CA Nîmes, 1re ch. civ., 26 novembre 2020, n° 18/03404
NÎMES
Arrêt
Infirmation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Bruyère
Conseillers :
Mme Toulouse, Mme Léger
EXPOSE DU LITIGE
Le 14 juin 2014, M. Mathieu K. a acquis auprès de M. Eddy D. un véhicule de marque BMW modèle Série 5 immatriculé AG 616 WS, au prix de 5 000 euros.
Le contrôle technique effectué le 19 mai 2014 par le vendeur, et remis à l'acquéreur, mentionnait un kilométrage au compteur de 206 364 kms.
À l'occasion d'une révision du véhicule et d'un contrôle technique effectué le 19 mai 2016, le garage BMW a informé M. K. d'une anomalie dans le kilométrage affiché au compteur, l'analyse de la clé de démarrage faisant état de 179 545 kms le 27 décembre 2007 et de 157 859 kms le 21 novembre 2011.
M. K. a sollicité l'avis d'un expert automobile qui a procédé à ses opérations le 03 août 2016 en présence du vendeur, et a confirmé les premières constatations du garage sur l'analyse de la mémoire de la clé de démarrage.
Par acte du 20 septembre 2017, M. K. a assigné M. D. devant le tribunal d'instance de Nîmes sur le fondement des articles 1603 et 1604 du code civil, pour voir prononcer la résolution de la vente pour manquement à l'obligation de délivrance conforme et de le voir condamner à la restitution du prix de vente ainsi qu'au paiement de diverses sommes.
Par jugement contradictoire du 21 août 2018, le tribunal d'instance de Nîmes a :
- prononcé la nullité de la vente intervenue entre M. K. et M. D., pour erreur sur la qualité substantielle du véhicule,
- condamné M. D. à lui payer :
la somme de 5 000 euros en remboursement du prix de vente
la somme de 683,18 euros au titre des frais mécaniques
la somme de 313,50 euros au titre des frais d'immatriculation
- condamné M. D. à payer à M. K. la somme de 700 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire du jugement
- condamné M. D. aux dépens de 1'instance, à l'exclusion des frais de 1'expertise réalisée à la demande de l'assurance.
Par déclaration du 21 septembre 2018, M. D. a interjeté appel de cette décision.
Dans ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 28 septembre 2020 auxquelles il sera renvoyé pour un plus ample exposé de ses prétentions et moyens, l'appelant demande à la cour de :
- réformer le jugement entrepris en ce qu'il a prononcé la nullité de la vente intervenue entre M.K. et M. D., pour erreur sur la qualité substantielle du véhicule, et par voie de conséquence condamné M. D. à payer à M. K. la somme de 5 000 euros en remboursement du prix de vente, la somme de 683, 18 euros au titre des frais mécaniques, et la somme de 313,50 euros au titre des frais d'immatriculation, outre 700 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, et aux dépens de l'instance ;
- statuant à nouveau, débouter M. K. de l'ensemble de ses prétentions ;
- condamner M. K. à verser à M. D. une somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner M. K. aux dépens de première instance comme d'appel.
Il soutient essentiellement que :
- la demande formulée par M. K. visait la résolution de la vente sur le fondement d'une erreur sur les qualités substantielles du véhicule, et subsidiairement, pour un manquement à l'obligation de délivrance conforme par le vendeur ; qu'il n'exposait pas dans sa demande en quoi une différence dans le kilométrage était une erreur substantielle pour un véhicule d'occasion et fortement kilométré, alors que par ailleurs le véhicule était en bon état comme le démontre le contrôle technique ; que lors de la vente M. D. a expressément indiqué qu'il ne garantissait pas le kilométrage.
- M. K. reconnaît avoir utilisé le véhicule pendant deux ans sans difficulté avant de découvrir que le kilométrage mentionné au compteur ne serait pas le bon ; que c'est bien la preuve que le kilométrage n'était pas un élément déterminant.
- l'expert mandaté par l'assurance de M. K. n'établit pas de falsification du kilométrage
- M. D. a lui-même acquis le véhicule en 2010, alors qu'il mentionnait plus de 130000 km au compteur, ce qui est cohérent avec l'utilisation normale qu'il a faite du véhicule avec 18000 km parcourus par an en moyenne.
- le véhicule vendu ne fait l'objet ni d'une erreur sur les qualités substantielles par l'acquéreur ni d'une absence de conformité.
Dans ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 2 octobre 2020 auxquelles il sera également renvoyé, l'intimé demande à la cour de :
- ordonner la révocation de l'ordonnance de clôture de la procédure fixée au 24 février 2020,
- dire recevables ses écritures en réplique,
à titre principal
- débouter M. D. de son appel, le dire mal fondé en la forme et sur le fond.
- confirmer le jugement du 21 août 2018 en ce qu'il a prononcé :
- la nullité de la vente intervenue le 14 juin 2014 entre MM. K. et D. portant sur le véhicule de marque BMW modèle série 5 immatriculé AG 616 WS,
- la condamnation de M. D. à payer à M. K. la somme de 5 000 euros en remboursement du prix de vente, la somme de 683,18 au titre des frais mécaniques et la somme de 313,50 au titre des frais d'immatriculation du véhicule.
Par voie de conséquence,
- ordonner la restitution du véhicule litigieux de marque BMW modèle série 5 immatriculé AG 616 WS, numéro de série WBADL71030GV17619.
- dire que M. D. devra reprendre ce véhicule à ses frais.
- débouter M. D. de l'intégralité de ses demandes,
Vu l'appel incident,
- le dire recevable et bien fondé tant sur la forme que sur le fond et y faire droit.
- réformer le jugement querellé en ce qu'il a débouté M. K. de sa demande de condamnation formulée à l'endroit de M. D. à hauteur de la somme de 2.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Et statuant à nouveau :
- condamner M. D. à payer à M. K. la somme de 3 000 euros au titre de la procédure de première instance et de la présente procédure d'appel sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
Sur la demande reconventionnelle,
- dire qu'il ne s'agit pas d'une demande nouvelle au visa de l'article 565 du code de procédure civile.
- condamner M. D. à payer à M. K. la somme de 1 630,45 euros TTC au titre des frais nécessaires à la conservation du véhicule litigieux et à 2 416,42 euros TTC au titre des frais d'assurance exposés pour le véhicule litigieux depuis juin 2014, les deux sommes, étant à parfaire au jour de l'arrêt à venir.
À titre subsidiaire,
Vu les articles 1603 et 1604 du Code civil,
Si la Cour venait à réformer le jugement dont appel :
- prononcer la résolution de la vente sur le fondement du manquement à l'obligation de délivrance du vendeur,
- ordonner la restitution du véhicule litigieux de marque BMW modèle série 5 immatriculé AG 616 WS, numéro de série WBADL71030GV17619,
- juger que M. D. devra reprendre ce véhicule à ses frais et le condamner à payer à M. K. l'intégralité des frais engagés pour le véhicule litigieux (frais de conservation, d'immatriculation, d'assurance).
À titre très subsidiaire,
Si la Cour venait à réformer le jugement dont appel et ne s'estimait pas suffisamment informée en l'état des constatations techniques incluses dans le rapport d'expertise du 11 août 2016 :
- ordonner une mesure d'instruction exécutée par tel technicien qu'il plaira à la Cour avec pour mission :
- De décrire l'historique du kilométrage du véhicule de marque BMW modèle série 5 immatriculé AG 616 WS depuis sa première mise en circulation,
- De consulter l'historique des cessions successives du véhicule afin d'avoir les relevés kilométriques correspondant,
- D'une manière générale, de faire toutes investigations que la Cour de céans jugera utile, afin de déterminer à quel moment la falsification du kilométrage est intervenue le cas échéant.
En tout état de cause
- condamner M. D. à payer à M. K. la somme de 3 000 euros au titre de la procédure de première instance et de la présente procédure d'appel sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
L'intimé indique notamment que :
- il est avéré que le kilométrage du véhicule litigieux a bien été falsifié et que ce paramètre était déterminant du consentement de l'acheteur face à un véhicule d'occasion.
- il a dû supporter les frais suivants nécessaires à la conservation du véhicule pour un montant de 718,88 euros TTC outre les frais d'assurance du véhicule pour un montant total de 2 416,42 euros.
- c'est à tort que les premiers juges l'ont débouté de sa demande de condamnation au titre de l'article 700 du code de procédure civile puisqu'il a dû supporter des frais irrépétibles pour faire valoir ses droits tant dans la procédure de première instance que dans la présente procédure d'appel.
Par ordonnance du 25 novembre 2019, la procédure a été clôturée au 10 février 2020 et l'affaire a été fixée à l'audience du 24 février 2020, successivement renvoyée au 22 juin 2020 en raison de la grève des avocats et au 12 octobre 2020 en raison de la crise sanitaire.
Par ordonnance du 12 octobre 2020, l'ordonnance de clôture a été révoquée et la nouvelle clôture a été fixée au 12 octobre 2020 et la décision a été mise en délibéré par mise à disposition au greffe de la décision le 26 novembre 2020.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la nullité de la vente :
L'article 1603 du code civil oblige le vendeur à délivrer et garantir la chose qu'il vend.
Sur la base d'un procès-verbal de contrôle technique du 1er avril 2010, M. D. a acquis de M. W. un véhicule BMW série 5 immatriculé AG-616-WS mentionnant un kilométrage de 131 494 km au prix de 10 000 euros.
Le 14 juin 2014, M. D. a vendu ce véhicule à M. K. au prix de 5 000 euros. Le procès-verbal de contrôle technique du 19 mai 2014 indiquait un kilométrage de 206 234 km (+ 74 740 en 4 ans).
Pour prononcer la résolution de la vente entre les parties, le premier juge a affirmé que le kilométrage parcouru par un véhicule d'occasion constitue l'une des qualités substantielles de ce véhicule, déterminante du consentement de l'acquéreur. Il en a déduit que la différence, existant entre le kilométrage réel et le kilométrage affiché au compteur, est constitutive d'un dol qui fonde la demande tendant à voir prononcer la nullité de la vente, quand bien même le vendeur serait de bonne foi.
M. D. soutient que la demande de M. K. visait en première instance la résolution de la vente sur le fondement d'une erreur sur les qualités substantielles du véhicule et subsidiairement sur un manquement à l'obligation de délivrance conforme par le vendeur sans exposer en quoi une différence dans le kilométrage était une erreur substantielle pour un véhicule d'occasion, fortement kilométré et par ailleurs en bon état.
Il relate avoir expressément fait part à l'acquéreur de l'absence de carnet d'entretien et lui avoir transmis les justificatifs des nombreuses réparations effectuées sur le véhicule avant la vente, à hauteur de 3 828 euros.
Il considère que M. K. ne démontre pas le caractère déterminant du kilométrage et que ce dernier reconnaît au surplus avoir utilisé le véhicule pendant deux années sans difficulté.
Il conclut que les relevés de compteur sont cohérents et qu'il ne peut nullement lui être imputé une quelconque falsification de compteur.
M. K. affirme quant à lui que l'annonce de vente mise en ligne le 23 mai 2014 indiquait un kilométrage de 199 999 km alors que le procès-verbal de contrôle technique daté du 19 mai 2014 mentionnait un kilométrage de 206 264 km, soit une différence initiale de près de 6 000 km.
Il indique n'avoir appris la falsification du kilométrage qu'à l'occasion du contrôle technique périodique du 19 mai 2016 et d'une révision du véhicule effectué à la même date par le garage BMW.
En l'espèce, il n'est pas contesté que lors de la vente, une différence de près de 6 300 km a été relevée par M. K. entre le kilométrage mentionné dans l'annonce de vente et celle apparaissant sur le procès-verbal de contrôle technique remis sans que cet élément ne le persuade de ne pas contracter.
Les parties s'étaient accordées sur un kilométrage non garanti, ce qui signifie qu'un kilométrage précis et exact ne constituait pas une qualité substantielle pour M. K..
Dans ces conditions, la demande de nullité de la vente pour erreur sur les qualités substantielles du véhicule ne saurait prospérer et le jugement doit être infirmé de ce chef.
Toutefois, la circonstance tirée de ce que la vente du véhicule est intervenue « en l'état » avec un « kilométrage non garanti » ne saurait exonérer le vendeur de son obligation de délivrance conforme de la chose.
Il ne peut être contesté que le kilométrage erroné d'un véhicule automobile, qui constitue une caractéristique essentielle d'un véhicule d'occasion, caractérise une non-conformité. De ce fait, la défaillance du vendeur dans l'exécution de son obligation de délivrance peut être sanctionnée à la demande de l'acheteur par la résolution de la vente.
M. D. est mal fondé à arguer du caractère non contradictoire de l'expertise qui a été réalisée en sa présence.
L'expertise amiable a mis en exergue un écart kilométrique entre 2007 et 2011 enregistré dans la mémoire de la clé de démarrage du véhicule. En effet, en 2007, le véhicule présentait 179 545 km au compteur et en 2011, 157 859 km soit un écart de 21 686 km et non de 100 000 km tel qu'allégué par l'intimé et non matériellement établi.
Cette différence néanmoins significative justifie que soit prononcée la résolution de la vente emportant restitution du véhicule par M. K. et la restitution du prix de vente par M. D. à charge pour lui de se retourner contre son vendeur s'il estime que la falsification du kilométrage a eu lieu avant son acquisition en 2010.
Sur les conséquences de la résolution :
M. K. réclame le remboursement de :
- la somme de 683,18 euros au titre des frais mécaniques
- la somme de 313,50 euros au titre des frais d'immatriculation
- la somme de 2 210,47 euros au titre des frais nécessaires à la conservation du véhicule
- la somme de 2 416,42 euros au titre des frais d'assurance exposés
C'est à bon droit que le premier juge a condamné M. D. à payer à M. K. la somme de 313,50 euros correspondant aux frais d'immatriculation du véhicule litigieux en l'état de la résolution de la vente intervenue entre les parties et le jugement sera confirmé sur ce point.
La cour relève en revanche que M. K., qui sollicite l'indemnisation du préjudice résultant des frais exposés à l'occasion de pièces détachées et de réparations diverses effectuées après l'acquisition du véhicule, ne produit aux débats aucun élément démontrant que ces réparations concernent le véhicule dont il s'agit et sont, au surplus, en relation avec le défaut de délivrance conforme reproché au vendeur relatif au kilométrage.
En tout état de cause, certaines factures datent de l'année 2020 ce qui démontre que M. K. continue de jouir du véhicule sans difficulté, plus de 6 années après l'achat et 3 années après l'introduction de l'instance.
Faute d'établir la réalité de son préjudice, M. K. sera débouté de sa demande de dommages et intérêts relatifs aux frais d'assurance exposés, de frais mécaniques et de frais d'entretien qui ne sont que la contrepartie de la jouissance du véhicule dont il a disposé depuis son acquisition.
Sur les autres demandes :
Succombant à l'instance, M. D. sera condamné aux entiers dépens en application des dispositions de l'article 696 du code de procédure civile.
En revanche, aucune considération d'équité ne commande de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile exposés en cause d'appel et les parties seront déboutées de leurs demandes à ce titre, le jugement étant confirmé en ce qui concerne la demande du même chef en première instance.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant par arrêt contradictoire rendu par mise à disposition au greffe et en dernier ressort,
Infirme le jugement déféré en toutes ses dispositions sauf en celles ayant condamné M. Eddy D. à payer à M. K. la somme de 313,50 euros au titre des frais d'immatriculation du véhicule, la somme de 700 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et les dépens,
Statuant à nouveau,
Prononce la résolution de la vente intervenue entre les parties le 14 juin 2014 pour défaut de délivrance conforme,
Condamne, en conséquence, M. Eddy D. à payer à M. Mathieu K. la somme de 5 000 euros en restitution du prix de vente,
Dit que M. Mathieu K. devra restituer à M. D. le véhicule BMW modèle Série 5 immatriculé AG 616 WS dans le délai d'un mois à compter de la restitution du prix, aux frais de ce dernier,
Déboute les parties de toutes demandes plus amples ou contraires,
Dit n'y avoir lieu de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel,
Condamne M. Eddy D. aux dépens d'appel.