CCE, 21 février 2008, n° M.4687
COMMISSION DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Décision
Sacyr/ Eiffage
Messieurs,
Objet : Affaire n° COMP/M.4687 – Sacyr/ Eiffage
Votre notification du 17 janvier 2008 conformément à l'article 4 du règlement du Conseil n° 139/2004.
1. Le 17 janvier 2008, la Commission a reçu notification, conformément à l’article 4 du règlement (CE) n° 139/2004 du Conseil, d’un projet de concentration par lequel l'entreprise Sacyr Vallehermoso ("Sacyr", Espagne) acquiert, au sens de l'article 3, paragraphe 1, point b), du règlement du Conseil (ci-après "Règlement concentrations"), le contrôle de l'ensemble de l'entreprise Eiffage (France) par offre publique d'échange annoncée le 19 avril 2007.
I. LES PARTIES
2. Sacyr est à la tête d'un groupe actif dans la construction immobilière et routière, le génie civil, les concessions autoroutières et le marché immobilier. Le groupe Sacyr réalise l'essentiel de son chiffre d'affaires (environ 95%) dans la péninsule ibérique.
3. Eiffage est à la tête d'un groupe actif dans la construction immobilière et routière, le génie civil, les concessions autoroutières1 et ferroviaires, les installations multitechniques et le marché immobilier. Le groupe Eiffage réalise l'essentiel de son chiffre d'affaires (environ 85%) en France.
II. L’OPERATION
4. L’opération est un projet d’offre publique d’échange, annoncé publiquement par Sacyr le 19 avril 2007 et par lequel Sacyr offre aux actionnaires d'Eiffage d’échanger leurs actions d'Eiffage selon une parité de 12 actions nouvelles de Sacyr à émettre pour 5 actions existantes d'Eiffage.
5. Sacyr, qui est active pour l'essentiel dans les mêmes secteurs d'activité que ceux d'Eiffage, souhaite par cette opération étendre son activité en France, pays limitrophe de la péninsule ibérique, d'où elle est quasiment absente.
III. LA CONCENTRATION
6. A l'issue de l'opération, Sacyr, qui détient déjà 33,32% du capital d'Eiffage, exercerait un contrôle exclusif sur Eiffage.
7. Une telle opération constitue donc une concentration au sens de l'article 3, paragraphe 1, point b), du règlement du Règlement concentrations.
IV. DIMENSION COMMUNAUTAIRE
8. Les entreprises concernées réalisent un chiffre d'affaires total sur le plan mondial de plus de 5 000 millions d’euros2 (Sacyr: 4 685 millions d'euros; Eiffage: 10 745 millions d'euros). Chacune d'entre elles réalise un chiffre d'affaires dans la Communauté de plus de 250 millions d’euros (Sacyr: […]; Eiffage: […]), mais aucune d'entre elles ne réalise plus des deux tiers de son chiffre d'affaires dans un seul et même Etat membre. L'opération a donc une dimension communautaire.
V. CARACTERE NOTIFIABLE DE L'OPERATION
9. Selon l'article 4, paragraphe 1 alinéa 2 du Règlement concentrations, la notification d'une opération de concentration de dimension communautaire peut être faite notamment dans le cadre d'une offre publique d'achat ou d'échange lorsque la ou les entreprises concernées ont annoncé publiquement leur intention de faire une telle offre.
10. Au cas d'espèce, Sacyr a annoncé par communiqué public du 19 avril 2007 son intention de lancer une offre publique d'échange sur les actions d'Eiffage en précisant qu'elle déposait le projet d'offre auprès de l’Autorité des marchés financiers ("AMF").
11. Toutefois, le projet d'offre publique d'échange de Sacyr a fait l’objet d’une décision en date du 26 juin 20073 de l'AMF, déclarant l'offre non conforme à la réglementation française boursière. L'AMF a en effet considéré qu'il existait une action de concert entre Sacyr et au moins six autres actionnaires d'Eiffage et a demandé à Sacyr agissant de concert de déposer un projet d'offre publique avec une option en numéraire sur les actions d'Eiffage, au prix le plus élevé offert par les actionnaires ayant agi de concert4.
12. Sacyr a déposé un recours contre la décision de l'AMF devant la cour d'appel de Paris le 28 juin 2007 et, à la suite du dépôt de ce recours, l'AMF a décidé de suspendre le caractère exécutoire de sa décision jusqu'au prononcé de l'arrêt de la cour d'appel, qui a été fixé à la date du 2 avril 20085.
13. En outre, Sacyr a confirmé récemment à la Commission qu'elle souhaitait toujours pouvoir lancer l'offre publique d'échange annoncée publiquement le 19 avril 20076, et ce dans le cas où la décision de l'AMF serait annulée par la cour d'appel.
14. Sur la base de ce qui précède et les autres éléments d'information dont elle dispose actuellement, la Commission considère que la présente décision concerne l'annonce publique par Sacyr de son intention de faire une offre publique d'échange sur les actions d'Eiffage, telle que figurant dans le communiqué public de Sacyr en date du 19 avril 2007 annonçant le dépôt de son projet d'offre publique d'échange auprès de l'AMF.
15. En conséquence, la Commission considère que le projet d'offre publique d'échange sur les actions d'Eiffage annoncé publiquement par Sacyr le 19 avril 2007 aboutit à une concentration de dimension communautaire pouvant être notifiée à la Commission sur le fondement de l'article 4, paragraphe 1 alinéa 2 du Règlement concentrations.
V. ANALYSE CONCURRENTIELLE
A. Définition des marchés
16. Sacyr et Eiffage sont toutes les deux actives essentiellement dans les secteurs de la construction et de l'exploitation d'autoroutes à péage.
17. En outre Sacyr et Eiffage sont également actives dans la promotion immobilière.
18. En ce qui concerne les activités de construction, Sacyr et Eiffage sont toutes les deux actives dans la construction de bâtiments et d'infrastructures (routes, voies ferrées, tunnels et ponts) en Espagne et au Portugal.
19. Par ailleurs l'opération notifiée donne lieu à des relations verticales en Espagne et au Portugal entre (i) la construction de routes (activité dans laquelle Sacyr et Eiffage sont présentes) et, d'une part, (ii) la production et la vente de granulats et d'asphalte (activité dans laquelle Eiffage est présente) et, d'autre part, (iii) la concession d'autoroutes à péage (activité dans laquelle Sacyr est active en Espagne et au Portugal et dans laquelle Eiffage est active au Portugal).
Travaux de construction
20. Lors d'affaires précédentes, la Commission a considéré qu'il convenait de distinguer la construction de bâtiments, d'une part, et la construction d'infrastructure, d'autre part7. La Commission a justifié cette distinction par le fait que ces deux activités présentaient des différences significatives en termes de compétences, de machines et de personnels.
21. En ce qui concerne la construction de bâtiments, la Commission a considéré qu'en raison du mode de passation des marchés, une distinction pouvait être faite entre les services de construction demandés par les clients publics ou commerciaux, d'une part, et les services de construction demandés par les particuliers, d'autre part8.
22. Par ailleurs, en ce qui concerne les activités de construction d'infrastructures, la Commission a posé la question, tout en la laissant ouverte, de savoir si (i) les constructions de routes, (ii) les constructions de tunnels, (iii) les constructions de ponts et (iv) les travaux divers constituaient des marchés séparés9. En outre, la Commission a laissé ouverte la question de savoir s'il convenait de distinguer un marché de la construction d'autoroutes au sein de la construction de routes10.
23. Pour les besoins de la présente décision, la question de la définition exacte des marchés au sein des activités de construction d'infrastructure peut être également laissée ouverte, dans la mesure où les conclusions de l'analyse demeurent inchangées quelles que soient les définitions de marché retenues.
24. La Commission a considéré que les marchés évoqués ci-dessus étaient de dimension nationale.
Production de granulats et d'enrobés
25. La Commission a eu l'occasion d'identifier des marchés séparés pour (i) les granulats et (ii) les enrobés, qui sont des produits utilisés pour la construction de routes11. Elle a délimité les marchés géographiques correspondants par des rayons autour des sites de production, qui sont de l'ordre (i) de 50 à 80 kilomètres pour les granulats et (ii) de 80 à 100 kilomètres, avec un temps maximal de transport de trois heures, pour les enrobés.
Autoroutes à péage
26. En matière d'autoroutes à péage, la Commission a eu l'occasion d'identifier deux marchés séparés, à savoir (i) la dévolution des contrats de concession d'infrastructures autoroutières, et (ii) l'exploitation des autoroutes à péage12.
27. La Commission a considéré que le marché géographique de la dévolution des contrats de concession d'infrastructures autoroutières s'étendait probablement à l'Espace économique européen (EEE), tout en laissant ouverte la possibilité de l'existence d'un marché national.
28. En ce qui concerne le marché de l'exploitation des autoroutes à péage, la Commission a considéré que sa délimitation géographique reposait sur la base de trajets allant d'un point à un autre, les différentes autoroutes n'étant pas substituables dès lors qu'elles couvrent des itinéraires distincts.
Promotion immobilière
29. La Commission a déjà envisagé l'existence d'un marché de la promotion immobilière, ainsi qu'au sein de ce dernier la possibilité de distinguer l'immobilier d'entreprise, d'une part, et l'immobilier résidentiel, d'autre part. En outre, au sein de l'immobilier d'entreprise, la Commission a également envisagé l'existence de marchés séparés pour (i) les bureaux, (ii) les locaux commerciaux et (iii) les locaux industriels13.
30. La Commission a considéré que le marché était au plus de dimension nationale, tout en laissant ouverte la question d'une dimension infranationale.
31. Au cas d'espèce, la question de la définition exacte du marché en cause peut être laissée ouverte. En effet, l'opération ne donne lieu à aucun chevauchement puisqu'en matière de promotion immobilière Sacyr n'est active qu'en Espagne et au Portugal alors qu'Eiffage n'est pas présente dans ces deux pays.
B. Appréciation des effets de l'opération
Effets horizontaux
32. En ce qui concerne les marchés relevant des travaux de construction, les activités de Sacyr et d'Eiffage ne se chevauchent qu'en Espagne et au Portugal. Toutefois, la part de marché combinée des deux groupes est nettement inférieure à 15% quel que soit le marché de produit envisagé.
33. En ce qui concerne le marché de la dévolution des contrats de concession d'infrastructures autoroutières, la part de marché combinée de Sacyr et d'Eiffage est également nettement inférieure à 15%, quel que soit le marché géographique retenu ([5-10] % dans l'espace économique européen; environ [0-5]% au Portugal, seul pays où les activités des deux groupes se chevauchent sur ce marché).
34. En ce qui concerne le marché de l'exploitation des autoroutes à péage, Sacyr et Eiffage sont toutes les deux présentes sur ce marché au Portugal. Toutefois, leurs activités ne se chevauchent sur aucun marché géographique défini sur la base de trajets allant d'un point à un autre14.
35. Sur la base de ce qui précède, la Commission considère que l'opération notifiée n’est pas susceptible d'entraver de manière significative une concurrence effective sur les marchés des travaux de construction, de la dévolution des contrats de concession d'infrastructures autoroutières et de l'exploitation des autoroutes à péage.
Effets verticaux
36. Sacyr et Eiffage sont toutes les deux présentes sur les marchés espagnols et portugais de la construction de routes, qui sont situés en aval des marchés des granulats et des enrobés sur lesquels Eiffage est active en Espagne et au Portugal.
37. Toutefois, les parts de marchés d'Eiffage sur les marchés des granulats et des enrobés et les parts de marché combinées de Sacyr et d'Eiffage sur les marchés de la construction de routes sont nettement inférieures à 25%. L'opération ne donne donc lieu à aucun marché affecté en termes de relations verticales, et sur tous ces marchés concernés il apparaît qu'il existe de nombreux autres concurrents.
38. Par ailleurs, Sacyr et Eiffage sont toutes les deux présentes sur les marchés de la dévolution des contrats de concession d'infrastructures autoroutières et de l'exploitation des autoroutes à péage (Sacyr en Espagne ; Sacyr et Eiffage au Portugal), situés en aval des marchés de la construction de routes sur lesquels Sacyr et Eiffage sont également actives en Espagne et au Portugal.
39. L'opération notifiée donne lieu à des marchés affectés en termes de relations verticales, uniquement si l'on considère un marché national espagnol de la dévolution des contrats de concession d'infrastructures autoroutières15. En effet, selon une récente décision de l'autorité espagnole de concurrence, Sacyr aurait une part de marché de 32% sur ce marché espagnol16.
40. Toutefois, il convient de noter que le principal concurrent de Sacyr sur le marché de la de la dévolution des contrats de concession d'infrastructures autoroutières, Albertis, a une part de marché nettement supérieure (environ 54%17) à celle de Sacyr. De surcroît la part de marché combinée d'Eiffage et de Sacyr sur le marché de la construction de routes est nettement inférieure à 15%18, et de nombreux autres concurrents sont actifs sur ce marché, plusieurs d'entre eux ayant des parts de marché supérieures à celles de la nouvelle entité (Dragados: [20-30]%; Ferrovial Agroman: [20-30]%; Acciona Infraestructuras: [10-20]%).
41. Sur la base de ce qui précède, la Commission considère que les effets verticaux de l'opération notifiés ne seront pas susceptibles de conférer à la nouvelle entité la capacité à verrouiller, en Espagne et au Portugal, les marchés (i) de la construction des routes (ii) des granulats (iii) des enrobés, (iv) de la dévolution des contrats de concession d'infrastructures autoroutières et (v) de l'exploitation des autoroutes à péage. En conséquence, la Commission considère que l'opération notifiée n'est pas susceptible d'entraver de manière significative une concurrence effective sur ces marchés.
VI. CONCLUSION
42. Pour les raisons exposées ci-dessus, la Commission a décidé de ne pas s'opposer à l'opération notifiée et de la déclarer compatible avec le marché commun et avec l'accord EEE. Cette décision est prise sur la base de l'article 6, paragraphe 1, point b, du règlement du Conseil n° 139/2004.
1 Notamment au travers de sa participation dans la société Autoroutes Paris-Rhin-Rhône (APRR), lui
conférant un contrôle conjoint sur cette dernière (voir la décision de la Commission en date du 15
février 2006 dans le cas COMP/M. 4087 Eiffage / Macquarie / APRR).
2 Chiffre d’affaires calculé conformément à l’article 5(1) du règlement relatif au contrôle des
opérations de concentrations et à la communication de la Commission sur le calcul du chiffre
d’affaire (JO C 66, du 2.3.1999, p. 25). Les chiffres d'affaires de Sacyr et Eiffage mentionnés sont
relatifs à l'année 2006.
3 Décision n° 207C1202 de l'AMF.
4 Selon la décision de l'AMF, Sacyr est également tenue de déposer ou de s'engager à déposer un projet
d'offre publique irrévocable et loyale visant APRR (sur laquelle Eiffage exerce un contrôle conjoint),
au plus tard à la date d'ouverture de l'offre publique visant Eiffage déclarée conforme par l'AMF.
5 La date du 2 avril 2008 a été fixée lors de l'audience à la cour d'appel ayant eu lieu le 5 février 2008.
6 […].
7 Voir par exemple le cas IV/M.874 AMEC / Financière SPIE Batignolles / SPIE Batignolles (décision
du 6 février 1997).
8 Voir le cas IV/M. 874, précité.
9 Voir le cas COMP/ M.3754 Strabag / Dywidag (décision du 23 juin 2005).
10 Voir le cas COMP/M. 4087 Eiffage / Macquarie / APRR, précité.
11 Voir par exemple le cas COMP/M.4298 Foster Yeoman/Aggregates Industries (décision du 6
septembre 2006).
12 Cas COMP/M. 4087 Eiffage / Macquarie / APRR, précité, et COMP/M. 4249 Albertis / Autostrade
(décision du 22 septembre 2006).
13 Voir par exemple le cas COMP/M.3370 - BNP Paribas/Atis Real International (décision du 9 mars
2004).
14 Sacyr exploite le réseau Autoestradas de Atlantico, alors qu'Eiffage exploite le réseau Norscut. Ces
deux réseaux ne desservent pas les mêmes destinations et ne sont pas interconnectés.
15 Ainsi que déjà indiqué, Sacyr et Eiffage ont une part de marché combinée d'environ [5-10]% sur ce marché dans l'EEE.
16 Voir la décision du Servicio de Defensa de la Competencia n° N-07039 Sacyr/ Europistas du 18 mai
2007. Toutefois, Sacyr est en désaccord avec la méthode de calcul utilisée par l'autorité de
concurrence espagnole et estime qu'en réalité sa part de marché serait au maximum de [20-30]% sur
ce marché.
17 Part de marché mentionnée dans la décision du Servicio de Defensa de la Competencia n° N-07039
Sacyr/ Europistas du 18 mai 2007. Sacyr propose une estimation différente, soit une part de marché
d'au plus [40-50]% pour Albertis.
18 Cela serait également le cas si l'on considérait un marché plus étroit de la construction d'autoroutes.