CA Paris, Pôle 1 ch. 5, 19 novembre 2020, n° 20/12771
PARIS
Ordonnance
PARTIES
Demandeur :
ADM(SAS)
Défendeur :
Opel Bank (SA), Opel France (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Guillou
Avocats :
Me Schwab, Me Parravicini, Selarl Lexavoué Paris-Versailles, Me Lalance, Me Pagnoux, Me Vogel, Selarl BDL Avocats
La société Opel France est l'importateur en France de véhicules neufs de marque Opel.
Le 19 février 2013 la société ADM a racheté le fonds de commerce d'un concessionnaire Opel exerçant à Nice.
Des contrats de concession ont été signés avec la société Opel.
Le 26 février 2013 la société ADM a signé avec la société Opel Bank deux conventions de financement, l'une pour permettre de financer le parc de véhicules neufs de la concession et l'autre le financement des véhicules d'occasion.
Ces contrats ont été garantis par des garanties à première demande consenties par la holding AutoLipse société, propriétaire des concessions.
Le 18 avril 2018 la société Opel France a notifié à la société ADM la résiliation de ces deux contrats de concession au 30 avril 2020 conformément au préavis contractuel de deux ans. La société ADM a négocié tant avec la société Opel France qu'avec la société Opel Bank une reprise des véhicules et une restructuration de ses financements.
Le 27 juillet 2018 la société ADM a fait assigner la société Opel France et la société Opel banque en référé d'heure à heure devant le tribunal de commerce de Paris pour voir enjoindre à ces sociétés de poursuivre des livraisons le financement des véhicules neufs et lui accorder des délais de paiement de 21 mois.
Le juge des référés a dit n'y avoir lieu à référé et a renvoyé l'affaire au fond.
Par jugement du tribunal de commerce de Paris 27 février 2020, assorti de l'exécution provisoire le tribunal a :
- condamné la société ADM à payer à la société Opel France la somme de 65 146,64 euros
- débouté la société ADM de sa demande d'expertise judiciaire,
- condamné la société ADM à restituer les 15 véhicules livrés non payés à la société Opel France et à défaut à payer à la société Opel France la somme de 303 911,63 €,
– condamné la société ADM à payer à la société Opel banque la somme de 2 150 571,78 euros avec intérêt au taux conventionnel de euribor douze mois moyen du deuxième mois calendaire précédent le mois calendaire considéré auquel s'ajoute une marge de 2 % par an, à compter du 4 octobre 2018, date de résiliation des conventions de financement,
– dit que la société Opel Bank est propriétaire des véhicules listés aux motifs, qu'elle a été autorisée à saisir par ordonnance du juge de l'exécution du 18 novembre 2018 et que le prix de revente des véhicules saisis et dont la société Opel Bank aura repris possession s'imputera sur les sommes dues par la société ADM,
- donné acte à la société Opel Bank qu'elle réserve tous ses droits et actions à raison des véhicules non restitués ou dégradés par procès-verbal de Maître Hauguel des 27,28 et 29 novembre 2018 et notamment ceux ayant disparu entre le premier et le deuxième jour des opérations de saisie,
- condamné la société ADM à verser à la société Opel France d'une part et à la société Opel banque d'autre part la somme de 30 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens.
Le 3 septembre 2020, la société ADM a assigné la société Opel France et la société Opel Bank pour voir arrêter l'exécution provisoire.
Elle conteste les conditions dans lesquelles la première audience tenue considérant qu'il s'agit d'une violation flagrante de l'article 12 la privant de la possibilité d'un procès équitable, puisque son conseil avait demandé le renvoi de l'affaire pour cause de grève, et qu'il n'était absent sans motif légitime comme le mentionne la décision, qu'en outre les règles inhérentes à l'oralité des débats ont été violées puisque ses demandes ont été examinées hors sa présence, qu'il a été accordé sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile une indemnité supérieure à celle demandée.
Elle ajoute qu'elle vient d'être assignée par la société Opel Bank en liquidation judiciaire, que les circonstances développées suffisent à caractériser le risque de conséquences manifestement excessives qui résulteraient de l'exécution de la décision.
Se référant à ses conclusions déposées le 13 octobre 2020 et développées à l'audience, la société Opel Bank, anciennement dénommée GMAC Banque, demande à la cour :
- déclarer la société ADM irrecevable à solliciter la suspension de l'exécution provisoire, faute d'intérêt à agir,
- à titre subsidiaire de rejeter les demandes ou de n'arrêter l'exécution provisoire que du seul chef de la condamnation de la société ADM à payer à la société Opel France la somme de 30 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner la société ADM à lui payer la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens.
La société Opel Bank expose que les difficultés financières de la société ADM sont manifestes, que le défaut de remboursement répété et l'absence totale de transparence de la société ADM sur sa santé financière et l'état de ces stocks ont justifié la résiliation des conventions, que le fonds de commerce a été cédé à la société Hopcar SCO Nice pour la somme de 146 141,60 euros au titre des éléments corporels et 418 500 euros au titre des éléments incorporels, qu'elle s'est donc délibérément privée de revenus potentiels qui auraient pu lui permettre d'apurer progressivement son passif, que les saisies tentées se sont avérées infructueuses.
Elle rappelle que la violation du principe du contradictoire n'est pas une cause de suspension de l'exécution provisoire lorsque celle-ci est ordonnée par le juge, qu'en tout état de cause il a été parfaitement respecté, que, même avisées de la demande de renvoi pour cause de grève du barreau de Paris, le magistrat, qui a constaté que neuf renvois consécutifs avaient été sollicités pouvait retenir l'affaire.
Elle concède cependant qu'une erreur matérielle affecte effectivement la décision une somme de 30 000 euros a été octroyée au titre de l'article 700 du code de procédure civile au lieu des 10 000 euros sollicités.
Elle soutient enfin que la société ADM ne justifie pas de son patrimoine et ne démontre pas les difficultés de trésorerie invoquée.
Se référant à ses conclusions déposées le 15 octobre 2020 et développées à l'audience, la société Opel France demande à la cour :
- dire irrecevable la société ADM en sa demande de suspension de l'exécution provisoire,
- en tout état de cause la débouter de sa demande,
- condamner la société ADM à lui payer la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
La société Opel France fait valoir qu'une note d'analyse financière à partie des comptes de la société ADM de 2014 à 2017 a démontré que la trésorerie de celle-ci s'asséchait, que le dirigeant de cette société représentait aussi d'autres marques et finançait ses autres affaires à l'aide de la trésorerie, que la société ayant vendu son fonds de commerce, la société Opel France n'a pu récupérer que 7 véhicules sur les 15 véhicules que le jugement l'autorisait à récupérer.
Elle soutient que la demande de suspension de l'exécution provisoire est irrecevable faute d'intérêt à agir puisque la société ADM ne conteste aucune de ses dettes, qu'en tout état de cause la demande est mal fondée, le principe de la contradiction n'ayant pas été méconnu, qu'il n'est pas établi qu'elle ait informé le tribunal de commerce de son absence et qu'en tout état de cause elle avait bien été convoquée, que la société ADM n'a pas été privée de défense, que les conséquences manifestement excessives ne sont pas établies.
MOTIFS :
Sur la recevabilité de la demande :
Le seul fait que la société ADM n'aurait jamais contesté les demandes des sociétés Opel Bank et Opel France dans ses conclusions au fond ne suffit pas à la priver de l'intérêt à demander la suspension d'une décision l'ayant condamnée à leur payer de très importantes sommes, étant au surplus relevé qu'en l'espèce, l'affaire ayant été retenue hors la présence du demandeur, sur demande des défendeurs conformément aux dispositions de l'article 468 du code de procédure civile.
La demande est donc recevable.
Sur la demande de suspension de l'exécution provisoire :
Conformément au II de l'article 55 du décret n° 2019-1333 du 11 décembre 2019, les dispositions de l'article 517-1 du code de procédure civile ne s'appliquent qu'aux instances introduites devant les juridictions du premier degré à compter du 1er janvier 2020.
C'est donc l'article 524, premier alinéa, 2° ancien, du code de procédure civile qui est applicable au présent litige qui a été introduit devant le tribunal de commerce de Paris le 27 juillet 2018.
Il résulte des dispositions de cet article que, lorsque l'exécution provisoire a été ordonnée, le premier président statuant en référé peut l'arrêter si elle risque d'entraîner des conséquences manifestement excessives. Il est donc inutile de s'attacher à rechercher si, la société ADM ayant été régulièrement convoquée et le juge ayant retenu l'affaire après 9 renvois successifs, le principe de la contradiction a été méconnu, alors que le juge, constatant l'absence de la demande et que les défendeurs requéraient un jugement sur le fond, il a fait application de l'article 468 du code de procédure civile. Il n'est pas davantage opérant de rechercher les chances d'infirmation de la décision.
Les conséquences manifestement excessives s'apprécient par rapport aux facultés de paiement du débiteur et aux facultés de remboursement de la partie adverse en cas d'infirmation de la décision assortie de l'exécution provisoire.
Le risque de conséquences manifestement excessives suppose un préjudice irréparable et une situation irréversible en cas d'infirmation.
La preuve de ces conséquences manifestement excessives repose sur le demandeur au sursis et ne résulte pas de la seule existence de dettes même très importantes.
Or les pièces versées aux débats par la société ADM, qui a été condamnée à payer une somme supérieure à 2,2 millions en principal outre des intérêts très importants ainsi qu'à restituer 87 véhicules, ne sont relatives qu'aux conditions dans lesquelles la première décision a été rendue en son absence, indifférentes pour soutenir une demande de sursis à exécution. Elle produit également les conclusions des société Opel Bank et Opel France devant le tribunal de commerce ainsi que l'assignation en liquidation judiciaire qui lui a été délivrée par la société Opel Bank.
Dans le paragraphe qu'elle consacre aux conséquences manifestement excessives, la société ADM se contente d'indiquer :
- qu'elle a été assignée en liquidation judiciaire par la société Opel Bank,
- qu'elle a d'importantes sommes à faire valoir dans le cadre de la procédure et se retrouve à devoir payer des sommes injustifiées,
- que le litige est ancien et qu'elle avait investi des sommes considérables dans la concession, qu'elle a été contrainte de vendre le fonds à un concessionnaire Peugeot,
- que l'objectif des sociétés Opel France et Opel Bank est de la mettre dans l'impossibilité de poursuivre la procédure et faire valoir ses droits.
La société ADM n'établit aucune de ses difficultés financières et se contente de faire état de l'assignation en liquidation judiciaire qui lui a été délivrée.
Elle ne fournit aucun document comptable, n'explique pas la destination du prix de vente du fonds qu'elle a vendu le 20 mai 2019, ni le sort des très nombreux véhicules manquants.
Dès lors elle ne rapporte la preuve qui lui incombe des conséquences manifestement excessives qu'elle invoque.
Elle sera donc déboutée de sa demande.
PAR CES MOTIFS
Déclarons la demande d'arrêt de l'exécution provisoire du jugement du tribunal de commerce de paris du 27 février 2020 recevable mais mal fondée,
Condamnons la société ADM à payer à la société Opel France la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile
Condamnons la société ADM à payer à la société Opel Bank la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile
Condamnons la société ADM aux dépens.