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Décisions

CJUE, gr. ch., 8 décembre 2020, n° C-620/18

COUR DE JUSTICE DE L’UNION EUROPEENNE

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Hongrie

Défendeur :

Parlement européen, Conseil de l’Union européenne, République fédérale d’Allemagne, République française, Royaume des Pays-Bas, Commission européenne, Royaume de Suède

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Lenaerts

Présidents de chambre :

M. Bonichot, M. Vilaras (rapporteur), M. Regan, M. Ilešič, M. Wahl

Vice-président :

Mme Silva de Lapuerta

Juges :

M. Juhász, M. Šváby, M. Rodin, M. Biltgen, Mme Jürimäe, M. Lycourgos, M. Xuereb, M. Jääskinen

Avocat général :

M. Campos Sánchez-Bordona

CJUE n° C-620/18

8 décembre 2020

LA COUR (grande chambre),

1 Par sa requête, la Hongrie demande à la Cour, à titre principal, d’annuler la directive (UE) 2018/957 du Parlement européen et du Conseil, du 28 juin 2018, modifiant la directive 96/71/CE concernant le détachement de travailleurs effectué dans le cadre d’une prestation de services (JO 2018, L 173, p. 16, et rectificatif JO 2019, L 91, p. 77) (ci-après la « directive attaquée »), et, à titre subsidiaire, d’annuler plusieurs dispositions de celle-ci.

 Le cadre juridique

 Le traité FUE

2 L’article 9 TFUE est libellé comme suit :

« Dans la définition et la mise en œuvre de ses politiques et actions, l’Union prend en compte les exigences liées à la promotion d’un niveau d’emploi élevé, à la garantie d’une protection sociale adéquate, à la lutte contre l’exclusion sociale ainsi qu’à un niveau élevé d’éducation, de formation et de protection de la santé humaine. »

3 L’article 53 TFUE dispose :

« 1. Afin de faciliter l’accès aux activités non salariées et leur exercice, le Parlement européen et le Conseil [de l’Union européenne], statuant conformément à la procédure législative ordinaire, arrêtent des directives visant à la reconnaissance mutuelle des diplômes, certificats et autres titres, ainsi qu’à la coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres concernant l’accès aux activités non salariées et à l’exercice de celles-ci. 

2. En ce qui concerne les professions médicales, paramédicales et pharmaceutiques, la suppression progressive des restrictions est subordonnée à la coordination de leurs conditions d’exercice dans les différents États membres. »

4 Aux termes de l’article 58, paragraphe 1, TFUE :

« La libre circulation des services, en matière de transports, est régie par les dispositions du titre relatif aux transports. »

5 L’article 62 TFUE énonce :

« Les dispositions des articles 51 à 54 inclus sont applicables à la matière régie par le présent chapitre. »

6 L’article 153 TFUE prévoit :

« 1. En vue de réaliser les objectifs visés à l’article 151, l’Union soutient et complète l’action des États membres dans les domaines suivants :

a) l’amélioration, en particulier, du milieu de travail pour protéger la santé et la sécurité des travailleurs ;

b) les conditions de travail ;

c) la sécurité sociale et la protection sociale des travailleurs ;

d) la protection des travailleurs en cas de résiliation du contrat de travail ;

e) l’information et la consultation des travailleurs ;

f) la représentation et la défense collective des intérêts des travailleurs et des employeurs, y compris la cogestion, sous réserve du paragraphe 5 ;

[...]

2. À cette fin, le Parlement européen et le Conseil :

a) peuvent adopter des mesures destinées à encourager la coopération entre États membres par le biais d’initiatives visant à améliorer les connaissances, à développer les échanges d’informations et de meilleures pratiques, à promouvoir des approches novatrices et à évaluer les expériences, à l'exclusion de toute harmonisation des dispositions législatives et réglementaires des États membres ;

b) peuvent arrêter, dans les domaines visés au paragraphe 1, points a) à i), par voie de directives, des prescriptions minimales applicables progressivement, compte tenu des conditions et des réglementations techniques existant dans chacun des États membres. Ces directives évitent d’imposer des contraintes administratives, financières et juridiques telles qu’elles contrarieraient la création et le développement de petites et moyennes entreprises.

Le Parlement européen et le Conseil statuent conformément à la procédure législative ordinaire après consultation du Comité économique et social et du Comité des régions.

Dans les domaines visés au paragraphe 1, points c), d), f) et g), le Conseil statue conformément à une procédure législative spéciale, à l’unanimité, après consultation du Parlement européen et desdits Comités.

Le Conseil, statuant à l’unanimité sur proposition de la Commission après consultation du Parlement européen, peut décider de rendre la procédure législative ordinaire applicable au paragraphe 1, points d), f) et g).

[...]

5. Les dispositions du présent article ne s’appliquent ni aux rémunérations, ni au droit d’association, ni au droit de grève, ni au droit de lock-out. »

 La réglementation relative aux travailleurs détachés

 La directive 96/71/CE

7 La directive 96/71/CE du Parlement européen et du Conseil, du 16 décembre 1996, concernant le détachement de travailleurs effectué dans le cadre d’une prestation de services (JO 1997, L 18, p. 1), a été adoptée sur le fondement de l’article 57, paragraphe 2, et de l’article 66 CE (respectivement devenus l’article 53, paragraphe 1, et l’article 62 TFUE).

8 En vertu de son article 3, paragraphe 1, la directive 96/71 avait pour but de garantir aux travailleurs détachés sur le territoire des États membres les conditions de travail et d’emploi concernant les matières qu’elle visait qui, dans l’État membre sur le territoire duquel le travail était exécuté, étaient fixées par des dispositions législatives, réglementaires ou administratives et/ou par des conventions collectives ou sentences arbitrales déclarées d’application générale.

9 Parmi les matières concernées par la directive 96/71 figurait, à son article 3, paragraphe 1, sous c), celle relative aux taux de salaire minimal, y compris ceux majorés pour les heures supplémentaires.

 La directive attaquée

10 La directive attaquée a été adoptée sur le fondement de l’article 53, paragraphe 1, et de l’article 62 TFUE.

11 Les considérants 1, 4, 6 et 9 à 11 de la directive attaquée énoncent :

« (1) La libre circulation des travailleurs, la liberté d’établissement et la libre prestation des services sont des principes fondamentaux du marché intérieur consacrés par le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. L’Union renforce la mise en œuvre et l’exécution de ces principes, qui visent à garantir des conditions de concurrence équitables aux entreprises et le respect des droits des travailleurs.

[...]

(4) Plus de vingt ans après son adoption, il est désormais nécessaire d’apprécier si la directive 96/71[...] parvient encore à établir un juste équilibre entre la nécessité de promouvoir la libre prestation des services et d’assurer des conditions de concurrence équitables, d’une part, et la nécessité de protéger les droits des travailleurs détachés, d’autre part. Afin de garantir l’application uniforme des règles et de susciter une véritable convergence sociale, il convient, parallèlement à la révision de la directive 96/71[...], de donner la priorité à la mise en œuvre et à l’exécution de la directive 2014/67/UE du Parlement européen et du Conseil[, du 15 mai 2014, relative à l’exécution de la directive 96/71 et modifiant le règlement (UE) no 1024/2012 concernant la coopération administrative par l’intermédiaire du système d’information du marché intérieur (“règlement IMI”) (JO 2014, L 159, p. 11)].

[...]

(6) Le principe de l’égalité de traitement et l’interdiction de toute discrimination fondée sur la nationalité sont consacrés dans le droit de l’Union depuis les traités fondateurs. Le principe de l’égalité des rémunérations est mis en œuvre par le droit dérivé, non seulement entre les femmes et les hommes, mais aussi entre les travailleurs sous contrat à durée déterminée et les travailleurs sous contrat à durée indéterminée comparables, entre les travailleurs à temps partiel et les travailleurs à plein temps et entre les travailleurs intérimaires et les travailleurs comparables de l’entreprise utilisatrice. Ces principes comprennent l’interdiction de toute mesure qui constitue, directement ou indirectement, une discrimination fondée sur la nationalité. La jurisprudence pertinente de la Cour de justice de l’Union européenne doit être prise en considération pour l’application de ces principes.

[...]

(9) Le détachement est de nature temporaire. Les travailleurs détachés retournent habituellement dans l’État membre à partir duquel ils ont été détachés après avoir accompli le travail pour lequel ils étaient détachés. Cependant, eu égard à la longue durée de certains détachements et compte tenu du lien entre le marché du travail de l’État membre d’accueil et les travailleurs détachés pour ces longues périodes, lorsque le détachement porte sur des périodes d’une durée supérieure à douze mois, les États membres d’accueil devraient veiller à ce que les entreprises qui détachent des travailleurs sur leur territoire garantissent à ces travailleurs un ensemble de conditions de travail et d’emploi supplémentaires qui s’appliquent obligatoirement aux travailleurs dans l’État membre sur le territoire duquel le travail est exécuté. Cette période devrait être prolongée lorsque le prestataire de services soumet une notification motivée.

(10) Il est nécessaire d’accorder une plus grande protection aux travailleurs afin de préserver la libre prestation de services sur une base équitable, tant à court qu’à long terme, notamment en empêchant toute violation des droits garantis par les traités. Cependant, les règles garantissant une telle protection des travailleurs ne sauraient porter atteinte au droit des entreprises détachant des travailleurs sur le territoire d’un autre État membre d’invoquer la libre prestation des services, y compris dans les cas où la durée du détachement est supérieure à douze mois ou, le cas échéant, à dix-huit mois. Toute disposition applicable aux travailleurs détachés dans le cadre d’un détachement d’une durée supérieure à douze mois ou, le cas échéant, à dix-huit mois, doit donc être compatible avec cette liberté. Selon une jurisprudence constante, les restrictions à la libre prestation des services ne peuvent être admises que si elles se justifient par des raisons impérieuses d’intérêt général et si elles sont proportionnées et nécessaires.

(11) Lorsque la durée du détachement est supérieure à douze mois ou, le cas échéant, à dix-huit mois, l’ensemble des conditions de travail et d’emploi supplémentaires qui doivent être garanties par les entreprises détachant des travailleurs sur le territoire d’un autre État membre devraient également couvrir les travailleurs qui sont détachés pour remplacer d’autres travailleurs détachés exécutant la même tâche au même endroit, afin d’éviter que ces remplacements ne soient utilisés pour contourner les règles autrement applicables. »

12 Les considérants 16 à 19 de cette directive sont ainsi libellés :

« (16) Dans un marché intérieur véritablement intégré et concurrentiel, les entreprises entrent en concurrence sur la base de facteurs tels que la productivité, l’efficacité et le niveau d’éducation et de compétence de la main-d’œuvre ainsi que la qualité de leurs biens et services et leur degré d’innovation.

(17) Il relève de la compétence des États membres de fixer les règles relatives à la rémunération conformément à la législation et/ou aux pratiques nationales. La détermination des salaires relève de la compétence exclusive des États membres et des partenaires sociaux. Il convient de veiller en particulier à ce qu’il ne soit pas porté atteinte aux systèmes nationaux de détermination des salaires ou à la liberté des parties concernées.

(18) La comparaison entre la rémunération payée à un travailleur détaché et la rémunération due conformément à la législation et/ou aux pratiques nationales de l’État membre d’accueil devrait tenir compte du montant brut de la rémunération. Il convient de comparer les montants totaux bruts des rémunérations plutôt que les éléments constitutifs individuels de la rémunération qui sont rendus obligatoires, comme le prévoit la présente directive. Néanmoins, afin d’assurer la transparence et d’assister les autorités et organismes compétents lors des vérifications et des contrôles, il est nécessaire que les éléments constitutifs de la rémunération puissent être identifiés de manière suffisamment précise conformément à la législation et/ou aux pratiques nationales de l’État membre à partir duquel le travailleur a été détaché. À moins que les allocations propres au détachement ne concernent des dépenses effectivement encourues du fait du détachement, telles que les dépenses de voyage, de logement et de nourriture, elles devraient être considérées comme faisant partie de la rémunération et devraient être prises en compte aux fins de la comparaison des montants bruts totaux de la rémunération.

(19) Les allocations propres au détachement répondent souvent à plusieurs finalités. Dans la mesure où elles sont destinées au remboursement des dépenses encourues du fait du détachement, telles que les dépenses de voyage, de logement et de nourriture, elles ne devraient pas être considérées comme faisant partie de la rémunération. Il appartient aux États membres, conformément à leur législation et/ou à leurs pratiques nationales, de fixer des règles régissant le remboursement de telles dépenses. L’employeur devrait rembourser ces dépenses aux travailleurs détachés conformément à la législation et/ou aux pratiques nationales applicables à la relation de travail. »

13 Aux termes du considérant 24 de ladite directive :

« La présente directive met en place un cadre équilibré en ce qui concerne la libre prestation des services et la protection des travailleurs détachés, qui est non discriminatoire, transparent et proportionné, tout en respectant la diversité des relations de travail au niveau national. La présente directive n’empêche pas l’application de conditions de travail et d’emploi plus favorables pour les travailleurs détachés. »

14 L’article 1er, paragraphe 1, sous b), de la directive attaquée insère les paragraphes –1 et –1 bis à l’article 1er de la directive 96/71 :

« –1. La [directive 96/71] garantit la protection des travailleurs détachés durant leur détachement en ce qui concerne la libre prestation des services, en fixant des dispositions obligatoires concernant les conditions de travail et la protection de la santé et de la sécurité des travailleurs, qui doivent être respectées.

–1 bis. La [directive 96/71] ne porte en aucune manière atteinte à l’exercice des droits fondamentaux reconnus dans les États membres et au niveau de l’Union, notamment le droit ou la liberté de faire grève ou d’entreprendre d’autres actions prévues par les systèmes de relations du travail propres aux États membres, conformément à la législation et/ou aux pratiques nationales. Elle ne porte pas non plus atteinte au droit de négocier, de conclure et d’appliquer des conventions collectives ou de mener des actions collectives conformément à la législation et/ou aux pratiques nationales. »

15 L’article 1er, paragraphe 2, sous a), de la directive attaquée modifie l’article 3, paragraphe 1, premier alinéa, sous c), de la directive 96/71, ajoute des points h) et i) à cet alinéa et insère un troisième alinéa à cet article 3, paragraphe 1, de la manière suivante :

«1. Les États membres veillent à ce que, quelle que soit la loi applicable à la relation de travail, les entreprises visées à l’article 1er, paragraphe 1, garantissent aux travailleurs qui sont détachés sur leur territoire, sur le fondement de l’égalité de traitement, les conditions de travail et d’emploi couvrant les matières énoncées ci-après qui, dans l’État membre sur le territoire duquel le travail est exécuté, sont fixées :

– par des dispositions législatives, réglementaires ou administratives, et/ou

– par des conventions collectives ou des sentences arbitrales déclarées d’application générale ou qui s’appliquent à un autre titre conformément au paragraphe 8 :

[...]

c) la rémunération, y compris les taux majorés pour les heures supplémentaires ; le présent point ne s’applique pas aux régimes complémentaires de retraite professionnels ;

[...]

h) les conditions d’hébergement des travailleurs lorsque l’employeur propose un logement aux travailleurs éloignés de leur lieu de travail habituel ;

i) les allocations ou le remboursement de dépenses en vue de couvrir les dépenses de voyage, de logement et de nourriture des travailleurs éloignés de leur domicile pour des raisons professionnelles.

[...]

Aux fins de la [directive 96/71], la notion de rémunération est déterminée par la législation et/ou les pratiques nationales de l’État membre sur le territoire duquel le travailleur est détaché et s’entend de tous les éléments constitutifs de la rémunération rendus obligatoires par des dispositions législatives, réglementaires ou administratives nationales, ou par des conventions collectives ou des sentences arbitrales qui, dans cet État membre, ont été déclarées d’application générale ou qui s’appliquent à un autre titre conformément au paragraphe 8. »

16 L’article 1er, paragraphe 2, sous b), de la directive attaquée insère un paragraphe 1 bis à l’article 3 de la directive 96/71, qui est ainsi libellé :

« Lorsque la durée effective d’un détachement est supérieure à douze mois, les États membres veillent à ce que, quelle que soit la loi applicable à la relation de travail, les entreprises visées à l’article 1er, paragraphe 1, garantissent aux travailleurs qui sont détachés sur leur territoire, sur le fondement de l’égalité de traitement, outre les conditions de travail et d’emploi visées au paragraphe 1 du présent article, toutes les conditions de travail et d’emploi applicables qui sont fixées dans l’État membre sur le territoire duquel le travail est exécuté :

– par des dispositions législatives, réglementaires ou administratives, et/ou

– par des conventions collectives ou des sentences arbitrales déclarées d’application générale ou qui s’appliquent à un autre titre conformément au paragraphe 8.

Le premier alinéa du présent paragraphe ne s’applique pas aux matières suivantes :

a) les procédures, formalités et conditions régissant la conclusion et la fin du contrat de travail, y compris les clauses de non-concurrence ;

b) les régimes complémentaires de retraite professionnels.

Lorsque le prestataire de services soumet une notification motivée, l’État membre dans lequel le service est fourni porte à dix-huit mois la période visée au premier alinéa.

Lorsqu’une entreprise visée à l’article 1er, paragraphe 1, remplace un travailleur détaché par un autre travailleur détaché effectuant la même tâche au même endroit, la durée du détachement aux fins du présent paragraphe correspond à la durée cumulée des périodes de détachement de chacun des travailleurs détachés concernés.

La notion de “la même tâche au même endroit” visée au quatrième alinéa du présent paragraphe est déterminée compte tenu, entre autres, de la nature du service à fournir, du travail à exécuter et de l’adresse ou des adresses du lieu de travail. »

17 Aux termes de l’article 1er, paragraphe 2, sous c), de la directive attaquée, l’article 3, paragraphe 7, de la directive 96/71 est ainsi rédigé :

« Les paragraphes 1 à 6 ne font pas obstacle à l’application de conditions de travail et d’emploi plus favorables pour les travailleurs.

Les allocations propres au détachement sont considérées comme faisant partie de la rémunération, à moins qu’elles ne soient payées à titre de remboursement des dépenses effectivement encourues du fait du détachement, telles que les dépenses de voyage, de logement et de nourriture. Sans préjudice du paragraphe 1, premier alinéa, point i), l’employeur rembourse ces dépenses au travailleur détaché conformément à la législation et/ou aux pratiques nationales applicables à la relation de travail.

Lorsque les conditions de travail et d’emploi applicables à la relation de travail ne déterminent pas si des éléments de l’allocation propre au détachement sont payés à titre de remboursement de dépenses effectivement encourues du fait du détachement et, dans l’affirmative, quels sont ces éléments ou quels éléments font partie de la rémunération, l’intégralité de l’allocation est alors considérée comme payée à titre de remboursement des dépenses. »

18 L’article 3, paragraphe 3, de la directive attaquée dispose :

« La présente directive s’applique au secteur du transport routier à partir de la date d’application d’un acte législatif modifiant la directive 2006/22/CE [du Parlement européen et du Conseil, du 15 mars 2006, établissant les conditions minimales à respecter pour la mise en œuvre des règlements du Conseil (CEE) no 3820/85 et (CEE) no 3821/85 concernant la législation sociale relative aux activités de transport routier et abrogeant la directive 88/599/CEE du Conseil (JO 2006, L 102, p. 35),] quant aux exigences en matière de contrôle et établissant des règles spécifiques en ce qui concerne la directive 96/71[...] et la directive 2014/67[...] pour le détachement de conducteurs dans le secteur du transport routier. »

 La réglementation relative à la loi applicable aux obligations contractuelles

19 Le considérant 40 du règlement (CE) no 593/2008 du Parlement européen et du Conseil, du 17 juin 2008, sur la loi applicable aux obligations contractuelles (Rome I) (JO 2008, L 177, p. 6) (ci-après le « règlement “Rome I” »), énonce :

« Il convient d’éviter une situation où les règles de conflit de lois seraient dispersées entre de multiples instruments et où il existerait des incohérences entre ces règles. Toutefois, le présent règlement n’exclut pas la possibilité d’insérer des règles de conflit de lois en matière d’obligations contractuelles dans les dispositions de droit [de l’Union] concernant des matières particulières.

Le présent règlement ne devrait pas affecter l’application d’autres instruments fixant des dispositions destinées à favoriser le bon fonctionnement du marché intérieur, dans la mesure où ces dispositions ne peuvent s’appliquer conjointement avec la loi désignée par les règles du présent règlement. [...] »

20 L’article 8 de ce règlement, intitulé « Contrats individuels de travail », dispose :

« 1. Le contrat individuel de travail est régi par la loi choisie par les parties conformément à l’article 3. Ce choix ne peut toutefois avoir pour résultat de priver le travailleur de la protection que lui assurent les dispositions auxquelles il ne peut être dérogé par accord en vertu de la loi qui, à défaut de choix, aurait été applicable selon les paragraphes 2, 3 et 4 du présent article.

2. À défaut de choix exercé par les parties, le contrat individuel de travail est régi par la loi du pays dans lequel ou, à défaut, à partir duquel le travailleur, en exécution du contrat, accomplit habituellement son travail. Le pays dans lequel le travail est habituellement accompli n’est pas réputé changer lorsque le travailleur accomplit son travail de façon temporaire dans un autre pays.

[...] »

21 L’article 23 dudit règlement, intitulé « Relation avec d’autres dispositions du droit [de l’Union] », prévoit :

« À l’exception de l’article 7, le présent règlement n’affecte pas l’application des dispositions de droit [de l’Union] qui, dans des domaines particuliers, règlent les conflits de lois en matière d’obligations contractuelles. »

 Les conclusions des parties et la procédure devant la Cour

22 La Hongrie demande à la Cour :

– à titre principal, d’annuler la directive attaquée ;

– à titre subsidiaire :

– d’annuler la disposition de l’article 1er, paragraphe 2, sous a), de la directive attaquée, qui établit le texte du nouvel article 3, paragraphe 1, premier alinéa, sous c), et du nouvel article 3, paragraphe 1, troisième alinéa, de la directive 96/71 ;

– d’annuler l’article 1er, paragraphe 2, sous b), de la directive attaquée, qui établit le texte de l’article 3, paragraphe 1 bis, de la directive 96/71 ;

– d’annuler l’article 1er, paragraphe 2, sous c), de la directive attaquée ;

– d’annuler l’article 3, paragraphe 3, de la directive attaquée, et

– de condamner le Parlement et le Conseil aux dépens.

23 Le Parlement et le Conseil demandent à la Cour de rejeter le recours et de condamner la Hongrie aux dépens.

24 Conformément à l’article 16, troisième alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, la Hongrie a demandé à la Cour de juger l’affaire en grande chambre.

25 Par décision du président de la Cour du 21 février 2019, la République fédérale d’Allemagne, la République française, le Royaume des Pays-Bas et la Commission ont été admis à intervenir au soutien des conclusions du Parlement et du Conseil.

26 Par décision du président de la Cour du 27 mars 2019, le Royaume de Suède a été admis à intervenir au soutien des conclusions du Conseil.

 Sur le recours

27 À l’appui de son recours, la Hongrie soulève cinq moyens tirés, respectivement, du choix d’une base juridique erronée pour adopter la directive attaquée, de la méconnaissance de l’article 153, paragraphe 5, TFUE et de l’existence d’un détournement de pouvoir, d’une violation de l’article 56 TFUE, d’une violation de cet article en ce que la directive attaquée exclut la mise en œuvre effective de la libre prestation des services et d’une méconnaissance du règlement « Rome I » ainsi que des principes de sécurité juridique et de clarté normative.

 Sur le premier moyen, tiré du choix d’une base juridique erronée aux fins de l’adoption de la directive attaquée

 Argumentation des parties

28 La Hongrie soutient que, en se fondant sur l’article 53, paragraphe 1, et l’article 62 TFUE, le législateur de l’Union n’a pas retenu une base juridique correcte pour adopter la directive attaquée. Par son objet et son contenu, cette directive viserait exclusivement ou principalement à protéger les travailleurs et ne tendrait pas à abolir des obstacles à la libre prestation des services.

29 La Hongrie considère, à cet égard, que la base juridique relative à la libre prestation des services ne s’étend pas aux objectifs de protection des travailleurs ni aux actes pouvant être adoptés en la matière, qui sont visés à l’article 153 TFUE.

30 Or, l’objectif fondamental de la directive attaquée serait d’assurer l’égalité de traitement des travailleurs, notamment par l’extension du principe de l’égalité des rémunérations des travailleurs à ceux effectuant une prestation de services transfrontalière dans le cadre d’un détachement. Ceux-ci bénéficieraient de la totalité de la rémunération prévue par le droit de l’État membre d’accueil.

31 Néanmoins, compte tenu de son effet protectionniste, la directive attaquée serait contraire aux objectifs d’accroissement de la compétitivité de l’Union ainsi que de la cohésion et de la solidarité entre les États membres.

32 En outre, la Hongrie relève que le Conseil n’a pas précisé quelles étaient les dispositions impératives de cette directive qui permettaient de renforcer réellement la libre prestation des services par la protection des travailleurs et la prévention de la concurrence déloyale.

33 La Hongrie déduit ainsi de l’examen du contenu de ladite directive que celle-ci ne comporte pas d’éléments de nature à justifier le choix de la base juridique retenue par le législateur de l’Union.

34 Elle considère qu’il en irait de même si le contenu et les objectifs de la directive attaquée étaient examinés conjointement avec l’acte qu’elle modifie, dès lors que cette directive a défini l’objectif de la directive 96/71 de telle manière que celui-ci se rapporte exclusivement à la garantie de la protection des travailleurs détachés.

35 Elle est d’avis que la nécessité de replacer les modifications dans leur contexte et d’examiner un acte législatif dans son ensemble n’implique pas que la base juridique de l’acte modificatif soit établie en prenant exclusivement en compte les objectifs et le contenu de l’acte modifié.

36 La Hongrie en conclut que la base juridique doit être déterminée, avant tout, au regard de l’objectif et du contenu des dispositions de l’acte modificatif et que l’article 153, paragraphe 2, sous b), TFUE aurait pu constituer une base juridique appropriée puisque la directive attaquée légifère sur des questions qui relèvent plus spécifiquement de cette disposition que des articles 53 et 62 TFUE.

37 Le Parlement et le Conseil, soutenus par la République fédérale d’Allemagne, la République française, le Royaume des Pays-Bas, le Royaume de Suède et la Commission, contestent l’argumentation de la Hongrie.

 Appréciation de la Cour

38 À titre liminaire, il convient, premièrement, de rappeler que le choix de la base juridique d’un acte de l’Union doit être fondé sur des éléments objectifs susceptibles de faire l’objet d’un contrôle juridictionnel, parmi lesquels figurent la finalité et le contenu de cet acte. Si l’examen de l’acte concerné démontre que celui-ci poursuit une double finalité ou qu’il a une double composante et si l’une de celles-ci est identifiable comme étant principale ou prépondérante, tandis que l’autre n’est qu’accessoire, cet acte doit être fondé sur une seule base juridique, à savoir celle exigée par la finalité ou la composante principale ou prépondérante (arrêt du 3 décembre 2019, République tchèque/Parlement et Conseil, C‑482/17, EU:C:2019:1035, point 31 ainsi que jurisprudence citée).

39 Il y a également lieu de relever que peut être pris en compte, pour déterminer la base juridique appropriée, le contexte juridique dans lequel s’inscrit une nouvelle réglementation, notamment en ce qu’un tel contexte est susceptible de fournir un éclairage sur l’objectif poursuivi par cette réglementation (arrêt du 3 décembre 2019, République tchèque/Parlement et Conseil, C‑482/17, EU:C:2019:1035, point 32).

40 Ainsi, s’agissant d’une réglementation qui, comme la directive attaquée, modifie une réglementation existante, il importe de prendre en compte également, aux fins de l’identification de sa base juridique, la réglementation existante qu’elle modifie et, notamment, son objectif et son contenu (arrêt du 3 décembre 2019, République tchèque/Parlement et Conseil, C‑482/17, EU:C:2019:1035, point 42).

41 Par ailleurs, lorsqu’un acte législatif a déjà coordonné les législations des États membres dans un domaine donné d’action de l’Union, le législateur de l’Union ne saurait être privé de la possibilité d’adapter cet acte à toute modification des circonstances ou à toute évolution des connaissances eu égard à la tâche qui lui incombe de veiller à la protection des intérêts généraux reconnus par le traité FUE et de prendre en compte les objectifs transversaux de l’Union consacrés à l’article 9 de ce traité, parmi lesquels figurent les exigences liées à la promotion d’un niveau d’emploi élevé ainsi que la garantie d’une protection sociale adéquate (voir, en ce sens, arrêt du 21 décembre 2016, AGET Iraklis, C‑201/15, EU:C:2016:972, point 78).

42 En effet, le législateur de l’Union ne peut, dans une telle situation, s’acquitter correctement de la tâche qui lui incombe de veiller à la protection de ces intérêts généraux et de ces objectifs transversaux de l’Union reconnus par le traité que s’il lui est loisible d’adapter la législation pertinente de l’Union à de telles modifications ou évolutions (arrêt du 3 décembre 2019, République tchèque/Parlement et Conseil, C‑482/17, EU:C:2019:1035, point 39 ainsi que jurisprudence citée).

43 Deuxièmement, il importe de relever que, dès lors qu’il existe, dans les traités, une disposition plus spécifique pouvant constituer la base juridique de l’acte en cause, celui-ci doit être fondé sur cette disposition (arrêt du 12 février 2015, Parlement/Conseil, C‑48/14, EU:C:2015:91, point 36 et jurisprudence citée).

44 Troisièmement, il résulte de la lecture combinée de l’article 53, paragraphe 1, et de l’article 62 TFUE que le législateur de l’Union est compétent pour adopter des directives visant, notamment, à la coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres relatives à l’accès aux activités de prestations de services et à l’exercice de celles-ci, afin de faciliter l’accès à ces activités et leur exercice.

45 Ces dispositions habilitent dès lors le législateur de l’Union à coordonner les réglementations nationales susceptibles, par leur disparité même, d’entraver la libre prestation des services entre les États membres.

46 Il ne saurait, toutefois, en être déduit que, en coordonnant de telles réglementations, le législateur de l’Union ne doive pas également veiller au respect de l’intérêt général, poursuivi par les différents États membres, et des objectifs, consacrés à l’article 9 TFUE, que l’Union doit prendre en compte dans la définition et la mise en œuvre de l’ensemble de ses politiques et de ses actions, parmi lesquels figurent les exigences rappelées au point 41 du présent arrêt.

47 Partant, dès lors que les conditions du recours à l’article 53, paragraphe 1, TFUE, lu en combinaison avec l’article 62 TFUE, comme base juridique se trouvent remplies, le législateur de l’Union ne saurait être empêché de se fonder sur cette base juridique en raison du fait qu’il a également pris en compte de telles exigences (voir, en ce sens, arrêts du 13 mai 1997, Allemagne/Parlement et Conseil, C‑233/94, EU:C:1997:231, point 17, ainsi que du 4 mai 2016, Philip Morris Brands e.a., C‑547/14, EU:C:2016:325, point 60 et jurisprudence citée).

48 Il s’ensuit que les mesures de coordination adoptées par le législateur de l’Union, sur le fondement de l’article 53, paragraphe 1, TFUE, lu en combinaison avec l’article 62 TFUE, doivent non seulement avoir pour objectif de faciliter l’exercice de la liberté de prestation des services, mais également d’assurer, le cas échéant, la protection d’autres intérêts fondamentaux que cette liberté peut affecter (voir, en ce sens, arrêt du 4 mai 2016, Philip Morris Brands e.a., C‑547/14, EU:C:2016:325, point 60 ainsi que jurisprudence citée).

49 En l’espèce, il convient de relever que, la directive attaquée modifiant certaines dispositions de la directive 96/71 ou y insérant de nouvelles dispositions, cette dernière directive fait partie du contexte juridique de la directive attaquée, ainsi qu’en attestent, en particulier, les considérants 1 et 4 de celle-ci qui énoncent, pour le premier, que l’Union renforce les principes fondamentaux du marché intérieur que sont la libre circulation des travailleurs, la liberté d’établissement et la libre prestation des services, qui visent à garantir des conditions de concurrence équitables aux entreprises et le respect des droits des travailleurs, et, pour le second, que, plus de vingt ans après son adoption, il est nécessaire d’apprécier si la directive 96/71 parvient encore à établir un juste équilibre entre, d’une part, la nécessité de promouvoir la libre prestation des services et d’assurer des conditions de concurrence équitables, et, d’autre part, la nécessité de protéger les droits des travailleurs détachés.

50 En premier lieu, s’agissant de son objectif, la directive attaquée, envisagée ensemble avec la directive qu’elle modifie, tend à établir un équilibre entre deux intérêts, à savoir, d’une part, garantir aux entreprises de tous les États membres la possibilité de fournir des prestations de services au sein du marché intérieur en détachant des travailleurs de l’État membre où elles sont établies vers l’État membre où elles exécutent leurs prestations et, d’autre part, protéger les droits des travailleurs détachés.

51 À cet effet, le législateur de l’Union a cherché, en adoptant la directive attaquée, à assurer la libre prestation des services sur une base équitable, à savoir dans un cadre réglementaire garantissant une concurrence qui ne soit pas fondée sur l’application, dans un même État membre, de conditions de travail et d’emploi d’un niveau substantiellement différent selon que l’employeur est ou non établi dans cet État membre, tout en offrant une plus grande protection aux travailleurs détachés, cette protection constituant, par ailleurs, comme en atteste le considérant 10 de cette directive, le moyen de « préserver la libre prestation de services sur une base équitable ».

52 À cette fin, ladite directive vise à rendre les conditions de travail et d’emploi des travailleurs détachés les plus proches possibles de celles des travailleurs employés par des entreprises établies dans l’État membre d’accueil et à assurer ainsi une protection accrue des travailleurs détachés dans cet État membre.

53 En deuxième lieu, s’agissant de son contenu, la directive attaquée tend, notamment par les dispositions critiquées par la Hongrie, à une plus grande prise en considération de la protection des travailleurs détachés, toujours dans le but d’assurer l’exercice équitable d’une libre prestation des services dans l’État membre d’accueil.

54 Dans cette logique, premièrement, l’article 1er, paragraphe 1, de cette directive modifie l’article 1er de la directive 96/71, en insérant, d’une part, un paragraphe –1 qui inscrit dans l’objet de celle-ci la garantie de la protection des travailleurs détachés durant leur détachement et, d’autre part, un paragraphe –1 bis précisant que la directive 96/71 ne porte en aucune manière atteinte à l’exercice des droits fondamentaux reconnus dans les États membres et à l’échelle de l’Union.

55 Deuxièmement, l’article 1er, paragraphe 2, sous a), de la directive attaquée apporte des changements à l’article 3, paragraphe 1, de la directive 96/71, en faisant référence à l’égalité de traitement pour fonder la garantie devant être accordée aux travailleurs détachés en matière de conditions de travail et d’emploi. Il étend la liste des matières concernées par cette garantie, d’une part, aux conditions d’hébergement des travailleurs lorsque l’employeur propose un logement aux travailleurs éloignés de leur lieu de travail habituel et, d’autre part, aux allocations et au remboursement de dépenses en vue de couvrir les dépenses de voyage, de logement ainsi que de nourriture des travailleurs éloignés de leur domicile pour des raisons professionnelles. En outre, à l’article 3, paragraphe 1, premier alinéa, sous c), de la directive 96/71, telle que modifiée par la directive attaquée (ci-après la « directive 96/71 modifiée »), la notion de « rémunération » est substituée à celle de « taux de salaire minimal ».

56 Troisièmement, la directive attaquée crée une gradation dans l’application des conditions de travail et d’emploi de l’État membre d’accueil, en imposant, au moyen de l’insertion d’un article 3, paragraphe 1 bis, dans la directive 96/71, une application de la quasi-totalité de ces conditions lorsque la durée effective d’un détachement est, en règle générale, supérieure à douze mois.

57 Il découle de ce qui précède que, contrairement à l’argumentation développée par la Hongrie, la directive attaquée est de nature à renforcer la libre prestation des services sur une base équitable, qui est l’objectif principal qu’elle poursuit, dans la mesure où elle assure que les conditions de travail et d’emploi des travailleurs détachés seront les plus proches possibles de celles des travailleurs employés par des entreprises établies dans l’État membre d’accueil tout en faisant bénéficier ces travailleurs détachés de conditions de travail et d’emploi dans cet État membre plus protectrices que celles prévues par la directive 96/71.

58 En troisième lieu, si la directive 96/71 vise, à son considérant 1, l’abolition entre les États membres des obstacles à la libre circulation des personnes et des services, elle précise, à son considérant 5, que la nécessité de promouvoir la prestation de services transnationale doit s’accomplir dans le cadre d’une concurrence loyale et de mesures garantissant le respect des droits des travailleurs.

59 C’est dans cette optique que les considérants 13 et 14 de cette directive annoncent la coordination des législations des États membres de manière à prévoir un « noyau dur » de règles impératives de protection minimale à observer dans l’État membre d’accueil par les employeurs qui y détachent des travailleurs.

60 Il en découle que, dès son adoption, la directive 96/71, tout en poursuivant l’objectif d’améliorer la libre prestation de services transnationale, prenait déjà en considération la nécessité de garantir une concurrence qui ne soit pas fondée sur l’application, dans un même État membre, de conditions de travail et d’emploi d’un niveau substantiellement différent, selon que l’employeur est ou non établi dans cet État membre, et donc la protection des travailleurs détachés. En particulier, l’article 3 de cette directive énonçait les conditions de travail et d’emploi de l’État membre d’accueil qui devaient être garanties aux travailleurs détachés sur le territoire de cet État membre par les employeurs qui les détachaient pour y accomplir des prestations de services.

61 En outre, il convient de rappeler que, ainsi qu’il est mentionné aux points 41 et 42 du présent arrêt, le législateur de l’Union qui adopte un acte législatif ne saurait être privé de la possibilité d’adapter cet acte à toute modification des circonstances ou à toute évolution des connaissances, eu égard à la tâche qui lui incombe de veiller à la protection des intérêts généraux reconnus par le traité FUE.

62 Or, il y a lieu de relever, au titre du contexte juridique plus large dans lequel la directive attaquée a été adoptée, que le marché intérieur a connu des évolutions importantes depuis l’entrée en vigueur de la directive 96/71, au premier rang desquelles figurent les élargissements successifs de l’Union, au cours des années 2004, 2007 et 2013, qui ont eu pour effet de faire participer à ce marché les entreprises d’États membres où étaient, en général, applicables des conditions de travail et d’emploi éloignées de celles applicables dans les autres États membres.

63 De plus, ainsi que l’a relevé le Parlement, la Commission a constaté, dans son document de travail SWD(2016) 52 final, du 8 mars 2016, intitulé « Analyse d’impact accompagnant la proposition de directive du Parlement et du Conseil modifiant la directive 96/71 » (ci-après « l’analyse d’impact »), que la directive 96/71 avait été à l’origine de conditions de concurrence inéquitables entre des entreprises établies dans un État membre d’accueil et des entreprises détachant des travailleurs dans cet État membre, ainsi que d’une segmentation du marché du travail, en raison d’une différenciation structurelle des règles salariales applicables à leurs travailleurs respectifs.

64 Ainsi, eu égard à l’objectif qui était poursuivi par la directive 96/71, à savoir assurer la libre prestation de services transnationale au sein du marché intérieur dans le cadre d’une concurrence loyale et garantir le respect des droits des travailleurs, le législateur de l’Union pouvait, compte tenu de l’évolution des circonstances et des connaissances mise en exergue aux points 62 et 63 du présent arrêt, se fonder, lors de l’adoption de la directive attaquée, sur la même base juridique que celle utilisée pour adopter ladite directive 96/71. En effet, afin d’atteindre au mieux cet objectif dans un contexte qui avait changé, ce législateur pouvait considérer comme étant nécessaire d’adapter l’équilibre sur lequel reposait la directive 96/71 en renforçant les droits des travailleurs détachés dans l’État membre d’accueil de manière à ce que la concurrence entre les entreprises détachant des travailleurs dans cet État membre et les entreprises établies dans celui-ci se développe dans des conditions plus équitables.

65 Il convient d’ajouter que, contrairement à ce que fait valoir la Hongrie, l’article 153 TFUE ne constitue pas une base juridique plus spécifique, sur le fondement de laquelle la directive attaquée aurait pu être adoptée. En effet, ledit article 153 vise seulement la protection des travailleurs et non pas la libre prestation des services au sein de l’Union.

66 Certes, l’article 153, paragraphe 2, TFUE contient deux bases juridiques distinctes à ses dispositions sous a) et sous b). Toutefois, aucune d’entre elles ne saurait servir de fondement à la directive attaquée.

67 En effet, l’article 153, paragraphe 2, sous a), TFUE se borne à prévoir l’adoption de mesures destinées à encourager la coopération entre les États membres en matière sociale, ce qui ne correspond ni à l’objectif de la directive attaquée, à savoir établir la libre prestation des services sur une base équitable, ni à son contenu, qui comporte des mesures de coordination des réglementations des États membres en matière de conditions de travail et d’emploi.

68 Quant à l’article 153, paragraphe 2, sous b), TFUE, si celui-ci permet à l’Union d’adopter des mesures d’harmonisation dans certains domaines relevant de la politique sociale de l’Union, force est de constater que la directive attaquée ne constitue aucunement une directive d’harmonisation, puisqu’elle se borne à rendre obligatoires certaines normes de l’État membre d’accueil en cas de détachement de travailleurs par des entreprises établies dans un autre État membre, en respectant, ainsi qu’il ressort du considérant 24 de cette directive, la diversité des relations de travail au niveau national.

69 Par conséquent, l’article 153 TFUE ne pouvait constituer la base juridique de la directive attaquée.

70 Il résulte des considérations qui précèdent que le premier moyen doit être écarté.

 Sur le deuxième moyen, tiré d’une méconnaissance de l’article 153, paragraphe 5, TFUE et de l’existence d’un détournement de pouvoir

 Argumentation des parties

71 Selon la Hongrie, la directive attaquée est contraire à l’article 153, paragraphe 5, TFUE, qui exclut la réglementation de la rémunération du travail salarié de la compétence du législateur de l’Union.

72 Elle est, en effet, d’avis que, en modifiant l’article 3, paragraphe 1, premier alinéa, sous c), de la directive 96/71, la directive attaquée détermine directement la rémunération des travailleurs détachés dans le cadre d’une prestation de services transnationale.

73 À cet égard, s’appuyant sur une jurisprudence de la Cour (arrêts du 13 septembre 2007, Del Cerro Alonso, C‑307/05, EU:C:2007:509, points 40 et 46, ainsi que du 15 avril 2008, Impact, C‑268/06, EU:C:2008:223, point 123), elle relève que l’exception relative aux rémunérations énoncée à l’article 153, paragraphe 5, TFUE trouve sa raison d’être dans le fait que la fixation du niveau des rémunérations relève de l’autonomie contractuelle des partenaires sociaux à l’échelon national ainsi que de la compétence des États membres en la matière.

74 La directive attaquée imposerait l’application de règles obligatoires en vertu de la législation ou des pratiques nationales de l’État membre d’accueil en ce qui concerne l’intégralité, à l’exception des régimes complémentaires de retraite professionnels, des conditions d’emploi liées à la rémunération, ce qui inclut la détermination du montant de celle-ci. Cette directive impliquerait ainsi une ingérence directe du droit de l’Union dans la détermination des rémunérations.

75 La Hongrie conclut que le choix d’une base juridique inappropriée est un moyen de dissimuler le détournement de pouvoir commis par l’Union en adoptant la directive attaquée.

76 Le Parlement et le Conseil, soutenus par la République fédérale d’Allemagne, le Royaume des Pays-Bas, le Royaume de Suède et la Commission, contestent l’argumentation de la Hongrie.

 Appréciation de la Cour

77 Le deuxième moyen se divise en deux branches selon lesquelles, d’une part, la directive attaquée serait contraire à l’article 153, paragraphe 5, TFUE, qui exclut la réglementation de la rémunération du travail salarié de la compétence du législateur de l’Union, et, d’autre part, en adoptant cette directive, ce dernier aurait commis un détournement de pouvoir.

78 S’agissant de la première branche de ce moyen, il convient tout d’abord de rappeler que, ainsi qu’il ressort du point 69 du présent arrêt, l’article 153 TFUE ne pouvait constituer la base juridique de la directive attaquée.

79 En effet, celle-ci se limite à coordonner les réglementations des États membres en cas de détachement de travailleurs, en obligeant les entreprises qui détachent des travailleurs dans un État membre autre que celui dans lequel elles sont établies à accorder à ces derniers certaines ou la quasi-totalité des conditions de travail et d’emploi prévues par les règles obligatoires de cet État membre, y compris celle portant sur les rémunérations à verser aux travailleurs détachés.

80 L’article 153, paragraphe 5, TFUE prévoyant une exception aux compétences de l’Union découlant des premiers paragraphes de cet article, lesquels ne peuvent servir de base juridique à la directive attaquée et sont donc inapplicables, il n’est pas susceptible d’affecter la validité de cette directive.

81 Dès lors, la première branche du deuxième moyen doit être écartée.

82 S’agissant de la seconde branche de ce moyen, il y a lieu de rappeler qu’un acte n’est entaché de détournement de pouvoir que s’il apparaît, sur la base d’indices objectifs, pertinents et concordants, avoir été pris exclusivement ou à tout le moins de manière déterminante à des fins autres que celles pour lesquelles le pouvoir en cause a été conféré ou dans le but d’éluder une procédure spécialement prévue par le traité FUE pour parer aux circonstances de l’espèce (arrêt du 5 mai 2015, Espagne/Parlement et Conseil, C‑146/13, EU:C:2015:298, point 56).

83 Selon la Hongrie, le législateur de l’Union aurait commis un détournement de pouvoir en choisissant une base juridique inappropriée, à savoir l’article 53, paragraphe 1, et l’article 62 TFUE, pour dissimuler son ingérence dans la détermination des rémunérations, en violation de l’article 153, paragraphe 5, TFUE.

84 Or, il ressort de l’examen du premier moyen du recours que la directive attaquée a été, à bon droit, adoptée sur la base juridique de l’article 53, paragraphe 1, et de l’article 62 TFUE, et de l’examen de la première branche du présent moyen que, partant, cette directive n’a pas été adoptée en méconnaissance de l’article 153, paragraphe 5, TFUE.

85 Par conséquent, la seconde branche du deuxième moyen doit être écartée et, avec elle, ce moyen dans son ensemble.

 Sur le troisième moyen, tiré d’une violation de l’article 56 TFUE

 Argumentation des parties

86 Par son troisième moyen, la Hongrie soutient que la directive attaquée est contraire à l’article 56 TFUE. Ce troisième moyen se divise en cinq branches.

87 Dans une première branche, la Hongrie, se fondant sur la directive 2006/123/CE du Parlement européen et du Conseil, du 12 décembre 2006, relative aux services dans le marché intérieur (JO 2006, L 376, p. 36), soutient que la réglementation de l’Union relative à la libre prestation des services met en œuvre le principe fondamental selon lequel tout État membre doit reconnaître les conditions d’emploi appliquées en conformité avec le droit de l’Union par un autre État membre, la protection des droits des travailleurs détachés étant suffisamment garantie par la législation de l’État d’origine.

88 Or, la Hongrie est d’avis que la directive 96/71, avant sa modification par la directive attaquée, offrait une protection adéquate des travailleurs détachés en imposant, sur le plan des rémunérations, le paiement du salaire minimal de l’État membre d’accueil. Elle note que, en imposant le paiement des rémunérations prévues par cet État membre, la directive attaquée met en doute la capacité du salaire minimal d’un tel État à garantir l’objectif de protection des travailleurs, autrement dit de couvrir le coût de la vie dans ledit État.

89 Elle souligne que cette modification ne sert pas davantage la libre prestation des services, mais qu’elle constitue une ingérence directe dans les relations économiques et anéantit l’avantage concurrentiel licite de certains États membres bien identifiables dans lesquels le niveau des rémunérations est moins élevé, le législateur de l’Union ayant ainsi instauré une mesure qui a pour effet de fausser la concurrence.

90 En outre, elle relève que la Commission, dans l’analyse d’impact, n’a pas été capable d’invoquer une quelconque donnée chiffrée qui pût démontrer que la protection des travailleurs rendait nécessaire de modifier la directive 96/71 en ce qui concerne la rémunération applicable aux travailleurs détachés.

91 Enfin, la Hongrie effectue un parallèle avec la réglementation en matière de coordination des régimes de sécurité sociale, selon laquelle le niveau de protection offert aux travailleurs détachés par l’État membre d’origine est considéré comme étant approprié et la situation du travailleur détaché est examinée individuellement en fonction de nombreux critères, l’objectif étant d’éviter le cumul de droits nationaux.

92 Dans une deuxième branche, la Hongrie fait valoir que la règle figurant à l’article 3, paragraphe 1, premier alinéa, sous c), de la directive 96/71 modifiée, qui retient la notion de « rémunération » au lieu de celle de taux de salaire minimal, est contraire à l’objectif d’assurer l’égalité de traitement entre les travailleurs de l’État membre d’accueil et ceux qui sont détachés dans cet État membre, en ce qu’elle impose aux entreprises établies dans un État membre de verser, aux salariés qu’elles détachent dans un autre État membre, une rémunération fixée au regard de pratiques de ce dernier État, qui ne sont pas obligatoirement applicables aux entreprises de ce même État membre, ces dernières étant en général seulement tenues par l’exigence de salaire minimal. Il en découlerait que le taux de salaire minimal de l’État membre d’accueil serait considéré comme étant suffisant pour les travailleurs de cet État membre, mais pas pour les travailleurs détachés.

93 La Hongrie considère, également, que l’obligation de rembourser les dépenses de voyage, de logement et de nourriture, imposée à l’article 3, paragraphe 7, de la directive 96/71 modifiée, aux entreprises qui détachent des travailleurs dans un autre État membre, est contraire au principe d’égalité de traitement.

94 Enfin, elle rappelle que les domaines de la sécurité sociale et de la fiscalité des travailleurs, dans lesquels certains États membres seraient supposés avoir un avantage concurrentiel comparatif, relèvent de la compétence exclusive des États membres et que le législateur de l’Union, lors de l’adoption de la directive attaquée, n’a pas examiné si les différences existant dans ces domaines offraient un tel avantage.

95 Dans une troisième branche, la Hongrie soutient, en premier lieu, que la directive attaquée n’est pas apte à atteindre l’objectif qu’elle poursuit, à savoir garantir des conditions de concurrence plus équitables entre les prestataires de services établis dans différents États membres. À cet égard, elle conteste les termes du considérant 16 de celle-ci selon lesquels, en substance, les entreprises entrent en concurrence sur la base de facteurs autres que les coûts, ce qui signifierait que le prix du service ne jouerait aucun rôle dans le choix du consommateur.

96 En deuxième lieu, elle estime que la Commission ne pouvait pas, sans autre examen des conditions de travail ou de la situation des travailleurs détachés, déduire des données de l’analyse d’impact, selon lesquelles le nombre de travailleurs détachés a progressé de 44,4 % entre l’année 2010 et l’année 2014, que la protection de ces travailleurs était inappropriée.

97 En troisième lieu, la Hongrie considère que, eu égard au caractère temporaire d’une prestation de services réalisée dans le cadre d’un détachement de travailleurs, les dispositions de la directive attaquée vont au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif de protection des travailleurs détachés. À cet égard, elle relève qu’il convient de distinguer la situation d’un travailleur qui fait usage de son droit à la libre circulation de celle d’un travailleur qui fournit temporairement des services dans l’État membre d’accueil dans le cadre d’un détachement, en ce que le premier travaille pour le compte et sous la direction d’un employeur de cet État membre, alors que le second n’est pas véritablement intégré dans la société ni sur le marché du travail de l’État membre d’accueil.

98 Dans une quatrième branche, la Hongrie estime que les règles relatives au détachement de longue durée, prévues à l’article 3, paragraphe 1 bis, de la directive 96/71 modifiée, constituent une restriction disproportionnée à la libre prestation des services, en imposant l’application de la quasi-totalité du droit du travail de l’État membre d’accueil, ce qui n’est pas justifié par la protection des intérêts des travailleurs détachés.

99 Elle relève que les travailleurs détachés pendant plus de douze mois, visés à l’article 3, paragraphe 1 bis, de la directive 96/71 modifiée, ne se trouvent pas, au regard de leur intégration dans la société et le marché du travail de l’État membre d’accueil, dans une situation comparable à celle des travailleurs de cet État membre.

100 Tout au plus, le resserrement des liens d’une entreprise détachant des travailleurs avec l’État membre d’accueil se vérifierait-il sur le plan économique.

101 En outre, selon elle, il ne saurait être supposé qu’une règle qui fait bénéficier un travailleur détaché pendant plus de douze mois dans un État membre d’accueil du droit applicable dans cet État membre est toujours plus avantageuse pour ce travailleur. Aucune disposition du traité FUE ne permettrait du reste de déterminer, de manière abstraite, la durée ou la fréquence à partir de laquelle la fourniture d’un service dans un autre État membre ne peut plus être considérée comme constituant une prestation de services au sens du traité FUE.

102 Dans une cinquième branche, la Hongrie considère que, en rendant applicable la directive 96/71 modifiée au secteur du transport routier à compter de l’adoption d’un acte législatif spécifique, l’article 3, paragraphe 3, de la directive attaquée méconnaît l’article 58 TFUE, qui dispose que la libre circulation des services dans le domaine des transports est régie par les dispositions du titre du traité FUE relatif aux transports.

103 Le Parlement et le Conseil, soutenus par la République fédérale d’Allemagne, le Royaume des Pays-Bas, le Royaume de Suède et la Commission, contestent l’argumentation de la Hongrie.

 Appréciation de la Cour

–  Observations liminaires

104 En premier lieu, il convient de rappeler que la Cour a jugé que l’interdiction des restrictions à la libre prestation des services vaut non seulement pour les mesures nationales, mais également pour les mesures émanant des institutions de l’Union (arrêt du 26 octobre 2010, Schmelz, C‑97/09, EU:C:2010:632, point 50 et jurisprudence citée).

105 Pour autant, et ainsi qu’il ressort du point 48 du présent arrêt, en matière de liberté de circulation des marchandises, des personnes, des services et des capitaux, les mesures adoptées par le législateur de l’Union, qu’il s’agisse de mesures d’harmonisation des législations des États membres ou de mesures de coordination de ces législations, ont non seulement pour objectif de faciliter l’exercice de l’une de ces libertés, mais visent également à assurer, le cas échéant, la protection d’autres intérêts fondamentaux reconnus par l’Union que cette liberté peut affecter.

106 Il en va notamment ainsi lorsque, au moyen de mesures de coordination visant à faciliter la libre prestation des services, le législateur de l’Union tient compte de l’intérêt général poursuivi par les différents États membres et arrête un niveau de protection de cet intérêt qui paraît acceptable dans l’Union (voir, par analogie, arrêt du 13 mai 1997, Allemagne/Parlement et Conseil, C‑233/94, EU:C:1997:231, point 17).

107 Or, ainsi qu’il a été relevé au point 51 du présent arrêt, le législateur de l’Union a cherché, en adoptant la directive attaquée, à assurer la libre prestation des services sur une base équitable, à savoir dans un cadre réglementaire garantissant une concurrence qui ne soit pas fondée sur l’application, dans un même État membre, de conditions de travail et d’emploi d’un niveau substantiellement différent selon que l’employeur est ou non établi dans cet État membre, tout en offrant une plus grande protection aux travailleurs détachés, cette protection constituant, par ailleurs, comme en atteste le considérant 10 de cette directive, le moyen de « préserver la libre prestation de services sur une base équitable ».

108 En second lieu, le juge de l’Union, saisi d’un recours en annulation contre un acte législatif visant à coordonner les législations des États membres en matière de conditions de travail et d’emploi, comme la directive attaquée, doit s’assurer uniquement, du point de vue de la légalité interne de cet acte, que celui-ci ne méconnaît pas les traités UE et FUE ou les principes généraux du droit de l’Union et qu’il n’est pas entaché d’un détournement de pouvoir.

109 Or, tant le principe d’égalité de traitement que le principe de proportionnalité, qui sont invoqués par la Hongrie dans le cadre du présent moyen, font partie de ces principes généraux.

110 D’une part, selon une jurisprudence constante, le principe d’égalité de traitement exige que des situations comparables ne soient pas traitées de manière différente et que des situations différentes ne soient pas traitées de manière égale, à moins qu’un tel traitement ne soit objectivement justifié (arrêt du 3 décembre 2019, République tchèque/Parlement et Conseil, C‑482/17, EU:C:2019:1035, point 164 ainsi que jurisprudence citée).

111 D’autre part, le principe de proportionnalité exige que les moyens mis en œuvre par une disposition du droit de l’Union soient propres à réaliser les objectifs légitimes poursuivis par la réglementation concernée et n’aillent pas au-delà de ce qui est nécessaire pour les atteindre (arrêt du 3 décembre 2019, République tchèque/Parlement et Conseil, C‑482/17, EU:C:2019:1035, point 76 ainsi que jurisprudence citée).

112 En ce qui concerne le contrôle juridictionnel du respect de ces conditions, la Cour a reconnu au législateur de l’Union, dans le cadre de l’exercice des compétences qui lui sont conférées, un large pouvoir d’appréciation dans les domaines où son action implique des choix de nature tant politique qu’économique ou sociale, et où il est appelé à effectuer des appréciations et des évaluations complexes. Ainsi, il ne s’agit pas de savoir si une mesure arrêtée dans un tel domaine était la seule ou la meilleure possible, seul le caractère manifestement inapproprié de celle-ci par rapport à l’objectif que les institutions compétentes entendent poursuivre pouvant affecter la légalité de cette mesure (arrêt du 3 décembre 2019, République tchèque/Parlement et Conseil, C‑482/17, EU:C:2019:1035, point 77 ainsi que jurisprudence citée).

113 Or, il ne saurait être contesté que la réglementation, à l’échelle de l’Union, relative au détachement de travailleurs effectué dans le cadre d’une prestation de services relève d’un tel domaine.

114 En outre, le large pouvoir d’appréciation du législateur de l’Union, impliquant un contrôle juridictionnel limité de son exercice, s’applique non pas exclusivement à la nature et à la portée des dispositions à prendre, mais aussi, dans une certaine mesure, à la constatation des données de base (arrêt du 3 décembre 2019, République tchèque/Parlement et Conseil, C‑482/17, EU:C:2019:1035, point 78 ainsi que jurisprudence citée).

115 Toutefois, même en présence d’un large pouvoir d’appréciation, le législateur de l’Union est tenu de fonder son choix sur des critères objectifs et d’examiner si les buts poursuivis par la mesure retenue sont de nature à justifier des conséquences économiques négatives, même considérables, pour certains opérateurs. En effet, en vertu de l’article 5 du protocole (no 2) sur l’application des principes de subsidiarité et de proportionnalité, annexé au traité UE et au traité FUE, les projets d’actes législatifs doivent tenir compte de la nécessité de faire en sorte que toute charge incombant aux opérateurs économiques soit la moins élevée possible et à la mesure de l’objectif à atteindre (arrêt du 3 décembre 2019, République tchèque/Parlement et Conseil, C‑482/17, EU:C:2019:1035, point 79 ainsi que jurisprudence citée).

116 Par ailleurs, même un contrôle juridictionnel d’une portée limitée requiert que les institutions de l’Union, auteurs de l’acte en cause, soient en mesure d’établir devant la Cour que l’acte a été adopté moyennant un exercice effectif de leur pouvoir d’appréciation, lequel suppose la prise en considération de tous les éléments et circonstances pertinents de la situation que cet acte a entendu régir. Il en résulte que ces institutions doivent, à tout le moins, pouvoir produire et exposer de façon claire et non équivoque les données de base ayant dû être prises en compte pour fonder les mesures contestées dudit acte et dont dépendait l’exercice de leur pouvoir d’appréciation (arrêt du 3 décembre 2019, République tchèque/Parlement et Conseil, C‑482/17, EU:C:2019:1035, point 81 ainsi que jurisprudence citée).

117 C’est à la lumière de ces considérations qu’il convient d’examiner les différentes branches du troisième moyen.

–  Sur la première branche du troisième moyen, tirée du fait que la protection des droits des travailleurs détachés est suffisamment garantie

118 En substance, la Hongrie considère que la réglementation de l’Union relative à la libre prestation des services met en œuvre le principe fondamental selon lequel tout État membre doit reconnaître les conditions d’emploi appliquées en conformité avec le droit de l’Union par un autre État membre, ce qui garantit à suffisance la protection des droits des travailleurs détachés.

119 En premier lieu, si la Hongrie se réfère, pour appuyer son argumentation, à la directive 2006/123, il suffit, en tout état de cause et conformément au point 108 du présent arrêt, de constater que la légalité interne d’un acte de l’Union ne saurait être examinée au regard d’un autre acte de l’Union de même rang normatif, excepté s’il a été adopté en application de ce dernier acte ou s’il est expressément prévu, dans l’un de ces deux actes, que l’un prime l’autre. Or, tel n’est pas le cas de la directive attaquée. Du reste, ainsi que le précise l’article 1er, paragraphe 6, de la directive 2006/123, cette « directive ne s’applique pas au droit du travail, à savoir les dispositions légales ou contractuelles concernant les conditions d’emploi [et] de travail ».

120 De même, s’agissant du parallèle opéré par la Hongrie avec la réglementation en matière de coordination des régimes de sécurité sociale, à savoir le règlement (CE) no 883/2004 du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, sur le coordination des systèmes de sécurité sociale (JO 2004, L 166, p. 1), il suffit de constater que la directive attaquée n’a pas été adoptée en application du règlement no 883/2004 et qu’aucun de ces deux actes ne prévoit expressément que ce règlement prime cette directive.

121 En deuxième lieu, l’argument selon lequel la directive 96/71, avant sa modification par la directive attaquée, offrait une protection adéquate des travailleurs détachés en imposant, sur le plan des rémunérations, le paiement du salaire minimal de l’État membre d’accueil n’est pas de nature à remettre en cause la légalité de cette dernière directive.

122 À cet égard, le législateur de l’Union a estimé, en adoptant celle-ci, qu’il était nécessaire d’accorder une plus grande protection aux travailleurs afin de préserver la prestation de services sur une base équitable entre les entreprises établies dans l’État membre d’accueil et celles qui détachent des travailleurs dans cet État.

123 À cette fin, l’article 3, paragraphe 1, premier alinéa, sous c), de la directive 96/71 modifiée vise, plus précisément, à assurer une plus grande protection aux travailleurs détachés, en leur garantissant, sur le fondement de l’égalité de traitement, le bénéfice de tous les éléments constitutifs de la rémunération rendus obligatoires dans l’État membre d’accueil, afin que ces travailleurs perçoivent une rémunération fondée sur les mêmes règles impératives que celles applicables aux travailleurs employés par les entreprises établies dans l’État membre d’accueil.

124 Or, le choix d’accorder une telle protection accrue ne saurait, comme le soutient la Hongrie, mettre en doute la capacité du salaire minimal de l’État membre d’accueil à garantir l’objectif de protection des travailleurs, mais relève, au contraire, du large pouvoir d’appréciation du législateur de l’Union mis en exergue aux points 112 et 113 du présent arrêt.

125 En troisième lieu, la Hongrie fait valoir que la directive attaquée ne sert pas le principe de la libre prestation des services, mais qu’elle anéantit l’avantage concurrentiel licite de certains États membres en termes de coûts et qu’elle constitue ainsi une mesure qui a pour effet de fausser la concurrence.

126 Or, ainsi qu’il a été relevé, aux points 51 et 107 du présent arrêt, le législateur de l’Union a cherché, en adoptant la directive attaquée, à assurer la libre prestation des services sur une base équitable, à savoir dans un cadre réglementaire garantissant une concurrence qui ne soit pas fondée sur l’application, dans un même État membre, de conditions de travail et d’emploi d’un niveau substantiellement différent selon que l’employeur est ou non établi dans cet État membre, tout en offrant une plus grande protection aux travailleurs détachés, une telle protection constituant, par ailleurs, comme en atteste le considérant 10 de cette directive, le moyen de « préserver la libre prestation de services sur une base équitable ».

127 Il en résulte que la directive attaquée, en garantissant une protection accrue des travailleurs détachés, tend à assurer l’accomplissement de la libre prestation des services au sein de l’Union dans le cadre d’une concurrence qui ne dépende pas de différences excessives dans les conditions de travail et d’emploi appliquées, dans un même État membre, aux entreprises de différents États membres.

128 Dans cette mesure, afin d’atteindre un tel objectif, la directive attaquée procède à un rééquilibrage des facteurs au regard desquels les entreprises établies dans les différents États membres peuvent entrer en concurrence, sans pour autant supprimer l’éventuel avantage concurrentiel dont auraient bénéficié les prestataires de services de certains États membres, dès lors que, contrairement à ce que la Hongrie soutient, ladite directive n’a aucunement pour effet d’éliminer toute concurrence fondée sur les coûts. Elle prévoit, en effet, d’assurer aux travailleurs détachés l’application d’un ensemble de conditions de travail et d’emploi dans l’État membre d’accueil, dont les éléments constitutifs de la rémunération rendus obligatoires dans cet État. Cette directive n’a, donc, pas d’effet sur les autres éléments de coûts des entreprises qui détachent de tels travailleurs, tels que la productivité ou l’efficacité de ces travailleurs, qui sont mentionnés à son considérant 16. Contrairement à ce qu’allègue la Hongrie, cette directive ne crée, dès lors, pas de distorsion de concurrence.

129 En outre, il convient de souligner que la directive attaquée vise à la fois, conformément à son considérant 16, à créer un « marché intérieur véritablement intégré et concurrentiel », et, selon son considérant 4, à susciter, par l’application uniforme de règles en matière de conditions de travail et d’emploi, une « véritable convergence sociale ».

130 Par conséquent, la première branche du troisième moyen doit être écartée.

–  Sur la deuxième branche du troisième moyen, tirée d’une violation du principe d’égalité de traitement

131 En premier lieu, s’agissant de l’argument selon lequel la règle figurant à l’article 3, paragraphe 1, premier alinéa, sous c), de la directive 96/71 modifiée imposerait aux entreprises qui détachent des travailleurs dans un autre État membre de leur verser une rémunération fixée au regard de pratiques de ce dernier État, qui ne sont pas obligatoirement applicables aux entreprises de cet État membre, il convient de constater qu’il est erroné.

132 En effet, il résulte clairement du libellé de l’article 3, paragraphe 1, troisième alinéa, de la directive 96/71 modifiée, qui précise les conditions générales d’application de ce paragraphe, que la « notion de rémunération [visée à l’article 3, paragraphe 1, premier alinéa, sous c), de cette directive] est déterminée par la législation et/ou les pratiques nationales de l’État membre sur le territoire duquel le travailleur est détaché et s’entend de tous les éléments constitutifs de la rémunération rendus obligatoires par des dispositions législatives, réglementaires ou administratives nationales, ou par des conventions collectives ou des sentences arbitrales qui, dans cet État membre, ont été déclarées d’application générale ou qui s’appliquent à un autre titre conformément au paragraphe 8 ».

133 Dès lors, tant les travailleurs employés par les entreprises établies dans l’État membre d’accueil que les travailleurs détachés dans cet État membre sont soumis aux mêmes règles en matière de rémunération, à savoir celles qui ont été rendues obligatoires dans ledit État membre.

134 En second lieu, s’agissant de l’argument de la Hongrie selon lequel est contraire au principe d’égalité l’article 3, paragraphe 7, de la directive 96/71 modifiée, en tant qu’il imposerait une obligation de rembourser les dépenses de voyage, de logement et de nourriture aux entreprises qui détachent des travailleurs dans un autre État membre, cet argument repose sur une interprétation erronée de cette disposition. En effet, comme l’a fait valoir le Conseil, la seconde phrase du deuxième alinéa de cet article 3, paragraphe 7, n’a pas pour objet de créer une obligation de cette nature. Comme il ressort en particulier du considérant 19 de la directive attaquée ainsi que de la réserve que contient cette phrase par renvoi à l’article 3, paragraphe 1, premier alinéa, sous i), de cette directive, ladite phrase se borne à prévoir qu’un tel remboursement, qui ne relève pas de la rémunération, est régi par la législation ou les pratiques nationales applicables à la relation de travail.

135 Au demeurant, cette disposition vise la situation particulière dans laquelle les travailleurs détachés se trouvent, puisqu’ils sont tenus, afin de satisfaire leurs obligations professionnelles à l’égard de leur employeur, de se déplacer de leur État membre d’origine vers un autre État membre. Or, les travailleurs employés par une entreprise établie dans un tel État membre ne se trouvent pas dans la même situation dès lors qu’ils exécutent leurs tâches pour le compte de cette entreprise dans ce même État membre. Il s’ensuit que ladite disposition ne saurait, en tout état de cause, être considérée comme étant contraire au principe d’égalité de traitement.

136 Par conséquent, la deuxième branche du troisième moyen doit être écartée.

–  Sur la troisième branche du troisième moyen, tirée d’une violation du principe de proportionnalité

137 Ainsi qu’il ressort de la jurisprudence citée au point 111 du présent arrêt, le principe de proportionnalité, qui fait partie des principes généraux du droit de l’Union, exige que les moyens mis en œuvre par une disposition du droit de l’Union soient propres à réaliser les objectifs légitimes poursuivis par la réglementation concernée et n’aillent pas au‑delà de ce qui est nécessaire pour les atteindre.

138 En premier lieu, en ce qui concerne l’aptitude de la directive attaquée à atteindre l’objectif de garantir des conditions de concurrence plus équitables entre les entreprises détachant des travailleurs dans l’État membre d’accueil et les entreprises de cet État membre, la Hongrie tire des conclusions erronées du considérant 16 de cette directive.

139 D’une part, ce considérant reflète un objectif à atteindre par l’Union, à savoir celui de réaliser un « marché intérieur véritablement intégré et concurrentiel », l’application uniforme de règles en matière de conditions de travail et d’emploi visant à susciter, selon le considérant 4 de ladite directive, une « véritable convergence sociale ».

140 D’autre part, ce même considérant 16 n’indique pas qu’une concurrence sur la base de différences de coûts entre les entreprises de l’Union ne serait ni possible ni souhaitable. Au contraire, en mettant en avant des facteurs tels que la productivité et l’efficacité, il met en exergue des facteurs de production qui induisent naturellement de telles différences de coûts.

141 En réalité, en cas de prestations de services transnationales, les seules différences de coûts entre les entreprises de l’Union qui sont neutralisées par la directive attaquée sont celles qui résultent des conditions de travail et d’emploi énumérées à l’article 3, paragraphe 1, de la directive 96/71 modifiée, lesquelles sont obligatoires en vertu de la réglementation, au sens large, de l’État membre d’accueil.

142 En deuxième lieu, la Hongrie conteste les éléments retenus par le législateur de l’Union pour considérer que la protection, par la directive 96/71, des travailleurs détachés n’était plus appropriée.

143 À cet égard, l’analyse d’impact a, en particulier, mis en lumière deux circonstances qui ont raisonnablement pu conduire ce législateur à considérer que la notion de « taux de salaire minimal » de l’État membre d’accueil, prévue à l’article 3, paragraphe 1, sous c), de la directive 96/71, lequel devait être garanti afin de protéger les travailleurs détachés, n’était plus à même d’assurer une telle protection.

144 D’une part, la notion de « taux de salaire minimal » avait soulevé des difficultés d’interprétation dans de nombreux États membres, ce qui s’était traduit par plusieurs affaires préjudicielles devant la Cour, laquelle a retenu une interprétation large de cette notion dans l’arrêt du 12 février 2015, Sähköalojen ammattiliitto (C‑396/13, EU:C:2015:86, points 38 à 70), incluant, au-delà du salaire minimal prévu par la législation de l’État membre d’accueil, un certain nombre d’éléments. Ainsi, il a été jugé que ladite notion recouvrait le mode de calcul du salaire, à l’heure ou à la tâche, fondé sur le classement des travailleurs en groupes de rémunération tels que prévus par les conventions collectives en vigueur dans cet État membre, une indemnité journalière, une indemnité de trajet et un pécule de vacances.

145 Ce faisant, il a pu être constaté, dans l’analyse d’impact, que la notion de « taux de salaire minimal », telle qu’interprétée par la Cour, s’écartait grandement de la pratique répandue des entreprises détachant des travailleurs dans un autre État membre dans le cadre d’une prestation de services, consistant à ne verser à ceux-ci que le salaire minimal prévu par la législation ou les conventions collectives de l’État membre d’accueil.

146 D’autre part, il ressort de l’analyse d’impact que, au cours de l’année 2014, des différences importantes de rémunération s’étaient fait jour, dans plusieurs États membres d’accueil, entre les travailleurs employés par des entreprises établies dans ces États membres et les travailleurs qui y étaient détachés.

147 En troisième lieu, il convient d’écarter l’argument de la Hongrie selon lequel, eu égard au caractère temporaire d’une prestation de services réalisée dans le cadre d’un détachement de travailleurs, les dispositions de la directive attaquée, en ce qu’elles reviennent à assurer aux travailleurs détachés une égalité de traitement avec les travailleurs employés par des entreprises établies dans l’État membre d’accueil, vont au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif de protection de ces travailleurs détachés.

148 Contrairement à ce que soutient la Hongrie, ni le remplacement de la notion de « taux de salaire minimal » par celle de « rémunération », à l’article 3, paragraphe 1, premier alinéa, sous c), de la directive 96/71 modifiée, ni l’application aux travailleurs détachés des conditions de travail et d’emploi de l’État membre d’accueil s’agissant du remboursement des dépenses de voyage, de logement et de nourriture des travailleurs éloignés de leur domicile pour des raisons professionnelles n’aboutissent à placer ces derniers dans une situation identique ou analogue à celle des travailleurs employés par des entreprises établies dans l’État membre d’accueil.

149 En effet, ces modifications n’entraînent pas l’application de toutes les conditions de travail et d’emploi de l’État membre d’accueil, seules certaines de ces conditions étant, en tout état de cause, applicables à ces travailleurs en application de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 96/71 modifiée.

150 Or, au regard des éléments exposés aux points 62 et 144 à 146 du présent arrêt, la Hongrie n’a pas été en mesure d’établir que les modifications apportées par la directive attaquée à l’article 3, paragraphe 1, premier alinéa, de la directive 96/71 allaient au-delà de ce qui était nécessaire en vue d’atteindre les objectifs de la directive attaquée, à savoir assurer la libre prestation des services sur une base équitable et offrir une plus grande protection aux travailleurs détachés.

151 Par conséquent, la troisième branche du troisième moyen doit être écartée.

–  Sur la quatrième branche du troisième moyen, tirée de ce que le régime de détachement des travailleurs pour une période de plus de douze mois porte atteinte au principe de la libre prestation des services

152 La Hongrie considère que l’application de la quasi-totalité du droit du travail de l’État membre d’accueil aux travailleurs détachés pour une période, en règle générale, de plus de douze mois n’est ni justifiée par la protection des intérêts de ceux-ci, ni nécessaire, ni proportionnée.

153 En outre, la directive attaquée méconnaîtrait le principe d’égalité de traitement en considérant, d’une part, que les travailleurs détachés pendant plus de douze mois, visés à l’article 3, paragraphe 1 bis, de la directive 96/71 modifiée, se trouvent dans une situation comparable à celle des travailleurs employés par des entreprises établies dans l’État membre d’accueil et, d’autre part, que les entreprises qui détachent des travailleurs pendant une telle durée se trouvent dans une situation comparable aux entreprises établies dans cet État.

154 L’article 3, paragraphe 1 bis, de la directive 96/71 modifiée prévoit que, lorsque le travailleur est détaché pendant plus de douze mois dans l’État membre d’accueil, ou pendant plus de dix-huit mois si le prestataire de services soumet une notification motivée en ce sens, ce dernier garantit, sur le fondement de l’égalité de traitement, outre les conditions de travail et d’emploi visées à l’article 3, paragraphe 1, de cette directive, toutes les conditions de travail et d’emploi applicables qui sont fixées, dans cet État, par des dispositions législatives, réglementaires ou administratives et/ou par des conventions collectives ou des sentences arbitrales déclarées d’application générale. Seuls restent en dehors du champ d’application de l’article 3, paragraphe 1 bis, de la directive 96/71 modifiée, d’une part, les procédures, les formalités et les conditions régissant la conclusion et la fin du contrat de travail, y compris les clauses de non-concurrence, et, d’autre part, les régimes complémentaires de retraite professionnels.

155 Or, au regard du large pouvoir d’appréciation du législateur de l’Union, rappelé aux points 112 et 113 du présent arrêt, c’est sans commettre d’erreur manifeste que ce législateur a pu considérer qu’un détachement d’une durée aussi longue devait avoir pour conséquence de rapprocher sensiblement la situation personnelle des travailleurs détachés concernés de celle des travailleurs employés par des entreprises établies dans l’État membre d’accueil, et justifiait que ces travailleurs détachés de longue durée bénéficient de la quasi-totalité des conditions de travail et d’emploi applicables dans ce dernier État membre.

156 Un tel régime de détachement de longue durée apparaît nécessaire, approprié et proportionné afin d’assurer une plus grande protection en matière de conditions de travail et d’emploi pour les travailleurs détachés pendant une longue période dans un État membre d’accueil tout en distinguant la situation de ces travailleurs de celle des travailleurs ayant exercé leur droit à la libre circulation ou, plus généralement, des travailleurs résidant dans cet État membre et employés par des entreprises qui y sont établies.

157 Par conséquent, la quatrième branche du troisième moyen doit être écartée.

–  Sur la cinquième branche du troisième moyen, tirée d’une méconnaissance de l’article 58 TFUE

158 La Hongrie considère que, en rendant applicable la directive 96/71 modifiée au secteur du transport routier à compter de l’adoption d’un acte législatif spécifique, l’article 3, paragraphe 3, de la directive attaquée méconnaît l’article 58 TFUE.

159 En vertu de l’article 58 TFUE, la libre circulation des services, en matière de transports, est régie par les dispositions du titre du traité FUE consacré aux transports, composé des articles 90 à 100 TFUE.

160 Il en découle qu’un service dans le domaine des transports, au sens de l’article 58, paragraphe 1, TFUE, est exclu du champ d’application de l’article 56 TFUE (arrêt du 20 décembre 2017, Asociación Profesional Elite Taxi, C‑434/15, EU:C:2017:981, point 48).

161 Or, l’article 3, paragraphe 3, de la directive attaquée se limite à prévoir que celle-ci s’appliquera au secteur du transport routier à partir de la date d’application d’un acte législatif modifiant la directive 2006/22, laquelle avait comme base juridique l’article 71, paragraphe 1, CE, faisant partie des dispositions du titre du traité CE relatif aux transports et correspondant à l’article 91 TFUE.

162 Dès lors, l’article 3, paragraphe 3, de la directive attaquée n’a pas pour objet de régir la libre prestation des services dans le domaine des transports et ne saurait, partant, être contraire à l’article 58 TFUE.

163 Par conséquent, la cinquième branche du troisième moyen doit être écartée et, avec elle, ce moyen dans son ensemble.

 Sur le quatrième moyen, tiré d’une violation de l’article 56 TFUE en ce que la directive attaquée exclut la mise en œuvre effective de la libre prestation des services

 Argumentation des parties

164 La Hongrie soutient que la directive attaquée est contraire à l’article 56 TFUE ainsi qu’à l’arrêt du 18 décembre 2007, Laval un Partneri (C‑341/05, EU:C:2007:809), en ce qu’elle prévoit que l’exercice du droit de grève ou du droit d’entreprendre d’autres actions collectives puisse faire obstacle à la mise en œuvre effective de la libre prestation des services.

165 Telle serait, selon elle, la portée de l’article 1er, paragraphe 1, sous b), de cette directive énonçant que la directive 96/71 ne porte aucune atteinte, notamment, au droit de faire grève ou d’entreprendre d’autres actions prévues par les systèmes de relations du travail propres aux États membres.

166 Le Parlement et le Conseil, soutenus par la République fédérale d’Allemagne, le Royaume des Pays-Bas, le Royaume de Suède et la Commission, contestent l’argumentation de la Hongrie.

 Appréciation de la Cour

167 En substance, la Hongrie considère que l’article 1er, paragraphe 1, sous b), de la directive attaquée remet en cause la jurisprudence de la Cour, issue de l’arrêt du 18 décembre 2007, Laval un Partneri (C‑341/05, EU:C:2007:809), en excluant du champ d’application de l’article 56 TFUE l’exercice du droit de grève ou du droit d’entreprendre d’autres actions collectives.

168 Or, si cette disposition indique que la directive 96/71 modifiée « ne porte en aucune manière atteinte à l’exercice des droits fondamentaux reconnus dans les États membres et au niveau de l’Union », elle n’a aucunement pour conséquence que l’exercice de ces droits ne serait pas soumis au droit de l’Union. Bien au contraire, en ce qu’elle fait référence aux droits fondamentaux reconnus au niveau de l’Union, elle implique que l’exercice des droits d’action collective des travailleurs, dans le contexte d’un détachement de travailleurs soumis aux dispositions de la directive 96/71 modifiée, doit être apprécié au regard du droit de l’Union, tel qu’il a été interprété par la Cour.

169 Par conséquent, le quatrième moyen doit être écarté.

 Sur le cinquième moyen, tiré d’une méconnaissance du règlement « Rome I » ainsi que des principes de sécurité juridique et de clarté normative

 Argumentation des parties

170 La Hongrie soutient que l’article 3, paragraphe 1 bis, de la directive 96/71 modifiée n’est pas compatible avec le règlement « Rome I », qui vise à garantir la liberté des parties au contrat quant au choix de la loi applicable à leur relation, en ce que cet article prévoit que, en cas de détachement de longue durée, les obligations découlant de la législation de l’État membre d’accueil s’appliquent impérativement aux travailleurs détachés, quelle que soit la loi applicable à la relation de travail.

171 Or, le règlement « Rome I » ne tiendrait pas compte de la durée du travail exécuté à l’étranger pour déterminer la loi applicable, mais se fonderait sur la seule question de savoir si le travailleur doit, après l’accomplissement de son travail à l’étranger, reprendre son travail dans son pays d’origine.

172 Par ailleurs, la Hongrie considère que l’article 3, paragraphe 1 bis, de la directive 96/71 modifiée n’a pas le caractère d’une règle de conflit de lois, puisqu’il y est indiqué qu’il s’applique quelle que soit la loi applicable à la relation de travail.

173 Elle soutient, également, que la règle selon laquelle, aux fins de l’application de l’article 3, paragraphe 1 bis, de la directive 96/71 modifiée, les périodes de détachement de chacun des travailleurs détachés successifs sont cumulées, prévue au quatrième alinéa de cette disposition, n’est pas compatible avec le règlement « Rome I », lequel définit la loi applicable et les droits individuels pour chaque contrat de travail individuel.

174 Enfin, elle considère que la notion de « rémunération », dans la directive attaquée, viole les principes de clarté normative et de sécurité juridique, en ce qu’elle renvoie à la législation et/ou aux pratiques nationales de l’État membre d’accueil.

175 Le Parlement et le Conseil, soutenus par la République fédérale d’Allemagne, le Royaume des Pays-Bas, le Royaume de Suède et la Commission, contestent l’argumentation de la Hongrie.

 Appréciation de la Cour

176 Dans une première branche, la Hongrie soutient que, d’une part, l’article 3, paragraphe 1 bis, de la directive 96/71 modifiée méconnaît l’article 8 du règlement « Rome I » qui consacre l’autonomie des parties pour déterminer la loi applicable au contrat de travail et, d’autre part, la règle selon laquelle les périodes de détachement de chacun des travailleurs détachés successifs sont cumulées ne serait pas compatible avec ce règlement. Dans une seconde branche, elle considère que la notion de « rémunération », introduite par la directive attaquée, viole les principes de sécurité juridique et de clarté normative.

177 En premier lieu, il convient de relever que l’article 8 du règlement « Rome I » établit, à son paragraphe 1, une règle générale de conflit de lois applicable aux contrats de travail, qui désigne la loi choisie par les parties à un tel contrat, et prévoit, à son paragraphe 2, que, à défaut d’un tel choix, le contrat individuel de travail est régi par la loi du pays dans lequel ou, à défaut, à partir duquel le travailleur accomplit habituellement son travail, ce pays n’étant pas réputé changer lorsque le travailleur accomplit son travail temporairement dans un autre pays.

178 Pour autant, le règlement « Rome I » prévoit, à son article 23, qu’il puisse être dérogé aux règles de conflit de lois qu’il établit lorsque des dispositions du droit de l’Union fixent des règles relatives à la loi applicable aux obligations contractuelles dans certaines matières, le considérant 40 de ce règlement exposant, quant à lui, que ledit règlement n’exclut pas la possibilité d’insérer des règles de conflit de lois en matière d’obligations contractuelles dans les dispositions du droit de l’Union concernant des matières particulières.

179 Or, par leur nature et leur contenu, tant l’article 3, paragraphe 1, de la directive 96/71 modifiée, s’agissant des travailleurs détachés, que l’article 3, paragraphe 1 bis, de cette directive, s’agissant des travailleurs détachés pour une période, en général, supérieure à douze mois, constituent des règles spéciales de conflit de lois, au sens de l’article 23 du règlement « Rome I ».

180 En outre, comme le relève M. l’avocat général, au point 196 de ses conclusions, le processus d’élaboration du règlement « Rome I » démontre que l’article 23 de celui-ci recouvre la règle spéciale de conflit de lois qui était déjà prévue à l’article 3, paragraphe 1, de la directive 96/71, dès lors que, dans la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil sur la loi applicable aux obligations contractuelles (Rome I) [COM(2005) 650 final], du 15 décembre 2005, la Commission avait annexé une liste des règles spéciales de conflit de lois établies par d’autres dispositions du droit de l’Union, parmi lesquelles figurait cette directive.

181 Enfin, l’existence, à l’article 3, paragraphe 1 bis, de la directive 96/71 modifiée, d’une règle visant à prévenir la fraude en cas de remplacement d’un travailleur détaché par un autre travailleur détaché, effectuant la même tâche au même endroit, ne saurait remettre en cause la conclusion figurant au point 179 du présent arrêt, dès lors que, dans le cadre de la règle de conflit de lois constituée par cette disposition, il était loisible au législateur de l’Union de prévoir une règle destinée à éviter le contournement de l’obligation qu’il instituait.

182 Par conséquent, la première branche du cinquième moyen doit être écartée.

183 En second lieu, il ressort clairement du libellé et de l’économie de la directive 96/71 modifiée que la notion de « rémunération », qui est utilisée à l’article 3, paragraphe 1, premier alinéa, sous c), de celle-ci, renvoie aux législations ou aux pratiques des États membres rendues obligatoires en la matière et que, sous réserve de la précision apportée à l’article 3, paragraphe 7, deuxième alinéa, de cette directive, ledit article 3, paragraphe 1, premier alinéa, sous c), ne définit pas ce que recouvre cette notion.

184 À cet égard, l’article 3, paragraphe 1, troisième alinéa, de la directive 96/71 modifiée se borne à relever que cette notion est déterminée par la législation et/ou les pratiques nationales de l’État membre sur le territoire duquel le travailleur est détaché et s’entend de tous les éléments constitutifs de la rémunération rendus obligatoires par des dispositions législatives, réglementaires ou administratives nationales, ou par des conventions collectives ou des sentences arbitrales qui, dans cet État membre, ont été déclarées d’application générale ou qui s’appliquent à un autre titre conformément au paragraphe 8 de cet article.

185 Or, ainsi qu’il ressort, en substance, du considérant 17 de la directive attaquée, la fixation des règles relatives à la rémunération relève en principe de la compétence des États membres, ceux-ci étant néanmoins tenus dans ce cadre d’agir dans le respect du droit de l’Union.

186 Dans ces conditions, et compte tenu également du large pouvoir d’appréciation rappelé aux points 112 et 113 du présent arrêt, il ne saurait être reproché au législateur de l’Union d’avoir méconnu les principes de sécurité juridique et de clarté normative en ayant, dans une directive de coordination des réglementations et des pratiques des États membres en matière de conditions de travail et d’emploi, renvoyé à la notion de « rémunération » telle qu’elle est déterminée par la législation ou les pratiques nationales des États membres.

187 Par conséquent, la seconde branche du cinquième moyen doit être écartée et, avec elle, ce moyen dans son ensemble.

188 Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, le recours doit être rejeté sans qu’il soit besoin de statuer sur les conclusions, présentées à titre subsidiaire, qui visent l’annulation de certaines dispositions de la directive attaquée et qui reposent sur les mêmes moyens que ceux soutenant les conclusions présentées à titre principal.

 Sur les dépens

189 Aux termes de l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure de la Cour, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Le Parlement et le Conseil ayant conclu à la condamnation de la Hongrie aux dépens et cette dernière ayant succombé en ses moyens, il convient de la condamner aux dépens.

190 Conformément à l’article 140, paragraphe 1, dudit règlement, la République fédérale d’Allemagne, la République française, le Royaume des Pays-Bas, le Royaume de Suède ainsi que la Commission supporteront leurs propres dépens en tant que parties intervenantes au litige.

Par ces motifs, la Cour (grande chambre) déclare et arrête :

1) Le recours est rejeté.

2) La Hongrie est condamnée à supporter, outre ses propres dépens, ceux exposés par le Parlement européen et par le Conseil de l’Union européenne.

3) La République fédérale d’Allemagne, la République française, le Royaume des Pays-Bas, le Royaume de Suède et la Commission européenne supportent leurs propres dépens.