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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 2, 16 octobre 2020, n° 19/00733

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Brasserie Milles (SAS)

Défendeur :

Kronenbourg (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Chokron

Conseillers :

Mme Lehmann, Mme Marcade

T. com. Paris, 15e ch., du 3 déc. 2018

3 décembre 2018

Par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile

Signé par Mme Brigitte CHOKRON, Présidente, et par Mme Carole TREJAUT, Greffière, présente lors de la mise à disposition.

Vu le jugement contradictoire rendu le 3 décembre 2018 par le tribunal de commerce de Paris.

Vu l'appel interjeté le 9 janvier 2019 par la société Brasserie Milles.

Vu les dernières conclusions remises au greffe et notifiées par voie électronique le 2 septembre 2020 par la société Brasserie Milles, appelante.

Vu les dernières conclusions remises au greffe et notifiées par voie électronique le 8 septembre 2020 par la société Kronenbourg, intimée.

Vu l'ordonnance de clôture du 10 septembre 2020.

SUR CE, LA COUR,

Il est expressément renvoyé pour un examen complet des faits de la cause et de la procédure à la décision entreprise et aux écritures précédemment visées des parties,

La société Kronenbourg SAS (BK) est une filiale à 100% de la société Kronenbourg Holding SAS, elle-même filiale à 100% de la société Scottish & Newcastle UK Ltd.

La société Kronenbourg Holding SAS détient également 100% du capital de la société Elidis Boissons Services SAS (Elidis), propriétaire du réseau de distribution des produits Kronenbourg, constitué d'une soixantaine de fonds de commerce de distribution en gros de boissons.

La centrale européenne de distribution C10 SAS (C 10) est une société regroupant des entrepositaires grossistes indépendants, dont la société Brasserie Milles est l'un des adhérents.

Le 2 avril 2008, un contrat de cession d'actions, de parts sociales et d'immeubles a été signé entre, d'une part, les sociétés Scottish & Newcastle UK Ltd., Kronenbourg Holding SAS et BK (le Groupe Kronenbourg), et d'autre part, la société C10.

Aux termes de ce contrat, le Groupe Kronenbourg a, entre autres, cédé son fonds de commerce de distribution (Elidis) à la société C 10, laquelle s'était engagée à revendre l'ensemble de ces actifs de distribution aux adhérents de son réseau.

Ce contrat comportait une clause de non concurrence (article 8) et une clause d'engagement de la société C10 'à ne pas céder tout ou partie des fonds de commerce de distribution des Sociétés du Groupe, sans que chacun des Sous-Acquéreurs concernés ait conclu un Contrat de Distribution de Bière avec BK ...' (Article 13).

La société Brasserie Milles a racheté le fonds de commerce Elidis de Perpignan par acte sous-seing privé daté du 24 septembre 2008. Elle a ensuite acquis celui de Béziers par acte du 20 mai 2009.

La société Brasserie Milles fait grief à la société BK d'avoir détourné la clientèle qui lui était normalement dévolue lorsqu'elle a conclu le contrat du 24 septembre 2008 portant sur le fonds de commerce Elidis de Perpignan, et de ne pas avoir respecté les termes de l'accord précédemment conclu.

Par acte du 13 juillet 2010, la société Brasserie Milles a fait assigner la société BK en référé à heure indiquée devant le président du tribunal de commerce de Perpignan.

Par ordonnance du 30 juillet 2010, l'affaire a été renvoyée devant le tribunal de commerce de Perpignan.

Par jugement du 25 novembre 2014, le tribunal de commerce de Perpignan s'est déclaré incompétent au profit du tribunal de commerce de Paris, le contrat de cession d'actions, de parts sociales et d'immeubles du 2 avril 2008 comportant une clause attributive de juridiction.

Par jugement contradictoire en date du 3 décembre 2018, le tribunal de commerce de Paris a :

- débouté la société Brasserie Milles de toutes ses demandes ;

- condamné la société Brasserie Milles à payer à la société BK la somme de 10. 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, déboutant pour le surplus ;

- débouté les parties de leurs demandes autres, plus amples ou contraires ;

- condamné la société Brasserie Milles aux dépens de l'instance.

Le tribunal de commerce de Paris a estimé que l'économie générale de l'ensemble constitué par le contrat de cession de fonds de commerce conclu entre les sociétés du groupe Kronenbourg et la société C10 le 2 avril 2008, et le contrat de vente du fonds de commerce de Perpignan du 24 septembre 2008 conclu avec la société Brasserie Milles était parfaitement claire et dépourvue d'ambiguïté, la contrepartie de l'engagement de non-concurrence contracté par la société BK étant le maintien et le développement d'un volume de ventes, matérialisés par la signature d'un contrat de distribution de bière. Ainsi, le tribunal conclut que la société Brasserie Milles ne pouvait soutenir qu'elle n'avait pas connaissance de l'obligation pour elle de contracter avec la société BK.

Les premiers juges ont rejeté le moyen selon lequel l'obligation pour la société Brasserie Milles de conclure un contrat de bière avec la société BK serait une condition potestative aux motifs qu'il y a, par la combinaison des deux contrats, un engagement réciproque qui oblige chacune des deux sociétés.

De même, le tribunal de commerce a relevé que la Brasserie Milles ne prouvait pas que la société BK aurait tenté de lui imposer des conditions léonines.

En outre, il a considéré que la preuve n'est pas rapportée que la société BK aurait procédé à un débauchage de salariés d'Elidis dans le but d'organiser un démarchage systématique de la clientèle de la société Brasserie Milles.

Le tribunal a également estimé que la société BK n'avait aucune raison d'accorder à la société Brasserie Milles, qui ne souhaitait pas s'engager avec elle dans le cadre d'un contrat de bière, le bénéfice d'une clause de non-concurrence qui n'aurait pas eu de contrepartie, et en conclut que la société BK n'a pas manqué à son obligation de garantie à l'acheteur du fonds de commerce d'une jouissance paisible dudit fonds.

Le tribunal a enfin considéré que le démarchage commercial effectué par la société BK ressortait de la liberté du commerce et ne présentait pas les caractéristiques d'un acte déloyal.

Dans ses dernières conclusions d'appelante, la société Brasserie Milles sollicite de la cour de réformer le jugement déféré, de dire que la société BK a engagé sa responsabilité contractuelle ou, à titre subsidiaire, sa responsabilité délictuelle à son égard, d'ordonner une mesure d'expertise comptable pour évaluer son préjudice et de condamner la société BK à lui payer à titre d'indemnité provisionnelle la somme de 87.866 euros sur le préjudice subi ainsi que de lui allouer la somme de 10.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Elle soutient au visa de l'article 1134 du code civil que la société BK a manqué à son obligation de bonne foi et à son obligation de non-concurrence, que cette dernière est débitrice de la garantie légale d'éviction posée par les articles 1625 et suivants du code civil et qu'elle a engagé sa responsabilité contractuelle en détournant massivement la clientèle du fonds de commerce Elidis de Perpignan à son détriment en tant qu'acquéreur du fonds, à raison d'une violation généralisée des contrats tripartites d'approvisionnement liant la clientèle au fonds cédé.

Subsidiairement, au visa de l'article 1382 devenu 1240 du code civil, elle fait valoir que l'intimée a engagé sa responsabilité par la mise en œuvre de pratiques déloyales et en aidant et incitant, en toute connaissance de cause, les clients du fonds cédé à enfreindre leurs propres obligations contractuelles.

La société BK demande quant à elle, dans ses dernières conclusions, à la cour de confirmer en toutes ses dispositions le jugement entrepris et à titre subsidiaire, de dire que la clause de non concurrence figurant à l'article 8.1 du contrat de cession d'actions, de parts sociales et d'immeubles en date du 2 avril 2008 n'est plus en vigueur depuis le 2 avril 2013 et qu'elle n'est donc tenue par aucun engagement de non concurrence et, en tout état de cause, de condamner la société Brasserie Milles à lui payer la somme de 50.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

- Sur la responsabilité contractuelle

Sur la violation de l'obligation de non-concurrence

La société BK soutient que la société Brasserie Milles ne peut se prévaloir du bénéfice de la clause de non-concurrence sans avoir conclu de contrat de distribution. Elle considère en effet, qu'il résulte clairement de l'article 8.3 du contrat de cession du 2 avril 2008 qu'elle a souscrit à un engagement de non-concurrence uniquement à l'égard de la société C10, en tant qu'acquéreur, et des « sous-acquéreurs » sur justification de leur qualité, telle que contractuellement définie par l'article 13 du même contrat, c'est-à-dire, ceux ayant conclu un contrat de distribution non exclusif de bières avec elle.

La société Brasserie Milles conteste ce raisonnement en relevant, tout d'abord, qu'elle avait nécessairement la qualité de « sous-acquéreur » lors de l'acquisition des fonds de Perpignan, ensuite, qu'aucun des deux contrats (contrat de cession du 2 avril 2008 et contrat de vente du fonds de Perpignan du 24 septembre 2008) ne subordonnait expressément la qualité des « sous-acquéreur » à la signature du contrat de distribution avec l'intimée, et enfin, que le contrat de vente du second fonds de commerce à Béziers stipulait que les clauses du contrat de cession du 2 avril 2008 « trouvent application même si les négociations à venir pour déterminer les modalités du contrat de distribution (') n'aboutissaient pas ».

L'article 8.1 Non-concurrence du contrat de cession d'actions, de parts sociales et d'immeubles en date du 2 avril 2008 conclu entre les sociétés du groupe Kronenbourg et la société C10, prévoit que : « pendant une période de cinq (5) ans à compter de la Date de Réalisation, les Vendeurs s'abstiendront, et feront en sorte que les autres entités du Groupe des Vendeurs s'abstiennent, directement ou indirectement, par l'intermédiaire d'un ou plusieurs Affiliés : (i) d'initier ou de participer à toute activité de distribution de boissons à destination des clients CHR (café hôtels restaurants) et CHD (consommation hors domicile) (une « Activité Concurrente ») ; ou (ii) d'assister ou de prêter leur concours, financièrement ou de toute autre manière, à toute personne étant engagée dans une Activité Concurrente ».

L'article 8.3 de ce contrat précise que « la présente clause de non-concurrence demeure en vigueur dans le cas où l'Acquéreur ne sera plus propriétaire des titres ou des fonds de commerce des Sociétés du Groupe, ce dernier s'étant engagé à les vendre dans les meilleurs délais à des Sous-Acquéreurs dans les conditions stipulées au présent Contrat. Par suite les Vendeurs acceptent expressément que les Sous-Acquéreurs intéressés puissent se prévaloir à leur encontre des dispositions du présent Article sur simple justification de leur qualité de Sous Acquéreur et Kronenbourg Holding accepte expressément de se porter fort du respect desdites dispositions par les Vendeurs à l'égard des Sous-Acquéreurs ».

L'article 13 de ce même contrat précise que « les Vendeurs n'entendent accepter de conclure ce Contrat et céder les Titres à l'Acquéreur que si l'Acquéreur s'engage (engagement que prend l'Acquéreur au titre du présent Contrat) à ne pas céder tout ou partie des fonds de commerce de distribution des Sociétés du Groupe, sans que chacun des Sous-Acquéreurs concernés ait conclu un Contrat de Distribution de Bière avec BK suivant le modèle figurant en Partie 2 de l'Annexe I, contrat mettant à la charge dudit Sous-Acquéreur des obligations d'achat minimum correspondant à la quote-part des obligations d'achat minimum afférent au fonds de commerce cédé par la Société du Groupe et prévues par le Contrat de Distribution de Bière correspondant ».

Le préambule du contrat de vente du 24 septembre 2008 conclu entre la société Elidis et la société Brasserie Milles en présence de la société C10 concernant la vente du fonds de commerce de Perpignan rappelle que « le 2 avril 2008, la société Elidis Boissons Services propriétaire d'une soixantaine de fonds de commerce de distribution en gros de boissons et filiale à 100% de la société Kronenbourg Holding a fait l'objet d'une prise de contrôle par la société C10, dans le but exclusif de faciliter la reprise par les adhérents intéressés du réseau C10 et Distriboissons, des actifs distributifs en France du Groupe Kronenbourg » et qu' « aux termes du contrat de cession du 2 avril 2008 (ci-après le « contrat de cession C10 »), la société s'est notamment engagée à revendre l'ensemble des fonds de commerce de distribution détenus par la société Elidis Boissons Services dans les meilleurs délais après la prise de contrôle, à des acquéreurs agréés par Kronenbourg Holding et sous l'expresse condition que chacun des acquéreurs concernés ait conclu un contrat de distribution de bière avec SAS Kronenbourg' » et que « l'acquéreur s'engage irrévocablement à conclure un contrat de distribution de bière avec Brasserie Kronenbourg ». Parmi les obligations de l'acquéreur du fonds de commerce de Perpignan, la société Brasserie Milles, l'article 6-A-b-3° prévoit que « l'acquéreur s'engage irrévocablement à conclure un contrat de distribution de bière avec Brasseries Kronenbourg » et en ce qui concerne le vendeur, l'article 6-B-5° stipule que celui-ci « s'engage à ce que son avocat communique à l'avocat du groupe Kronenbourg dans les huit jours de la date de réalisation, l'identité de l'acquéreur, le prix de cession du fonds cédé et les modalités de paiement ». Ce contrat prévoit également à l'article 6 C que « conformément au contrat de cession C10 visé dans l'exposé préalable, les engagements ci-après littéralement reproduits souscrits par Scottish & Newcastle UK Ltd., Kronenbourg Holding SAS et Brasserie Kronenbourg, Sofid et Sogetpar (ci-après les vendeurs) au profit de C10, profiteront à l'acquéreur ainsi que les vendeurs s'y sont obligés aux termes dudit contrat », la clause de non-concurrence prévue à l'article 8 du contrat du 2 avril 2008 étant alors reproduite.

Il ressort sans ambiguïté de ce qui précède, que les sociétés du groupe Kronenbourg ont accepté de céder les titres de la société Elidis à la société C10 à la condition déterminante que celle-ci cède rapidement les fonds de commerce Elidis à des acquéreurs postérieurs qui se seront engagés à conclure un contrat non exclusif de distribution de bière avec la société BK, ce pour bénéficier de la qualité de « sous-acquéreur », que ce contrat de distribution de bière soit conclu avant ou après le contrat de cession des fonds. Cette condition était connue de l'acquéreur du fonds de commerce de Perpignan, la société Brasserie Milles, car expressément rappelée dans le préambule du contrat de cession du fonds perpignanais du 24 septembre 2008.

La clause de non-concurrence ci-avant rappelée à laquelle se sont engagées les sociétés du groupe Kronenbourg telle la société BK tant à l'égard de la société C10 que de ses « sous-acquéreurs » et rappelée au contrat de cession du fonds de commerce de Perpignan du 24 septembre 2008, est donc intimement liée à l'engagement des acquéreurs postérieurs de chacun des fonds de conclure un contrat de bière avec la société BK. Cet engagement impératif pour la société Brasserie Milles de conclure un tel contrat de distribution étant d'ailleurs expressément rappelé dans le contrat du 24 septembre 2008 (article 6-A-b-3° ci-dessus rappelé) auquel elle est partie.

Aussi, la société Brasserie Milles ne peut être suivie lorsqu'elle affirme que la signature du contrat de distribution n'est pas une condition d'application de la clause de non-concurrence. C'est en effet à juste titre que le tribunal a considéré que la contrepartie de l'engagement de non-concurrence de la société BK était le maintien et le développement du volume de vente matérialisé par la signature du contrat de distribution de bières. La société Brasserie Milles ne peut donc légitimement se prévaloir de cette clause de non-concurrence, celle-ci n'ayant pas conclu de contrat de distribution non exclusif de bières avec la société BK s'agissant du fonds de commerce de Perpignan ce malgré les demandes réitérées de cette dernière.

La circonstance qu'un autre contrat conclu le 20 mai 2009 entre les mêmes parties (les sociétés Elidis et Brasserie Milles) et concernant la vente du fonds de commerce sis à Béziers prévoit, à la différence du contrat ici en cause, que la clause de non-concurrence s'applique « même si les négociations à venir pour déterminer les modalités du contrat de distribution prévu à l'article 6, 1, b, 3 n'aboutissaient pas », est indifférente en l'espèce. Ce contrat postérieur au contrat 24 septembre 2008, constitue un acte distinct et n'emporte pas, comme le soutient à tort l'appelante, la renonciation de la société BK qui n'y est pas partie, ce quand bien même l'un de ses préposés était présent lors de la conclusion de l'acte, à se prévaloir de la signature d'un contrat de distribution avant la vente du fonds de commerce de Perpignan, la renonciation à un droit ne résultant que d'actes manifestant sans équivoque la volonté de renoncer.

L'appelante invoque alors le caractère potestatif de la clause inhérente à la signature d'un contrat d'approvisionnement et partant sa nullité, aux motifs que la société BK était libre, après la signature de l'acte de cession, de consentir ou non à son obligation de non-concurrence puisqu'elle pouvait ne pas signer avec le repreneur un contrat de distribution.

Néanmoins, la réalisation de l'événement en cause à savoir la mise en œuvre de la clause de non-concurrence ne dépend pas uniquement de la société BK, la conclusion du contrat de distribution n'étant pas soumise à la seule volonté de cette dernière, mais également de celle de la société Brasserie Milles qui s'était obligée en vertu du contrat de cession du fonds de Perpignan du 24 septembre 2008 à convenir avec la société BK d'un contrat de distribution de bière qui, au vu des éléments versés au débat (pièces 5, 6 et 7 intimée), lui a bien fait une proposition commerciale dont elle était sans nouvelle depuis le 20 février 2009 et a manifesté lors des échanges par courriels avec la société Brasserie Milles sa volonté de conclure un tel accord, cette dernière ne formalisant pas pour sa part une opposition marquée à ce contrat puisqu'elle indiquait le 5 mars 2010 sa 'volonté de finaliser [le] partenariat et de le concrétiser par la signature dès ce 9 mars'. A cet égard, la société Brasserie Milles ne peut se contenter d'affirmer pour justifier son refus de signer le contrat de distribution, la tentative de la société BK de lui imposer des conditions léonines qu'elle n'établit pas.

La société Brasserie Milles n'est donc pas fondée à faire valoir le non respect par la société BK de la clause de non-concurrence prévue au contrat du 24 septembre 2008.

Sur la mauvaise foi dans l'exécution du contrat

La société Brasserie Miles allègue encore que la société BK aurait exécuté le contrat de mauvaise foi, celle-ci ayant embauché, avant même la cession du fonds de commerce, les deux salariés constituant l'essentiel des forces de vente de celui-ci. Elle ajoute que l'intimée aurait signé concomitamment des accords commerciaux avec des distributeurs locaux, ce qui démontrerait que la société BK n'avait nullement l'intention de respecter une quelconque clause de non-concurrence.

Il ressort des éléments versés au débat que M. Lucas D. qui était chef des ventes régional réseau intégré Perpignan Béziers au sein de la société Elidis Béziers a rejoint la société BK à compter du 1er avril 2008 en qualité de chef des ventes CHD et ce pour la même région. Mme Charlotte T. qui était chef de secteur au sein de la société Elidis BS Perpignan a rejoint la société BK le 1er septembre 2008 en tant que chargée d'affaires CHR au sein de la direction régionale CHD Sud-Est.

Néanmoins, aucun élément n'est apporté par la société Brasserie Milles tendant à démontrer que ces deux salariés qui avaient la liberté de changer d'employeur ont rejoint la société BK avant la signature du contrat de cession du fonds de commerce de Perpignan à la suite de manœuvres déloyales de cette dernière dans le but de ne pas respecter la clause de non-concurrence, seule disposition du contrat du 24 septembre 2008 auquel elle était tenue à l'égard de la Brasserie Milles et dont il a été démontré ci-avant qu'elle ne s'appliquait pas en l'espèce, faute de signature par la société Brasserie Milles d'un contrat de distribution de bière.

De même, la société Brasserie Milles ne peut reprocher à la société BK la conclusion d'un contrat de prêt à usage signé avec la société Roussillon Boissons, ancien client de la société Elidis, le 17 mars 2009 et un avenant le 24 mars suivant qui concerne le « développement des volumes bières de la brasserie à l'occasion des fêtes et manifestations et autres animations locales ... ».

Sur la violation des contrats d'approvisionnement avec la clientèle du fonds cédé

L'appelante estime que la société Kronenbourg, en incitant la clientèle à s'approvisionner auprès d'un autre entrepositaire grossiste, la société Casas, a elle-même orchestré la violation des contrats tripartites d'approvisionnement liant la clientèle au fonds cédé et a engagé sa responsabilité contractuelle à son égard.

Il apparaît que dans le circuit des consommations hors domicile (CHD) et particulièrement des cafés, hôtels restaurants (CHR) le brasseur, tel la société BK, n'est pas en relation directe avec les exploitants de fonds de commerce de débits de boisson (cafetiers) mais passe par des revendeurs appelés 'entrepositaires-grossistes', tels la société Elidis ou la société Brasserie Milles, qui distribuent tous types de boissons de marques différentes et concurrentes.

En l'espèce, les cafetiers ont signé avec la société BK un contrat de distribution de bière par lequel ils s'engageaient pendant cinq ans à ne débiter dans leur établissement que des bières et fûts des marques du brasseur concerné. Dans ces contrats était mentionné un entrepositaire-grossiste, la société Elidis aux droits de laquelle vient la société Brasserie Milles.

Néanmoins, la société Brasserie Milles ne démontre nullement un comportement fautif de la société Kronenbourg qui aurait incité certains cafetiers à recourir aux services de son concurrent, la société Casas, les éléments qu'elle verse au débat montrant que ceux-ci ont rejoint cette dernière en raison notamment de propositions commerciales plus avantageuses de sa part (pièce 23).

Les diverses procédures que la société Brasserie Milles a intentées contre ses anciens clients sur le fondement de la stipulation pour autrui figurant dans les contrats de distribution de bières au bénéfice de la société Elidis aux droits de laquelle elle vient, n'apporte pas plus la démonstration d'un comportement fautif de la société BK qui n'était pas en cause dans ces instances. La cour d'appel de Montpellier par arrêt en date du 3 janvier 2017 n'a d'ailleurs pas retenu la responsabilité contractuelle de la société BK dans la seule procédure où la responsabilité de cette dernière était recherchée par la société Brasserie Milles.

La société Brasserie Milles échoue donc à démontrer une quelconque faute contractuelle de la part de la société BK et le jugement entrepris est confirmé en ce qu'il l'a déboutée de ses demandes à ce titre.

- Sur la responsabilité délictuelle

A titre subsidiaire, la société Brasserie Milles demande à la cour de retenir la responsabilité délictuelle de la société Kronenbourg.

L'appelante invoque tout d'abord la garantie d'éviction du fait personnel qui impose au vendeur d'un fonds de commerce de ne pas concurrencer l'acquéreur, et à tout le moins, de ne pas détourner la clientèle du fonds cédé. Elle soutient que la société Kronenbourg a, dès avant la cession, préparé le démarchage systématique de la clientèle du fonds cédé par sa filiale et pris ses dispositions pour la détourner. Elle considère que de telles pratiques, quand bien même elles ne seraient pas commises en violation d'un engagement contractuel, tomberaient à l'évidence sous le coup de la responsabilité délictuelle.

La société Brasserie Milles reproche ensuite à la société Kronenbourg d'avoir procédé au recrutement prémédité des forces de vente de sa filiale Elidis avant de céder le fonds de commerce perpignanais, d'avoir procédé à un détournement massif du chiffre d'affaires, peu après la cession et les deux exercices suivant celui de la vente, et d'avoir procédé au démarchage systématique des clients liés par contrat.

Il convient de rappeler que la société BK n'est pas le vendeur du fonds de commerce de Perpignan, celui-ci ayant été cédé à la société Brasserie Milles par la société Elidis en présence de la société C10, et n'est donc pas débitrice de la garantie d'éviction prévue à l'article 1625 du code civil.

En outre, le bien-fondé de l'action fondée sur l'article 1382, devenu 1240, du code civil, suppose l'existence de trois éléments : la faute, le préjudice et le lien de causalité entre ces deux éléments.

En vertu du principe de la liberté du commerce et de l'industrie, le démarchage de la clientèle d'autrui est libre dès lors qu'il ne s'accompagne pas d'un acte déloyal.

De même, le principe de la liberté du travail et celui de la liberté de la concurrence impliquent la liberté pour tout employeur de débaucher des salariés appartenant à une entreprise concurrente et le débauchage du personnel de l'entreprise concurrente n'est pas en soi fautif.

Or, la concurrence déloyale par débauchage de personnel suppose la démonstration concrète de la désorganisation et non la simple perturbation de l'entreprise concurrente et ne saurait résulter de la seule embauche par la société BK de deux salariés, M. D. et Mme T., dont il n'est pas établi qu'il s'agissait des seules forces de vente de la société Elidis, comme il n'est nullement démontré par l'appelante la désorganisation qu'elle allègue.

Elle ne prouve pas plus ses allégations quant au détournement massif du chiffre d'affaires, celui-ci ne pouvant résulter du seul constat de baisse du chiffre d'affaires de plus de 50% au cours des deux exercices suivant la cession du fonds de commerce par rapport à celui réalisé par la société Elidis au cours des exercices précédents, aucun comportement fautif de la part de la société BK n'étant caractérisé, la hausse du chiffre d'affaires de la société Casas étant à cet égard insuffisant.

Enfin, la société Brasserie Milles échoue à caractériser le démarchage systématique de la société BK de sa clientèle pour les amener à conclure avec la société Casas, le constat d'un déplacement de clientèle ne peut suffire à établir l'existence d'un acte de concurrence illicite en l'absence de démonstration d'actes déloyaux particuliers pour inciter cette clientèle à quitter la société Brasserie Milles et ce, peu important le montant du chiffre d'affaires en cause. La simple conclusion de contrats de brasserie entre les cafetiers et la société BK ne suffit pas à démontrer un détournement fautif de cette dernière.

Enfin, aucun élément ne vient corroborer les allégations de la société Brasserie Milles selon lesquelles la société BK aurait démarché ses clients pour les inciter à rompre leur contrat avec elle et en signer de nouveaux avec la société Casas.

Ainsi qu'il a été précédemment relevé au titre de la responsabilité contractuelle également invoquée par l'appelante à ce titre, aucun des éléments fournis au débat ne vient établir un comportement fautif de la société BK notamment l'incitation par celle-ci des cafetiers de rompre leur relation avec la société Brasserie Milles pour recourir aux services de la société Casas.

Enfin le « recours aux pratiques contestables » de la société BK allégué par l'appelante tel le non-paiement de factures par la société BK est inopérant à caractériser une faute quasi-délictuelle de celle-ci.

Le jugement entrepris est confirmé en ce qu'il a débouté la société Brasserie Milles de l'ensemble de ses demandes.

- Sur les autres demandes

Les dispositions du jugement concernant les dépens et les frais irrépétibles sont également confirmées.

Partie perdante, la société Brasserie Milles est condamnée aux dépens d'appel et à payer à la société BK, en application de l'article 700 du code de procédure civile, une indemnité qui sera, en équité, fixée à la somme de 10.000 euros.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

Confirme le jugement entrepris,

Vu l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne la société Brasserie Milles à payer à la société Kronenbourg la somme de 10.000 euros,

Condamne la société Brasserie Milles aux dépens d'appel qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.