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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 2, 27 novembre 2020, n° 19/03990

PARIS

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

APM Monaco (SAM)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Chokron

Conseillers :

Mme Lehmann, Mme Marcade

Avocat :

Selarl 2H Avocats

T. com. Paris, 15e ch., du 28 janv. 2019

28 janvier 2019

Vu le jugement contradictoire rendu le 28 janvier 2019 par le tribunal de commerce de Paris qui a :

- jugé recevables à agir les sociétés R. diffusion et Or de Vendôme et Mme Gaia R.,

- dit recevables les pièces 7, 8, et 8 bis des sociétés R. diffusion et Or de Vendôme et Mme Gaia R.,

- jugé que les agissements de la société APM sont constitutifs d'actes de parasitisme,

- ordonné la cessation de la commercialisation des deux modèles APM litigieux, à savoir les modèles de références Mono Black Silver Earcuff-AE9950BZT et Mono Black Silver Clip Earing-AE9949BZT, sous astreinte de 20 euros par infraction constatée, et ce, à compter du quinzième jour suivant la signification du présent jugement,

- ordonné l'interdiction d'en effectuer la publicité sur tout support et par quelque moyen que ce soit, sous astreinte de 20 euros par infraction constatée, et ce, à compter du quinzième jour suivant la signification du présent jugement,

- débouté les sociétés R. diffusion et Or de Vendôme et Mme Gaia R. de leur demande de rappel et destruction des stocks litigieux,

- condamné la société APM à payer aux sociétés R. diffusion et Or de Vendôme la somme de 69.361 euros en réparation de leur préjudice matériel,

- condamné la société APM à payer à la société R. diffusion la somme de 10. 000 euros au titre de son préjudice moral,

- débouté la société Or de Vendôme et Mme Gaia R. de leur demande de dommages et intérêts au titre de leur préjudice moral,

- débouté la société APM de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive,

- ordonné la publication de l'intégralité du dispositif du jugement à intervenir, en partie supérieure de la page d'accueil du site internet à l'adresse suivante : <https://www.apm.mc>, pendant une durée de 60 jours consécutifs, à compter du huitième jour suivant la signification du présent jugement, déboutant pour le surplus,

- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire,

- condamné la société APM, à payer aux sociétés R. diffusion et Or de Vendôme et à Mme Gaia R. la somme de 8.000 euros chacune sur le fondement de de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 122,31 euros dont 20,17 de TVA.

Vu l'appel de ce jugement interjeté par la société APM Monaco (société anonyme monégasque), anciennement SAM APM, à l'encontre de la société R. diffusion (société anonyme monégasque), la société R. (SARL), anciennement Or de Vendôme, Mme Gaia R., suivant déclaration d'appel remise au greffe de la cour le 20 février 2019.

Vu les dernières conclusions (n°3) de la société APM Monaco (société anonyme monégasque), appelante, remises au greffe et notifiées par voie électronique le 26 juin 2020 à la société R. (SAS) venant aux droits des sociétés, désormais dissoutes, R. diffusion (société anonyme monégasque) et R. (SARL) anciennement Or de Vendôme, et à Mme Gaia R., demandant à la cour, au fondement des articles 31, 32 et 122 du code de procédure civile, 1240 du code civil et 32-1 du code de procédure civile, de :

- infirmer le jugement dont appel en toutes ses dispositions, sauf en ce qu'il a débouté :

. la société R. diffusion et Mme Gaia R. de leur demande en rappel et destruction des stocks litigieux,

. la société R. diffusion et Mme Gaia R. de leur demande de dommages-intérêts au titre de leur préjudice moral,

Statuant à nouveau,

- dire et juger que les sociétés R. diffusion et R. et Mme Gaia R. sont irrecevables en leurs demandes faute de justifier de leur qualité à agir,

En tout état de cause,

- dire et juger que les sociétés R. diffusion et R. et Mme Gaia R. ne justifient d'aucun investissement sur les modèles « Berbère » et « Staple » qu'elles invoquent ni du succès rencontré par ces modèles,

- dire et juger qu'elles ne démontrent aucun acte de parasitisme à leur égard,

- dire et juger qu'elles ne justifient en tout état de cause d'aucun préjudice,

En conséquence,

- les débouter de l'intégralité de leurs demandes,

- les condamner in solidum à verser à la société APM Monaco la somme de 10.000 euros pour procédure abusive,

- les condamner in solidum à verser à la société APM Monaco la somme de 25.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile en première instance et la somme de 10.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel, ainsi qu'aux entiers dépens dont distraction conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile,

- ordonner l'exécution provisoire du jugement à intervenir (sic).

Vu les dernières conclusions (n°3) remises au greffe et notifiées par voie électronique le 27 juillet 2020 par la société R. (SAS) qui a repris, par voie de transmission universelle de patrimoine, la société R. Diffusion (SAM) et la société R. (SARL), anciennement dénommée Or de Vendôme, et Mme Gaia R., intimées, demandant à la cour, au fondement des articles 31 du code de procédure civile et 1240 du code civil, de :

- confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions, et notamment en ce qu'il a :

. jugé recevables et bien fondées à agir les sociétés R. diffusion et Or de Vendôme (désormais R. SAS) et Mme Gaia R.,

. dit recevables les pièces 7, 8 et 8 bis de R. diffusion et Or de Vendôme (désormais R. SAS) et Mme Gaia R.,

. jugé que les agissements de la société APM sont constitutifs d'actes de parasitisme,

. ordonné la cessation de la commercialisation des deux modèles APM litigieux, à savoir les modèles de références Mono Black Silver Ear Cuff-AE9950BZT et Mono Black Silver Clip Earring AE9949BZT sous astreinte de 20 euros par infraction constatée, et ce, à compter du quinzième jour suivant la signification de la décision,

. ordonné l'interdiction d'en effectuer la publicité sur tout support et par quelque

moyen que ce soit sous astreinte de 20 euros par infraction constatée, et ce, à compter du quinzième jour suivant la signification de la décision,

. condamné la société APM à payer aux sociétés R. diffusion et Or de Vendôme (désormais R. SAS) la somme de 69 361 euros en réparation de leur préjudice matériel,

. condamné la société APM à payer à R. diffusion (désormais R. SAS)la somme de 10.000 euros au titre de son préjudice moral,

. débouté la société APM de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive,

. ordonné la publication du dispositif du jugement à intervenir en partie supérieure de la page d'accueil du site internet accessible à l'adresse < https://www.apm.mc > pendant une période 60 jours consécutifs à compter du huitième jour suivant la signification de la présente décision,

. condamné la société APM à payer aux sociétés R. diffusion et Or de Vendôme (désormais R. SAS) et Mme Gaia R. la somme de 8 000 euros chacune sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 122,31 euros dont 20,17 euros de TVA,

- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a :

. débouté les sociétés R. diffusion et Or de Vendôme (désormais R. SAS) et Mme Gaia R. de leur demande de rappel et de destruction des stocks,

. débouté Or de Vendôme (désormais R. SAS) et Mme Gaia R. de leur demande de dommages et intérêts au titre de leur préjudice moral,

Statuant à nouveau et ajoutant,

- ordonner le rappel et la destruction des stocks des bijoux litigieux, soit les produits Mono Black Silver Ear Cuff-AE9950BZT et Mono Black Silver Clip Earring AE9949BZT, sous astreinte de 500 euros par infraction constatée, et ce, à compter du quinzième jour suivant la signification du présent arrêt,

- se réserver la liquidation des astreintes conformément aux dispositions des articles L. 131-1 et L. 131-3 du code des procédures civiles d'exécution (anciens articles 33 et 35 de la loi du 9 juillet 1991),

- ordonner la publication de la décision à intervenir sous forme de communiqués dans cinq journaux français ou étrangers, au choix de la société R. SAS, et aux frais de l'appelante, sans que le coût de chaque publication n'excède la somme de 7 000 euros HT,

- condamner l'appelante à verser à la société R. SAS les sommes actualisées et complémentaires de 19 817,1 euros et de 39 634,7 euros (soit un total de 128 812,8 euros : 89 178,1 euros + 39 634,7 euros) en réparation de son préjudice matériel,

- condamner l'appelante à verser à la société R. SAS et à Mme Gaia R. la somme complémentaire de 90 000 euros (soit un total de 100 000 euros : 10 000 euros + 90 000 euros) en réparation de leur préjudice moral,

- débouter l'appelante de ses demandes de procédure abusive ainsi que de toutes ses autres demandes,

En tout état de cause,

- débouter l'appelante de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

- condamner l'appelante à verser aux intimées la somme de 25 000 euros au titre des frais irrépétibles d'appel, ainsi qu'aux entiers dépens, en ce compris les frais des constats d'huissier visés en pièces n°5 et 24, qui pourront être recouvrés directement conformément à l'article 699 du code de procédure civile.

Vu l'ordonnance de clôture du 3 septembre 2020.

SUR CE, LA COUR :

Il est expressément renvoyé, pour un examen complet des faits de la cause et de la procédure, au jugement déféré et aux conclusions, précédemment visées, des parties.

Il suffit de rappeler que Mme Gaia R. est une créatrice de bijoux de haute joaillerie de style « avant-gardiste », fabriqués et commercialisés par la société R. diffusion, fondée à Turin en 1920 puis établie à Monaco. La société Or Vendôme distribue ces bijoux en France dans les magasins et points de vente à l'enseigne R..

Ayant découvert que la société APM Monaco, ci-après la société APM, proposait à la vente, sous les références Mono Black Silver Ear Cuff-AE9950BZT et Mono Black Silver Clip Earring-AE9949BZT, des boucles d'oreilles de fantaisie constituant la copie quasi-servile de leurs modèles de boucles d'oreilles iconiques des collections « Berbère » et « Staple », Mme R., la société R. diffusion et la société Or Vendôme, après avoir fait établir par huissier de justice, le 11 janvier 2017, un procès-verbal de constat sur le site internet accessible à l'adresse « www.apm.mc » et, le 7 février 2017, un procès-verbal de constat d'achat dans une boutique parisienne à l'enseigne APM, l'ont mise en demeure, par lettre recommandée avec accusé de réception du 21 février 2017, de cesser ce 'pillage' illicite.

La société APM n'a pas donné suite à cette mise en demeure et a poursuivi l'offre en vente des boucles d'oreilles incriminées ainsi qu'il a été montré par les procès-verbaux de constat par huissier de justice dressés le 17 mars 2017 puis le 22 juin 2017 sur le site internet de la société APM ainsi que sur ses comptes « Facebook » et « Instagram ».

C'est dans ces circonstances que Mme R., la société R. diffusion et la société Or de Vendôme ont fait assigner, le 30 novembre 2017, la société APM devant le tribunal de commerce de Paris pour répondre du grief de parasitisme.

Le débat en cause d'appel se présente dans les mêmes termes qu'en première instance, chacune des parties réitérant devant la cour ses demandes telles que soutenues devant les juges consulaires.

Ceci posé, il importe de relever à titre liminaire, au vu des dernières conclusions des parties, que le jugement entrepris n'est pas critiqué en ce qu'il déclare recevables les pièces 7, 8 et 8 bis des sociétés R. diffusion et Or de Vendôme et Mme Gaia R. ; que la société APM poursuit l'infirmation de ce jugement « en toutes ses dispositions, sauf en ce qu'il a débouté (..) la société R. diffusion et Mme Gaia R. de leur demande de dommages-intérêts au titre de leur préjudice moral »; or, le tribunal, selon le jugement déféré, n'a pas débouté la société R. diffusion de sa demande de dommages-intérêts au titre de son préjudice moral mais y a fait droit à hauteur de la somme de 10.000 euros; il s'en infère que la société APM demande l'infirmation du jugement du chef de cette disposition ainsi qu'il est confirmé par sa déclaration d'appel aux termes de laquelle il est énoncé que « l'appel tend à faire annuler ou réformer la décision entreprise en ce qu'elle a : (...) condamné la société APM à payer à R. diffusion SAM la somme de 10.000 euros au titre de son préjudice moral ».

Sur la recevabilité à agir,

La société APM, qui fait observer que l'action dirigée à son encontre est une action en responsabilité délictuelle fondée sur le parasitisme et non pas une action en contrefaçon fondée sur le droit d'auteur, conteste la recevabilité à agir de Mme R. en sa qualité de créatrice des bijoux prétendument copiés et critique le jugement pour avoir écarté la fin de non-recevoir au motif, selon elle inopérant en l'espèce, que le droit moral est attaché à la personne de l'auteur.

Certes, Mme R. ne se prévaut pas du droit d'auteur et ne prétend pas que ses œuvres seraient originales et comme telles éligibles à la protection conférée par le droit d'auteur.

Il demeure qu'elle invoque son préjudice moral personnel à raison des actes de parasitisme litigieux, qui banaliseraient ses modèles de bijoux au mépris de ses efforts créatifs, et qu'elle est recevable à agir de ce chef, l'action étant ouverte, selon les dispositions de l'article 31 du code de procédure civile, à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d'une prétention.

En sa qualité, non contestée, de créatrice des deux modèles de boucles d'oreilles que la société APM aurait indûment copiés, Mme R. est recevable à voir examiner sur le fond sa demande formée au titre de son préjudice moral, afin que le juge la dise bien ou mal fondée ; la fin de non-recevoir qui lui est opposée par la société APM a été, en conséquence, justement écartée par le jugement entrepris.

La société APM conteste en outre la recevabilité à agir des sociétés R. diffusion et Or de Vendôme, faisant valoir que les premiers juges, en raison du flou entretenu par les intimées, n'ont pas identifié l'opérateur économique qui exploite les modèles revendiqués et en assure la prétendue promotion.

Or, il est établi au vu des pièces de la procédure que la société R. diffusion a pour objet social la création d'une ligne de produits de luxe de la marque R. ou de marques dérivées, ainsi que la production, la vente, la licence et la distribution de ces produits ; que les boucles d'oreilles des collections « Berbère » et « Staple » sont exposées à la vente sur le site internet « www.r..com » exploité par la société R. diffusion qui assure en outre la promotion des produits R. ainsi qu'en attestent les factures émises à son ordre pour des opérations publicitaires.

Il s'ensuit que la société R. diffusion est recevable à agir en parasitisme dès lors que sont en cause des produits qu'elle fabrique et qu'elle commercialise.

Quant à la société Or de Vendôme, il ressort de l'extrait K-bis la concernant qu'elle a son siège social au [...] et qu'elle exploite la boutique à l'enseigne « R. » établie en ce lieu outre qu'elle assure la distribution des produits R. en France dans les magasins et points de vente de détail à l'enseigne « R. ».

Elle est recevable en sa qualité de distributeur à invoquer une perte d'exploitation et un trouble commercial en conséquence des actes de parasitisme reprochés à la société APM.

Le jugement déféré est dès lors confirmé en ce qu'il a retenu la recevabilité à agir des trois demanderesses à l'instance.

Il est constant, en cause d'appel, que la société R. (SAS) vient aux droits de la société R. diffusion (société anonyme monégasque) et de la société R. (SARL) anciennement dénommée Or de Vendôme, qui ont été dissoutes sans liquidation, ayant fait l'objet d'une reprise par transmission universelle de leur patrimoine au profit de la société R. (SAS).

En conséquence des motifs qui précèdent, la société R. (SAS) est recevable à agir comme venant aux droits des société R. diffusion (société anonyme monégasque) et R. (SARL) anciennement dénommée Or de Vendôme.

Sur les agissements parasitaires invoqués,

Les intimées reprochent à la société APM des agissements parasitaires engageant sa responsabilité délictuelle au fondement de l'article 1240 du code civil pour avoir commercialisé, à moindre prix, des boucles d'oreilles référencées Mono Black Silver Ear Cuff-AE9950BZT et Mono Black Silver Clip Earring-AE9949BZT constituant la reproduction servile des deux modèles de boucles d'oreilles emblématiques appartenant, respectivement, à la collection « Berbère » et à la collection « Staple » de la société R. et profité ainsi, indûment, des investissements consentis par cette dernière et de sa notoriété.

La société APM rétorque en défense que la société R. se garde de revendiquer des droits d'auteur pour des modèles de boucles d'oreilles, ordinaires et communs, qui s'inscrivent dans les canons de la mode des anneaux multiples ornant le cartilage des oreilles ainsi qu'en attestent les nombreux modèles du même genre rencontrés sur le marché ; que la reproduction de tels bijoux, dépourvus de tout élément caractéristique de nature à les démarquer de la simple tendance, n'est pas condamnable et procède de la liberté du commerce et de l'industrie; que la notoriété des deux modèles invoqués n'est pas montrée, pas plus que ne sont établis les investissements propres à ces modèles, les publications de photographies dans la presse ne permettant pas de pallier l'absence d'éléments chiffrés ; enfin, qu'il n'est caractérisé à sa charge aucune intention de promouvoir sa propre activité commerciale en profitant gratuitement et sans risque du fruit des efforts de toute nature et des investissements d'autrui, la lecture de son catalogue montrant que les deux modèles incriminés sont présentés à la vente parmi cinq cents autres modèles et ce seul constat suffisant à écarter toute recherche d'un avantage indu.

Or, s'il résulte du principe essentiel de la liberté du commerce et de l'industrie que le simple fait de copier un produit concurrent qui n'est pas protégé par des droits de propriété intellectuelle ne constitue pas en soi un acte de concurrence déloyale et que la recherche d'une économie au détriment d'un concurrent n'est pas en tant que telle fautive, c'est sous réserve de respecter les usages honnêtes et loyaux du commerce.

A cet égard, constitue un comportement illicite comme contraire à de tels usages le fait, pour une personne physique ou morale, à titre lucratif et de façon injustifiée, de copier une valeur économique d'autrui, individualisée et procurant un avantage concurrentiel, fruit d'un savoir-faire, d'un travail intellectuel et d'investissements. Un tel fait caractérise du parasitisme économique et engage la responsabilité civile de son auteur au fondement de l'article 1240 du code civil.

Il incombe toutefois à celui qui se prétend victime de parasitisme économique d'établir que les éléments constitutifs de ce comportement illicite sont réunis.

Les intimées doivent en conséquence montrer, d'abord, que les deux modèles de boucles d'oreille qu'elles reprochent à la société APM d'avoir copiés représentent une valeur économique individualisée et procurant un avantage concurrentiel, fruit d'un savoir-faire, d'un travail intellectuel et d'investissements.

Elles exposent à cet effet que leurs collections de bijoux de luxe sont le résultat d'importants efforts de création et requièrent des investissements conséquents de fabrication ainsi que, pour assurer leur succès auprès d'une clientèle internationale, des investissements constants de promotion et de publicité. Ainsi, quelques collections seulement sont développées et représentent, telles les collections « Berbère » et « Staple », des collections phares, emblématiques de la « Maison R. ».

Elles justifient, au regard des articles de presse produits aux débats, que la « collection Berbère d'inspiration tribale est le best-seller de la maison » (article WordPress du 13 juin 2016) et que, « les fameuses boucles d'oreilles piercing de la collection Berbère 2011, par leur allure ethno-rock, font littéralement pâlir la fashion sphère » (article tendances de mode.com du 29 juin 2012). La presse présente également la collection « Staple » ou « Agrafe » comme « la nouvelle obsession bijoux signée R. » (article vogue.fr du 6 mars 2016) et explique, sous le titre « Coup de cœur : la collection Agrafe de R. », que « c'est une référence aux agrafes mais aussi aux points de sutures que les bijoux reproduisent de manière figurative en or rose, en or noir, en or jaune, pavées ou non. C'est quasi-clinique, forcément minimal. » (article de L'Officiel.com du 9 mars 2016).

D'autres publications de la presse de mode ou de la presse féminine montrent des photographies publicitaires de mannequins s'affichant avec les boucles d'oreilles de la collection « Berbère » et, notamment, celles parues dans :

-Express Style du 27 novembre au 3 décembre 2013 : plusieurs photographies d'un mannequin assorties de la mention « boucle d'oreille Berbère en or noir pavé de diamants R. »

-Grazia du 18 au 24 octobre 2013 : photographie d'un mannequin assortie à la mention « boucle d'oreille Berbère en or jaune R. »

-Grazia du 26 septembre au 3 octobre 2013 : photographie de deux mannequins avec la mention « Boucle d'oreille Berbère multi piercing en or noir R. »

-Stiletto automne 2013 : plusieurs photographies d'un mannequin avec la mention « boucle d'oreille Berbère multi piercing en or noir pavée de diamants R. »

-Vogue Japon février 2014 : plusieurs photographies d'un mannequin avec la mention « boucle d'oreille Berbère multi piercing en or blanc pavée de diamants R. » et « en or blanc sertie de turquoises R. »

Sont extraites en outre, de cette même presse, des photographies de célébrités internationales arborant ce modèle de boucles d'oreilles, et notamment celles de :

- Emma W. au festival de Cannes 2013 (Vogue.fr)

- Marion C. en couverture de Marie-Claire de juin 2014,

- Natalia V. dans Madame F. du 22 novembre 2013

- Anne H. en couverture de Elle UK de novembre 2014.

Concernant la boucle d'oreille « Staple », elle est exposée sur une série de photographies du mannequin Julia N. publiées en janvier 2017 sur le compte Instagram de la société R., sur une photographie de l'actrice Bella H. au festival de Cannes 2016 (Vanityfair.fr 4 mai 2016), et sur diverses photographies des actrices Mélanie T., Tilda S., Riley K., Rila F., Nicole K..

Il résulte de ces éléments de la procédure que les modèles de boucles d'oreilles « Berbère » et « Staple » rencontrent un fort succès auprès de personnalités de renom et ont acquis, en France, et dans le monde, une notoriété qui en fait des modèles emblématiques de la société R. à laquelle ils sont fortement identifiés.

Contrairement à ce que soutient la société APM, la société R. établit par des éléments chiffrés que le succès et la renommée de ses modèles sont le fruit des importants investissements, notamment promotionnels, qu'elle a réalisés et dont elle justifie par des factures versées aux débats.

Selon une attestation de son commissaire aux comptes du 12 janvier 2017, la société R. diffusion a consacré une somme totale de 3.963.470 euros sur les quatre années précédentes à des investissements promotionnels et publicitaires pour l'ensemble de ses collections, soit une moyenne d'1 million d'euros par an.

La campagne publicitaire initiée en 2012-2013 pour la promotion de la boucle d'oreille « Berbère » a été facturée pour un coût de l'ordre de 150.000 euros comprenant en particulier la rémunération du photographe David S..

Les clichés du mannequin Julia N. reproduits sur le compte Instagram de la société R. ont occasionné une dépense de 80.000 euros incluant la rémunération du mannequin, du photographe, le coût des droits d'exploitation.

Un partenariat a été conclu avec l'actrice Tilda S., sur la période d'octobre 2016 à octobre 2017, pour une campagne promotionnelle de la boucle d'oreille « Staple », au prix de 100.000 euros.

Le lancement de la collection « Staple » en mars 2016 dans la Gallerie d'art contemporain Gagosian au Bourget, événement relaté dans l'ensemble de la presse de mode, a justifié une dépense de 155.000 euros en sus de la rémunération du photographe David S. de 75.000 euros.

Quant aux coûts de fabrication, ils sont justifiés à concurrence d'un montant de 435.716,17 euros pour la constitution du stock de la boucle d'oreille « Staple » en 2018.

Il suit de l'ensemble des observations qui précèdent que les intimées établissent que les modèles de boucles d'oreilles « Berbère » et « Staple » sont des valeurs économiques individualisées et procurant un avantage concurrentiel, fruit d'un savoir-faire, d'un travail intellectuel et d'investissements.

Force est de constater, ensuite, au terme de l'examen sur pièces auquel a procédé la cour, que ces modèles sont à l'évidence reproduits servilement par les modèles Mono Black Silver Clip Earring-AE9949BZT et Mono Black Silver Ear Cuff-AE9950BZT de la société APM.

Ainsi, le modèle Mono Black Silver Clip Earring-AE9949BZT est composé, comme la boucle d'oreille « Berbère », d'une succession de trois anneaux de taille identique, ces trois anneaux étant, chacun, pavés de petits diamants disposés régulièrement sur deux rangées et fixés à une barre légèrement incurvée qui vient se placer derrière le lobe de l'oreille.

Le modèle Mono Black Silver Ear Cuff-AE9950BZT est constitué, à l'instar de la boucle d'oreille « Staple », d'une petite barre, ou barrette, droite en forme d'agrafe ou de point de suture recourbée sur elle-même en ses deux extrémités, cette barre étant revêtue de petits diamants disposés régulièrement sur deux rangées.

Les deux modèles de la société R. sont copiés à l'identique, chacun en tous ses éléments caractéristiques, dans les mêmes proportions et les mêmes dimensions et selon la même disposition. Seuls les matériaux diffèrent, les modèles de la société APM n'étant ni en or ni pavés de diamants mais réalisés dans une matière ordinaire et revêtus de faux brillants.

Il apparait, enfin, que la reproduction servile de ces deux modèles n'est pas fortuite mais traduit une intention délibérée de la société APM de se placer dans le sillage du prestige attaché à ces modèles de la haute joaillerie et ainsi, de s'emparer indûment des investissements humains et financiers consentis par la société R. pour les créer, les fabriquer et les promouvoir.

Cette intention délibérée est caractérisée à raison du fait que deux modèles de collections différentes, ce qui ne peut résulter du hasard, ont été reproduits, de surcroît servilement, et après que la société APM a pu vérifier la notoriété acquise par ces modèles quelques années après leur lancement sur le marché en 2011 pour la collection « Berbère » et en mars 2016 pour la collection « Staple » ainsi que le succès avéré de ces modèles.

L'économie réalisée par la société APM en profitant des investissements, notamment de création et de promotion, consentis par la société R., lui a permis, avantageusement, de développer ses copies à bas coût et de les commercialiser pour des prix très modiques de 108 euros TTC et 110 euros TTC qui ne résultent pas seulement de l'utilisation de matériaux ordinaires de moindre qualité.

Pour contester tout comportement fautif, la société APM soutient que les modèles de la société R. peuvent être librement imités car ils sont dépourvus de caractéristiques particulières et s'inscrivent dans les tendances de la mode. Force est d'observer qu'elle ne produit aux débats la moindre pièce de nature à corroborer ses allégations. S'il est montré que le genre tribal comportant une succession d'anneaux et le genre minimaliste composé d'une simple barrette appartiennent à des tendances de la mode, force est de constater que les modèles soumis à la cour sont tous différents quoique relevant de l'un ou l'autre de ces genres, et qu'en toute hypothèse, aucun de ces modèles ne ressemble à la boucle d'oreille « Berbère » d'inspiration tribale ou à la boucle d'oreille « Staple » de genre minimaliste qui présentent, chacune, une physionomie propre et se démarquent des autres modèles de même style.

Il est ainsi établi, en considération de l'ensemble des observations qui précèdent, que la société APM a commis au détriment de la société R. des agissements illicites constitutifs de parasitisme économique et ouvrant droit à réparation.

Sur les préjudices et la réparation,

La société R. poursuit la confirmation du jugement entrepris en ce qu'il a fixé à la somme de 69.361 euros la réparation de son préjudice matériel tandis que la société APM conteste ce montant et estime que la réparation doit être tout au plus symbolique. L'appelante fait valoir à cet égard que la société R. ne précise pas la part de ses dépenses promotionnelles affectée aux deux modèles en cause sur le territoire national. Elle ajoute que les bijoux querellés ne lui ont rapporté, sur le marché français, qu'un chiffre d'affaires dérisoire de 1.585 euros HT au total n'ayant vendu, sur ce marché, que 44 exemplaires de la boucle d'oreille AE9949BZT (copie du modèle « Berbère ») et 8 exemplaires de la boucle d'oreille AE9950BZT (copie du modèle « Staple »), cette dernière ayant été retirée du marché dès le mois d'avril 2017.

Or, il importe de prendre en compte, dans l'estimation du préjudice matériel subi en conséquence d'agissements parasitaires, des économies d'investissements, de toute nature, réalisées indûment par le parasite. Il s'ensuit que c'est avec raison que les premiers juges ont pris en compte les économies indues de la société APM qu'ils ont estimées, raisonnablement, au regard des circonstances de la cause, à 1% des investissements consentis par la société R. pour la promotion de ses collections. Ces investissements, de l'ordre de 1.000.000 d'euros par an ainsi qu'il a été précédemment retenu, ont été affectés pour partie, depuis 2011, au modèle de boucle d'oreille « Berbère » et, depuis 2016, affectés pour partie aux deux modèles de boucle d'oreille « Berbère » et « Staple ». Au regard de ces éléments d'appréciation, la somme de 69.361 euros fixée par les premiers juges au titre de la réparation du préjudice matériel est satisfactoire et sera confirmée.

La société R. demande, au titre de son préjudice matériel actualisé, une indemnité complémentaire de 128.812,8 euros au motif que la société APM persiste à offrir à la vente les deux modèles de bijoux querellés ainsi qu'en atteste le procès-verbal de constat établi par huissier de justice le 4 octobre 2019.

Il résulte du procès-verbal de constat précité que la société APM offrait en vente, en effet, sur son site internet, à la date du constat soit le 4 octobre 2019, le modèle de boucle d'oreille constituant l'imitation de la boucle d'oreille « Berbère », au prix de 119 euros TTC. Il n'est pas montré en revanche que la commercialisation du modèle de boucle d'oreille constituant l'imitation de la boucle d'oreille « Staple » se soit poursuivie après le prononcé de la décision de première instance du 28 janvier 2019.

Compte tenu des observations qui précèdent, une somme complémentaire de 5.000 euros doit être allouée à la société R. au titre de son préjudice matériel actualisé à raison de la commercialisation du modèle de boucle d'oreille constituant l'imitation de la boucle d'oreille 'Berbère' jusqu'au 4 octobre 2019.

La société R. a subi, à raison des actes illicites de la société APM, un préjudice moral, ses modèles iconiques, vendus au prix de 5.800 euros TTC pour la boucle d'oreille 'Berbère' et de 7.400 euros TTC pour la boucle d'oreille « Staple » ayant été incontestablement banalisés, voire avilis, par la reproduction servile qui en a été faite dans des matériaux de qualité médiocre et à bas prix. Il en résulte en outre, pour cette société, une atteinte au prestige associé à son image de marque de joaillier de luxe et un risque de désaffection de la clientèle qui lui est attachée. La somme de 10.000 euros qui lui a été allouée à ce titre par les premiers juges, et qu'elle ne conteste pas, est en conséquence confirmée.

Il n'est pas discuté que Mme Gaia R. occupe au sein de la société R. les fonctions de directrice artistique et il n'est pas davantage contesté qu'elle est la créatrice des modèles de boucles d'oreilles « Berbère » et « Staple ».

Selon les publications de presse produites aux débats, elle a insufflé aux créations de la société R., qui procèdent de son inspiration et reflètent son goût, sous les influences du Bauhaus ou de l'Art Nouveau, pour les lignes épurées parfois austères et pour les designs minimalistes, une identité particulièrement reconnaissable.

Il s'ensuit que la banalisation de ses modèles à raison de leur reproduction servile dans des matériaux de qualité médiocre et à bas prix est de nature à causer à Mme Gaia R. un préjudice moral personnel, distinct de celui de la société R., qui doit être justement réparé par l'allocation d'une indemnité de 10.000 euros, celle de 90.000 euros, réclamée étant très excessive au regard de l'ampleur du préjudice subi.

Le jugement entrepris est en conséquence infirmé en ce qu'il a débouté Mme R. de sa demande de réparation de son préjudice moral.

Les mesures d'interdiction sous astreinte, prononcées par les premiers juges, et dont les intimées demandent la confirmation, sont suffisantes pour faire cesser les actes illicites sans qu'il y ait lieu de les compléter par des mesures de rappel et de destruction des produits incriminés, qui ne sont ni nécessaires ni proportionnées au regard de l'objectif recherché qui peut être atteint par le recours, le cas échéant, à la liquidation de l'astreinte comminatoire assortissant la décision de justice.

De même, la mesure de publication judiciaire sur le site internet de la société APM telle qu'ordonnée par les premiers juges est suffisante à la juste réparation du préjudice des intimées et proportionnée à la nécessité d'informer le public sur les agissements illicites commis par la société APM au préjudice des intimées. La demande tendant à voir organiser, par surplus, une publication dans 5 journaux français aux frais de la société R. n'est pas justifiée.

Sur les autres demandes,

Il découle du sens de l'arrêt que les griefs invoqués par les intimées à l'encontre de la société APM sont fondés et que la procédure qu'elles ont engagée pour voir reconnaître leurs droits n'est pas abusive. La demande de 10.000 euros dommages-intérêts formée de ce chef par la société APM est en conséquence rejetée.

Le jugement confirmé pour l'essentiel le sera également en ses dispositions relatives au sort des dépens de première instance et à l'application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

La société APM succombant à l'appel en supportera les dépens qui ne comprennent pas les frais de constat par huissier de justice non visés à l'article 695 du code de procédure civile, et sera condamnée, en équité, à payer aux intimées une indemnité globale de 15.000 euros au titre des frais irrépétibles d'appel.

Les dépens d'appel pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS :

Constate que la société R. (SAS) vient aux droits des sociétés R. diffusion (SAM) et Or de Vendôme (SARL),

Confirme le jugement déféré sauf en ce qu'il a débouté Mme Gaia R. de sa demande en réparation de son préjudice moral,

Statuant à nouveau du chef infirmé et ajoutant,

Condamne la société APM Monaco à payer à Mme Gaia R. la somme de 10.000 euros au titre de la réparation de son préjudice moral,

Condamne la société APM Monaco à payer à la société R. la somme complémentaire de 5.000 euros au titre de la réparation de son préjudice matériel actualisé,

Condamne la société APM Monaco aux dépens d'appel et à payer à la société R. et à Mme Gaia R. une indemnité globale de 15.000 euros au titre des frais irrépétibles d'appel,

Dit que les dépens d'appel pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.