Cass. 1re civ., 25 novembre 2020, n° 19-18.998
COUR DE CASSATION
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
M. Liégeois, Mme Natta
Défendeur :
BNP Paribas Personal Finance (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Batut
Rapporteur :
Mme Champ
Avocat général :
M. Lavigne
Avocats :
Me Goldman, SCP Spinosi et Sureau
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 9 mai 2019), suivant offre de prêt acceptée le 14 octobre 2008, la société BNP Paribas Personal Finance (la banque) a consenti à M. et Mme Liégeois (les emprunteurs), un contrat de prêt de 351 525,70 francs suisses à taux variable remboursable en euros, destiné au financement de l'acquisition d'un appartement à usage locatif.
2. Se prévalant du caractère erroné du taux effectif global du contrat de prêt et de manquements de la banque à ses obligations contractuelles, les emprunteurs l'ont assignée en annulation de la stipulation d’intérêts conventionnels, subsidiairement en déchéance du droit aux intérêts conventionnels et en paiement de dommages-intérêts par acte du 4 juin 2015. Ils ont invoqué, en cause d’appel, le caractère abusif de certaines clauses. Leurs demandes en annulation de la stipulation d’intérêts conventionnels et en déchéance du droit aux intérêts conventionnels ont été rejetées.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
3. Les emprunteurs font grief à l'arrêt de déclarer irrecevables comme prescrites leurs demandes relatives à la reconnaissance du caractère abusif de certaines clauses des contrats Helvet Immo ainsi que les demandes subséquentes, alors : « 1°) que la demande o du consommateur tendant à voir déclarer non écrite une clause abusive n’est pas soumise à la prescription quinquennale ; qu’en retenant, pour les déclarer irrecevables, que les demandes des emprunteurs tendant à voir déclarer non écrites les clauses abusives des contrats de prêt Helvet Immo étaient soumises à la prescription quinquennale, la cour d’appel a violé les articles L. 110-4 du code de commerce et L. 132-1, devenu L. 212-1 et L. 241-1, du code de la consommation ; 2°) qu'aucune limite temporelle n’est fixée à l’obligation pour le juge d’examiner d’office le caractère abusif d’une clause contractuelle dès qu’il dispose des éléments de droit et de fait nécessaires à cet effet ; qu’en décidant néanmoins, pour refuser d’examiner le caractère abusif des clauses des contrats de prêt dont elle était saisie, que le juge était soumis aux mêmes conditions de temps et de délais que les parties elles-mêmes, la cour d’appel, qui a méconnu son office, a violé l’article L. 132-1, devenu L. 212-1 et L. 241-1, du code de la consommation ; 3°) que, en tout état de cause, le délai de prescription de l’action tendant à voir déclarer non écrite une clause abusive ne commence à courir qu’à compter du jour où le consommateur découvre l’existence d’un déséquilibre significatif ; qu’en se bornant à relever, pour dire que le délai de prescription avait commencé de courir, pour chaque prêt, à la date d’acceptation de l’offre, que les emprunteurs avaient pu se convaincre par les mentions des offres de prêt de l’existence d’un risque de change et des conséquences économiques qui découlaient pour eux du contrat, sans constater qu’ils avaient pris conscience de l’existence d’un déséquilibre significatif à leur détriment, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 2224 du code civil et L. 132-1, devenu L. 212-1 et L. 241-1, du code de la consommation ; 4°) que le délai de prescription de l’action tendant à voir déclarer non écrite une clause abusive ne commence à courir à la date de conclusion du contrat que si le fonctionnement concret du mécanisme de conversion de la devise étrangère a été exposé de manière transparente à l’emprunteur, de sorte que ce dernier ait été mis en mesure d’évaluer, sur le fondement de critères précis et intelligibles, les conséquences économiques et les risques qui en découlaient pour lui, notamment par la fourniture d’informations devant au moins traiter de l’incidence sur les remboursements d’une dépréciation importante de l’euro et de ce qu’en souscrivant un contrat de prêt libellé dans une devise étrangère, il s’expose à un risque de change qu’il lui sera, éventuellement, économiquement difficile d’assumer en cas de dépréciation de la monnaie dans laquelle il perçoit ses revenus par rapport à la devise étrangère dans laquelle le prêt a été accordé ; qu’en se bornant, pour placer le point de départ de la prescription au jour de la conclusion du prêt, à se référer aux stipulations du prêt, sans constater que le fonctionnement concret du mécanisme de conversion de la devise étrangère avait été exposé de manière transparente à l’emprunteur selon les critères précités, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article 2224 du code civil. »
Sur le second moyen
Enoncé du moyen
4. Les emprunteurs font grief à l'arrêt de rejeter leur demande indemnitaire au titre du manquement de la banque à son obligation de renégocier le contrat, alors : « 1°) qu’en cas de bouleversement des conditions d’exécution d’un contrat, qui aurait pour effet de rendre celles-ci ruineuses, le créancier de l’obligation dont les conditions d’exécution ont été bouleversées, tenu d’une obligation d’exécuter de bonne foi, doit proposer la renégociation du contrat en cause ; qu’en se fondant, pour écarter la demande indemnitaire des emprunteurs, sur la circonstance inopérante que le contrat était intangible et que le juge n’avait pas le pouvoir de le réviser, ce qui était sans incidence sur la demande indemnitaire fondée sur l’obligation de renégocier le contrat, la cour d'appel a violé les articles 1134 et 1147 du code civil, dans leur rédaction antérieure à l’ordonnance du 10 février 2016 ; 2°) qu'en se bornant par ailleurs à relever que les emprunteurs avaient été informés que l’amortissement du crédit serait soumis à la variation du taux de change et que le bouleversement de l’économie du contrat qu’ils invoquaient n’était que l’application des stipulations contractuelles, sans rechercher, comme elle y était invitée, si, comme le soutenait la banque, le décrochage de l’euro n’avait pas été brusque et imprévisible, de sorte que ce n’était pas de l’application du contrat que résultait le bouleversement de ses conditions d’exécution, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1134 et 1147 du code civil, dans leur rédaction antérieure à l’ordonnance du 10 février 2016. »
Réponse de la Cour aux moyens
5. Par arrêt distinct rendu ce jour sur le pourvoi no 19-17.996, il est sursis à statuer jusqu'au prononcé de la décision de la Cour de justice de l'Union européenne dans les affaires C-609/19 et C-776/19 à C-782/19 relatives aux questions posées par le tribunal d'instance de Lagny-sur-Marne par jugement du 2 août 2019 et par le tribunal de grande instance de Paris par sept jugements du 1er octobre 2019 et une ordonnance de mise en état du jour suivant.
6. Au regard des griefs formulés par les moyens et des questions préjudicielles posées, la décision de la Cour de justice de l'Union européenne à intervenir est de nature à influer sur la solution du présent pourvoi. Il y a lieu, dès lors, de surseoir à statuer jusqu'au prononcé de celle-ci.
PAR CES MOTIFS,
la Cour :
SURSOIT à statuer sur le pourvoi jusqu'au prononcé de la décision de la Cour de justice de l'Union européenne dans les affaires C-609/19 et C-776/19 à C-782/19 ;
Renvoie la cause et les parties à l'audience du 19 octobre 2021 ;
Réserve les dépens.