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Décisions

CA Bordeaux, 4e ch. civ., 25 novembre 2020, n° 17/06723

BORDEAUX

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

La Table De Charbon Blanc (SARL)

Défendeur :

Les Oliviers (SARL), Ekip (SELARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Chelle

Conseillers :

Mme Fabry, Mme Brisset

T. com. Bordeaux, du 19 oct. 2017

19 octobre 2017

FAITS ET PROCÉDURE

En mai 2012, MM. C., Dergougnan, Piaud et G. ont créé la SARL La Table de Charbon Blanc (la société LTCB), société exploitant le restaurant La table du Charbon Blanc, à Carbon-Blanc. M. L. était salarié du restaurant depuis le 2 juillet 2011, date de l'ouverture du restaurant.

Le 1er mai 2013, MM. B., Piaud et G. ont démissionné de leurs fonctions de cogérants. Le même jour, M. G. est devenu salarié de la société LTCB. Le 13 novembre 2014, il a démissionné de son poste de chef de salle. Le 19 décembre 2014, M. L. a démissionné de son poste de chef cuisinier.

Le 3 février 2015, la SARL Les Oliviers, constituée par M. G., a ouvert le restaurant Les Oliviers à Sainte Eulalie et a embauché M. L. en tant que chef cuisinier.

Le 2 avril 2015, M. C. a racheté les parts sociales de M. G..

La société LTCB a, par acte du 17 décembre 2015, fait assigner la SARL Les Oliviers et M. G. devant le tribunal de commerce de Bordeaux, afin de voir constater les actes de concurrence déloyale et parasitaires dont ils se seraient rendus coupables.

Par jugement contradictoire du 19 octobre 2017, le tribunal a :

- Dit que la société Les Oliviers et M. G. ne se sont pas rendus coupables d'acte de parasitisme et de concurrence déloyale envers la société LTCB,

- Débouté la société LTCB de ses demandes,

- Débouté M. G. et la société Les Oliviers de l'ensemble de leurs demandes,

- Condamné la société LTCB à verser à la société Les Oliviers la somme de 750 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens.

La société LTCB a relevé appel de la décision le 5 décembre 2017, en toutes ses dispositions, à l'exception de celle déboutant M. G. et la société Les Oliviers de l'ensemble de leurs demandes, intimant M. G. et la société Les Oliviers.

Le 18 janvier 2018, une mesure de médiation judiciaire a été proposée aux parties, qui ne se sont pas accordées sur le principe d'une acceptation.

Par jugement du 20 juin 2018, le tribunal de commerce de Bordeaux a ouvert une procédure de redressement judiciaire de la société Les Oliviers, la SELARL Christophe M. étant désignée en qualité de mandataire judiciaire.

Le 2 août 2018, la société LTCB a assigné en intervention forcée la SELARL Christophe M., ès-qualités, lui signifiant ses conclusions.

MOYENS ET PRÉTENTIONS

Dans ses dernières écritures en date du 12 octobre 2018, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé des moyens et prétentions, la société LTCB demande à la cour de :

Réformer le jugement entrepris en toutes ses dispositions

Statuant à nouveau :

Dire et juger que la société Les Oliviers et Monsieur G. se sont rendus coupables d'actes de concurrence déloyale et parasitaires à l'égard de la société La Table de Charbon Blanc

Condamner en conséquence in solidum la société Les Oliviers et Monsieur G. à payer à la société La Table de Charbon Blanc :

La somme de 154 686 euros en réparation de son préjudice financier

La somme de 20 000 euros en réparation de l'atteinte portée à son image.

Condamner les mêmes au paiement de la somme de 6 000 euros au titre de l'article 700 ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel.

Elle fait valoir que M. G. s'est servi de son emploi de salarié et de ses fonctions d'associé pour commettre des actes de concurrence déloyale. Elle affirme que M. G. a effectué les actes préparatoires à l'ouverture de son restaurant alors qu'il était encore salarié de la société LTCB, et qu'il a gardé son projet secret. Elle soutient que M. G. a procédé à un démarchage systématique de la clientèle du restaurant LTCB, et qu'il a commis des actes de confusion, ainsi que des actes de dénigrement déloyaux, ce qui a porté atteinte à l'image du restaurant.

Dans ses dernières écritures en date du 4 mai 2018, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé des moyens et prétentions, les intimés demandent à la cour de :

Confirmer le jugement du 19 octobre 2017

Débouter la SARL La Table de Charbon Blanc de l'ensemble de ses demandes fins et prétentions.

Condamner la société La Table de Charbon Blanc à verser une somme de 1 500 euros chacun à la SARL Les Oliviers et Monsieur G. sur le fondement de l'article 700 du CPC

La condamner aux entiers dépens.

Ils soutiennent que M. G. n'était pas soumis à une obligation de non-concurrence. Ils affirment que la société Les Oliviers a été créée après la fin du contrat de travail liant M. G. à la société LTCB et que l'obligation d'exécution de bonne foi des conventions ne s'applique que pendant l'exécution du contrat. M. G. conteste avoir démarché la clientèle de la société LTCB. Les intimés font valoir qu'ils n'ont commis aucun acte fautif s'agissant de M. L..

La SELARL Christophe M., ès-qualités, n'a pas constitué avocat.

La clôture de la procédure a été prononcée selon ordonnance du 14 octobre 2020.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Compte tenu de l'ouverture de la procédure de redressement judiciaire à l'encontre de la société Les Oliviers, l'instance était suspendue et ne pouvait tendre, après mise en cause des organes de la procédure, qu'à la fixation de la créance au passif. Si le mandataire a bien été mis en cause par acte du 2 août 2018 de sorte que l'instance a pu être reprise, l'appelante n'en a pas tiré toutes les conséquences en concluant toujours à la condamnation de la société Les Oliviers. La créance ayant toutefois été déclarée au passif pour les mêmes montants, il convient de considérer une demande de fixation.

Il convient d'apprécier les prétentions dirigées contre M. G. à titre de condamnation et envers la société à titre de fixation. M. G. était à la fois salarié et associé de la société La Table de Charbon Blanc. Il est constant qu'il n'était pas lié par une clause de non-concurrence, puisque celle-ci n'a jamais été rémunérée, dont l'éventuelle violation aurait pu être soumise au conseil de prud'hommes.

Les demandes sont formées sous l'angle de la concurrence déloyale et d'actes de parasitismes sur un fondement délictuel. Le principe est celui de la liberté de la concurrence, de sorte qu'il revient à l'appelante de rapporter la preuve d'actes manquant à la loyauté du commerce et du préjudice qui en est résulté pour elle dans un lien de causalité, conformément aux principes généraux de la responsabilité civile.

Des éléments produits, il résulte qu'alors que M. G. travaillait encore de manière effective au sein du restaurant La Table de Charbon Blanc, il a entrepris de créer un restaurant du même type à une distance particulièrement proche puisqu'éloignée de seulement 1km200 et ce en constituant la société Les Oliviers. En effet, alors que M. G. a présenté sa démission de salarié le 13 novembre 2014 et a cessé d'être associé le 2 avril 2015, les statuts de la nouvelle société ont été signés le 22 octobre 2014 et la société immatriculée le 3 novembre 2014. Peu importe la date de début d'activité effective puisque la préparation nécessaire à ce début d'activité était bien antérieure. Si M. G. fait valoir que ses associés étaient informés de son projet, il n'en demeure pas moins que la date de l'information n'est pas précisée et que surtout les modalités de la future installation étaient très imprécises en particulier sur la localisation du nouvel établissement.

Le seul fait que les cartes présentent certaines similitudes tant de prix que de contenu est insuffisant dès lors que ce type d'établissement peut présenter un certain nombre de standards identiques, y compris dans une concurrence normale.

Il doit certes être tenu compte d'autres éléments et il y a lieu à ce titre d'apprécier les témoignages versés aux débats. Ils sont produits en grand nombre. Le tribunal les a écartés en considérant qu'ils n'étaient pas conformes aux dispositions de l'article 202 du code de procédure civile. Contrairement aux affirmations de l'appelante, il n'a pas ainsi statué ultra petita puisque les témoignages ne constituent pas une demande et que le tribunal appréciait leur pertinence et a pu considérer qu'ils n'étaient pas probants.

La cour ne suivra cependant pas la même analyse pour écarter ces attestations. En effet, il est exact que les attestations produites en pièces 20 à 43 ne sont pas toutes conformes aux dispositions de l'article 202 du code de procédure civile pour ne pas préciser qu'elles sont faites en vue d'une production en justice, il n'en demeure pas moins qu'elles sont, sauf pour les pièces 29 et 40, manuscrites, signées de leur auteur et accompagnées d'un document d'identité. Elles présentent donc des garanties suffisantes. M. G. fait encore valoir qu'elles ne mentionnent pas les liens de parenté ou d'amitié, mais ceci ne concerne pas toutes les attestations qui sont nombreuses et concordantes sur l'annonce par M. G. de l'ouverture de son nouveau restaurant dans l'enceinte du premier. Il ne peut utilement soutenir qu'il n'aurait pu annoncer cette installation dès octobre puisqu'il ignorait la localisation de ce futur restaurant alors que l'adresse exacte est mentionnée dans les statuts de la société signés le 22 octobre 2014.

Il convient certes d'écarter des débats l'attestation de Mme N. puisqu'elle en a rédigé une au profit de l'appelante (pièce 53) et une dans des termes contraires revenant sur la première (pièce 19) au profit de l'intimé. Mais il subsiste la réunion de toutes les autres attestations. Il résulte donc de la combinaison de tous ces éléments que M. G. a préparé de manière anticipée l'ouverture du nouveau restaurant à une distance rapprochée du premier et en l'annonçant aux clients, sans que la cour ne puisse retenir le dénigrement qui n'est mentionné que dans une seule attestation et ce de manière très générale.

Il apparaît ainsi que M. G. a bien profité de sa présence au sein du restaurant La Table de Charbon Blanc pour annoncer aux clients de cet établissement l'ouverture prochaine de son restaurant et qu'il a ultérieurement embauché le chef cuisinier. Toutefois, contrairement aux affirmations de l'appelante, il n'est pas justifié d'une entreprise de débauchage du chef cuisinier de sorte que son embauche ultérieure relevait d'un fonctionnement normal de la concurrence.

Alors que les autres éléments invoqués tels que la fermeture de la page face book de l'établissement ne sont pas démontrés comme imputables à M. G., il subsiste donc uniquement le fait pour M. G. d'avoir annoncé par avance l'ouverture de son nouveau restaurant alors qu'il se trouvait encore dans le premier.

Ce fait demeure en lui-même insuffisant alors que le principe est celui de la concurrence libre et qu'il n'est pas justifié d'une désorganisation de l'entreprise imputable à cette annonce. Il est certes démontré une baisse de chiffre d'affaires de la société La Table de Charbon Blanc dans les mois qui ont suivi l'ouverture par M. G. du restaurant Les Oliviers. Toutefois, cette ouverture était possible et relevait d'une concurrence normale dès lors qu'il n'existait pas de clause de non-concurrence. L'appelante ne justifie pas que la baisse du chiffre d'affaires qu'elle invoque soit en lien avec les annonces de M. G. au sein du restaurant et ne soit pas la simple conséquence, outre d'aléas conjoncturels classiques, de l'ouverture d'une offre concurrente sur le même secteur qui demeurait en elle-même possible.

En d'autres termes, alors que M. G. n'était pas lié par une clause de non concurrence et avait donc la faculté de se retirer de la première société pour en constituer une seconde même concurrente, l'appelante qui supporte la charge de la preuve ne démontre pas que M. G. ainsi que la société Les Oliviers par conséquence aient commis des actes excédant ceux d'une concurrence peut être dynamique mais demeurant licite et que ce soient ces actes anormaux qui aient causé une désorganisation chez elle.

L'action était ainsi mal fondée et c'est à juste titre que les premiers juges l'ont rejetée. Le jugement sera ainsi confirmé en toutes ses dispositions comprenant l'application en première instance des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

L'appel étant mal fondé, l'appelante sera condamnée au paiement de la somme de 1 000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au profit de M. G. ainsi qu'aux dépens d'appel.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, par arrêt réputé contradictoire et en dernier ressort,

Confirme le jugement du tribunal de commerce de Bordeaux du 19 octobre 2017 en toutes ses dispositions,

Y ajoutant,

Condamne la SARL La Table de Charbon Blanc à payer à M. G. la somme de 1 000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne la SARL La Table de Charbon Blanc aux dépens d'appel.