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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 18 novembre 2020, n° 19/00938

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Intertrade Europe SRL (Sté)

Défendeur :

HI France (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Dallery

Conseillers :

M. Gilles, Mme Depelley

T. com. Paris, du 13 déc. 2018

13 décembre 2018

FAITS ET PROCEDURE

La société Intertrade Europe a pour activité la distribution de parfums.

La société HI France a pour activité la fabrication et la commercialisation de parfums et cosmétiques. Elle a été créée en 2009 par Mme X et la société Intertrade Europe, associés à 50 % chacun. M. y, actionnaire majoritaire de la société Intertrade Europe, et Mme X ont été nommés cogérants de la société HI France.

La société HI France a créé une gamme de parfums commercialisée sous la marque « SoOud » dont elle a confié à la société Intertrade Europe, par contrat du 1er mars 2010, la distribution exclusive hors de France.

Par lettre du 14 septembre 2012, la société HI France a notifié à la société Intertrade Europe la résiliation du contrat de distribution aux motifs que les objectifs de celui-ci n'avaient pas été atteints.

Ensuite, un conflit s'est développé entre les deux cogérants de la société HI France, aboutissant à leur révocation et à la nomination d'un administrateur provisoire par jugement du tribunal de commerce de Paris du 11 décembre 2015, confirmé par arrêt du 29 novembre 2016 de la cour d'appel de Paris.

Entre temps, par actes des 20 et 21 décembre 2012, M. Z revendiquant avoir créé les produits de la gamme « SoOud », a assigné les sociétés HI France et Intertrade Europe en contrefaçons de ses droits d'auteur.

Par arrêt du 10 mars 2017, la cour d'appel de Paris a dit que M. Z est l'auteur du nom « SoOud », des dessins et logos de la marque déposée sous ce nom, des textes de présentation des produits et de l'ensemble constitué par la réunion des noms de parfums de la gamme « SoOud ». Les sociétés HI France et Intertrade Europe ont été condamnées pour contrefaçon et il a été fait interdiction aux sociétés HI France et Intertrade Europe de reproduire ou faire reproduire, représenter ou faire représenter les oeuvres de M. Z.

Le 17 mars 2017, la société Intertrade Europe a sollicité de l'administrateur provisoire de la société HI France, le transfert des composants des produits « SoOud », pour poursuivre leur fabrication et distribution à l'étranger.

Par courriers des 10 avril et 9 mai 2017, se prévalant de l'arrêt de la cour d'appel précité, l'administrateur provisoire de la société HI France a indiqué l'arrêt de l'activité de production des produits exploités sous la marque SoOud, et invité la société intertrade Europe à s'abstenir de toute commercialisation des stocks qu'elle détenait pour le compte de HI France et à transférer ces stocks sans délai dans les locaux du prestataire missionné par HI France.

Considérant que ce refus constituait une rupture brutale et abusive du contrat de distribution, la société Intertrade Europe a assigné par acte du 28 juillet 2017, la société HI France devant le tribunal de commerce de Paris.

Par un jugement du 13 décembre 2018, le Tribunal de commerce de Paris a :

- débouté la société Intertrade Europe de sa demande d'indemnité de résiliation au titre de l'article 13-5 du contrat ;

- débouté la société Intertrade Europe de sa demande d'indemnité en compensation du préjudice subi au titre de la rupture brutale ;

- débouté la société Intertrade Europe de sa demande d'indemnité au titre de la garantie d'éviction ;

- débouté la société Intertrade Europe de sa demande de dommages et intérêts pour préjudice d'image ;

- débouté la société HI France, prise en la personne de son administrateur provisoire, Maître A de sa demande reconventionnelle en paiement de factures et de sa demande d'expertise.

- condamné la société Intertrade Europe à payer à la SARL HI France, prise en la personne de son administrateur provisoire, Maître A la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 CPC ;

- ordonné l'exécution provisoire des décisions de débouté sans constitution de garantie ;

- rejeté les demandes des parties autres, plus amples ou contraires ;

- condamné la société de droit italien Intertrade Europe aux dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 78,36 € dont 12,85 € de TVA.

Le 11 janvier 2019, la société Intertrade Europe a interjeté appel de ce jugement.

Par conclusions, notifiées et déposées le 11 avril 2019, la société Intertrade Europe demande à la cour, au visa des articles 1625 du code civil et L. 442-5 du Code de Commerce, de :

Infirmer le jugement du Tribunal de Commerce de Paris rendu le 13 décembre 2018 en ce qu'il a :

- débouté la société de droit italien Intertrade Europe de sa demande d'indemnité de résiliation au titre de l'article 13-5 du contrat

- débouté la société de droit italien Intertrade Europe de sa demande d'indemnité en compensation du préjudice subi au titre de la rupture brutale ;

- débouté la société de droit italien Intertrade Europe de sa demande d'indemnité au titre de la garantie d'éviction ;

- débouté la société de droit italien Intertrade Europe de sa demande de dommages et intérêts pour préjudice d'image ;

- condamné la société de droit italien Intertrade Europe de à payer à la SARL HI France, prise en la personne de son Administrateur Provisoire, Maître A la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 CPC ;

- ordonné l'exécution provisoire des décisions de débouté sans constitution de garantie ;

- condamné la société de droit italien Intertrade Europe aux dépens, dont ceux à recouvrer par greffe, liquidés à la somme de 78,36 € dont 12,85 € de TVA.

Statuant à nouveau :

A titre principal,

- dire et juger que la société HI France a résilié ou interrompu unilatéralement le contrat de distribution du 1er mars 2010 en 2017 ;

- dire et juger cette résiliation unilatérale constitutive d'une rupture brutale de relations commerciales établies ;

En conséquence,

- condamner la société HI France à verser à la société Intertrade Europe la somme de 393 152,42 € en application de l'article 13-5 du Contrat de distribution du 1er mars 2010 ;

- condamner HI France à verser à Intertrade Europe la somme de 350 000 € en réparation du préjudice subi pour la rupture brutale de relations commerciales établies ;

A titre subsidiaire,

- dire et juger que la société HI France a manqué à son obligation due au titre de la garantie d'éviction ;

En conséquence

- dondamner HI France à verser à Intertrade Europe la somme de 393 152,42 € en réparation du préjudice subi ;

En tout état de cause,

- condamner HI France à verser à Intertrade Europe la somme de 100 000 € en réparation du préjudice subi pour atteinte à son Image ;

- condamner HI France à verser à Intertrade Europe la somme de 10 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner HI France aux entiers dépens, dont distraction au profit de la SELARL Aston.

Par conclusions, notifiées et déposées le 11 juillet 2019 par la société HI France, il est demandé à la cour d'appel de confirmer le jugement en ce qu'il a débouté la société Intertrade Europe de toutes ses demandes et de l'infirmer en ce qu'il a débouté la société HI France de sa demande reconventionnelle en paiement de factures et de sa demande d'expertise. Statuant à nouveau, il est demandé de :

- condamner la société Intertrade Europe à payer à HI France la somme de 727 390,99 euros sauf à parfaire,

- ordonner la désignation d'un expert judiciaire avec pour mission de :

1- déterminer le volume et le montant des ventes de produits « SoOud» réalisées par Intertrade Europe au cours des exercices 2012 à 2017,

2- déterminer si ces ventes ont donné lieu à la facturation correspondante par HI France

3- se faire communiquer tous documents et pièces qu'il estimera utile à l'accomplissement de sa mission,

4- entendre tout sachant susceptible de l'éclairer utilement dans l'accomplissement de sa mission et, notamment, les fournisseurs et sous-traitants de la société HI France,

- condamner la société Intertrade Europe à payer à la société HI France la somme de 20 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- condamner la société Intertrade Europe aux entiers dépens.

Par conclusions, notifiées et déposées le 7 septembre 2020 par la société HI France, il est demandé à la cour, au visa des articles 1128 et 1134 du code civil dans leur rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016, de :

Confirmer le jugement du Tribunal de commerce de Paris du 13 décembre 2018 en ce qu'il :

- déboute la société de droit italien INTERTRADE EUROPE de sa demande d'indemnité de résiliation au titre de l'article 13-5 du contrat ;

- déboute la société de droit italien INTERTRADE EUROPE de sa demande d'indemnité en compensation du préjudice subi au titre de la rupture brutale ;

- déboute la société de droit italien INTERTRADE EUROPE de sa demande d'indemnité au titre de la garantie d'éviction ;

- déboute la société de droit italien INTERTRADE EUROPE de sa demande de dommages et intérêts pour préjudice d'image ;

- condamne la société de droit italien INTERTRADE EUROPE à payer à la SARL HI France, prise en la personne de son Administrateur Provisoire, Maître A la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- ordonne l'exécution provisoire des décisions de débouté sans constitution de garantie ;

- condamne la société de droit italien INTERTRADE EUROPE aux dépens, dont ceux à recouvrer par greffe, liquidés à la somme de 78,36 € dont 12,85 € de TVA.

- débouter la société Intertrade Europe de toutes ses demandes, fins et conclusions,

Recevoir HI France en son appel incident,

Infirmer le jugement du Tribunal de commerce de Paris du 13 décembre 2018 en ce qu'il :

-déboute la SARL HI France, prise en la personne de son Administrateur Provisoire, Maître A de sa demande reconventionnelle en paiement de factures ;

Statuant à nouveau :

- condamner Intertrade Europe à payer à HI France la somme de 587 516,29 € majorée des intérêts au taux légal à compter du 10 juillet 2017, date de la mise en demeure de payer.

- condamner la société Intertrade Europe à payer à la société HI France la somme de 20 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- condamner la société Intertrade Europe aux entiers dépens.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 22 septembre 2020.

Par conclusions, notifiées et déposées le 22 septembre 2020 à 2h20, la société Intertrade Europe a répliqué aux conclusions du 7 septembre 2020 de la société HI France, sur sa demande en paiement réduite à la somme de 587 516,29 euros et des nouvelles pièces communiquées, notamment un rapport d'expertise amiable.

Par conclusions d'incident, notifiées et déposées le 25 septembre 2020, adressées à la Cour, la société HI France demande à titre principal de révoquer l'ordonnance de clôture du 22 septembre 2020 et de recevoir les conclusions notifiées par HI France le 25 septembre 2020 en réponse aux dernières conclusions notifiées par la société Intertrade le 22 septembre 2020. A titre subsidiaire, il est demandé de rejeter des débats les conclusions et pièces notifiées par la société Intertrade Europe le 22 septembre 2020.

SUR CE, LA COUR

1- Sur la procédure

Les conclusions de dernières heures (22 septembre 2020 à 2h20) de la société Intertrade Europe accompagnées de nouvelles pièces ne permettant pas à la société HI France d'y répliquer en temps utile avant l'ordonnance de clôture, doivent être déclarées irrecevables. De surcroît, la société Intertrade est irrecevable à conclure dès lors qu'aucune conclusion n'a été remise dans le délai imparti à l'article 910 du code de procédure civile sur l'appel incident de la société HI France.

Aucune cause grave ne justifie la révocation de l'ordonnance de clôture. Les conclusions postérieures de la société HI France du 25 septembre 2020 doivent être déclarées irrecevables ainsi que sa nouvelle pièce écartée.

2- Sur les demandes de la société Intertrade Europe

La société Intertrade Europe fait valoir, que le contrat de distribution signé entre les parties le 1er mars 2010 et dont l'exécution s'est poursuivie jusqu'en 2017 malgré la notification d'une résiliation non fondée de la société HI France en 2012, a été résilié abusivement et brutalement par l'administrateur provisoire de la société HI France le 9 mai 2017, qui a fait interdiction à la société Intertrade de commercialiser les stocks de produits HI France qu'elle détient dans ses entrepôts en Italie. La société Intertrade Europe soutient que la portée de l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 10 mars 2017 est limitée au territoire français et se trouve sans incidence sur les activités de la société Intertrade Europe, qui bénéficie du droit exclusif de distribuer les produits de la gamme « SoOud » dans le monde entier, sauf la France. Aucun préavis n'ayant été donné par l'administrateur provisoire, la société Intertrade Europe estime que le contrat a été résilié de manière brutale et sollicite la somme de 350 000 euros en réparation du préjudice subi à ce titre et la somme de 100 000 en réparation à l'atteinte à son image.

Par ailleurs, la société Intertrade Europe s'estimant confrontée par ce courrier du 9 mai 2017 à la résiliation unilatérale par la société HI France du contrat de distribution, elle réclame l'application de l'article 13-5 dudit contrat, en ce qu'elle qualifie être une clause compensatoire de « retour sur investissement » à son profit, correspondant à 5 % de son chiffre d'affaires par année, du 1er mars 2010 au 9 mai 2017, date de sa résiliation, soit un montant total de 393 152,88 euros. La société Intertrade Europe précise que cette clause s'applique indépendamment de toute faute dans la résiliation ou interruption, et soutient que pouvant être qualifiée de clause pénale, elle s'applique quand bien même le contrat serait caduc.

Subsidiairement, la société Intertrade Europe fait valoir que les deux sociétés ont conclu un contrat de distribution exclusive portant sur des produits libres de droit et que la cession d'un produit susceptible d'être jugé contrefaisant au regard de l'article L. 335-2 du code de la propriété intellectuelle constitue un manquement à la garantie d'éviction. Elle sollicite à ce titre la somme de 393 152, 42 euros.

La société HI France pour conclure au rejet de l'ensemble des demandes de la société HI France, fait observer qu'elle a notifié la résiliation du contrat de distribution par courrier des 14 septembre et 11 octobre 2012 en application de l'article 14 du contrat. Elle ajoute que malgré cette résiliation et sans tenir compte de ces courriers, M. y utilisait sa qualité de co-gérant de la société HI France et de dirigeant et principal associé de la société Intertrade Europe pour continuer la distribution des produits de HI France en s'approvisionnant directement auprès des fournisseurs et sous-traitant des produits « SoOud ». Par l'effet de l'arrêt du 10 mars 2017, la société HI France soutient que les sociétés HI France et Intertrade Europe se sont vues interdire, sans limitation, la fabrication et la commercialisation des produtis « SoOud », en France et à l'étranger, M. Z ayant été reconnu comme seul titulaire des droits d'auteur portant sur les produits précités. Dès lors, la société HI France prétend comme l'a retenu le tribunal de commerce, que le contrat de distribution est devenu caduc son objet étant devenu illicite, et la société Intertrade Europe ne pouvant demander l'application de l'article 13-5 de ce contrat, qui ne peut être qualifié de clause pénale.

La société HI France soutient en outre qu'il n'y avait pas entre les parties de relation commerciale établie au sens de l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce, dans sa version applicable au litige, dès lors que le 14 septembre 2012 une résiliation du contrat de distribution a été notifiée par HI France et qui n'a jamais été contestée par la société Intertrade Europe, et celle-ci ne démontrant pas que la distribution des produits par celle-ci s'est poursuivie dans les conditions du contrat de distribution. La société HI France soutient que dès 2012, elle a averti la société Intertrade Europe du risque de contrefaçon des produits litigieux et qui s'est réalisé par l'introduction de la procédure par M. Z, à laquelle la société Intertrade était partie.

Au préalable, il convient de constater que le contrat de distribution signé entre les sociétés HI France et Intertrade Europe le 1er mars 2010 prévoit en ses articles 1 et 2.1 que HI France concède à Intertrade Europe, pour la durée du contrat, le droit exclusif de vendre et distribuer, sur le monde entier sauf la France, la gamme de ses parfums, parfums d'intérieurs, cosmétiques, huiles essentielles, maquillage ainsi que tout produit se rattachant à ce secteur, vendus sous la marque déposée SOOUD.

Il est précisé à l'article 4.2 que les marchandises sont facturées « départ Paris » et à l'article 5.3 que les factures seront payables à 30 jours date de facture fin de mois.

Au titre « objectif », l'article 11 stipule que « Intertrade Europe au comme objectif au cours de la première période contractuelle de 12 mois à compter de la date de disponibilité des Produits » L'ouverture de points de vente pour le nombre total prévu dans le business plan ci-joint (Annexe 1). A défaut de la réalisation de 80% de cet objectif de points de vente, sauf en cas de force majeure, HI France, aura la possibilité de résilier le contrat à la fin de la première période contractuelle, en respectant un préavis de six mois. A la fin de la première période contractuelle, ayant pris acte de la marche des affaires, les parties fixeront d'un commun accord les objectifs à réaliser par Intertrade Europe dans les périodes contractuelles suivantes. »

A l'article 14 « résiliation anticipée et indemnité », il est stipulé :

« 13.1 En cas de manquement par l'une des parties, à l'une quelconque des obligations prévues au présent contrat, l'autre partie pourra dénoncer celui-ci à tout moment par lettre recommandée a.r adressée à la partie défaillante, si cette dernière ne mettait pas fin ou n'apportait pas remède à l'infraction dénoncée dans le délai de trente jours suivant la réception d'une mise en demeur adressée par lettre recommandée avec a.r

13.5 En considération de l'apport d'Intertrade Europe à la valeur de la marque et au développement de la clientèle, dans l'hypothèse de cession à tiers de la société ou de la marque identifiante les Produits ou dans l'hypothèse de résiliation ou interruption du contrat de la part de HI France, cette-ci payera à Intertrade Europe une somme à titre d'indemnité de résiliation. Cette somme sera le 5% de la moyenne du volume des ventes développé par Intertrade Europe dans chaque année, même si partielle, du contrat. Le montant qui résulte du calcul du pourcentage pour chaque année du contrat sera sommée jusqu'à maximum dix années, qui représentent 100% de l'indemnité. »

Sur la demande fondée sur la rupture brutale des relations commerciales et celle relative à l'atteinte à l'image

L'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce dans sa rédaction applicable au litige dispose qu'engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers, de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels.

La relation commerciale, pour être établie au sens des dispositions susvisées, doit présenter un caractère suivi, stable et habituel. Le critère de la stabilité s'entend de la stabilité prévisible, de sorte que la victime de la rupture devait pouvoir raisonnablement anticiper pour l'avenir une certaine continuité du flux d'affaires avec son partenaire commercial.

La société HI France soutient qu'il n'y avait pas entre les parties de relation commerciale établie au sens de l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce. La société Intertrade Europe soutient que le contrat de distribution s'est exécuté jusqu'au 9 mai 2017, date à laquelle l'administrateur provisoire a résilié abusivement et brutalement ce contrat en faisant interdiction à la société Intertrade Europe de commercialiser les stocks de produits HI France qu'elle détenait dans ses entrepôts en Italie.

Il est justifié que par courrier du 25 juillet 2012, la société HI France faisait état à la société Intertrade Europe de divers manquements au contrat de distribution, dont le non-respect des objectifs prévus à l'article 11, et mettait celle-ci en demeure de se conformer au contrat dans un délai de 30 jours, à défaut la société HI procéderait à la résiliation du contrat. Sans réponse de la société Intertrade Europe, la société HI France lui a notifié en application de l'article 14 la résiliation du contrat par lettre du 14 septembre 2012. Par lettre du 26 septembre 2012, la société Intertrade a contesté cette résiliation. Par lettre du 11 octobre 2012, la société HI France, par l'intermédiaire de son conseil, a maintenu la résiliation du contrat, invoqué d'autres manquements de la société Intertrade Europe dont le fait que celle-ci continuait à s'approvisionner auprès des fournisseurs de la société HI France pour poursuivre la distribution des produits.

Il n'est pas démontré par la société Intertrade Europe que celle-ci a contesté la résiliation du contrat autrement que par l'envoi du courrier précité et que la distribution des produits de la gamme « SoOud » de la société HI France s'est poursuivie dans les termes du contrat de distribution précité jusqu'en 2017.

Depuis la notification de la résiliation du contrat en 2012, la société HI France soutient que M. y, utilisant sa qualité de co-gérant de la société HI France et de dirigeant et principal associé de la société Intertrade Europe, s'est approvisionné directement auprès des fournisseurs et sous-traitant d'HI France pour obtenir livraison des produits litigieux. HI France précise que les travaux de l'administrateur provisoire ont mis en lumière qu'une partie des livraisons effectuées au profit de la société Intertrade Euorpe ont été compensés de façon unilatérale par l'émission d'avoirs par HI France au profit d'intertrade Europe et n'ont pas fait l’objet de facturation à l'égard d'intertrade Europe par HI France. Il est ajouté que l'analyse des factures émises par HI France entre 2015 et 2016 fait ressortir que la société est passée d'un système de vente « classique » à un système de vente en consignation, non prévu par le contrat de distribution, permettant à la société Intertrade Europe de n'être facturée par HI France qu'au fur et à mesure de ses propres ventes. Il est ajouté que M. P., n'a jamais reçu de commandes ou de prévisionnel de commandes d'Intertrade Europe depuis sa désignation comme administrateur provisoire.

La société Intertrade Europe n'apporte aucun élément venant contredire les explications de la société HI France. En outre, pour justifier du maintien en vigueur du contrat de distribution jusqu'en 2017 et de l'existence d'une relation commerciale établie, la société Intertrade Europe invoque seulement le fait que la résiliation de 2012 n'était pas fondée et que des produits de la gamme « SoOud » ont été vendus entre juillet 2016 et septembre 2017 par la société Intertrade Europe France pour le compte de HI France au magasin Le Printemps et directement facturés par celle-ci.

Or ces ventes réalisées en France ne peuvent accréditer la poursuite du contrat ou du moins d'une relation commerciale consistant en une distribution hors de France des produits litigieux. En outre, il est produit aux débats un contrat fixant les conditions commerciales 2016 conclu entre la société Printemps et la société HI France, représentée par M. y alors que celui-ci avait été révoqué de ses fonctions de gérant depuis le 11 décembre 2015 par le tribunal de commerce de Paris.

Par ailleurs, il résulte de l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 29 novembre 2016 confirmant le jugement précité révoquant M. y de ses fonctions de gérant, que celui-ci avait fait preuve d'une gestion très personnelle de la société HI France non conforme à son intérêt social et que les comptes de cette société n'avaient pas été arrêtés depuis 2012 en raison du conflit entre les cogérants.

Enfin, dès le courrier de la société HI France du 11 octobre 2012, celle-ci fait état de l'action en contrefaçon de la part de la société SHL au titre de l'utilisation de produits pour lesquels les droits d'auteur n'ont pas été payés. La société Intertrade Europe, elle-même a été assignée par M. Z en contrefaçon de ses droits d'auteur, et a été partie à l'instance ayant donné lieu à l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 10 mars 2017 condamnant les deux sociétés pour contrefaçon des produits litigieux en France et leur faisant interdiction de reproduire ou faire reproduire, représenter ou faire représenter les oeuvres de M. Z sous astreinte de 500 euros par infraction constatée.

Le refus de l'administrateur provisoire de la société HI France de faire droit aux demandes de la société Intertrade Europe dans ses courriers des 10 avril et 9 mai 2017, aux motifs qu'elle n'entendait pas poursuivre la production à l'étranger des produits litigieux, dès lors que cette activité resterait contraire au droit d'auteur dont bénéficie M. Z, quand bien même la protection effective de son droit d'auteur supposerait d'engager une nouvelle action judiciaire à l'étranger, est une position à laquelle la société Intertrade Europe devait s'attendre compte tenu du risque entrepris et du contexte précité des relations entre les deux sociétés.

Il résulte de l'ensemble de ces éléments, qu'il n'existait pas entre les sociétés HI France et Intertrade Europe depuis 2012 de relations commerciales établies au sens de l'article L.442-6, I, 5° précité entre 2012 et 2017. La société Intertrade Europe sera dès lors déboutée de sa demande de 350 000 euros en réparation du préjudice subi d'une rupture brutale des relations commerciales établies. Le jugement sera confirmé sur ce point.

La société Intertrade Europe qui fonde sa demande en paiement de 100 000 euros réparation d'un préjudice d'image sur le caractère soudain de la rupture, sera débouté de sa demande au regard de ce qui précède. Le jugement sera confirmé sur ce point.

Sur la demande en paiement en application de l'article 13-5 du contrat de distribution du 1er mars 2010 et de la garantie d'éviction

Il résulte de ce qui précède que la société Intertrade Europe ne peut se prévaloir d'une résiliation du contrat de distribution par les courriers de l'administrateur provisoire des 10 avril et 9 mai 2017 et demander l'application de l'article 13-5 dudit contrat pour le paiement d'une indemnité de résiliation à ce titre, dès lors qu'il n'est pas démontré la poursuite du contrat de distribution entre les parties jusqu'à cette date.

Au surplus, la société Intertrade Europe ne peut demander le paiement d'une indemnité de résiliation à la suite des courriers de l'administrateur provisoire des 10 et 9 mai 2017 en application d'un contrat dont l'objet, à cette date, était en toute hypothèse illicite et partant caduc. En effet, comme l'a retenu la cour d'appel de Paris dans son arrêt du 10 mars 2017, il résulte des termes du contrat de distribution conclu entre les parties que les marchandises sont facturées "départ France", ce qui signifie que la société Intertrade Europe achète des produits contrefaisants à la société HI France. La caducité du contrat exclut l'application de la clause de ce contrat stipulant à son article 13-5, non une clause pénale, mais une indemnité de résiliation.

En conséquence, la société Intertrade Europe sera déboutée de sa demande en paiement de la somme de 393 152,42 euros à ce titre et le jugement sera confirmé sur ce point.

Sur la demande subsidiaire d'application de la garantie d'éviction, le tribunal a retenu par de justes motifs, qui ne sont pas utilement contredits par la société Intertrade Europe au soutien de son appel, et que la cour adopte, que la société Intertrade Europe n'établit pas qu'elle a reçu des produits d'HI France depuis le 10 avril 2017, ni qu'elle possède un stock de produits contrefaits, ni ne démontre d'un préjudice subi à ce titre.

La société Intertrade Europe sera déboutée de sa demande en paiement de la somme de 393 152,42 euros en application de la garantie d'éviction. Le jugement sera confirmé sur ce point.

 

3 - Sur la demande de la société HI France

Sur appel incident, et en l'état de ses dernières conclusions du 7 septembre 2020, la société HI France demande la condamnation de la société Intertrade Europe à lui payer la somme de 587 516,29 euros en paiement de factures non réglées par la société Intertrade Europe et renonce à sa demande d'expertise judiciaire en application de l'article 143 du code de procédure civile.

A l'appui de sa demande, la société HI France produit une lettre de mise en demeure du 10 juillet 2017, un rapport d'expertise du 24 juillet 2019 et des pièces relatives aux comptes sociaux de la société HI France de 2014 à 2018 et un extrait de compte.

Il ressort du rapport d'expertise établi par la société Exafi à la demande de la société HI France, que des comptes provisoires ont été établis par l'expert-comptable de 2012 à 2016 et n'ont pas été approuvés par les associés M. P. et la société Intertrade Europe.

Le rapport d'expertise qui évalue la créance de la société HI France à l'égard de la société Intertrade Europe à la somme de 587 516,29 euros, expose sa démarche de la manière suivante :

« Compte tenu :

- d'une comptabilité sur laquelle on ne peut totalement s'appuyer à ce jour,

- qu'Intertrade Europe établissait les factures de vente, dont pour elle-même

- qu'Intertrade Europe a établi les avenants de septembre 2015, modifiant les conditions de ventes, et sans qu'un inventaire physique soit établi

Aucun contrôle interne ne permet de valider en l'état les comptes présentés entre les parties.

En conséquence nos travaux ont consisté à s'appuyer sur la seule base pour laquelle une confirmation externe existe : la livraison de produits par une société de logistique CPC.

Notre démarche est la suivante :

- rapprochement des bons de livraison avec les factures et avoirs,

- annulation de la facturation établie après septembre 2015,

- détermination de la facturation à établir, relative aux livraisons postérieures à septembre 2015,

- mise à jour du compte client, en prenant en compte les règlements intervenus »

Un rapport d'expertise non judiciaire réalisé à la demande d'une partie peut valoir à titre de preuve dès lors que ce rapport d'expertise est régulièrement versé aux débats, soumis à la discussion contradictoire des parties et corroboré par d'autres éléments de preuve.

Il ressort des moyens et prétentions de la société HI France (conclusions pages 25 à 27) que celle-ci fonde sa demande en paiement dans son principe et dans son montant sur cette expertise. Il n'est pas établi par la société HI France que les comptes sociaux et extraits de compte versés aux débats ont été approuvés et certifiés. Par ailleurs la lettre de mise en demeure du 10 juillet 2017 adressée par la société HI France à la société Intertrade Europe de lui payer la somme de 737 390, 99 euros (pièce 16 HI France) a été formellement contestée par cette dernière par lettre motivée du 27 juillet 2017 (pièce 17 HI France).

Autrement dit ce rapport n'est corroboré par aucun autre élément de preuve.

En outre, ce rapport d'expertise établi le 24 juillet 2019 n'a été produit aux débats que le 7 septembre 2020 peu de temps avant l'ordonnance de clôture et ne permettant pas à la société Intertrade Europe de discuter cet avis technique, régulièrement et utilement.

En conséquence, la société HI France, qui ne sollicite plus d'expertise judiciaire, échoue à établir le bien-fondé de sa créance et sera déboutée de sa demande en paiement de la somme de 587 516,29 euros.

4- Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile

La société Intertrade Europe, succombant sur l'essentiel, sera condamnée aux dépens d'appel.

En application de l'article 700 du code de procédure civile en appel, la société Intertrade Europe sera déboutée de sa demande et condamnée à verser à la société HI France la somme de 7 500 euros.

PAR CES MOTIFS

Dit n'y avoir lieu à révocation de l'ordonnance de clôture ;

Déclare irrecevables les conclusions de la société Intertrade Europe notifiées le 22 septembre 2020,

Confirme le jugement en toutes ses dispositions,

Condamne la société Intertrade Europe aux dépens d'appel,

Condamne la société Intertrade Europe à payer à la société HI France la somme de 7 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile en appel,

Rejette toute autre demande.