un document intitulé « protocole d'accord financier CGD », qui ne figure pas parmi les pièces visées par les dispositions légales, il n'est ni expliqué ni démontré en quoi l'absence de ce document aurait été à l'origine d'une erreur substantielle sur la rentabilité de la franchise.

En effet la société SOCAK procède sur ce point par voie d'affirmations en estimant que c'est le contrat de franchise qui est à l'origine du placement en redressement puis en liquidation judiciaire du sous-franchisé, sans produire aucun élément probant, la preuve du lien de causalité entre la mise en œuvre du contrat de franchise et la déconfiture de la société SODEMAGO, ne pouvant ressortir de la seule pièce produite sur ce point s'agissant d'un mémo établi par M. Y gérant de la société SODEMAGO sous-franchisé, lequel n'est étayé par aucune pièce et qui relate la situation de la société du seul point de vue de l'intéressé.

Par conséquent l'existence d'une erreur substantielle sur la rentabilité n'est pas établie et la nullité du contrat ne peut être prononcée de ce chef.

Sur le caractère brutal et abusif de la rupture du contrat de franchise

Vu l'article 1134 devenu 1103 et 1194 du code civil

En l'espèce le contrat de franchise liant les parties avait été conclu pour une durée de 7 ans.

Le contrat stipule qu'en cas d'inexécution ou de manquement grave et/ou répété par le franchiseur de l'une de ses obligations substantielles le franchisé pourra résilier le contrat par lettre recommandée avec accusé de réception, la résiliation prenant effet six mois après la réception de la lettre recommandée.

En l'espèce à la suite de la résiliation du contrat de location-gérance par le liquidateur de la société SODEMAGO, la société SOCAK a sollicité de la société CGD la résiliation amiable du contrat de franchise comme cela ressort du courrier du 30 janvier 2012, ce courrier ne pouvant s'analyser comme la notification d'une résiliation unilatérale puisqu'il y est expressément indiqué :

« nous n'avons pas oublié nos excellentes relations passées, aussi nous sollicitons de votre haute bienveillance une résiliation amiable du contrat de franchise nous permettant de faire redémarrer immédiatement l'entreprise » « dans l'attente d'une réponse favorable de votre part ».

Par courrier recommandée du 26 mars 2012 réceptionné le 29 mars 2012 la société SOCAK a notifié à la société CGD la résiliation du contrat de franchise LEADER PRICE. Dans son courrier de résiliation et dans ses conclusions la société SOCAK invoque la rupture de livraison de 20 produits représentant 80 % du chiffre d'affaire, de brèves dates de péremption impactant le chiffre d'affaire, l'absence de politique du franchiseur pour que LEADER PRICE soit considéré comme l'enseigne la moins chère de l'île, l'absence de suivi commercial sérieux, la méfiance des fournisseurs et organismes financiers et bancaires.

Ces griefs sont contestés par la société CGD. La société SODAK ne produit aux débats aucune pièce permettant d'établir les manquements ainsi invoqués. Elle procède sur ces points par voie d'affirmations.

La société SOCAK invoque également pour justifier de la résiliation anticipée du contrat une baisse du chiffre d'affaire par rapport à l'enseigne CHAMPION de 35 % et la violation de l'article 14-1-2 du contrat en ce que le franchisé n'ayant jamais atteint la marge garantie de 21 % et en ce que le chiffre d'affaire du franchisé pour l'exercice clos au 31 décembre 2011 a été inférieur à son chiffre d'affaire pour l'exercice antérieur clos le 31 décembre 2008.

S'il ressort du contrat liant les parties que le contrat peut être résilié en cas d'un taux de marge constaté sur entrée du franchisé inférieur à 21 % ou à une baisse du chiffre d'affaire pour l'exercice clos le 31 décembre 2011 inférieur à son chiffre d'affaire pour l'exercice clos le 31 décembre 2008, il appartient à la société SOCAK qui sollicite l'application de cette clause de résiliation d'en justifier.

Or sur ces points, dont il est relevé par la société CGD qu'ils ne sont pas justifiés, la société SODAK ne produit aux débats aucune pièce permettant à la cour de vérifier le bien-fondé de la mise en œuvre de la clause de résiliation anticipée. Là encore la société SOCAK procède sur ces points par voie d'affirmation.

En outre la société SOCAK était tenue aux termes du contrat, quelque soit la cause de la résiliation, de respecter un préavis de 6 mois.

Or il ressort des pièces produites (pièces 11 et 12 appelante) que la société SOCAK a dès le 30 janvier 2012 soit avant même d'avoir adressé à la société CDG la lettre de résiliation ci-dessus visée, conclu avec la société KENYS un contrat de location-gérance ayant pour objet le fonds de commerce objet du contrat de franchise, sans obtenir l'agrément de la société CDG et ce en violation des articles 12 et 16 du contrat de franchise.

En outre le contrat de location-gérance conclut avec la société KENYS stipule : « la SOCAK signataire du contrat de franchise LEADER PRICE fait son affaire personnelle de ce contrat sans que le locataire gérant ne soit inquiété de quelque manière que ce soit par le contrat de franchise entre la SARL SOCAK et le groupe CDG. Cette franchise étant exclue de nos accords pour la présente location-gérance. »

Le contrat de location-gérance ainsi conclu s'est exécuté à compter du 17 février 2012. Il ressort du procès-verbal de constat d'huissier dressé le 22 mars 2012 qu'aucun produit de la marque LEADER PRICE n'était plus proposé à la vente.

Il ressort de l'ensemble de ces éléments que la rupture du contrat de franchise est imputable à la société SOCAK et qu'en outre d'une part la société SOCAK a rompu abusivement le contrat de franchise la liant à la société CDG et d'autre part que la rupture a été brutale comme ne respectant pas le délai de préavis.

La décision qui a considéré que la rupture n'était pas imputable à la société SOCAK sera infirmée.

Sur l'indemnisation de la société CGD

Vu l'article 1149 devenu l'article 1231-2 du code civil,

Le rejet d'une demande d'indemnité provisionnelle par le juge de référé ne s'impose pas à la juridiction saisie au fond de la demande d'indemnisation.

La société CGD fait état de la perte d'une marge brute qui résiderait sur la perte de chiffre d'affaire de CGD au travers de sa centrale d'achat SODEXO et établi son calcul sur la base du chiffre d'affaire de l'entrepôt en 2010.

Or d'une part les chiffres indiqués ne ressortent d'aucune des pièces du dossier et d'autre part il n'est pas établi que l'entrepôt dont le chiffre d'affaire est pris en compte ne recevait que de la marchandise liée à la franchise LEADER PRICE et n'approvisionnait que le magasin appartenant à la société SOCAK et exploité par la société SODEMAGO.

Par conséquent le montant de l'indemnisation sollicitée au titre de la perte subie et du manque à gagner n'est pas justifiée par les pièces produites. La demande formulée sur ce fondement sera rejetée.

Il n'est pas contesté que la société CGD a accordé à la SOCAK un budget d'ouverture d'un montant de 186 600,00 HT. La rupture abusive du contrat de franchise justifie que le montant ainsi investi sans contrepartie soit partiellement restitué à la société CDG à hauteur du montant sollicité soit à hauteur de 125 332,59.

Il n'est pas discuté que la cotisation publicitaire mensuelle de 1 % du chiffre d'affaires TTC mise à la charge du franchisé correspondait eu égard au chiffre d'affaire généré à la somme de 5 106,00 par mois. Le délai de préavis n'ayant pas été respecté et aucun paiement n'étant justifié la société CGD est en droit d'obtenir une somme de 30 636,00 de ce chef.

En application de l'article 10 du contrat de franchise le franchisé devait s'acquitter après 12 mois d'un loyer mensuel au titre des investissements, dont le montant non discuté était de 20 943,11 par an. Cependant le contrat ayant été résilié la société CGD est mal fondée à solliciter le montant de ce loyer pour une période postérieure au 29 septembre 2012 date de fin de la période de préavis. Elle sera donc déboutée de sa demande de ce chef puisqu'elle porte sur une période de 1/09/2014 au 31/08/2015.

Les agissements de la société SOCAK ont porté atteinte à l'image de marque du réseau par la cessation brutale de commercialisation des produits de la marque LEADER PRICE et à l'image la société CGD à l'égard de ses partenaires d'affaires. Ce préjudice sera indemnisé à hauteur de 20 000,00.

Enfin si la violation de l'obligation contractuelle de non-concurrence est invoquée, aucune indemnité n'étant demandée de ce chef elle ne sera pas examinée par la cour.

Sur les dépens

La société SOCAK qui succombe sera condamnée aux entiers dépens de première instance et d'appel.

Sur l'application de l'article 700 du code de procédure civile

En cause d'appel l'équité commande d'accorder à la société CGD une somme de 8000,00 sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant publiquement, contradictoirement, en matière commerciale et en dernier ressort, par mise à disposition au Greffe conformément à l'article 451 alinéa 2 du Code de procédure civile,

ORDONNE la disjonction de la procédure issue de la déclaration d'appel du 5 avril 2016 enrôlée sous le n° 16/00574 et la procédure issue de la déclaration d'appel du 27 juin 2016 initialement enrôlée sous le n° 16/01096 laquelle sera désormais enrôlée sous le n° 18/1595

Dans la procédure issue de la déclaration d'appel du 27 juin 2016 initialement enrôlée sous le n° 16/01096 et qui sera enrôlée sous le n° 18/1595

ORDONNE la révocation de l'ordonnance de clôture,

INVITE les parties à s'exprimer sur la recevabilité de l'appel formé uniquement à l'égard de la SELARL HIROU es qualités de liquidateur de la société KENYS,

RENVOIE le dossier à l'audience de mise en état du 19 novembre 2018,

Dans la procédure issue de la déclaration d'appel 5 avril 2016 enrôlée sous le n° 16/00574

INFIRME le jugement entrepris en ce qu'il a :

- dit que la résiliation du contrat est intervenue aux torts exclusifs du franchiseur,

- débouté la société CGD de l'ensemble de ses demandes,

- condamné la société CGD à payer à la société SOCAK la somme de 4000,00 sur le fondement de dispositions de l'article 700 et aux dépens,

Et statuant à nouveau sur les chefs infirmés

- dit que la rupture du contrat de franchise liant la société CGD et la société SOCAK est imputable à la société SOCAK,

- dit que cette rupture est intervenue abusivement et brutalement,

- condamné la société SOCAK à verser à la société CAILLE GRANDE DISTRIBUTION la somme de 125 332,59 au titre du budget d'ouverture,

- condamné la société SOCAK à verser à la société CAILLE GRANDE DISTRIBUTION la somme de 30 636,00 au titre de la cotisation publicitaire,

- condamne la société SOCAK à verser à la société CAILLE GRANDE DISTRIBUTION la somme de 20 000,00 à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral subi,

- débouté la société CAILLE GRANDE DISTRIBUTION du surplus de ses demandes en indemnisation,

CONFIRME le jugement entrepris pour le surplus,

CONDAMNE la société SOCAK aux dépens de première instance et d'appel,

CONDAMNE la société SOCAK à verser à la société CAILLE GRANDE DISTRIBUTION une somme de 8 000,00 sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.