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Décisions

Commission, 16 juillet 2010, n° M.5814

COMMISSION EUROPÉENNE

Décision

CVC/ Univar Europe/ Eurochem

Commission n° M.5814

16 juillet 2010

DÉCISION DE LA COMMISSION

 du 16/7/2010

de renvoyer l'affaire n° COMP/M.5814 - CVC/ Univar Europe/ Eurochem aux autorités nationales compétentes de la France,

en vertu de l'article 9 du règlement (CE) n° 139/2004 du Conseil1

 LA COMMISSION EUROPÉENNE

vu le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, vu le règlement (CE) n° 139/2004 du Conseil du 20.1.2004 relatif au contrôle des opérations de concentration entre entreprises (ci-après, "le règlement sur les concentrations"), et, en particulier, son article 9, paragraphes 2 et 3,

vu la notification du 28 mai 2010, effectuée par CVC Capital Partners SICAV-FIS S.A., en vertu de l'article 4 dudit règlement, vu la demande présentée par la France le 22 juin 2010 de référer à l'Autorité de la Concurrence (ci-après "l'Autorité") la partie de la concentration relative à la France,

CONSIDÉRANT CE QUI SUIT:

1.   Le 28 mai 2010, la Commission a reçu notification d'un projet de concentration2 par lequel Univar Europe Holdings B.V. ("Univar", Pays-Bas) controlé par des fonds gérés par CVC Capital Partners SICAV-FIS S.A. ("CVC", Luxembourg) acquiers le contrôle unique de Eurochem Holding B.V. ("Eurochem", Pays-Bas).

2.   L'Autorité a reçu une copie de la notification le 1er Juin 20103.

3.   Par lettre du 22 juin 2010, la France a demandé le renvoi à ses autorités compétentes de la partie du projet de concentration relative à la France en vue de son appréciation au regard du droit national de la concurrence de la France, conformément à l'article 9, paragraphe 2), point a) du règlement sur les concentrations ("la demande").

I. LES PARTIES

 1. Univar est actif dans la distribution de produits chimiques, en particulier les commodités et les spécialités. Univar vend ses produits principalement en Europe et Amérique du Nord.

2.  Eurochem est actif dans la distribution de produits chimiques, particulièrement en Belgique, Pays-Bas et en France.

II. L'OPÉRATION

 3. Conformément à l'accord de cession conclu le 5 février 2010, Univar s'engage à acquérir le contrôle exclusif de 100% des actions d'Eurochem. CVC contrôlera indirectement Eurochem dans la mesure où CVC est la maison mère des fonds qui détiennent  aujourd'hui une participation majoritaire dans Univar. Par conséquent, la transaction notifiée constitue une concentration au sens de l'Article 3(1)(b) du Règlement sur les concentrations.

III.DIMENSION EUROPEENNE

 4.  En prenant en compte les données financières soumises par les Parties pour le dernier exercice financier, les entreprises concernées ont réalisé sur le plan mondial un chiffre d'affaires total d'un montant de plus de 5 milliards d'Euros (CVC: […] millions d'euros en 2008) mais Eurochem réalise un chiffre d'affaires dans l'Union inférieur à 250 millions d'euros en 2008 ([…] millions d'euros)4.

5. Néanmoins, dans au moins chacun de trois Etats membres le chiffre d'affaires total réalisé par toutes les entreprises concernées représente un montant supérieur à 100 millions d'euros (en 2008, CVC: […] millions d'euros en Belgique, […] millions d'euros en France et […] millions d'euros aux Pays-Bas) et dans chacun de ces Etats Membres le chiffre d'affaires total réalisé individuellement par CVC et Eurochem est supérieur à 25 millions d'euros (Eurochem: […] millions d'euros en Belgique, […] millions d'euros en France et […] millions d'euros aux Pays-Bas). Le chiffre d'affaires réalisé dans l'Union par chacune des entreprises concernées est supérieur à 100 millions d'euros (CVC: […] millions d'euros, Eurochem: […] millions d'euros). Ni CVC ni Eurochem ne réalisent plus des deux tiers de leur chiffre d'affaires dans l'Union dans un seul et même Etat membre. L’opération notifiée a donc une dimension européenne.

IV. MARCHÉS EN CAUSE

 6.  Univar et Eurochem sont tous les deux actifs dans la distribution de produits chimiques et jouent le rôle d'intermédiaire entre les grands fabricants de produits chimiques d'origine minérale  et  organique  (Dow,  BASF,  Exxon-Mobil)  et  des  clients  de  taille   variable, industriels et commerciaux, qui utilisent ces produits dans leur processus de production  ou pour diverses activités accessoires (nettoyage des outils de production par exemple). Univar est actif dans toute l'Europe tandis qu'Eurochem concentre ses activités en France et au Benelux.

Marchés de produits

 7. La distribution de produits chimiques implique principalement l'achat et la revente de produits chimiques sous forme liquide et solide en vue de leur revente à des clients industriels et commerciaux. Ces produits chimiques peuvent être stockés dans des dépôts appartenant aux distributeurs ou, en particulier quand des volumes importants sont concernés, livrés directement des usines du fabricant par un distributeur, un négociant ou le fabricant lui-même.

8.  Dans des affaires précédentes, la Commission a défini trois marchés de produits dans la distribution de produits chimiques (en excluant les ventes directes par les producteurs) : le négoce de produits chimiques, la distribution de commodités, et la distribution de spécialités5. Les parties n'étant pas actives sur le marché du négoce, la présente décision envisagera seulement les marchés de la distribution de commodités et de spécialités.

9. Dans la distribution de commodités, les distributeurs achètent de grandes quantités de produits chimiques aux producteurs ou aux négociants et les revendent aux clients qui commandent une large gamme de produits chimiques en quantités limitées, tout en fournissant aussi des services de stockage et logistiques. Ce marché concerne principalement des matières premières de base et de composition fixe tels que les alcools, la soude, les acides, la javel ou les solvants pétroliers. La distribution de ces produits implique des investissements lourds et des coûts de logistique élevés pour les distributeurs.

10.  Les spécialités sont, quant à elles, des produits formulés en vue d'une performance particulière à l'intention de leurs utilisateurs professionnels finals. Ces spécialités sont en conséquence d'un prix plus élevé et correspondent à un volume de commercialisation moindre que celui des commodités.

11.Dans sa demande de renvoi, l'Autorité souligne cette distinction entre commodités et spécialités. Elle relève toutefois qu'il n'existe pas de liste de commodités chimiques unanimement validée par la profession. Il en résulte des incertitudes sur le périmètre exact des commodités chimiques et en particulier sur la frontière entre commodités et spécialités. Cette distinction peut être parfois relativement subjective et donner lieu, pour un même produit, à des appréciations différentes quant à son caractère de commodité ou de spécialité.

12.L'enquête de marché a effectivement confirmé que pour certains produits et certains opérateurs, la notion de commodité ou de spécialité pouvait présenter un caractère incertain. Les parties par exemple considèrent que les oxydes de fer, les sirops de glucose ou les amylacées constituent des spécialités alors que d'autres opérateurs les classent  parmi les commodités du fait de leur composition chimique simple et leur coût unitaire plus bas que les spécialités.

13. Afin d'évaluer l'impact concurrentiel de l'opération, il est donc difficile de déterminer précisément quels sont les frontières des marchés en cause. La liste des commodités communiquée par les parties et sur la base de laquelle ont été calculées les parts de marché n'a pas été validée par l'ensemble des acteurs du marché. L'Autorité elle-même, dans le cadre de sa demande de renvoi, n'a pas défini précisément ce qu'elle entend par commodités chimiques et a relevé le caractère incertain d'une telle définition. Dans le cadre de la présente décision, la définition précise du marché de produits peut rester ouverte. Il appartiendra à l'Autorité, dans le cadre de son instruction de l'affaire, de déterminer précisément, si nécessaire, la frontière entre commodités et spécialités chimiques.

Marchés géographiques

 14. Dans les affaires précédentes, la Commission a considéré que le marché géographique de la distribution de produits chimiques (commodités ou spécialités) était au moins de dimension nationale6.  Les parties sont en accord avec cette définition.

15.  En ce qui concerne la France, l'enquête de marché conduite par la Commission n'a pas permis de confirmer expressément cette dimension nationale. Certains éléments conduisent plutôt à définir des marchés de dimension locale.

16. Une majorité des clients interrogés ont indiqué que la proximité des dépôts des fournisseurs jouait un grand rôle dans le choix de ces derniers, compte tenu de l'importance du coût de transport dans le prix final et du fait que les clients s'adressent aux distributeurs quand ils souhaitent être livrés en quantité limitée mais rapidement. Même si certains concurrents considèrent que le marché est de dimension nationale, les autres acteurs du marché font valoir que le rayon moyen de livraison est en moyenne de 200 km autour de dépôts. En conséquence, les conditions de concurrence peuvent être hétérogènes suivant les régions en fonction de la localisation des dépôts, certains concurrents n'étant pas actifs sur l'ensemble du territoire national (Gâches est principalement présent dans le Sud-Ouest, Charbonneaux-Brabant surtout dans l'Est). Enfin, l'enquête a mis en évidence que les parties elles-mêmes pratiquaient ponctuellement des politiques de prix  différenciés selon les régions.

17. Cela étant, si les coûts de transport sont significatifs, les coûts liés à la gestion des sites de stockage s'accroissent également du fait du durcissement de la règlementation relative aux installations classées. En conséquence, l'enquête a aussi mis en évidence qu'il devient comparativement moins cher de livrer sur des distances plus longues que d'investir dans  la création ou la montée en gamme de nouveaux dépôts.

18. Cette tendance a également été constatée par l'Autorité dans sa demande de renvoi qui relève une rationalisation de l'implantation des principaux acteurs nationaux. De nombreux sites ont été fermés en France sur les cinq dernières années et les distributeurs se sont organisés pour livrer sur des distances plus longues. Par exemple Eurochem couvre la quasi totalité du territoire français avec seulement cinq sites. L'Autorité considère donc que ce nouveau contexte pourrait conduire à relativiser la contrainte de la proximité géographique d'un site par rapport à son lieu de livraison.

19. Dans le cadre de son enquête de marché, la Commission a cherché à déterminer les parts de marché des parties et de leurs principaux concurrents sur une base nationale, ainsi  que dans le cadre d'une division du territoire français en 6 marchés locaux correspondant approximativement aux rayons de livraison des entrepôts des parties (Ouest, Sud-Ouest, Centre-Ouest, Sud-Est, Nord et Nord-Est, Centre et Est – cf carte et liste des départements par région en annexe 1).

20. Dans la mesure où l'analyse concurrentielle ne se trouvera pas substantiellement modifiée selon qu'on retienne un marché national français ou plusieurs marchés locaux en France, la définition précise du marché géographique peut rester ouverte.

V. APPRÉCIATION SOUS L'ANGLE DE LA CONCURRENCE

 21. Dans sa demande de renvoi, l'Autorité fait valoir que l'opération notifiée menace  d'affecter la concurrence en France par le biais d'effets horizontaux sur le marché des commodités.

22. L'Autorité souligne que les sociétés Univar et Eurochem sont, avec l'entreprise Brenntag, les seuls acteurs d'envergure nationale présents sur le marché de la distribution de commodités chimiques en France. L'Autorité relève que selon les informations dont elle dispose, Brenntag, Univar et Eurochem représenteraient ensemble plus de [80-90]% de la distribution de commodités chimiques en France, dont environ [50-60]% pour Brenntag et [30-40]% pour Univar-Eurochem. Les parties estiment leurs parts de marché cumulées à [10-20]% en France, mais ne sont pas en mesure d'évaluer les positions relatives de leurs principaux concurrents.

23.  Selon l'Autorité, les autres entreprises présentes sur ce marché ne sont implantées que  dans certaines régions. Elles ne sont pas en mesure de proposer une gamme de produits aussi étendue que celle des parties et la substituabilité de leur offre par rapport à celle des grands distributeurs de taille internationale ou nationale pourrait être réduite par l'existence d'accord d'exclusivité entre ces derniers et les fabricants de produits  chimiques.

24. L'analyse de l'Autorité est confirmée par les éléments réunis par la Commission lors de son enquête de marché. Le tableau suivant présente les parts de marché combinées d'Univar et Eurochem ainsi que de leurs principaux concurrents sur un marché national de la distribution de commodités ainsi que sur les six marchés locaux évoqués plus haut. Ces parts de marché sont issues de calculs de la Commission sur la base des résultats de l'enquête.

France (marché national) 

2009

Part de marché

Univar

[20-30]%

Eurochem

[10-20]%

Univar + Eurochem

 

[30-40]%

Brenntag

[40-50]%

Helm

[10-20]%

Caldic

[0-5]%

Gâches

[0-5]%

 

France (par régions)

 

2009

Market share

Région 1 (Ouest)

 

Univar

[10-20]%

Eurochem

[30-40]%

Univar + Eurochem

[40-50]%

Brenntag

[50-60]%

Helm

[0-5]%

Région 2 (Sud-Ouest)

 

Univar

[20-30]%

Eurochem

[5-10]%

Univar + Eurochem

[30-40]%

Brenntag

[20-30]%

Gâches

[20-30]%

Region 3 (Centre- Ouest)

 

Univar

[10-20]%

Eurochem/Quaron

[40-50]%

Univar + Eurochem

[60-70]%

Brenntag

[10-20]%

Ciron

[10-20]%

Region 4 (Sud-Est)

 

Univar

[30-40]%

Eurochem/Quaron

[0-5]%

Univar + Eurochem

[30-40]%

Brenntag

[30-40]%

Helm

[20-30]%

Region 5 (Nord et Nord-Est)

 

Univar

[10-20]%

Eurochem/Quaron

[10-20]%

Univar + Eurochem

[30-40]%

Brenntag

[40-50]%

Helm

[0-5]%

Region 6 (Centre et Est)

 

Univar

[20-30]%

Eurochem/Quaron

[10-20]%

Univar + Eurochem

[30-40]%

Brenntag Caldic

[40-50]%

[10-20]%

 25. Tant au niveau national que sur une base régionale, l'enquête de la Commission confirme que la nouvelle entité détiendra une part de marché significative (toujours supérieure à 30%). Cette part de marché sera importante dans l'Ouest (plus de 40%) et  particulièrement élevée dans le Centre-Ouest (plus de 60%). Ce sera également le cas pour Brenntag, dont la part de marché dépasse 30% au niveau national et régional sauf dans le Sud-Ouest et le Centre-Ouest. Les autres concurrents sont principalement actifs sur une base régionale et ne disposent pas de la même couverture territoriale que les deux leaders du marché. A part Gâches dans le Sud-Ouest, Ciron dans le Centre-Ouest, Helm dans le Sud-Est et Caldic dans le Centre-Est, aucun d'entre eux ne dépasse 10%.

26. Un nombre significatif des entreprises ayant répondu à l'enquête de marché de la Commission ont exprimé leurs inquiétudes quant aux effets de l'opération notifiée sur la concurrence. En particulier, de nombreux clients interrogés lors de l'enquête de marché de la Commission ont notamment souligné que cette nouvelle structure des marchés (alors que le secteur a connu de nombreuses concentrations de plus petite ampleur ces dernières années) était préjudiciable au bon fonctionnement de la concurrence, en particulier dans des régions où celle-ci est déjà considérée comme insuffisante tels que l'Ouest et le Centre-Ouest.

27. Plusieurs clients interrogés, originaires de toutes les régions, ont souligné que l'opération avait pour effet de réduire significativement (de trois à deux) le nombre d'acteurs présents et ont exprimé des inquiétudes quant au risque de hausse des prix dans les réponses aux appels d'offre et de dégradation de la qualité de service. Seuls les clients situés dans le Sud-Ouest ont en majorité considéré que l'opération avait un impact relativement limité dans leur zone de chalandise, grâce à la présence de Gâches, dont la position dans sa région d'origine peut être considéré comme significative7.

28. Ces inquiétudes apparaissent particulièrement marquées dans les régions Ouest (où Eurochem est particulièrement présent grâce à ses dépôts de Niort et de Rennes) où aucun autre concurrent autre que la nouvelle entité et Brenntag ne sera présent, et Centre-Ouest (servi également par le dépôt de Niort), où la nouvelle entité détiendra une part de marché au moins quatre fois  supérieure à celle de son suivant immédiat.

29. Au niveau national, plusieurs concurrents et clients ayant répondu à l'enquête de marché ont indiqué que l'acquisition d'Eurochem entraînait la consolidation du duopole existant  en France dans la distribution de commodités chimiques. Selon ces opérateurs, l'opération aboutirait à l'élimination du seul acteur doté d'une taille et d'un réseau de dépôt suffisants pour jouer le rôle de franc-tireur contre Univar et Brenntag. La présence d'Eurochem disciplinerait le comportement d'Univar et de Brenntag.

30.  L'enquête a effectivement mis en évidence qu'Eurochem a joué ce rôle de concurrent agressif dans un passé récent, en particulier en matière de prix, et propose également, du point de vue des clients, une qualité de service supérieure à celle d'Univar en termes de réactivité, de respect des délais et de transparence des conditions commerciales. Plusieurs petits clients, dont les besoins quantitatifs sont faibles mais la relation avec le distributeur, qui est l'interlocuteur unique pour leurs achats de produits chimiques, essentielle, ont soulevé ce point. Il convient de noter à cet égard que d'après les éléments communiqués par les parties dans la notification8, la part de marché d'Eurochem a augmenté de   [0-5]%

% entre 2007 et 2009 avec un chiffre d'affaires stable (2007: EUR […]; 2009: EUR […]) alors que celle d'Univar a décliné de [0-5]% avec un chiffre d'affaires en baisse de [20- 30]% (2007: EUR […]; 2009: EUR […]). Dans la mesure où les parts de marché d'Univar et d'Eurochem ont été sous-estimées par les parties dans leur notification, il est vraisemblable que les gains et pertes relatifs de parts de marché sont supérieurs.

31.  L'enquête de marché a montré ainsi qu'Eurochem est effectivement un concurrent dynamique, proposant notamment des prix très compétitifs par rapport à ceux des autres offreurs ainsi qu'un service de qualité. Sa disparition aurait donc un effet particulièrement négatif en raison de son rôle d'animateur du jeu concurrentiel en France. Ce point est confirmé par l'Autorité dans sa demande de renvoi.

32.  L'Autorité ajoute également que ce changement important de structure du marché est d'autant plus dommageable et préoccupant qu'il intervient dans un marché dont les barrières à l'entrée et à l'expansion sont déjà élevées, notamment du fait du contraintes règlementaires relatives aux installations classées et de leur impact sur les coûts de création, d'entretien et éventuellement de montée en gamme de nouveaux dépôts9.

33. L'enquête a effectivement montré que la création d'un dépôt de commodités chimiques nécessitait un investissement compris entre 12 et 20 millions d'euros et que cet investissement était d'autant plus aléatoire qu'il nécessitait une procédure administrative lourde pour obtenir les autorisations, ainsi que de surmonter l'opposition probable des riverains dans le cadre d'enquêtes publiques. En conséquence, il n'a pas eu de nouvelles entrées sur le marché français dans les douze dernières années, qui ont plutôt donné lieu à une chute importante du nombre de dépôts.

34.  Par conséquent, il apparaît que l'opération menace d'affecter significativement la concurrence en France sur le marché des commodités.

35. En ce qui concerne les spécialités, la situation concurrentielle semble à première vue plus satisfaisante dans la mesure où il existe certains concurrents uniquement ou principalement actifs sur le marché des spécialités (comme IMCD ou Unipex) et la position d'Eurochem est plus limitée. Cela dit, l'enquête a également mis en évidence qu'il existe des liens assez étroits entre le marché des commodités et celui des spécialités : les principaux acteurs du domaine des commodités (dont les parties mais également Brenntag, Gâches et Caldic) détiennent également une activité de spécialités, une part significative des clients achète des commodités et des spécialités (ce qui permet  de réaliser des économies d'échelle en livrant à ces clients des commodités et des spécialités dans le même camion) et les dépôts de spécialités sont fréquemment utilisés comme dépôts-relais pour stocker des commodités (particulièrement des commodités solides).

Analyse de l'article 9 du Règlement sur les concentrations

 36. Les éléments fournis par l'Autorité quant aux définitions de marchés de produits et géographiques sont consistants avec les résultats de l'enquête de marché conduite par la Commission. Etant donné que la dimension géographique de ces marchés est au plus nationale, il est considéré que les marchés français sont distincts d'autres zones géographiques.

37. Au regard des éléments présentés par l'Autorité, il apparaît que, selon une analyse préliminaire, la concentration menace d'affecter significativement la concurrence sur les marchés de la distribution des commodités chimiques, à l'intérieur du territoire français.

38. Les conditions pour un renvoi au titre de l'Article 9(2)(a) du Règlement sur les concentrations sont donc remplies.

39. Conformément à l'Article 9(3) Règlement sur les concentrations, lorsque les conditions d'un renvoi d'une concentration de dimension européenne sont remplies, la Commission a le choix de renvoyer ou non l'affaire à une autorité nationale.

40.  A cet égard, l'Autorité fait valoir à juste titre qu'elle a déjà eu l'occasion de se prononcer sur des pratiques anticoncurrentielles dénoncées dans ce secteur10. L'Autorité possède donc une connaissance actuelle et approfondie du secteur particulièrement appropriée dans l'étude de l'opération proposée.

41. Par ailleurs, la concentration ne menace d'affecter la concurrence que sur des marchés de dimension nationale ou infranationale limitée au seul territoire français11. Dans ces conditions, et compte tenu du fait que la mise en œuvre de remèdes éventuels ne nécessitera pas d'actions dépassant le cadre du territoire national français, un renvoi  partiel de l'affaire aux autorités françaises peut être considéré comme approprié12.

42.  En ce qui concerne les spécialités, il n'est pas nécessaire d'établir que les conditions d'un renvoi au titre de l'article 9(2)(a) sont également remplies. La Commission considère en effet que les conditions de l'Article 9(2)(a) sont remplies en ce qui concerne les commodités. L'enquête a par ailleurs mis en évidence l'existence de liens étroits entre les commodités et les spécialités qui ont été décrits plus haut. Par ailleurs, les marchés des spécialités sont également au plus de dimension nationale et l'Autorité est également bien placée pour les examiner. La Commission considère donc que la partie française du cas doit être renvoyée à la France dans sa globalité, incluant la partie spécialités. Une telle décision est par ailleurs cohérente avec la politique générale de la Commission en matière de renvois: il est approprié que les parties d'une affaire qui sont étroitement liées soient examinées par la même autorité.

43. Les parties ont été rendues destinataires de la demande de renvoi présentée par l'Autorité. Elles ne sont pas prononcées sur la question de savoir quelle  était l'autorité la mieux placée pour traiter de la concentration mais ont produit le 30 juin 2010 une étude économique tendant à démontrer que l'opération ne menaçait pas d'affecter la concurrence sur le territoire français. Cette étude vise en particulier à établir qu'Eurochem n'est pas un franc-tireur dans la mesure où les marges d'Univar ne seraient pas plus élevées dans les régions où Eurochem n'est que marginalement présent (en particulier le Sud-Est).

44.   La Commission a examiné avec soin les résultats de cette étude. En premier lieu elle constate que cette étude ne prend pas en compte la pression concurrentielle d'autres opérateurs dans les régions où Eurochem est peu présent et qui a également un impact sur les marges d'Univar. En second lieu, la Commission a testé la robustesse des paramètres relatifs à cette étude et a constaté que la plupart d'entre eux étaient entachés d'erreurs ou d'approximations due à des choix de méthodes d'estimation contestables, en particulier en ce qui concerne l'agrégation des données. Et en troisième lieu, l'estimation réalisée par la Commission basée sur des méthodes plus adaptées indique que les marges d'Univar sont en fait inférieures dans les régions où Eurochem est fortement actif (régions de l'Ouest et du centre Ouest) ainsi que dans le Nord et l'Est. La Commission ne considère donc pas que cette étude permet d'écarter qu'il existe, selon une analyse préliminaire, un risque réel que l'opération ait des effets néfastes significatifs sur la concurrence en France, et donc qu'elle mérite un examen approfondi.13

45.  Les parties ont également soumis à la Commission les 25 juin et 1er juillet 2010 une proposition de remèdes relative au marché français.

46. Cette proposition comprend: (i) la cession du dépôt d'Univar à Carquefou, près de Nantes dans l'Ouest de la France; (ii) le transfert du bail de location du dépôt d'Univar à Mitry- Mory (région parisienne), ou, alternativement, si le propriétaire ne souhaite pas allonger  la durée du bail qui arrive à expiration en 2011, la cession du dépôt d'Eurochem à Montereau-Faut-Yonne (région parisienne); (iii) le transfert de la force de vente et des personnels travaillant dans ou à partir de ces dépôts; (iv) l'accès aux fournisseurs de produits chimiques d'Univar ou, si cet accès n'est pas possible, la fourniture par Univar  des ces produits pour une durée maximale de 12 mois; (v) la liste des clients et toutes les informations relatives aux clients servis à partir des dépôts de Carquefou et Mitry-Mory ainsi que les informations relatives à tous les clients fournis en direct dans l'Ouest et la région parisienne.

47. La Commission a réalisé une enquête afin de déterminer si ces remèdes permettraient à un repreneur éventuel d'exercer un rôle concurrentiel actif sur le marché français. La majorité des concurrents et des clients interrogés lors de cette enquête ont répondu par la négative, expliquant que ces sites étaient de taille insuffisante et disposaient d'une gamme de commodités stockées incomplète (seulement les solvants pétroliers pour Carquefou et les acides pour Mitry-Mory). Des incertitudes relatives à la pollution des sols et à la mise en œuvre des opérations de dépollution ont également été évoquées. Enfin, de nombreux clients ont indiqué que la cession de seulement deux dépôts ne permettait pas à un repreneur de jouer le rôle de franc-tireur qu'Eurochem remplissait avant l'opération compte tenu de son réseau plus dense réparti sur une fraction plus large du territoire français.

48.  La Commission n'est donc pas en mesure de conclure avec un degré suffisant de certitude que les engagements proposés sont suffisamment clairs pour ne pas devoir donner lieu à une enquête approfondie14. En conséquence, elle considère approprié d'user de son pouvoir discrétionnaire en renvoyant l'affaire à la France.

VI. CONCLUSION

 49. Eu égard aux considérations qui précèdent, les conditions sont réunies pour demander un renvoi au titre de l'article 9, paragraphe 2, point a). La Commission considère également que, compte tenu de la connaissance par l'Autorité du secteur concerné et du fait que les mesures correctives proposées par les parties sont insuffisantes pour exclure des effets anticoncurrentiels sur les marchés pertinents sans enquête approfondie, les autorités compétentes de la France sont mieux placées pour procéder à un examen approfondi et exhaustif de la partie de la concentration relative à la France. Elle estime donc opportun d'exercer le pouvoir discrétionnaire qui lui est conféré par l'article 9, paragraphe 3), point b), en vue d'autoriser le renvoi partiel.

A ARRÊTÉ LA PRÉSENTE DÉCISION:

Article premier

 Le projet de concentration notifié par lequel Univar prend le contrôle d'Eurochem est renvoyé aux autorités compétentes de la France pour la partie de la concentration relative à la France, conformément à l'article 9, paragraphe 3), point b), du règlement (CE) n° 139/2004 du Conseil.

 

 

 

1  JO L 24 du 29.1.2004, p. 1 («le Règlement sur les concentrations»). Applicable à compter du 1er décembre 2009, le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne («TFUE») a introduit divers changements, parmi lesquels le remplacement des termes «Communauté» par «Union» et «marché commun» par «marché intérieur». Les termes du TFUE seront utilisés dans cette décision.

2   Conformément à l'article 4 du règlement sur les concentrations.

3 La Commission et l'Autorité ont coopéré étroitement durant toute la procédure conformément à l'article 19 du règlement sur les concentrations

4  Chiffre d'affaires calculé conformément à l'article 5(1) du règlement sur les concentrations et la communication juridictionnelle de la Commission (JOCE C95, 16.04.2008 (page 1) et version française modifiée JOCE C 43 of 21.02.2009 (page 10).  

5  Décision IV/M.1073 – Metallgesellschaft / Klöckner Chemiehandel.

6  Décisions   COMP/M.2244   Royal   Vopak/Ellis   &   Everard   du   16   janvier   2001   et    M.3344   Bain Capital/Interfer/Brenntag  du 21 janvier 2004.

7  Gâches a son siège social à Toulouse et opère deux dépôts à Escalquens (près de Toulouse) et à Mourenx près de Pau.

8 Form CO, tableau 17, page 86.

9 Les dépôts sont classés soit en Seveso seuil haut, soit en Seveso seuil bas, soit non Seveso. Ce classement détermine les capacités de stockage par type de produits chimiques, ainsi que les obligations en matière d'information des autorités et du public et de prévention des accidents. Un site Seveso seuil haut dispose de capacités de stockage nettement supérieures, et par suite une présence sur le marché plus importante, qu'un site non Seveso.

10 Décision 06-D-12 du 6 juin 2006 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de   la distribution de commodités chimiques.

11  Par décision en date du 16 juillet 2010, La Commission a autorisé la concentration en ce qui concerne ses effets sur les marchés nationaux autres que la France.

12  Communication de la Commission sur le renvoi des affaires en matière de concentrations, paragraphe 22, JOCE C056, 05/03/2005 p. 2

13  Communication de la Commission sur le renvoi des affaires en matière de concentrations, paragraphe 35, JOCE C056, 05/03/2005 p. 2.

14  Communication de la Commission concernant les mesures correctives recevables conformément au  Règlement CE n°139/2004 du Conseil et au Règlement n°802/2004 de la Commission, §81, JOCE C267, 22.10.2008, p. 1