CJUE, gr. ch., 1 décembre 2020, n° C-815/18
COUR DE JUSTICE DE L’UNION EUROPEENNE
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Federatie Nederlandse Vakbeweging
Défendeur :
Van den Bosch Transporten BV, Van den Bosch Transporte GmbH, Silo-Tank Kft.
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Lenaerts
Présidents de chambre :
M. Bonichot, M. Arabadjiev, M. Regan, M. Bay Larsen (rapporteur) , M. Piçarra
Vice-président :
Mme Silva de Lapuerta
Juges :
Mme Toader, M. Safjan, M. Šváby, M. Rodin, M. Biltgen, Mme Jürimäe, M. Lycourgos, M. Xuereb
Avocat général :
M. Bobek
Avocats :
M. Mastenbroek, M. Duk , M. Dekker
LA COUR (grande chambre),
1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 56 TFUE et de l’article 1er, paragraphes 1 et 3, de l’article 2, paragraphe 1, ainsi que de l’article 3, paragraphes 1 et 8, premier alinéa, de la directive 96/71/CE du Parlement européen et du Conseil, du 16 décembre 1996, concernant le détachement de travailleurs effectué dans le cadre d’une prestation de services (JO 1997, L 18, p. 1).
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant la Federatie Nederlandse Vakbeweging (fédération du mouvement syndical néerlandais) (ci‑après la « FNV ») à Van den Bosch Transporten BV, à Van den Bosch Transporte GmbH et à Silo‑Tank Kft., au sujet de l’application de la Collectieve arbeidsovereenkomst Goederenvervoer (convention collective de travail applicable au secteur du transport de marchandises, ci-après la « CCT “transport de marchandises” ») à des chauffeurs provenant d’Allemagne et de Hongrie dans le cadre de contrats d’affrètement relatifs à des transports internationaux.
Le cadre juridique
La directive 96/71
3 Les considérants 4 et 5 de la directive 96/71 énoncent :
« (4) considérant que la prestation de services peut consister soit dans l’exécution de travaux par une entreprise, pour son compte et sous sa direction, dans le cadre d’un contrat conclu entre cette entreprise et le destinataire de la prestation de services, soit dans la mise à disposition de travailleurs en vue de leur utilisation par une entreprise, dans le cadre d’un marché public ou d’un marché privé ;
(5) considérant qu’une telle promotion de la prestation de services dans un cadre transnational nécessite une concurrence loyale et des mesures garantissant le respect des droits des travailleurs ».
4 L’article 1er de cette directive, intitulé « Champ d’application », dispose :
« 1. La présente directive s’applique aux entreprises établies dans un État membre qui, dans le cadre d’une prestation de services transnationale, détachent des travailleurs, conformément au paragraphe 3, sur le territoire d’un État membre.
2. La présente directive ne s’applique pas aux entreprises de la marine marchande en ce qui concerne le personnel navigant.
3. La présente directive s’applique dans la mesure où les entreprises visées au paragraphe 1 prennent l’une des mesures transnationales suivantes :
a) détacher un travailleur, pour leur compte et sous leur direction, sur le territoire d’un État membre, dans le cadre d’un contrat conclu entre l’entreprise d’envoi et le destinataire de la prestation de services opérant dans cet État membre, pour autant qu’il existe une relation de travail entre l’entreprise d’envoi et le travailleur pendant la période de détachement
ou
b) détacher un travailleur sur le territoire d’un État membre, dans un établissement ou dans une entreprise appartenant au groupe, pour autant qu’il existe une relation de travail entre l’entreprise d’envoi et le travailleur pendant la période de détachement
ou
c) détacher, en tant qu’entreprise de travail intérimaire ou en tant qu’entreprise qui met un travailleur à disposition, un travailleur à une entreprise utilisatrice établie ou exerçant son activité sur le territoire d’un État membre, pour autant qu’il existe une relation de travail entre l’entreprise de travail intérimaire ou l’entreprise qui met un travailleur à disposition et le travailleur pendant la période de détachement.
[...] »
5 L’article 2 de ladite directive, intitulé « Définition », est libellé comme suit :
« 1. Aux fins de la présente directive, on entend par travailleur détaché, tout travailleur qui, pendant une période limitée, exécute son travail sur le territoire d’un État membre autre que l’État sur le territoire duquel il travaille habituellement.
2. Aux fins de la présente directive, la notion de travailleur est celle qui est d’application dans le droit de l’État membre sur le territoire duquel le travailleur est détaché. »
6 L’article 3 de la même directive, intitulé « Conditions de travail et d’emploi », prévoit :
« 1. Les États membres veillent à ce que, quelle que soit la loi applicable à la relation de travail, les entreprises visées à l’article 1er paragraphe 1 garantissent aux travailleurs détachés sur leur territoire les conditions de travail et d’emploi concernant les matières visées ci-après qui, dans l’État membre sur le territoire duquel le travail est exécuté, sont fixées :
– par des dispositions législatives, réglementaires ou administratives
et/ou
– par des conventions collectives ou sentences arbitrales déclarées d’application générale au sens du paragraphe 8, dans la mesure où elles concernent les activités visées en annexe :
a) les périodes maximales de travail et les périodes minimales de repos ;
b) la durée minimale des congés annuels payés ;
c) les taux de salaire minimal, y compris ceux majorés pour les heures supplémentaires ; le présent point ne s’applique pas aux régimes complémentaires de retraite professionnels ;
d) les conditions de mise à disposition des travailleurs, notamment par des entreprises de travail intérimaire ;
e) la sécurité, la santé et l’hygiène au travail ;
f) les mesures protectrices applicables aux conditions de travail et d’emploi des femmes enceintes et des femmes venant d’accoucher, des enfants et des jeunes ;
g) l’égalité de traitement entre hommes et femmes ainsi que d’autres dispositions en matière de non-discrimination.
[...]
3. Les États membres peuvent, après consultation des partenaires sociaux, conformément aux us et coutumes de chaque État membre, décider de ne pas appliquer le paragraphe 1 second tiret point c) dans les cas visés à l’article 1er paragraphe 3 points a) et b), lorsque la durée du détachement n’est pas supérieure à un mois.
4. Les États membres peuvent, conformément aux législations et/ou pratiques nationales, prévoir qu’il peut être dérogé au paragraphe 1 second tiret point c) dans les cas visés à l’article 1er paragraphe 3 points a) et b), ainsi qu’à une décision d’un État membre au sens du paragraphe 3 du présent article, par voie de conventions collectives, au sens du paragraphe 8, concernant un ou plusieurs secteurs d’activité, lorsque la durée du détachement n’est pas supérieure à un mois.
[...]
8. On entend par conventions collectives ou sentences arbitrales, déclarées d’application générale, les conventions collectives ou les sentences arbitrales qui doivent être respectées par toutes les entreprises appartenant au secteur ou à la profession concernés et relevant du champ d’application territoriale de celles-ci.
En l’absence d’un système de déclaration d’application générale de conventions collectives ou de sentences arbitrales au sens du premier alinéa, les États membres peuvent, s’ils décident ainsi, prendre pour base :
– les conventions collectives ou sentences arbitrales qui ont un effet général sur toutes les entreprises similaires appartenant au secteur ou à la profession concernés et relevant du champ d’application territoriale de celles-ci
et/ou
– les conventions collectives qui sont conclues par les organisations des partenaires sociaux les plus représentatives au plan national et qui sont appliquées sur l’ensemble du territoire national,
pour autant que leur application aux entreprises visées à l’article 1er paragraphe 1 garantisse, quant aux matières énumérées au paragraphe 1 premier alinéa du présent article, une égalité de traitement entre ces entreprises et les autres entreprises visées au présent alinéa se trouvant dans une situation similaire.
[...]
10. La présente directive ne fait pas obstacle à ce que les États membres, dans le respect du traité, imposent aux entreprises nationales et aux entreprises d’autres États, d’une façon égale :
– des conditions de travail et d’emploi concernant des matières autres que celles visées au paragraphe 1 premier alinéa, dans la mesure où il s’agit de dispositions d’ordre public ;
– des conditions de travail et d’emploi fixées dans des conventions collectives ou sentences arbitrales au sens du paragraphe 8 et concernant des activités autres que celles visées à l’annexe. »
La directive 2014/67/UE
7 L’article 9, paragraphe 1, de la directive 2014/67/UE du Parlement européen et du Conseil, du 15 mai 2014, relative à l’exécution de la directive 96/71 et modifiant le règlement (UE) no 1024/2012 concernant la coopération administrative par l’intermédiaire du système d’information du marché intérieur (« règlement IMI ») (JO 2014, L 159, p. 11), dispose :
« Les États membres ne peuvent imposer que les exigences administratives et les mesures de contrôle nécessaires aux fins du contrôle effectif du respect des obligations énoncées dans la présente directive et la directive [96/71], pour autant que celles-ci soient justifiées et proportionnées, conformément au droit de l’Union.
À cet effet, les États membres peuvent notamment imposer les mesures suivantes :
[...]
b) l’obligation de conserver ou de fournir, sur support papier ou en format électronique, le contrat de travail ou tout document équivalent au sens de la directive 91/533/CEE du Conseil[, du 14 octobre 1991, relative à l’obligation de l’employeur d’informer le travailleur des conditions applicables au contrat ou à la relation de travail (JO 1991, L 288, p. 32)] et/ou d’en conserver des copies, y compris, s’il y a lieu, les informations supplémentaires visées à l’article 4 de ladite directive, les fiches de paie, les relevés d’heures indiquant le début, la fin et la durée du temps de travail journalier et les preuves du paiement des salaires ou des copies de documents équivalents ; ces documents doivent être conservés pendant la durée du détachement en un lieu accessible et clairement identifié du territoire de l’État membre de détachement, comme le lieu de travail ou le site de construction ou encore, pour les travailleurs mobiles du secteur des transports, la base d’opération ou le véhicule avec lequel le service est fourni ;
[...] »
La directive (UE) 2020/1057
8 Le considérant 7 de la directive (UE) 2020/1057 du Parlement européen et du Conseil, du 15 juillet 2020, établissant des règles spécifiques en ce qui concerne la directive 96/71 et la directive 2014/67 pour le détachement de conducteurs dans le secteur du transport routier et modifiant la directive 2006/22/CE quant aux exigences en matière de contrôle et le règlement (UE) no 1024/2012 (JO 2020, L 249, p. 49), énonce :
« [...] Les dispositions concernant le détachement de travailleurs, qui figurent dans la directive [96/71] [...] s’appliquent au secteur du transport routier [...] »
Le règlement (CE) no 1072/2009
9 Le considérant 17 du règlement (CE) no 1072/2009 du Parlement européen et du Conseil, du 21 octobre 2009, établissant des règles communes pour l’accès au marché du transport international de marchandises par route (JO 2009, L 300, p. 72), précise que les dispositions de la directive 96/71 s’appliquent aux sociétés de transport effectuant un transport de cabotage.
10 L’article 2 de ce règlement, intitulé « Définitions », dispose :
« Aux fins du présent règlement, on entend par :
[...]
3) “État membre d’accueil”, un État membre dans lequel un transporteur exerce ses activités, autre que l’État membre dans lequel il est établi ;
[...]
6) “transports de cabotage”, des transports nationaux pour compte d’autrui assurés à titre temporaire dans un État membre d’accueil, dans le respect du présent règlement ;
[...] »
11 L’article 8 dudit règlement, intitulé « Principe général », prévoit, à son paragraphe 2, premier alinéa :
« Une fois que les marchandises transportées au cours d’un transport international à destination de l’État membre d’accueil ont été livrées, les transporteurs visés au paragraphe 1 sont autorisés à effectuer, avec le même véhicule, ou, s’il s’agit d’un ensemble de véhicules couplés, avec le véhicule à moteur de ce même véhicule jusqu’à trois transports de cabotage consécutifs à un transport international en provenance d’un autre État membre ou d’un pays tiers à destination de l’État membre d’accueil. Le dernier déchargement au cours d’un transport de cabotage avant de quitter l’État membre d’accueil a lieu dans un délai de sept jours à partir du dernier déchargement effectué dans l’État membre d’accueil au cours de l’opération de transport international à destination de celui-ci. »
Le litige au principal et les questions préjudicielles
12 Van den Bosch Transporten est une entreprise de transport dont les locaux sont situés à Erp (Pays-Bas). Van den Bosch Transporten, Van den Bosch Transporte, une société de droit allemand, et Silo-Tank, une société de droit hongrois, sont des sociétés sœurs appartenant au même groupe. Ces trois sociétés ont le même administrateur et le même actionnaire.
13 Van den Bosch Transporten est membre de la Vereniging Goederenvervoer Nederland (association néerlandaise du transport de marchandises). Cette association et la FNV ont conclu la CCT « transport de marchandises », cette dernière ayant pris cours le 1er janvier 2012 et ayant expiré le 31 décembre 2013. Elle n’a pas été déclarée d’application générale. La Collectieve arbeidsovereenkomst Beroepsgoederenvervoer over de weg en verhuur van mobiele kranen (convention collective de travail applicable aux secteurs du transport routier de marchandises pour compte d’autrui et de la location de grues mobiles, ci-après la « CCT “transport routier pour compte d’autrui” ») a, en revanche, été déclarée d’application générale à compter du 31 janvier 2013 jusqu’au 31 décembre 2013. Le besluit van de Minister van Sociale Zaken en Werkgelegenheid (arrêté du ministre des Affaires sociales et du Travail), du 25 janvier 2013 (Stcrt. 2013, no 2496), a cependant dispensé les entreprises qui relevaient de la CCT « transport de marchandises » de l’application de la CCT « transport routier pour compte d’autrui ». Cette dispense s’appliquait notamment à Van den Bosch Transporten.
14 L’article 44 de la CCT « transport de marchandises », intitulé « Disposition d’affrètement », dont le libellé était presque identique à celui de l’article 73 de la CCT « transport routier pour compte d’autrui », énonçait :
« 1. Dans les contrats de sous-traitance qui sont exécutés dans ou à partir de sa société établie aux Pays-Bas par des entrepreneurs indépendants agissant en qualité d’employeurs, l’employeur est tenu de stipuler que les conditions de travail de base de [la présente convention collective de travail] seront reconnues aux travailleurs de ces entrepreneurs indépendants, lorsque cela résulte de la directive 96/71 [...], et ce même si les parties ont choisi d’appliquer au contrat un autre droit que le droit néerlandais.
2. L’employeur est tenu d’informer les travailleurs visés au paragraphe 1 des conditions de travail qui leur sont applicables.
[...] »
15 Van den Bosch Transporten avait conclu avec Van den Bosch Transporte et avec Silo-Tank des contrats d’affrètement relatifs aux transports internationaux.
16 Des travailleurs provenant d’Allemagne et de Hongrie, liés respectivement à Van den Bosch Transporte et à Silo-Tank par un contrat de travail, exerçaient leur activité de chauffeur dans le cadre desdits contrats d’affrètement. En règle générale, pendant la période concernée par l’affaire au principal, l’affrètement avait lieu à partir de Erp et les trajets s’y achevaient. Toutefois, la majorité des transports effectués sur la base des contrats d’affrètement en cause avaient lieu en dehors du territoire du Royaume des Pays-Bas.
17 Les conditions de travail de base, stipulées comme telles dans la CCT « transport de marchandises », n’ont pas été appliquées aux chauffeurs en provenance d’Allemagne et de Hongrie.
18 La FNV a introduit une action contre Van den Bosch Transporten, Van den Bosch Transporte et Silo-Tank, tendant à ce qu’il soit enjoint à ces sociétés de respecter la CCT « transport de marchandises », et plus particulièrement l’article 44 de celle-ci. Selon la FNV, lorsque Van den Bosch Transporten faisait appel à des chauffeurs en provenance d’Allemagne et de Hongrie, elle aurait dû, en vertu de cette disposition, leur appliquer les conditions de travail de base de cette convention collective, en leur qualité de travailleurs détachés, au sens de la directive 96/71.
19 Par jugement interlocutoire rendu en première instance, il a été jugé que les conditions de travail de base de la CCT « transport de marchandises » devaient effectivement s’appliquer aux chauffeurs en provenance d’Allemagne et de Hongrie auxquels Van den Bosch Transporten avait recours.
20 La juridiction d’appel a annulé ce jugement interlocutoire et renvoyé l’affaire devant le premier juge. Elle a toutefois rejeté la thèse que soutenaient Van den Bosch Transporten, Van den Bosch Transporte et Silo-Tank, selon laquelle l’article 44 de la CCT « transport de marchandises » devait être déclaré nul, au motif que l’obligation qui en résultait pour elles constituait une entrave injustifiée à la libre prestation des services, garantie à l’article 56 TFUE. À l’appui de cette décision, la juridiction d’appel a considéré, en substance, que, bien que cette convention collective n’ait pas été déclarée d’application générale, les entreprises relevant de celle-ci ont été dispensées de l’application de la CCT « transport routier pour compte d’autrui », qui, elle, était d’application générale, dont l’article 73 était, en substance, identique à l’article 44 de la CCT « transport de marchandises », et dont le contenu était, pour le reste, pratiquement identique à celui de cette dernière convention collective de travail. Ainsi, en particulier, s’agissant de l’obligation qui doit également s’appliquer au sous-traitant, la CCT « transport de marchandises » produirait le même effet que la CCT « transport routier pour compte d’autrui », la durée de validité de ces deux conventions expirant, par ailleurs, à la même date. Du point de vue matériel, il conviendrait, dès lors, de traiter la CCT « transport de marchandises » de la même manière que si elle avait bel et bien été déclarée d’application générale, et ce à l’égard tant des entrepreneurs du secteur concerné établis aux Pays-Bas que de tous les affréteurs étrangers.
21 Il s’ensuivrait que l’article 44 de la CCT « transport de marchandises » ne doit pas être considéré comme une entrave injustifiée à la libre prestation des services, au sens de l’article 56 TFUE.
22 Par ailleurs, la juridiction d’appel a considéré que, pour qu’il soit question d’imposer aux sous-traitants, conformément à l’article 44 de la CCT « transport de marchandises », d’accorder aux travailleurs les conditions de travail prévues par cette convention, les contrats de sous-traitance en question doivent relever de la directive 96/71. À cet égard, Van den Bosch Transporten, Van den Bosch Transporte et Silo-Tank ont soutenu devant cette juridiction que l’expression « [détacher] sur le territoire d’un État membre », au sens de l’article 1er, paragraphes 1 et 3, de la directive 96/71, devait être interprétée littéralement, tandis que, selon la FNV, il fallait comprendre cette expression de manière large, comme visant également l’hypothèse où le détachement s’opère « sur ou à partir du territoire d’un État membre ». Dans ce dernier cas de figure, il serait indifférent de savoir dans quels États membres le chauffeur concerné accomplit effectivement ses activités successives dans le cadre de l’affrètement.
23 La juridiction d’appel a considéré que l’interprétation littérale de l’article 1er, paragraphes 1 et 3, de la directive 96/71 devait prévaloir, de telle sorte que des affrètements tels que ceux en cause dans la présente affaire ne relevaient pas du champ d’application de cette directive, seuls étant visés les affrètements effectués, à tout le moins principalement, « sur le territoire » d’un autre État membre.
24 La FNV a introduit un pourvoi devant la juridiction de renvoi, le Hoge Raad der Nederlanden (Cour suprême des Pays-Bas), contre cette décision de la juridiction d’appel, en ce que ladite décision est fondée sur une interprétation littérale de l’article 1er, paragraphes 1 et 3, de la directive 96/71. Van den Bosch Transporten, Van den Bosch Transporte et Silo-Tank ont introduit un pourvoi incident, en ce que la juridiction d’appel a décidé que l’article 44 de la CCT « transport de marchandises » ne devait pas être considéré comme une entrave injustifiée à la libre prestation des services.
25 La juridiction de renvoi indique que le pourvoi principal soulève, notamment, la question de l’interprétation de l’expression « sur le territoire d’un État membre », au sens de l’article 1er, paragraphes 1 et 3, et de l’article 2, paragraphe 1, de la directive 96/71, en cas de transports internationaux routiers, tels que ceux auxquels se livraient Van den Bosch Transporten, Van den Bosch Transporte et Silo-Tank. Cette interprétation serait déterminante aux fins d’établir si des chauffeurs qui sont actifs dans le transport international routier, tels que ceux en cause dans la présente affaire, relèvent du champ d’application de la directive 96/71. À cet effet, il conviendrait, au préalable, de se demander si la directive 96/71 s’applique au transport international routier.
26 La juridiction de renvoi estime, en outre, que le pourvoi principal soulève la question de savoir si la circonstance que les entreprises qui détachent les travailleurs concernés sont liées, en l’occurrence dans un groupe, à la société auprès de laquelle ces travailleurs sont détachés est pertinente aux fins de l’interprétation des dispositions précitées de la directive 96/71.
27 Par ailleurs, dans ce pourvoi, il serait avancé, à titre subsidiaire, que la juridiction d’appel a méconnu le fait qu’une partie des trajets que Van den Bosch Transporte et Silo-Tank accomplissaient pour Van den Bosch Transporten avait intégralement lieu sur le territoire du Royaume des Pays–Bas dans le cadre de transports de cabotage. Se poserait dès lors la question de savoir si de tels transports relèvent du champ d’application de la directive 96/71.
28 Enfin, la juridiction de renvoi expose que le pourvoi incident a été formé dans l’hypothèse où elle ferait droit, en tout ou partie, au pourvoi principal. Le moyen formulé à l’appui de ce pourvoi incident soulèverait, lui aussi, des questions d’interprétation qui nécessiteraient de poser des questions préjudicielles à la Cour.
29 Dans ces conditions, le Hoge Raad der Nederlanden (Cour suprême des Pays-Bas) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :
« 1) La directive 96/71 [...] doit-elle être interprétée en ce sens qu’elle est également applicable à un travailleur exerçant l’activité de chauffeur dans le transport international routier et qui accomplit dès lors son travail dans plus d’un État membre ?
2) a) Si la première question appelle une réponse affirmative, à quel critère ou à quels points de vue convient-il de recourir pour déterminer si un travailleur exerçant l’activité de chauffeur dans le transport international routier est détaché “sur le territoire d’un État membre” au sens de l’article 1er, paragraphes 1 et 3, de la directive [96/71] et si ce travailleur “pendant une période limitée, exécute son travail sur le territoire d’un État membre autre que l’État sur le territoire duquel il travaille habituellement” au sens de l’article 2, paragraphe 1, de la directive [96/71] ?
b) L’existence d’un lien (par exemple dans un groupe) entre l’entreprise qui détache le travailleur visé à la deuxième question, sous a), et l’entreprise dans laquelle ce travailleur est détaché a-t-elle une incidence sur la réponse à la deuxième question, et, le cas échéant, laquelle ?
c) Si le travail du travailleur visé à la deuxième question, sous a), comporte du cabotage – c’est-à-dire du transport exclusivement accompli sur le territoire d’un autre État membre que l’État membre sur le territoire duquel ce travailleur travaille habituellement – ce travailleur est-il réputé, à tout le moins, pour cette partie de ses activités, travailler temporairement sur le territoire du premier État membre cité ? Le cas échéant, y a-t-il un seuil, par exemple sous la forme d’une durée minimale de cabotage par mois ?
3) a) Si la première question appelle une réponse affirmative, comment convient-il d’interpréter la notion de “conventions collectives de travail […] déclarées d’application générale” au sens de l’article 3, paragraphes 1 et 8, premier alinéa, de la directive [96/71] ? S’agit-il d’une notion autonome du droit de l’Union et suffit-il, partant, que les conditions requises par l’article 3, paragraphe 8, premier alinéa, de la directive [96/71] soient remplies en fait ? Ou bien ces dispositions exigent-elles également que la convention collective de travail ait été déclarée d’application générale sur la base du droit national ?
b) Si une convention collective de travail ne peut pas être assimilée à une convention collective d’application générale au sens de l’article 3, paragraphe 1 et paragraphe 8, premier alinéa, de la directive [96/71], l’article 56 TFUE s’oppose-t-il à ce qu’une entreprise établie dans un État membre qui détache un travailleur sur le territoire d’un autre État membre, soit obligée, par la voie contractuelle, de respecter des dispositions d’une telle convention collective de travail qui s’applique dans ce dernier État membre ? »
Sur les questions préjudicielles
Sur la première question
30 Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si la directive 96/71 doit être interprétée en ce sens qu’elle est applicable aux prestations de services transnationales dans le secteur du transport routier.
31 Ainsi qu’il résulte de l’article 1er, paragraphes 1 et 3, de la directive 96/71, lu à la lumière de son considérant 4, cette directive s’applique aux entreprises établies dans un État membre qui, dans le cadre d’une prestation de services transnationale qui peut consister soit dans l’exécution de travaux par une entreprise, pour son compte et sous sa direction, dans le cadre d’un contrat conclu entre cette entreprise et le destinataire de la prestation de services, soit dans la mise à disposition de travailleurs en vue de leur utilisation par une entreprise, dans le cadre d’un marché public ou d’un marché privé, détachent des travailleurs sur le territoire d’un État membre.
32 Quant à l’article 1er, paragraphe 2, de la directive 96/71, il n’exclut du champ d’application de celle-ci que les prestations de services impliquant le personnel navigant de la marine marchande.
33 Il s’ensuit que, à l’exception de ces dernières prestations, cette directive s’applique, en principe, à toute prestation de services transnationale impliquant un détachement de travailleurs, quel que soit le secteur économique auquel une telle prestation se rattache, y compris, partant, dans le secteur du transport routier.
34 Cette interprétation est corroborée par l’article 2, paragraphe 1, de la directive 96/71, cette disposition définissant la notion de « travailleur détaché », au sens de cette directive, comme couvrant « tout travailleur » qui effectue, pendant une période limitée, un travail sur le territoire d’un État membre autre que l’État sur le territoire duquel il travaille habituellement, sans que ladite disposition fasse référence à une quelconque restriction quant au secteur d’activité de ce travailleur.
35 L’applicabilité de la directive 96/71 au secteur du transport routier se trouve expressément confirmée par d’autres actes du droit de l’Union, tels que la directive 2014/67, dont l’article 9, paragraphe 1, sous b), identifie, parmi les exigences administratives et les mesures de contrôle nécessaires aux fins du contrôle effectif du respect des obligations énoncées, notamment, par la directive 96/71, des mesures visant spécifiquement les « travailleurs mobiles du secteur des transports », et la directive 2020/1057, dont le considérant 7 précise que les dispositions concernant le détachement de travailleurs qui figurent dans la directive 96/71 « s’appliquent au secteur du transport routier ».
36 Dans leurs observations, Van den Bosch Transporten, Van den Bosch Transporte et Silo-Tank ainsi que les gouvernements hongrois et polonais objectent toutefois que les dispositions qui consacrent la libre prestation des services et qui ont servi de fondement à l’adoption de la directive 96/71 excluent que les activités de transport de marchandises par route tombent dans le champ d’application de cette directive. Par conséquent, l’article 1er, paragraphe 1, de la directive 96/71, aux termes duquel cette dernière s’applique aux entreprises établies dans un État membre qui, dans le cadre d’une prestation de services transnationale, détachent des travailleurs, devrait être interprété comme visant la « prestation de services », au sens de l’article 56 TFUE, qui n’inclurait pas la libre circulation des services en matière de transports, laquelle serait régie spécialement par les dispositions du titre du traité FUE relatif aux transports, à savoir les articles 90 à 100 de celui-ci.
37 À cet égard, il convient de rappeler que, certes, la libre circulation des services dans le domaine des transports est régie non pas par la disposition de l’article 56 TFUE, qui concerne en général la libre prestation des services, mais par les dispositions du titre du traité FUE relatif aux transports, auxquelles renvoie l’article 58, paragraphe 1, TFUE (voir, en ce sens, arrêt du 19 décembre 2019, Dobersberger, C‑16/18, EU:C:2019:1110, point 24 et jurisprudence citée).
38 Il y a toutefois lieu de relever que la directive 96/71 a, comme il a été souligné au point 33 du présent arrêt, une portée générale. En outre, ainsi qu’il ressort de son considérant 1, cette directive vise l’abolition entre les États membres des obstacles à la libre circulation des personnes et des services, et prévoit, à son considérant 5, que la nécessité de promouvoir la prestation de services transnationale doit s’accomplir dans le cadre d’une concurrence loyale et de mesures garantissant le respect des droits des travailleurs.
39 À la différence, par exemple, du règlement no 1072/2009, qui, aux fins du principe de la « licence communautaire » consacré à ses articles 3 et 4, comporte un ensemble de « règles communes applicables aux transports internationaux exécutés au départ ou à destination du territoire d’un État membre, ou traversant le territoire d’un ou de plusieurs États membres », ainsi que des « conditions d’admission de transporteurs non résidents aux transports nationaux dans un État membre », au sens de l’article 91, paragraphe 1, sous a) et b), TFUE [voir, en ce sens, avis 2/15 (Accord de libre-échange avec Singapour), du 16 mai 2017, EU:C:2017:376, point 208], la directive 96/71 ne vise donc pas à mettre en œuvre une politique commune des transports, au sens de cet article 91. Elle ne comporte pas davantage de « mesures permettant d’améliorer la sécurité des transports » ou de « dispositions utiles » en matière de transports, au sens de l’article 91, paragraphe 1, sous c) et d), TFUE.
40 Il découle de ce qui précède que le fait que la directive 96/71 est fondée sur des dispositions du traité CE relatives à la libre prestation des services sans que sa base juridique comporte, en outre, de dispositions relatives aux transports ne saurait exclure de son champ d’application les prestations de services transnationales dans le secteur des activités de transport routier, notamment, de marchandises.
41 Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la première question que la directive 96/71 doit être interprétée en ce sens qu’elle est applicable aux prestations de services transnationales dans le secteur du transport routier.
Sur la deuxième question
Sur la deuxième question, sous a)
42 Par sa deuxième question, sous a), la juridiction de renvoi demande, en substance, quelles sont les conditions pour qu’un travailleur qui exerce une activité de chauffeur dans le secteur du transport routier international, dans le cadre d’un contrat d’affrètement entre l’entreprise qui l’emploie, établie dans un État membre, et une entreprise opérant dans un autre État membre, soit considéré comme un travailleur détaché, sur le territoire d’un État membre, au sens de l’article 1er, paragraphes 1 et 3, et de l’article 2, paragraphe 1, de la directive 96/71.
43 Ainsi qu’il a été rappelé au point 31 du présent arrêt, il découle de l’article 1er, paragraphes 1 et 3, de la directive 96/71, lu à la lumière de son considérant 4, que cette directive s’applique aux entreprises établies dans un État membre qui, dans le cadre d’une prestation de services transnationale qui peut consister soit dans l’exécution de travaux par une entreprise, pour son compte et sous sa direction, dans le cadre d’un contrat conclu entre cette entreprise et le destinataire de la prestation de services, soit dans la mise à disposition de travailleurs en vue de leur utilisation par une entreprise, dans le cadre d’un marché public ou d’un marché privé, détachent des travailleurs sur le territoire d’un État membre.
44 Selon l’article 2, paragraphe 1, de ladite directive, « on entend par travailleur détaché, tout travailleur qui, pendant une période limitée, exécute son travail sur le territoire d’un État membre autre que l’État sur le territoire duquel il travaille habituellement ».
45 Un travailleur ne saurait, au regard de la directive 96/71, être considéré comme étant détaché sur le territoire d’un État membre que si l’exécution de son travail présente un lien suffisant avec ce territoire (voir, en ce sens, arrêt du 19 décembre 2019, Dobersberger, C‑16/18, EU:C:2019:1110, point 31), ce qui suppose de procéder à une appréciation globale de l’ensemble des éléments qui caractérisent l’activité du travailleur concerné.
46 À cet égard, il importe de relever que l’existence d’un tel lien avec le territoire concerné peut se révéler, notamment, au travers des caractéristiques de la prestation de services à la fourniture de laquelle est affecté le travailleur en cause. Constitue également un élément pertinent aux fins d’apprécier l’existence d’un tel lien la nature des activités qui sont accomplies par ce travailleur sur le territoire de l’État membre concerné.
47 S’agissant de travailleurs mobiles tels que des chauffeurs routiers internationaux, le degré d’intensité du lien des activités accomplies par un tel travailleur, dans le cadre de la fourniture du service de transport auquel il a été affecté, avec le territoire de chaque État membre concerné revêt également une pertinence à de telles fins.
48 Il en va de même de la part de ces activités dans l’ensemble de la prestation de services concernée. À cet égard, des opérations de chargement ou de déchargement de marchandises, d’entretien ou de nettoyage des véhicules de transport sont pertinentes, pour autant qu’elles soient effectivement accomplies par le chauffeur concerné, et non par des tiers.
49 En revanche, ne saurait être regardé comme « détaché », au sens de la directive 96/71, un travailleur qui exerce des prestations de caractère très limité sur le territoire de l’État membre dans lequel il est envoyé (voir, en ce sens, arrêt du 19 décembre 2019, Dobersberger, C‑16/18, EU:C:2019:1110, point 31). Il en va ainsi d’un chauffeur qui, dans le cadre d’un transport routier de marchandises, ne fait que transiter sur le territoire d’un État membre. Il en irait de même s’agissant d’un chauffeur effectuant uniquement un transport transfrontalier depuis l’État membre d’établissement de l’entreprise de transports jusqu’au territoire d’un autre État membre ou inversement.
50 Par ailleurs, le fait qu’un chauffeur routier international, qui a été mis par une entreprise établie dans un État membre à la disposition d’une entreprise établie dans un autre État membre, reçoit les instructions inhérentes à ses missions, commence ou termine celles-ci au siège de cette seconde entreprise ne suffit pas en soi pour considérer que ce chauffeur a été « détaché » sur le territoire de cet autre État membre, dès lors que l’exécution du travail dudit chauffeur ne présente pas, sur la base d’autres facteurs, un lien suffisant avec ce territoire.
51 Compte tenu de tout ce qui précède, il y a lieu de répondre à la deuxième question, sous a), que l’article 1er, paragraphes 1 et 3, et l’article 2, paragraphe 1, de la directive 96/71 doivent être interprétés en ce sens qu’un travailleur qui exerce une activité de chauffeur dans le secteur du transport routier international, dans le cadre d’un contrat d’affrètement entre l’entreprise qui l’emploie, établie dans un État membre, et une entreprise qui est située dans un État membre autre que celui dans lequel l’intéressé travaille habituellement, est un travailleur détaché sur le territoire d’un État membre au sens de ces dispositions lorsque l’exécution de son travail présente, pendant la période limitée en cause, un lien suffisant avec ce territoire. L’existence d’un tel lien est déterminée dans le cadre d’une appréciation globale d’éléments tels que la nature des activités accomplies par le travailleur concerné sur ledit territoire, le degré d’intensité du lien des activités de ce travailleur avec le territoire de chaque État membre dans lequel il opère ainsi que la part que lesdites activités y représentent dans l’ensemble du service de transport.
52 Le fait qu’un chauffeur routier international, qui a été mis par une entreprise établie dans un État membre à la disposition d’une entreprise établie dans un autre État membre, reçoit les instructions inhérentes à ses missions, commence ou termine celles-ci au siège de cette seconde entreprise ne suffit pas en soi pour considérer que ce chauffeur a été détaché sur le territoire de cet autre État membre, au sens de la directive 96/71, dès lors que l’exécution du travail dudit chauffeur ne présente pas, sur la base d’autres facteurs, un lien suffisant avec ce territoire.
Sur la deuxième question, sous b)
53 Par sa deuxième question, sous b), la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 1er, paragraphes 1 et 3, et l’article 2, paragraphe 1, de la directive 96/71 doivent être interprétés en ce sens que l’existence d’un lien de groupe entre les entreprises qui sont parties au contrat de mise à disposition de travailleurs est pertinente aux fins d’apprécier l’existence d’un détachement de travailleurs.
54 À cet égard, il convient de relever que, certes, en vertu de l’article 1er, paragraphe 3, sous b), de cette directive, celle-ci s’applique au détachement d’un travailleur sur le territoire d’un État membre dans un établissement ou dans une entreprise appartenant au groupe, pour autant qu’il existe une relation de travail entre l’entreprise d’envoi et le travailleur pendant la période de détachement.
55 Si la directive 96/71 vise ainsi explicitement la situation d’un détachement au sein d’un groupe d’entreprises, il demeure, toutefois, que, ainsi qu’il ressort du point 51 du présent arrêt, la qualité de travailleur détaché est établie en fonction de l’existence d’un lien suffisant entre l’exécution de son travail et le territoire d’un État membre autre que l’État sur le territoire duquel il travaille habituellement.
56 Or, l’existence d’un lien de groupe entre les entreprises qui sont parties au contrat de mise à disposition de travailleurs n’est pas, en tant que telle, de nature à définir le degré de rattachement avec le territoire d’un État membre dans lequel le travailleur concerné est envoyé et, partant, à déterminer si le lien entre l’exécution du travail par ce dernier et ce territoire revêt le caractère suffisant requis aux fins de constater l’existence d’une situation de détachement relevant de la directive 96/71.
57 Par conséquent, il convient de répondre à la deuxième question, sous b), que l’article 1er, paragraphes 1 et 3, et l’article 2, paragraphe 1, de la directive 96/71 doivent être interprétés en ce sens que l’existence d’un lien de groupe entre les entreprises qui sont parties au contrat de mise à disposition de travailleurs n’est pas, en tant que telle, pertinente aux fins d’apprécier l’existence d’un détachement de travailleurs.
Sur la deuxième question, sous c)
58 Par sa deuxième question, sous c), la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 1er, paragraphes 1 et 3, et l’article 2, paragraphe 1, de la directive 96/71 doivent être interprétés en ce sens qu’un travailleur qui exerce une activité de chauffeur dans le secteur du transport routier et qui, dans le cadre d’un contrat d’affrètement entre l’entreprise qui l’emploie, établie dans un État membre, et une entreprise située dans un autre État membre, effectue des transports de cabotage sur le territoire d’un État membre autre que l’État membre sur le territoire duquel il travaille habituellement, est susceptible d’être considéré comme détaché sur le territoire de l’État membre dans lequel ces transports sont effectués, et, dans l’affirmative, s’il existe, à cet égard, un seuil minimum relatif à la durée desdits transports.
59 À cet égard, il convient de souligner d’emblée que la directive 96/71 doit être lue en combinaison avec le règlement no 1072/2009, dont le considérant 17 énonce que cette directive s’applique aux sociétés de transport effectuant un transport de cabotage.
60 Aux termes de l’article 2, points 3 et 6, du règlement no 1072/2009, les transports de cabotage sont définis comme des transports nationaux pour compte d’autrui assurés à titre temporaire dans un État membre d’accueil, dans le respect de ce règlement, l’État membre d’accueil étant celui dans lequel un transporteur exerce ses activités, autre que l’État membre dans lequel il est établi.
61 S’agissant des conditions auxquelles les transporteurs non-résidents peuvent effectuer des transports de cabotage dans un État membre d’accueil, l’article 8, paragraphe 2, du règlement no 1072/2009 prévoit que ces transporteurs sont autorisés à effectuer, dans l’État membre d’accueil, jusqu’à trois transports de cabotage consécutifs à un transport international à destination de cet État, dans un délai de sept jours à partir du dernier déchargement effectué dans ce même État au cours du transport international à destination de celui-ci.
62 Il ressort des trois points précédents que les transports de cabotage se déroulent entièrement sur le territoire de l’État membre d’accueil, ce qui permet de considérer que l’exécution du travail par le chauffeur dans le cadre de telles opérations entretient un lien suffisant avec ce territoire.
63 Il s’ensuit qu’un chauffeur effectuant de tels transports doit, en principe, être considéré comme étant détaché sur le territoire de l’État membre d’accueil, au sens de l’article 2, paragraphe 1, de la directive 96/71.
64 Quant à la durée de tels transports de cabotage, si elle n’est pas de nature, en tant que telle, à remettre en cause l’existence d’un lien suffisant entre l’exécution du travail du chauffeur qui les effectue et le territoire de l’État membre d’accueil, cette appréciation est toutefois sans préjudice de l’application de l’article 3, paragraphe 3, de la directive 96/71.
65 Par conséquent, il y a lieu de répondre à la deuxième question, sous c), que l’article 1er, paragraphes 1 et 3, et l’article 2, paragraphe 1, de la directive 96/71 doivent être interprétés en ce sens qu’un travailleur qui exerce une activité de chauffeur dans le secteur du transport routier et qui, dans le cadre d’un contrat d’affrètement entre l’entreprise qui l’emploie, établie dans un État membre, et une entreprise située dans un autre État membre, effectue des transports de cabotage sur le territoire d’un État membre autre que l’État membre sur le territoire duquel il travaille habituellement, doit, en principe, être considéré comme détaché sur le territoire de l’État membre dans lequel ces transports sont effectués. La durée du transport de cabotage est un élément dénué de pertinence pour apprécier l’existence d’un tel détachement, sans préjudice de l’application éventuelle de l’article 3, paragraphe 3, de cette directive.
Sur la troisième question
Sur la troisième question, sous a)
66 Par sa troisième question, sous a), la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 3, paragraphes 1 et 8, de la directive 96/71 doit être interprété en ce sens que la question de savoir si une convention collective a été déclarée d’application générale doit être appréciée par référence au droit national applicable.
67 Il convient de rappeler que, selon l’article 3, paragraphe 1, second tiret, de la directive 96/71, les États membres veillent à ce que les entreprises détachant des travailleurs garantissent aux travailleurs détachés sur leur territoire un certain nombre de conditions de travail et d’emploi qui, dans l’État membre sur le territoire duquel le travail est exécuté, sont fixées, notamment, par des conventions collectives déclarées d’application générale, au sens du paragraphe 8 de cet article 3, dans la mesure où elles concernent les activités dans le domaine de la construction visées à l’annexe de cette directive. Aux termes de l’article 3, paragraphe 10, second tiret, de ladite directive, les États membres peuvent imposer aux entreprises nationales et aux entreprises d’autres États membres, d’une façon égale, des conditions de travail et d’emploi fixées, notamment, dans des conventions collectives, telles que visées au paragraphe 8 dudit article 3, et concernant des activités autres que celles dans le domaine de la construction.
68 En vertu de l’article 3, paragraphe 8, de la directive 96/71, on entend par « conventions collectives déclarées d’application générale » les conventions collectives qui doivent être respectées par toutes les entreprises appartenant au secteur ou à la profession concernés et relevant du champ d’application territoriale de celles-ci.
69 À cet égard, ainsi que l’a relevé en substance M. l’avocat général au point 129 de ses conclusions, s’il est vrai que l’article 3, paragraphe 1, de la directive 96/71 ne renvoie pas expressément au droit national, il n’en demeure pas moins que tel est implicitement le cas, puisque cette disposition exige que la convention collective de travail en cause ait été déclarée d’application générale. Or, une telle déclaration ne peut se faire que conformément au droit de l’État membre concerné.
70 Un tel constat est confirmé par le libellé de l’article 3, paragraphe 8, deuxième alinéa, de ladite directive. En effet, en prévoyant que, en l’absence d’un système de déclaration d’application générale de conventions collectives, les États membres peuvent prendre pour base les conventions collectives qui ont un effet général sur toutes les entreprises similaires appartenant au secteur ou à la profession concernés et relevant du champ d’application territoriale de celles-ci et/ou les conventions collectives qui sont conclues par les organisations des partenaires sociaux les plus représentatives au plan national et qui sont appliquées sur l’ensemble du territoire national, le législateur de l’Union a nécessairement fait référence à un système national.
71 En l’occurrence, il ressort de la décision de renvoi que les entreprises actives dans le secteur du transport des marchandises relèvent de la CCT « transport de marchandises ». Certes, cette convention collective de travail n’a pas été, comme telle, déclarée d’application générale. Cela étant, son respect conditionnait la dispense d’application de la CCT « transport routier pour compte d’autrui » qui, elle, avait été déclarée d’application générale. En outre, le contenu des dispositions de ces deux conventions collectives était pratiquement identique. Il apparaît ainsi que le respect de ces dispositions s’imposait à l’ensemble des entreprises actives dans le secteur du transport de marchandises.
72 Il découle de ce qui précède qu’il y a lieu de répondre à la troisième question, sous a), que l’article 3, paragraphes 1 et 8, de la directive 96/71 doit être interprété en ce sens que la question de savoir si une convention collective a été déclarée d’application générale doit être appréciée par référence au droit national applicable. Répond à la notion visée par ces dispositions une convention collective de travail qui n’a pas été déclarée d’application générale, mais dont le respect conditionne, pour les entreprises qui en relèvent, la dispense d’application d’une autre convention collective de travail déclarée, quant à elle, d’application générale, et dont les dispositions sont en substance identiques à celles de cette autre convention collective de travail.
Sur la troisième question, sous b)
73 Eu égard à la réponse à la troisième question, sous a), il n’y a plus lieu de répondre à la troisième question, sous b).
Sur les dépens
74 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (grande chambre) dit pour droit :
1) La directive 96/71/CE du Parlement européen et du Conseil, du 16 décembre 1996, concernant le détachement de travailleurs effectué dans le cadre d’une prestation de services, doit être interprétée en ce sens qu’elle est applicable aux prestations de services transnationales dans le secteur du transport routier.
2) L’article 1er, paragraphes 1 et 3, et l’article 2, paragraphe 1, de la directive 96/71 doivent être interprétés en ce sens qu’un travailleur qui exerce une activité de chauffeur dans le secteur du transport routier international dans le cadre d’un contrat d’affrètement entre l’entreprise qui l’emploie, établie dans un État membre, et une entreprise qui est située dans un État membre autre que celui dans lequel l’intéressé travaille habituellement, est un travailleur détaché sur le territoire d’un État membre au sens de ces dispositions lorsque l’exécution de son travail présente, pendant la période limitée en cause, un lien suffisant avec ce territoire. L’existence d’un tel lien est déterminée dans le cadre d’une appréciation globale d’éléments tels que la nature des activités accomplies par le travailleur concerné sur ledit territoire, le degré d’intensité du lien des activités de ce travailleur avec le territoire de chaque État membre dans lequel il opère ainsi que la part que lesdites activités y représentent dans l’ensemble du service de transport.
Le fait qu’un chauffeur routier international, qui a été mis par une entreprise établie dans un État membre à la disposition d’une entreprise établie dans un autre État membre, reçoit les instructions inhérentes à ses missions, commence ou termine celles-ci au siège de cette seconde entreprise ne suffit pas en soi pour considérer que ce chauffeur a été détaché sur le territoire de cet autre État membre, au sens de la directive 96/71, dès lors que l’exécution du travail dudit chauffeur ne présente pas, sur la base d’autres facteurs, un lien suffisant avec ce territoire.
3) L’article 1er, paragraphes 1 et 3, et l’article 2, paragraphe 1, de la directive 96/71 doivent être interprétés en ce sens que l’existence d’un lien de groupe entre les entreprises qui sont parties au contrat de mise à disposition de travailleurs n’est pas, en tant que telle, pertinente aux fins d’apprécier l’existence d’un détachement de travailleurs.
4) L’article 1er, paragraphes 1 et 3, et l’article 2, paragraphe 1, de la directive 96/71 doivent être interprétés en ce sens qu’un travailleur qui exerce une activité de chauffeur dans le secteur du transport routier et qui, dans le cadre d’un contrat d’affrètement entre l’entreprise qui l’emploie, établie dans un État membre, et une entreprise située dans un autre État membre, effectue des transports de cabotage sur le territoire d’un État membre autre que l’État membre sur le territoire duquel il travaille habituellement doit, en principe, être considéré comme détaché sur le territoire de l’État membredans lequel ces transports sont effectués. La durée du transport de cabotage est un élément dénué de pertinence pour apprécier l’existence d’un tel détachement, sans préjudice de l’application éventuelle de l’article 3, paragraphe 3, de cette directive.
5) L’article 3, paragraphes 1 et 8, de la directive 96/71 doit être interprété en ce sens que la question de savoir si une convention collective a été déclarée d’application générale doit être appréciée par référence au droit national applicable. Répond à la notion visée par ces dispositions une convention collective de travail qui n’a pas été déclarée d’application générale, mais dont le respect conditionne, pour les entreprises qui en relèvent, la dispense d’application d’une autre convention collective de travail déclarée, quant à elle, d’application générale, et dont les dispositions sont en substance identiques à celles de cette autre convention collective de travail.