CA Paris, Pôle 2 ch. 5, 17 novembre 2020, n° 18/18555
PARIS
Arrêt
PARTIES
Défendeur :
CNP Assurances (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Champeau Renault
Conseillers :
M. Byk, M. Senel
Mme Flora LE M. a souscrit le 30 mai 2001 un prêt de 91.926,76 euros remboursable par échéances mensuelles, auprès de la société CREDIT IMMOBILIER DE FRANCE DEVELOPPEMENT venant aux droits de la société CREDIT IMMOBILIER DE FRANCE BRETAGNE ATLANTIQUE afin d'acquérir un local à usage d'habitation et de commerce à LOCMINE.
La société CREDIT IMMOBILIER DE FRANCE DEVELOPPEMENT lui ayant proposé de souscrire un contrat d'assurance de groupe en vue de garantir le prêt et de couvrir les risques « Décès, Invalidité Permanente Absolue et Incapacité Totale », Mme Flora LE M. a adhéré au contrat d'assurance groupe auprès de la société CNP ASSURANCES (l'assureur) le 30 mai 2001 pour couvrir ces risques.
Mme LE M. a ouvert dans le local qu'elle a acquis un fonds de commerce de crêperie qui a fonctionné jusqu'au 9 mars 2012, date à laquelle elle a été placée en arrêt-maladie.
La société CNP ASSURANCES a indemnisé les échéances de son prêt au titre de la garantie « Incapacité totale » à l'issue du délai de carence de 90 jours du 7 juin 2012 au 31 mars 2014.
Mme LE M. a été reconnue invalide à 100% le 9 octobre 2013 par le Régime Social des Indépendants de Bretagne avec effet au 1er septembre 2013.
Afin de déterminer si l'état de santé de Mme LE M. correspondait à la définition contractuelle de la garantie « Incapacité Totale », un examen médical a été effectué le 1er avril 2014 par le docteur Yves D., médecin expert, à la demande de la société CNP ASSURANCES.
L'expert a conclu que l'affection, découverte le 9 mars 2012, était consolidée le 1er septembre 2013 et que l' ITT était médicalement justifiée du 9 mars 2012 au 1er septembre 2013.
La société CNP ASSURANCES a alors informé Mme LE M., par courrier du 16 avril 2014, qu'elle la reconnaissait apte à exercer une autre activité professionnelle et qu'elle cessait la prise en charge des échéances du prêt au-delà du 31 mars 2014, son état de santé ne correspondant plus à la définition du risque IT garanti.
Mme LE M. ayant contesté la décision de la société CNP ASSURANCES, par lettre recommandée avec réception du 4 mai 2014, la société CNP ASSURANCES a maintenu son refus de prise en charge par courrier du 11 juin 2014 en précisant avoir respecté les termes du contrat d'assurance souscrit.
Mme LE M. a alors assigné la société CREDIT IMMOBILIER DE FRANCE DEVELOPPEMENT devant le tribunal d'instance de LOCMINE, lequel a ordonné par jugement du 2 juillet 2015 la suspension pour une durée de deux ans des obligations de Mme Flora LE M. à l'égard du CREDIT IMMOBILIER DE FRANCE DEVELOPPEMENT, la réduction du taux d'intérêt au taux légal et la poursuite du paiement des échéances d'assurance.
La suspension des obligations de Mme LE M. a été soumise à la délivrance d'une assignation à l'encontre de la société CNP ASSURANCES dans un délai de 30 jours de la date du jugement.
C'est dans ces conditions que Mme LE M. a, par exploit d'huissier du 13 octobre 2015, assigné la société CREDIT IMMOBILIER DE FRANCE DEVELOPPEMENT et la société CNP ASSURANCES devant le tribunal de grande instance de Paris, lequel, par jugement du 25 mai 2018, a :
- débouté Mme LE M. de l'ensemble de ses demandes dirigées à l'encontre de la société CNP ASSURANCES.
- débouté Mme LE M. de l'ensemble de ses demandes dirigées à l'encontre de la société LE CREDIT IMMOBILIER DE FRANCE DEVELOPPEMENT.
- condamné Mme LE M. à payer la somme de 1.500 euros à la société CNP ASSURANCES et la somme de 1.500 euros à la société LE CREDIT IMMOBILIER DE FRANCE DEVELOPPEMENT au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
- condamné Mme LE M. aux dépens, dont distraction au profit des avocats qui en ont fait la demande.
- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire.
- débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.
Mme LE M. a interjeté appel de cette décision le 23 juillet 2018 en exposant qu'elle demandait la révision du jugement en ce qu'il l'a débouté de ses demandes tant à l'égard de CNP Assurance que du CREDIT IMMOBILIER DE FRANCE et l'a condamnée au titre de l'article 700 du code de procédure civile à payer 1 500 euros à chacun des intimés.
Par ordonnance du 5 novembre 2018, le magistrat en charge de la mise en état a constaté la caducité de la déclaration d'appel à l'égard de la société CREDIT IMMOBILIER DE FRANCE BRETAGNE ATLANTIQUE.
Aux termes de ses écritures en date du 23 octobre 2018, auxquelles il convient de se reporter pour plus ample exposé de ses prétentions et moyens conformément à l'article 455 du code de procédure civile, Mme LE M. demande à la cour au visa du contrat CNP Assurances, de la directive 93/13/CEE, des articles L. 132-1 et L. 133-2 du code de la consommation, et de l'article 37 alinéa 2 et 3 de la loi du 10 juillet 1990 d'infirmer le jugement en ce qu'il l'a déboutée de ses demandes à l'encontre de CNP Assurances et statuant à nouveau, de :
- juger que la clause du contrat d'assurance emprunteur définissant l'incapacité totale n'est ni claire ni intelligible, et qu'entraînant une réduction substantielle de garantie, elle avait pour objet ou pour effet de créer un déséquilibre significatif ;
en conséquence,
- déclarer abusive la clause définissant l'incapacité totale comme « l'impossibilité de reprendre une quelconque activité rémunérée ou non à la suite d'un accident ou d'une maladie » ;
- condamner la CNP Assurances à prendre en charge les mensualités du prêt souscrit le 30 mai 2001, avec effet rétroactif au 1er avril 2014 ;
- condamner la CNP Assurances à lui payer une somme de 4 000 euros en application de l'article 37 alinéa 2 et 3 de la loi du 10 juillet 1990 ainsi qu'aux entiers dépens.
Aux termes de ses conclusions en date du 22 janvier 2019, auxquelles il convient de se reporter pour plus ample exposé de ses prétentions et moyens conformément à l'article 455 du code de procédure civile, la société CNP Assurances demande à la cour de :
- confirmer le jugement déféré en ce qu'il a débouté Mme LE M. de toutes ses demandes,
- dire que Mme LE M. ne justifie plus remplir les conditions contractuelles de prise en charge du risque IT garanti, et notamment la condition médicale,
- dire qu'en application de l'alinéa 7 de l'article L. 132-1 du code de la consommation, ne sont pas réunies en l'espèce les conditions légales pour que la clause IT en cause soit examinée sous l'angle du caractère abusif et qualifiée comme tel,
- dire que la clause définissant le risque IT est claire, précise et dénuée d'ambiguïté,
- dire que Mme LE M., qui a bénéficié de la garantie pendant 21 mois ne rapporte pas la preuve d'un déséquilibre, et encore moins d'un déséquilibre significatif et, en conséquence, la débouter de toutes ses demandes,
- en conséquence, rejeter toutes les demandes de Mme LE M.,
- A titre subsidiaire, si la cour désigne un expert, dire que l'expert devra déterminer :
. la date de consolidation de l'état de santé de l'assurée,
. la date à laquelle, conformément aux dispositions contractuelles, elle peut être considérée, d'un point de vue strictement médical et en dehors de toute considération socio-professionnelle, comme apte à exercer, même à temps partiel, une activité professionnelle,
. le taux d'IPP,
en se référant exclusivement aux définitions de garanties contenues dans la notice d'assurance,
et qu'il devra établir un pré-rapport qui sera adressé aux parties afin qu'elles puissent éventuellement formuler des dires ou des observations ;
- A titre infiniment subsidiaire, si la cour ne retient pas son argumentation, la CNP ASSURANCES demande de dire que toute éventuelle prise en charge des échéances du prêt en cause ne pourra s'effectuer que dans les termes et limites contractuels et au profit de l'organisme prêteur, bénéficiaire du contrat d'assurance ;
- condamner Mme LE M. à lui verser une indemnité de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens dont distraction.
La clôture a été prononcée le 7 septembre 2020.
SUR CE, LA COUR,
Il convient de rappeler que les demandes de « dire » et/ou « juger » ne saisissent pas la cour de prétentions au sens des articles 4 et 954 du code de procédure civile.
Sur la mise en œuvre de la garantie incapacité totale
Aux termes de l'article 1134 du code civil, dans sa rédaction ici applicable, antérieure à l'entrée en vigueur de l'ordonnance du 10 février 2016 portant réforme du droit des obligations, du régime général et de la preuve des obligations, « les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites. Elles ne peuvent être révoquées que de leur consentement mutuel, ou pour les causes que la loi autorise. Elles doivent être exécutées de bonne foi ».
L'article 1315 du code civil, dans sa rédaction également antérieure à la réforme visée ci-dessus, dispose que « celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver. Réciproquement, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l'extinction de son obligation ».
L'article L. 132-1 du code de la consommation dispose notamment que « Dans les contrats conclus entre professionnels et non-professionnels ou consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non-professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat » et ce que suit :
« Sans préjudice des règles d'interprétation prévues aux articles 1156 à 1161, 1163 et 1164 du code civil, le caractère abusif d'une clause s'apprécie en se référant, au moment de la conclusion du contrat, à toutes les circonstances qui entourent sa conclusion, de même qu'à toutes les autres clauses du contrat. Il s'apprécie également au regard de celles contenues dans un autre contrat lorsque la conclusion ou l'exécution de ces deux contrats dépendent juridiquement l'une de l'autre.
Les clauses abusives sont réputées non écrites.
L'appréciation du caractère abusif des clauses au sens du premier alinéa ne porte ni sur la définition de l'objet principal du contrat ni sur l'adéquation du prix ou de la rémunération au bien vendu ou au service offert pour autant que les clauses soient rédigées de façon claire et compréhensible.
Le contrat restera applicable dans toutes ses dispositions autres que celles jugées abusives s'il peut subsister sans lesdites clauses.
Les dispositions du présent article sont d'ordre public. »
Il convient enfin de rappeler que, sur renvoi préjudiciel du tribunal de grande instance de Nîmes, la CJUE, interrogée sur l'interprétation de la directive 93/13/CEE du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, a dans un arrêt du 23 avril 2015 (Jean-Claude Van H. contre CNP Assurances SA), précisé « qu'une clause stipulée dans un contrat d'assurance et visant à garantir la prise en charge des échéances dues au prêteur en cas d'incapacité totale de travail de l'emprunteur » ne relève de l'exception figurant à l'article 4, paragraphe 2, de la directive 93/13 « que pour autant que la juridiction de renvoi constate :
- d'une part, que, eu égard à la nature, à l'économie générale et aux stipulations de l'ensemble contractuel auquel elle appartient, ainsi qu'à son contexte juridique et factuel, cette clause fixe un élément essentiel dudit ensemble qui, comme tel, caractérise celui-ci et
- d'autre part, que ladite clause est rédigée de manière claire et compréhensible, c'est-à-dire qu'elle est non seulement intelligible pour le consommateur sur un plan grammatical, mais également que le contrat expose de manière transparente le fonctionnement concret du mécanisme auquel se réfère la clause concernée ainsi que la relation entre ce mécanisme et celui prescrit par d'autres clauses, de sorte que ce consommateur soit mis en mesure d'évaluer, sur le fondement de critères précis et intelligibles, les conséquences économiques qui en découlent pour lui. »
En l'espèce, il est constant qu'à la suite de l'examen médical effectué par le docteur Yves D. le 1er avril 2014 à la demande de la société CNP ASSURANCES, Mme LE M., qui exerçait l'activité de crêpière, a été considérée en « ITT médicalement justifiée du 9 mars 2012 au 1er septembre 2013 ».
La société CNP ASSURANCES a cessé la prise en charge des échéances du prêt de Mme LE M. au motif que son état de santé ne correspondait plus à la définition du risque « Incapacité Totale » garanti par le contrat d'assurance souscrit par l'établissement de crédit auprès de la société CNP ASSURANCES, auquel Mme LE M. a adhéré le 30 mai 2001.
Les conditions générales et particulières de ce contrat d'assurance de groupe stipulent en leur article 5 que l'assurance couvre, notamment, le risque suivant (en gras dans le texte) :
« INCAPACITE TOTALE (IT) :
L'assuré est en état d'IT lorsque, à l'expiration d'une période d'interruption continue d'activité de 90 jours (dite délai de carence), il se trouve, sur prescription médicale, dans l'impossibilité de reprendre une quelconque activité rémunérée ou non à la suite d'un accident ou d'une maladie.
De plus, les assurés sociaux doivent être en mesure de justifier de prestations en espèces de la Sécurité Sociale (ou organisme assimilé) au titre d'un arrêt total de travail. Dans tous les cas à l'initiative de la CNP et à ses frais un contrôle médical peut être exercé par un médecin mandaté par elle, afin d'apprécier le caractère total de l'IT ».
* Sur la validité de la clause
Mme LE M. soutient que cette clause imprimée en très petits caractères, pas particulièrement signalée alors qu'essentielle à l'économie du contrat, n'est ni claire ni compréhensible dans sa définition de l'incapacité totale, par des termes larges et imprécis, créant en particulier une incertitude sur la portée de la garantie en question, et qu'elle a pour effet de créer un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties au détriment de l'assuré, de sorte qu'elle doit être écartée comme étant abusive, parce que contraire à l'exigence de transparence définie par l'arrêt CJUE du 23 avril 2015, et que la CNP ASSURANCES doit en conséquence être condamnée à prendre en charge les mensualités du prêt.
La CNP ASSURANCES conteste le caractère abusif de la clause, qui n'est pas une clause d'exclusion de garantie mais une clause de définition du champ d'application de ladite garantie, au motif d'une part qu'elle relève de l'objet principal du contrat, ce qui constitue une exception au mécanisme de contrôle du caractère abusif d'une clause prévue à l'article L. 132-1 alinéa 7 du code de la consommation, et d'autre part qu'elle est rédigée de façon claire, précise et compréhensible par tout individu apte à contracter un prêt, et que le risque « incapacité totale » correspond à un risque réel de sorte que la clause ne vide pas l'objet du contrat de sa substance.
La CNP ASSURANCES ajoute que l'application de la garantie n'est pas discrétionnaire mais dépend de l'état de santé de l'assurée, et qu'en toute hypothèse, il n'existe pas de déséquilibre, de surcroît significatif entre les droits et obligations des parties au contrat au détriment du non-professionnel dès lors que Mme LE M. a bénéficié de cette garantie pendant 21 mois. Elle n'est pas opposée à une expertise médicale à titre subsidiaire.
Comme l'a exactement jugé le tribunal, sur la forme, la définition de la garantie figure de manière explicite dans l'article 5 des conditions générales et particulières du contrat d'assurance, cité ci-dessus, intitulé en caractère gras et en lettres majuscules « LA GARANTIE INTERVIENT » qui liste et définit selon l'option choisie les risques garantis par le contrat d'assurances, à savoir le décès, l'invalidité permanente et absolue, l'incapacité totale, de sorte qu'il ne peut être reproché à la CNP ASSURANCES, dans la forme, de ne pas avoir explicité la clause essentielle qui définit l'objet des garanties dudit contrat, nonobstant la taille somme toute réduite mais lisible des caractères de ladite clause, et l'utilisation de caractères en gras au sein de cette clause pour la seule période de carence de 90 jours plutôt que pour la définition même de l'incapacité totale.
Sur le fond, c'est à juste titre que la CNP ASSURANCES invoque l'exception au mécanisme de contrôle du caractère abusif d'une clause prévue à l'article L. 132-1 alinéa 7 du code de la consommation, au terme duquel l'appréciation du caractère abusif d'une clause ne peut porter sur la définition de l'objet principal du contrat pour autant que les clauses soient rédigées de façon claire et compréhensible.
En effet, la clause définissant l'incapacité totale relève de l'objet principal du contrat, s'agissant d'un contrat d'assurance, ayant au terme de l'article 1er du contrat, pour objet de garantir les prêts consentis ou gérés par l'organisme prêteur notamment pour le risque incapacité totale des emprunteurs, en ce que cette clause, qui délimite le risque incapacité totale porte sur la définition de l'objet principal dudit contrat.
Cependant, la cour ne peut suivre la CNP ASSURANCES lorsqu'elle soutient que cette clause est rédigée de façon claire, précise et compréhensible par tout individu apte à contracter un prêt.
En effet, le risque « Incapacité Totale » y est définit au sein de l'article 5 précité, consacré à l'état d'incapacité totale, comme étant « l'impossibilité de reprendre une quelconque activité rémunérée ou non à la suite d'un accident ou d'une maladie ».
Une lecture littérale de cette définition ne permet pas d'en déduire que le critère d'appréciation considéré de la nature de l'activité est alternatif et non cumulatif, s'agissant d'une condition négative cumulative comme le fait valoir à juste titre Mme LE M., et encore moins que ce critère dépend de la situation de l'assuré au jour du sinistre selon qu'il exerce une activité rémunérée ou bien qu'il exerce une activité non rémunérée.
Au-delà de la référence particulièrement imprécise à « une quelconque activité rémunérée ou non », l'ambiguïté majeure de la clause définissant l'état d'incapacité totale porte sur le point de savoir si l'inaptitude garantie concerne la capacité de l'assuré à exercer sa profession habituelle ou bien tout autre activité professionnelle, quelle qu'elle soit, indépendamment de ses qualifications et compétences, et en conséquence de la possibilité concrète d'exercer toute autre profession.
La cour ajoute que l'article 1er du contrat qui délimite les garanties offertes par le contrat, ne dément pas l'acception commune de « l'incapacité », à savoir que, distincte de l'invalidité, elle correspond à l'impossibilité pour l'assuré de se livrer à son activité professionnelle.
Or, l'article 10 du contrat, « FORMALITES A REMPLIR POUR BÉNÉFICIER DES PRESTATIONS » impose, en cas d'incapacité totale, la production pour un assuré social d'un certificat médical détaillé (AMI) et le 3ème volet de l'avis d'arrêt de travail, confirmant cette interprétation de l'incapacité totale.
Il s'en déduit que la définition contractuelle de l'incapacité totale n'est pas claire et compréhensible, au sens de l'article L. 137-2, alinéa 7 du code de la consommation, en ce qu'elle ne définit pas précisément l'incapacité totale, de sorte qu'entraînant une réduction substantielle de garantie, elle a pour objet ou pour effet de créer un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au détriment du non-professionnel ou du consommateur, dès lors que Mme LE M. a acquitté des primes d'assurance qui ne garantissent pas une couverture efficiente de son risque d'incapacité professionnelle, la couverture s'étant trouvée suspendue au motif de la possibilité d'exercer une profession 100% sédentaire.
Les échanges de courriers entre la CNP ASSURANCES et Mme LE M. aux termes desquels la CNP ASSURANCES a cessé de prendre en charge le sinistre sur le fondement de l'aptitude à l'exercice d'une quelconque activité rémunérée et non sur le critère de l'activité non rémunérée ne permettent pas de lever l'ambiguïté intrinsèque au contrat.
Le fait que Mme LE M. a contesté la position de l'assureur dans son courrier du 4 mai 2014 en s'appuyant sur la position du Régime Social des Indépendants de Bretagne qui lui a reconnu une inaptitude « à toute activité professionnelle » est également inopérant sur ce point.
Enfin, contrairement à ce que la CNP ASSURANCES soutient, la prise en charge au titre de la garantie des mensualités du prêt de juin 2012 à mars 2014 ne démontre nullement que la garantie « Incapacité Totale » couvre un risque réel et l'absence d'un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat.
* Sur les conséquences de l'annulation de la clause abusive
Compte tenu de l'annulation de la clause définissant l'incapacité totale, dont l'application a eu pour conséquence une restriction discrétionnaire des garanties souscrites, la CNP sera condamnée à prendre en charge les mensualités du prêt souscrit par Mme LE M. auprès du CIF Bretagne, avec effet rétroactif au 1er avril 2014, date de l'arrêt effectif de prise en charge des mensualités, dans les termes et limites contractuels, au bénéfice de l'organisme prêteur, bénéficiaire du contrat d'assurance, comme la CNP ASSURANCES le sollicite à titre infiniment subsidiaire et sans qu'il soit nécessaire d'ordonner une expertise judiciaire.
Sur les autres demandes
Il serait inéquitable de laisser à la charge de l'Etat les frais afférents à l'aide juridictionnelle dont bénéficie Mme LE M.. En conséquence, la CNP ASSURANCES sera condamnée à payer, en application de l'article 37, alinéas 2 et 3 de la loi du 10 juillet 1990, la somme de 3 000 euros au titre des honoraires et frais que Mme LE M. aurait dû exposer si elle n'avait pas bénéficié de l'aide juridictionnelle.
Le jugement sera infirmé en ce qu'il a condamné Mme LE M. à verser à la CNP ASSURANCES la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et cette dernière, condamnée aux entiers dépens, sera déboutée de sa demande sur ce fondement.
PAR CES MOTIFS
LA COUR, statuant en dernier ressort, contradictoirement et publiquement par mise à disposition de la décision au greffe,
- Infirme le jugement déféré en ce qu'il a débouté Mme LE M. de ses demandes à l'encontre de la société CNP ASSURANCES et l'a condamnée à verser cette dernière la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Statuant à nouveau de ce chef et y ajoutant :
- Dit que la clause du contrat d'assurance emprunteur définissant l'incapacité totale n'est ni claire ni intelligible, et qu'entraînant une réduction substantielle de garantie, elle avait pour objet ou pour effet de créer un déséquilibre significatif ;
- Déclare abusive la clause définissant l'incapacité totale comme étant « l'impossibilité de reprendre une quelconque activité rémunérée ou non à la suite d'un accident ou d'une maladie » ;
- Condamne la société CNP ASSURANCES à prendre en charge les mensualités du prêt souscrit le 30 mai 2001, avec effet rétroactif au 1er avril 2014 dans les termes et limites contractuels, au bénéfice de l'organisme prêteur, bénéficiaire du contrat d'assurance ;
- Condamne la société CNP ASSURANCES à payer à Mme LE M. la somme de 3 000 euros en application de l'article 37, alinéas 2 et 3 de la loi du 10 juillet 1990 ainsi qu'aux entiers dépens ;
- Déboute la société CNP ASSURANCES de sa demande formée de ce chef et de sa demande d'expertise judiciaire.