Livv
Décisions

CJUE, gr. ch., 8 décembre 2020, n° C-626/18

COUR DE JUSTICE DE L’UNION EUROPEENNE

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

République de Pologne

Défendeur :

Parlement européen, Conseil de l’Union européenne, République fédérale d’Allemagne, République française, Royaume des Pays-Bas, Commission européenne, Royaume de Suède

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Lenaerts

Présidents de chambre :

M. Bonichot, M. Vilaras (rapporteur), M. Regan, M. Ilešič , M. Wahl

Vice-président :

Mme Silva de Lapuerta

Juges :

M. Juhász, M. Šváby, M. Rodin, M. Biltgen, Mme Jürimäe, M. Lycourgos, M. Xuereb, M. Jääskinen

Avocat général :

M. Campos Sánchez-Bordona

CJUE n° C-626/18

8 décembre 2020

LA COUR (grande chambre),

1 Par sa requête, la République de Pologne demande à la Cour, à titre principal, d’annuler l’article 1er, paragraphe 2, sous a), et paragraphe 2, sous b), et l’article 3, paragraphe 3, de la directive (UE) 2018/957 du Parlement européen et du Conseil, du 28 juin 2018, modifiant la directive 96/71/CE concernant le détachement de travailleurs effectué dans le cadre d’une prestation de services (JO 2018, L 173, p. 16, et rectificatif JO 2019, L 91, p. 77) (ci après la « directive attaquée »), et, à titre subsidiaire, d’annuler celle-ci dans son intégralité.

I. Le cadre juridique

A. Le traité FUE

2 L’article 9 TFUE est libellé comme suit :

« Dans la définition et la mise en œuvre de ses politiques et actions, l’Union prend en compte les exigences liées à la promotion d’un niveau d’emploi élevé, à la garantie d’une protection sociale adéquate, à la lutte contre l’exclusion sociale ainsi qu’à un niveau élevé d’éducation, de formation et de protection de la santé humaine. »

3 L’article 53 TFUE dispose :

« 1. Afin de faciliter l’accès aux activités non salariées et leur exercice, le Parlement européen et le Conseil [de l’Union européenne], statuant conformément à la procédure législative ordinaire, arrêtent des directives visant à la reconnaissance mutuelle des diplômes, certificats et autres titres, ainsi qu’à la coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres concernant l’accès aux activités non salariées et à l’exercice de celles-ci.

2. En ce qui concerne les professions médicales, paramédicales et pharmaceutiques, la suppression progressive des restrictions est subordonnée à la coordination de leurs conditions d’exercice dans les différents États membres. »

4 Aux termes de l’article 58, paragraphe 1, TFUE :

« La libre circulation des services, en matière de transports, est régie par les dispositions du titre relatif aux transports. »

5 L’article 62 TFUE énonce :

« Les dispositions des articles 51 à 54 inclus sont applicables à la matière régie par le présent chapitre. »

B. La réglementation relative aux travailleurs détachés

1. La directive 96/71/CE

6 La directive 96/71/CE du Parlement européen et du Conseil, du 16 décembre 1996, concernant le détachement de travailleurs effectué dans le cadre d’une prestation de services (JO 1997, L 18, p. 1), a été adoptée sur le fondement de l’article 57, paragraphe 2, et de l’article 66 CE (respectivement devenus l’article 53, paragraphe 1, et l’article 62 TFUE).

7 En vertu de son article 3, paragraphe 1, la directive 96/71 avait pour but de garantir aux travailleurs détachés sur le territoire des États membres les conditions de travail et d’emploi concernant les matières qu’elle visait qui, dans l’État membre sur le territoire duquel le travail était exécuté, étaient fixées par des dispositions législatives, réglementaires ou administratives et/ou par des conventions collectives ou des sentences arbitrales déclarées d’application générale.

8 Parmi les matières concernées par la directive 96/71 figurait, à son article 3, paragraphe 1, sous c), celle relative aux taux de salaire minimal, y compris ceux majorés pour les heures supplémentaires.

2. La directive attaquée

9 La directive attaquée a été adoptée sur le fondement de l’article 53, paragraphe 1, et de l’article 62 TFUE.

10 Les considérants 1, 4, 6 et 9 à 11 de la directive attaquée énoncent :

« (1) La libre circulation des travailleurs, la liberté d’établissement et la libre prestation des services sont des principes fondamentaux du marché intérieur consacrés par le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. L’Union renforce la mise en œuvre et l’exécution de ces principes, qui visent à garantir des conditions de concurrence équitables aux entreprises et le respect des droits des travailleurs.

[...]

(4) Plus de vingt ans après son adoption, il est désormais nécessaire d’apprécier si la directive 96/71[...] parvient encore à établir un juste équilibre entre la nécessité de promouvoir la libre prestation des services et d’assurer des conditions de concurrence équitables, d’une part, et la nécessité de protéger les droits des travailleurs détachés, d’autre part. Afin de garantir l’application uniforme des règles et de susciter une véritable convergence sociale, il convient, parallèlement à la révision de la directive 96/71[...], de donner la priorité à la mise en œuvre et à l’exécution de la directive 2014/67/UE du Parlement européen et du Conseil[, du 15 mai 2014, relative à l’exécution de la directive 96/71 et modifiant le règlement (UE) nº 1024/2012 concernant la coopération administrative par l’intermédiaire du système d’information du marché intérieur (“règlement IMI”) (JO 2014, L 159, p. 11)].

[...]

(6) Le principe de l’égalité de traitement et l’interdiction de toute discrimination fondée sur la nationalité sont consacrés dans le droit de l’Union depuis les traités fondateurs. Le principe de l’égalité des rémunérations est mis en œuvre par le droit dérivé, non seulement entre les femmes et les hommes, mais aussi entre les travailleurs sous contrat à durée déterminée et les travailleurs sous contrat à durée indéterminée comparables, entre les travailleurs à temps partiel et les travailleurs à plein temps et entre les travailleurs intérimaires et les travailleurs comparables de l’entreprise utilisatrice. Ces principes comprennent l’interdiction de toute mesure qui constitue, directement ou indirectement, une discrimination fondée sur la nationalité. La jurisprudence pertinente de la Cour de justice de l’Union européenne doit être prise en considération pour l’application de ces principes.

[...]

(9) Le détachement est de nature temporaire. Les travailleurs détachés retournent habituellement dans l’État membre à partir duquel ils ont été détachés après avoir accompli le travail pour lequel ils étaient détachés. Cependant, eu égard à la longue durée de certains détachements et compte tenu du lien entre le marché du travail de l’État membre d’accueil et les travailleurs détachés pour ces longues périodes, lorsque le détachement porte sur des périodes d’une durée supérieure à douze mois, les États membres d’accueil devraient veiller à ce que les entreprises qui détachent des travailleurs sur leur territoire garantissent à ces travailleurs un ensemble de conditions de travail et d’emploi supplémentaires qui s’appliquent obligatoirement aux travailleurs dans l’État membre sur le territoire duquel le travail est exécuté. Cette période devrait être prolongée lorsque le prestataire de services soumet une notification motivée.

(10) Il est nécessaire d’accorder une plus grande protection aux travailleurs afin de préserver la libre prestation de services sur une base équitable, tant à court qu’à long terme, notamment en empêchant toute violation des droits garantis par les traités. Cependant, les règles garantissant une telle protection des travailleurs ne sauraient porter atteinte au droit des entreprises détachant des travailleurs sur le territoire d’un autre État membre d’invoquer la libre prestation des services, y compris dans les cas où la durée du détachement est supérieure à douze mois ou, le cas échéant, à dix-huit mois. Toute disposition applicable aux travailleurs détachés dans le cadre d’un détachement d’une durée supérieure à douze mois ou, le cas échéant, à dix-huit mois, doit donc être compatible avec cette liberté. Selon une jurisprudence constante, les restrictions à la libre prestation des services ne peuvent être admises que si elles se justifient par des raisons impérieuses d’intérêt général et si elles sont proportionnées et nécessaires.

(11) Lorsque la durée du détachement est supérieure à douze mois ou, le cas échéant, à dix-huit mois, l’ensemble des conditions de travail et d’emploi supplémentaires qui doivent être garanties par les entreprises détachant des travailleurs sur le territoire d’un autre État membre devraient également couvrir les travailleurs qui sont détachés pour remplacer d’autres travailleurs détachés exécutant la même tâche au même endroit, afin d’éviter que ces remplacements ne soient utilisés pour contourner les règles autrement applicables. »

11 Les considérants 16 à 19 de cette directive sont ainsi libellés :

« (16) Dans un marché intérieur véritablement intégré et concurrentiel, les entreprises entrent en concurrence sur la base de facteurs tels que la productivité, l’efficacité et le niveau d’éducation et de compétence de la main-d’œuvre ainsi que sur la qualité de leurs biens et services et leur degré d’innovation.

(17) Il relève de la compétence des États membres de fixer les règles relatives à la rémunération conformément à la législation et/ou aux pratiques nationales. La détermination des salaires relève de la compétence exclusive des États membres et des partenaires sociaux. Il convient de veiller en particulier à ce qu’il ne soit pas porté atteinte aux systèmes nationaux de détermination des salaires ou à la liberté des parties concernées.

(18) La comparaison entre la rémunération payée à un travailleur détaché et la rémunération due conformément à la législation et/ou aux pratiques nationales de l’État membre d’accueil devrait tenir compte du montant brut de la rémunération. Il convient de comparer les montants totaux bruts des rémunérations plutôt que les éléments constitutifs individuels de la rémunération qui sont rendus obligatoires, comme le prévoit la présente directive. Néanmoins, afin d’assurer la transparence et d’assister les autorités et organismes compétents lors des vérifications et des contrôles, il est nécessaire que les éléments constitutifs de la rémunération puissent être identifiés de manière suffisamment précise conformément à la législation et/ou aux pratiques nationales de l’État membre à partir duquel le travailleur a été détaché. À moins que les allocations propres au détachement ne concernent des dépenses effectivement encourues du fait du détachement, telles que les dépenses de voyage, de logement et de nourriture, elles devraient être considérées comme faisant partie de la rémunération et devraient être prises en compte aux fins de la comparaison des montants bruts totaux de la rémunération.

(19) Les allocations propres au détachement répondent souvent à plusieurs finalités. Dans la mesure où elles sont destinées au remboursement des dépenses encourues du fait du détachement, telles que les dépenses de voyage, de logement et de nourriture, elles ne devraient pas être considérées comme faisant partie de la rémunération. Il appartient aux États membres, conformément à leur législation et/ou à leurs pratiques nationales, de fixer des règles régissant le remboursement de telles dépenses. L’employeur devrait rembourser ces dépenses aux travailleurs détachés conformément à la législation et/ou aux pratiques nationales applicables à la relation de travail. »

12 Aux termes du considérant 24 de ladite directive :

« La présente directive met en place un cadre équilibré en ce qui concerne la libre prestation des services et la protection des travailleurs détachés, qui est non discriminatoire, transparent et proportionné, tout en respectant la diversité des relations de travail au niveau national. La présente directive n’empêche pas l’application de conditions de travail et d’emploi plus favorables pour les travailleurs détachés. »

13 L’article 1er, paragraphe 1, sous b), de la directive attaquée insère les paragraphes –1 et –1 bis à l’article 1er de la directive 96/71 :

« –1. La [directive 96/71] garantit la protection des travailleurs détachés durant leur détachement en ce qui concerne la libre prestation des services, en fixant des dispositions obligatoires concernant les conditions de travail et la protection de la santé et de la sécurité des travailleurs, qui doivent être respectées.

–1 bis. La [directive 96/71] ne porte en aucune manière atteinte à l’exercice des droits fondamentaux reconnus dans les États membres et au niveau de l’Union, notamment le droit ou la liberté de faire grève ou d’entreprendre d’autres actions prévues par les systèmes de relations du travail propres aux États membres, conformément à la législation et/ou aux pratiques nationales. Elle ne porte pas non plus atteinte au droit de négocier, de conclure et d’appliquer des conventions collectives ou de mener des actions collectives conformément à la législation et/ou aux pratiques nationales. »

14 L’article 1er, paragraphe 2, sous a), de la directive attaquée modifie l’article 3, paragraphe 1, premier alinéa, sous c), de la directive 96/71, ajoute des points h) et i) à cet alinéa et insère un troisième alinéa à cet article 3, paragraphe 1, de la manière suivante :

«1. Les États membres veillent à ce que, quelle que soit la loi applicable à la relation de travail, les entreprises visées à l’article 1er, paragraphe 1, garantissent aux travailleurs qui sont détachés sur leur territoire, sur le fondement de l’égalité de traitement, les conditions de travail et d’emploi couvrant les matières énoncées ci-après qui, dans l’État membre sur le territoire duquel le travail est exécuté, sont fixées :

– par des dispositions législatives, réglementaires ou administratives, et/ou

– par des conventions collectives ou des sentences arbitrales déclarées d’application générale ou qui s’appliquent à un autre titre conformément au paragraphe 8 :

[...]

c) la rémunération, y compris les taux majorés pour les heures supplémentaires ; le présent point ne s’applique pas aux régimes complémentaires de retraite professionnels ;

[...]

h) les conditions d’hébergement des travailleurs lorsque l’employeur propose un logement aux travailleurs éloignés de leur lieu de travail habituel ;

i) les allocations ou le remboursement de dépenses en vue de couvrir les dépenses de voyage, de logement et de nourriture des travailleurs éloignés de leur domicile pour des raisons professionnelles.

[...]

Aux fins de la [directive 96/71], la notion de rémunération est déterminée par la législation et/ou les pratiques nationales de l’État membre sur le territoire duquel le travailleur est détaché et s’entend de tous les éléments constitutifs de la rémunération rendus obligatoires par des dispositions législatives, réglementaires ou administratives nationales, ou par des conventions collectives ou des sentences arbitrales qui, dans cet État membre, ont été déclarées d’application générale ou qui s’appliquent à un autre titre conformément au paragraphe 8. »

15 L’article 1er, paragraphe 2, sous b), de la directive attaquée insère un paragraphe 1 bis à l’article 3 de la directive 96/71, qui est ainsi libellé :

« Lorsque la durée effective d’un détachement est supérieure à douze mois, les États membres veillent à ce que, quelle que soit la loi applicable à la relation de travail, les entreprises visées à l’article 1er, paragraphe 1, garantissent aux travailleurs qui sont détachés sur leur territoire, sur le fondement de l’égalité de traitement, outre les conditions de travail et d’emploi visées au paragraphe 1 du présent article, toutes les conditions de travail et d’emploi applicables qui sont fixées dans l’État membre sur le territoire duquel le travail est exécuté :

– par des dispositions législatives, réglementaires ou administratives, et/ou

– par des conventions collectives ou des sentences arbitrales déclarées d’application générale ou qui s’appliquent à un autre titre conformément au paragraphe 8.

Le premier alinéa du présent paragraphe ne s’applique pas aux matières suivantes :

a) les procédures, formalités et conditions régissant la conclusion et la fin du contrat de travail, y compris les clauses de non-concurrence ;

b) les régimes complémentaires de retraite professionnels.

Lorsque le prestataire de services soumet une notification motivée, l’État membre dans lequel le service est fourni porte à dix-huit mois la période visée au premier alinéa.

Lorsqu’une entreprise visée à l’article 1er, paragraphe 1, remplace un travailleur détaché par un autre travailleur détaché effectuant la même tâche au même endroit, la durée du détachement aux fins du présent paragraphe correspond à la durée cumulée des périodes de détachement de chacun des travailleurs détachés concernés.

La notion de “la même tâche au même endroit” visée au quatrième alinéa du présent paragraphe est déterminée compte tenu, entre autres, de la nature du service à fournir, du travail à exécuter et de l’adresse ou des adresses du lieu de travail. »

16 Aux termes de l’article 1er, paragraphe 2, sous c), de la directive attaquée, l’article 3, paragraphe 7, de la directive 96/71 est ainsi rédigé :

« Les paragraphes 1 à 6 ne font pas obstacle à l’application de conditions de travail et d’emploi plus favorables pour les travailleurs.

Les allocations propres au détachement sont considérées comme faisant partie de la rémunération, à moins qu’elles ne soient payées à titre de remboursement des dépenses effectivement encourues du fait du détachement, telles que les dépenses de voyage, de logement et de nourriture. Sans préjudice du paragraphe 1, premier alinéa, point i), l’employeur rembourse ces dépenses au travailleur détaché conformément à la législation et/ou aux pratiques nationales applicables à la relation de travail.

Lorsque les conditions de travail et d’emploi applicables à la relation de travail ne déterminent pas si des éléments de l’allocation propre au détachement sont payés à titre de remboursement de dépenses effectivement encourues du fait du détachement et, dans l’affirmative, quels sont ces éléments ou quels éléments font partie de la rémunération, l’intégralité de l’allocation est alors considérée comme payée à titre de remboursement des dépenses. »

17 L’article 3, paragraphe 3, de la directive attaquée dispose :

« La présente directive s’applique au secteur du transport routier à partir de la date d’application d’un acte législatif modifiant la directive 2006/22/CE [du Parlement européen et du Conseil, du 15 mars 2006, établissant les conditions minimales à respecter pour la mise en œuvre des règlements du Conseil (CEE) nº 3820/85 et (CEE) nº 3821/85 concernant la législation sociale relative aux activités de transport routier et abrogeant la directive 88/599/CEE du Conseil (JO 2006, L 102, p. 35),] quant aux exigences en matière de contrôle et établissant des règles spécifiques en ce qui concerne la directive 96/71[...] et la directive 2014/67[...] pour le détachement de conducteurs dans le secteur du transport routier. »

C. La réglementation relative à la loi applicable aux obligations contractuelles

18 Le considérant 40 du règlement (CE) nº 593/2008 du Parlement européen et du Conseil, du 17 juin 2008, sur la loi applicable aux obligations contractuelles (Rome I) (JO 2008, L 177, p. 6) (ci-après le « règlement “Rome I” »), énonce :

« Il convient d’éviter une situation où les règles de conflit de lois seraient dispersées entre de multiples instruments et où il existerait des incohérences entre ces règles. Toutefois, le présent règlement n’exclut pas la possibilité d'insérer des règles de conflit de lois en matière d’obligations contractuelles dans les dispositions de droit [de l’Union] concernant des matières particulières.

Le présent règlement ne devrait pas affecter l’application d’autres instruments fixant des dispositions destinées à favoriser le bon fonctionnement du marché intérieur, dans la mesure où ces dispositions ne peuvent s’appliquer conjointement avec la loi désignée par les règles du présent règlement. [...] »

19 L’article 8 de ce règlement, intitulé « Contrats individuels de travail », prévoit :

« 1. Le contrat individuel de travail est régi par la loi choisie par les parties conformément à l’article 3. Ce choix ne peut toutefois avoir pour résultat de priver le travailleur de la protection que lui assurent les dispositions auxquelles il ne peut être dérogé par accord en vertu de la loi qui, à défaut de choix, aurait été applicable selon les paragraphes 2, 3 et 4 du présent article.

2. À défaut de choix exercé par les parties, le contrat individuel de travail est régi par la loi du pays dans lequel ou, à défaut, à partir duquel le travailleur, en exécution du contrat, accomplit habituellement son travail. Le pays dans lequel le travail est habituellement accompli n’est pas réputé changer lorsque le travailleur accomplit son travail de façon temporaire dans un autre pays.

[...] »

20 Aux termes de l’article 9 dudit règlement :

« 1. Une loi de police est une disposition impérative dont le respect est jugé crucial par un pays pour la sauvegarde de ses intérêts publics, tels que son organisation politique, sociale ou économique, au point d’en exiger l’application à toute situation entrant dans son champ d’application, quelle que soit par ailleurs la loi applicable au contrat d’après le présent règlement.

2. Les dispositions du présent règlement ne pourront porter atteinte à l’application des lois de police du juge saisi.

3. Il pourra également être donné effet aux lois de police du pays dans lequel les obligations découlant du contrat doivent être ou ont été exécutées, dans la mesure où lesdites lois de police rendent l’exécution du contrat illégale. Pour décider si effet doit être donné à ces lois de police, il est tenu compte de leur nature et de leur objet, ainsi que des conséquences de leur application ou de leur non-application. »

21 L’article 23 du même règlement, intitulé « Relation avec d’autres dispositions du droit [de l’Union] », prévoit :

« À l’exception de l’article 7, le présent règlement n’affecte pas l’application des dispositions de droit [de l’Union] qui, dans des domaines particuliers, règlent les conflits de lois en matière d’obligations contractuelles. »

II. Les conclusions des parties et la procédure devant la Cour

22 La République de Pologne demande à la Cour :

– à titre principal,

– d’annuler la disposition de l’article 1er, paragraphe 2, sous a), de la directive attaquée, qui établit le texte du nouvel article 3, paragraphe 1, premier alinéa, sous c), et du nouvel article 3, paragraphe 1, troisième alinéa, de la directive 96/71 ;

– d’annuler l’article 1er, paragraphe 2, sous b), de la directive attaquée, qui établit le texte de l’article 3, paragraphe 1 bis, de la directive 96/71, et

– d’annuler l’article 3, paragraphe 3, de la directive attaquée ;

– à titre subsidiaire, d’annuler la directive attaquée, ainsi que

– de condamner le Parlement et le Conseil aux dépens.

23 Le Parlement et le Conseil demandent à la Cour de rejeter le recours et de condamner la République de Pologne aux dépens.

24 Par décision du président de la Cour du 2 avril 2019, la République fédérale d’Allemagne, la République française, le Royaume des Pays-Bas et la Commission européenne ont été admis à intervenir au soutien des conclusions du Parlement et du Conseil.

25 Par décision du président de la Cour du 2 avril 2019, le Royaume de Suède a été admis à intervenir au soutien des conclusions du Conseil.

III. Sur le recours

26 La République de Pologne présente, à titre principal, des conclusions dirigées contre plusieurs dispositions précises de la directive attaquée et, à titre subsidiaire, des conclusions par lesquelles elle demande l’annulation de cette directive dans son intégralité.

27 Le Parlement considère que les conclusions présentées à titre principal ne sont pas recevables, les dispositions contestées n’étant pas dissociables du reste des dispositions de la directive attaquée.

A. Sur la recevabilité des conclusions présentées à titre principal

28 Il convient de rappeler que l’annulation partielle d’un acte de l’Union n’est possible que dans la mesure où les éléments dont l’annulation est demandée sont détachables du reste de l’acte. À cet égard, la Cour a itérativement jugé qu’il n’est pas satisfait à cette exigence lorsque l’annulation partielle d’un acte aurait pour effet de modifier la substance de celui-ci (arrêts du 12 novembre 2015, Royaume-Uni/Parlement et Conseil, C 121/14, EU:C:2015:749, point 20, ainsi que du 9 novembre 2017, SolarWorld/Conseil, C 204/16 P, EU:C:2017:838, point 36).

29 Aussi, la vérification du caractère détachable d’éléments d’un acte de l’Union suppose l’examen de la portée de ceux-ci, afin d’évaluer si une annulation de ces éléments modifierait l’esprit et la substance de cet acte (arrêts du 12 novembre 2015, Royaume-Uni/Parlement et Conseil, C 121/14, EU:C:2015:749, point 21, ainsi que du 9 novembre 2017, SolarWorld/Conseil, C 204/16 P, EU:C:2017:838, point 37).

30 Par ailleurs, la question de savoir si une annulation partielle modifierait la substance de l’acte de l’Union constitue un critère objectif et non un critère subjectif lié à la volonté politique de l’institution qui a adopté l’acte litigieux (arrêts du 30 mars 2006, Espagne/Conseil, C 36/04, EU:C:2006:209, point 14, et du 29 mars 2012, Commission/Estonie, C 505/09 P, EU:C:2012:179, point 121).

31 Tant l’article 1er, paragraphe 2, sous a), que l’article 1er, paragraphe 2, sous b), de la directive attaquée apportent des modifications à la directive 96/71, d’une part, en substituant à la notion de « taux de salaire minimal » celle de « rémunération » à l’article 3, paragraphe 1, premier alinéa, sous c), de cette dernière directive et, d’autre part, en insérant l’article 3, paragraphe 1 bis, dans ladite directive, qui prévoit un régime spécifique pour les détachements d’une durée, en règle générale, supérieure à douze mois.

32 Les deux nouvelles règles que ces dispositions de la directive attaquée instituent emportent des modifications importantes du régime des travailleurs détachés tel qu’il avait été établi par la directive 96/71. Il s’agit des principales modifications apportées à ce régime, qui modifient l’équilibre des intérêts qui avait été retenu initialement.

33 L’annulation des dispositions susmentionnées de la directive attaquée porterait donc atteinte à la substance même de celle-ci, ces dispositions pouvant être perçues comme constituant le cœur du nouveau régime de détachement mis en place par le législateur de l’Union (voir, par analogie, arrêt du 30 mars 2006, Espagne/Conseil, C 36/04, EU:C:2006:209, point 16).

34 Dès lors, les conclusions principales, visant à l’annulation de l’article 1er, paragraphe 2, sous a), et de l’article 1er, paragraphe 2, sous b), de la directive attaquée, ne sont pas recevables, ces dispositions n’étant pas dissociables du reste des dispositions de cette directive.

35 En revanche, dès lors que l’article 3, paragraphe 3, de la directive attaquée, également visé par les conclusions principales, se borne à prévoir que celle-ci s’appliquera au secteur du transport à partir de la publication d’un acte législatif spécifique, l’annulation de cette disposition ne porterait pas atteinte à la substance de cette directive.

36 Dans la mesure où le troisième moyen du recours, qui vise spécifiquement ladite disposition, est commun aux conclusions présentées à titre principal et à celles présentées à titre subsidiaire, il y sera répondu lors de l’examen de ces dernières conclusions.

B. Sur les conclusions présentées à titre subsidiaire

37 À l’appui de ses conclusions, la République de Pologne soulève trois moyens tirés, respectivement, d’une violation de l’article 56 TFUE par l’article 1er, paragraphe 2, sous a) et b), de la directive attaquée, du choix d’une base juridique erronée dans le cadre de l’adoption de cette directive et de l’inclusion à tort du secteur du transport routier dans le champ d’application de ladite directive.

38 Il y a lieu d’examiner, tout d’abord, le deuxième moyen, dès lors qu’il concerne le choix de la base juridique de la directive attaquée et qu’il s’agit donc d’une question préalable à l’examen des moyens dirigés contre le contenu de celle-ci, ensuite, le premier moyen et, enfin, le troisième moyen.

1. Sur le deuxième moyen, tiré du choix d’une base juridique erronée aux fins de l’adoption de la directive attaquée

a) Argumentation des parties

39 La République de Pologne conteste le recours à l’article 53, paragraphe 1, et à l’article 62 TFUE comme base juridique de la directive attaquée, au motif que celle-ci, contrairement à la directive 96/71, crée des restrictions à la libre prestation des services par les entreprises qui détachent des travailleurs.

40 À cet égard, elle fait valoir que la directive attaquée a pour principal objectif de protéger les travailleurs détachés et qu’elle aurait dû, par conséquent, être fondée sur les dispositions du traité FUE pertinentes en matière de politique sociale.

41 En outre, elle soutient que l’objectif de l’article 1er, paragraphe 2, sous a) et b), de la directive attaquée n’est pas de faciliter l’exercice d’une activité professionnelle non salariée, lequel est, au contraire, fragilisé par ces dispositions. Le remplacement de la notion de « taux de salaire minimal » par celle de « rémunération » et le nouveau régime applicable aux travailleurs détachés pour une durée supérieure à douze mois aboutiraient à des restrictions injustifiées et disproportionnées à la libre prestation des services. Il serait, dès lors, contradictoire de recourir à la base juridique applicable à l’harmonisation de cette liberté.

42 Le Parlement et le Conseil, soutenus par la République fédérale d’Allemagne, la République française, le Royaume des Pays-Bas, le Royaume de Suède et la Commission, contestent l’argumentation de la République de Pologne.

b) Appréciation de la Cour

43 À titre liminaire, il convient, premièrement, de rappeler que le choix de la base juridique d’un acte de l’Union doit être fondé sur des éléments objectifs susceptibles de faire l’objet d’un contrôle juridictionnel, parmi lesquels figurent la finalité et le contenu de cet acte. Si l’examen de l’acte concerné démontre que celui-ci poursuit une double finalité ou qu’il a une double composante et si l’une de celles-ci est identifiable comme étant principale ou prépondérante, tandis que l’autre n’est qu’accessoire, cet acte doit être fondé sur une seule base juridique, à savoir celle exigée par la finalité ou la composante principale ou prépondérante (arrêt du 3 décembre 2019, République tchèque/Parlement et Conseil, C 482/17, EU:C:2019:1035, point 31 ainsi que jurisprudence citée).

44 Il y a également lieu de relever que peut être pris en compte, pour déterminer la base juridique appropriée, le contexte juridique dans lequel s’inscrit une nouvelle réglementation, notamment en ce qu’un tel contexte est susceptible de fournir un éclairage sur l’objectif poursuivi par cette réglementation (arrêt du 3 décembre 2019, République tchèque/Parlement et Conseil, C 482/17, EU:C:2019:1035, point 32).

45 Ainsi, s’agissant d’une réglementation qui, comme la directive attaquée, modifie une réglementation existante, il importe de prendre en compte également, aux fins de l’identification de sa base juridique, la réglementation existante qu’elle modifie et, notamment, son objectif et son contenu (arrêt du 3 décembre 2019, République tchèque/Parlement et Conseil, C 482/17, EU:C:2019:1035, point 42).

46 Par ailleurs, lorsqu’un acte législatif a déjà coordonné les législations des États membres dans un domaine donné d’action de l’Union, le législateur de l’Union ne saurait être privé de la possibilité d’adapter cet acte à toute modification des circonstances ou à toute évolution des connaissances eu égard à la tâche qui lui incombe de veiller à la protection des intérêts généraux reconnus par le traité FUE et de prendre en compte les objectifs transversaux de l’Union consacrés à l’article 9 de ce traité, parmi lesquels figurent les exigences liées à la promotion d’un niveau d’emploi élevé ainsi que la garantie d’une protection sociale adéquate (voir, en ce sens, arrêt du 21 décembre 2016, AGET Iraklis, C 201/15, EU:C:2016:972, point 78).

47 En effet, le législateur de l’Union ne peut, dans une telle situation, s’acquitter correctement de la tâche qui lui incombe de veiller à la protection de ces intérêts généraux et de ces objectifs transversaux de l’Union que s’il lui est loisible d’adapter la législation pertinente de l’Union à de telles modifications ou évolutions (arrêt du 3 décembre 2019, République tchèque/Parlement et Conseil, C 482/17, EU:C:2019:1035, point 39 ainsi que jurisprudence citée).

48 Deuxièmement, il importe de relever que, dès lors qu’il existe, dans les traités, une disposition plus spécifique pouvant constituer la base juridique de l’acte en cause, celui-ci doit être fondé sur cette disposition (arrêt du 12 février 2015, Parlement/Conseil, C 48/14, EU:C:2015:91, point 36 et jurisprudence citée).

49 Troisièmement, il résulte de la lecture combinée de l’article 53, paragraphe 1, et de l’article 62 TFUE que le législateur de l’Union est compétent pour adopter des directives visant, notamment, à la coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres relatives à l’accès aux activités de prestations de services et à l’exercice de celles-ci, afin de faciliter l’accès à ces activités et leur exercice.

50 Ces dispositions habilitent dès lors le législateur de l’Union à coordonner les réglementations nationales qui sont susceptibles, par leur disparité même, d’entraver la libre prestation des services entre les États membres.

51 Il ne saurait toutefois en être déduit que, en coordonnant de telles réglementations, le législateur de l’Union ne doive pas également veiller au respect de l’intérêt général, poursuivi par les différents États membres, et des objectifs, consacrés à l’article 9 TFUE, que l’Union doit prendre en compte dans la définition et la mise en œuvre de l’ensemble de ses politiques et de ses actions, parmi lesquels figurent les exigences rappelées au point 46 du présent arrêt.

52 Partant, dès lors que les conditions du recours à l’article 53, paragraphe 1, TFUE, lu en combinaison avec l’article 62 TFUE, comme base juridique se trouvent remplies, le législateur de l’Union ne saurait être empêché de se fonder sur cette base juridique en raison du fait qu’il a également pris en compte de telles exigences (voir, en ce sens, arrêts du 13 mai 1997, Allemagne/Parlement et Conseil, C 233/94, EU:C:1997:231, point 17, ainsi que du 4 mai 2016, Philip Morris Brands e.a., C 547/14, EU:C:2016:325, point 60 et jurisprudence citée).

53 Il s’ensuit que les mesures de coordination adoptées par le législateur de l’Union, sur le fondement de l’article 53, paragraphe 1, TFUE, lu en combinaison avec l’article 62 TFUE, doivent non seulement avoir pour objectif de faciliter l’exercice de la liberté de prestation des services, mais également d’assurer, le cas échéant, la protection d’autres intérêts fondamentaux que cette liberté peut affecter (voir, en ce sens, arrêt du 4 mai 2016, Philip Morris Brands e.a., C 547/14, EU:C:2016:325, point 60 ainsi que jurisprudence citée).

54 En l’espèce, il convient de relever que, la directive attaquée modifiant certaines dispositions de la directive 96/71 ou y insérant de nouvelles dispositions, cette dernière directive fait partie du contexte juridique de la directive attaquée, ainsi qu’en attestent, en particulier, les considérants 1 et 4 de celle-ci qui énoncent, pour le premier, que l’Union renforce les principes fondamentaux du marché intérieur que sont la libre circulation des travailleurs, la liberté d’établissement et la libre prestation des services, qui visent à garantir des conditions de concurrence équitables aux entreprises et le respect des droits des travailleurs, et, pour le second, que, plus de vingt ans après son adoption, il est nécessaire d’apprécier si la directive 96/71 parvient encore à établir un juste équilibre entre, d’une part, la nécessité de promouvoir la libre prestation des services et d’assurer des conditions de concurrence équitables, et, d’autre part, la nécessité de protéger les droits des travailleurs détachés.

55 En premier lieu, s’agissant de son objectif, la directive attaquée, envisagée ensemble avec la directive qu’elle modifie, tend à établir un équilibre entre deux intérêts, à savoir, d’une part, garantir aux entreprises de tous les États membres la possibilité de fournir des prestations de services au sein du marché intérieur en détachant des travailleurs de l’État membre où elles sont établies vers l’État membre où elles exécutent leurs prestations et, d’autre part, protéger les droits des travailleurs détachés.

56 À cet effet, le législateur de l’Union a cherché, en adoptant la directive attaquée, à assurer la libre prestation des services sur une base équitable, à savoir dans un cadre réglementaire garantissant une concurrence qui ne soit pas fondée sur l’application, dans un même État membre, de conditions de travail et d’emploi d’un niveau substantiellement différent selon que l’employeur est ou non établi dans cet État membre, tout en offrant une plus grande protection aux travailleurs détachés, cette protection constituant, par ailleurs, comme en atteste le considérant 10 de cette directive, le moyen de « préserver la libre prestation de services sur une base équitable ».

57 À cette fin, ladite directive vise à rendre les conditions de travail et d’emploi des travailleurs détachés les plus proches possibles de celles des travailleurs employés par des entreprises établies dans l’État membre d’accueil et à assurer ainsi une protection accrue des travailleurs détachés dans cet État membre.

58 En deuxième lieu, s’agissant de son contenu, la directive attaquée tend, notamment par les dispositions critiquées par la République de Pologne, à une plus grande prise en considération de la protection des travailleurs détachés, toujours dans le but d’assurer l’exercice équitable d’une libre prestation des services dans l’État membre d’accueil.

59 Dans cette logique, premièrement, l’article 1er, paragraphe 1, de cette directive modifie l’article 1erde la directive 96/71, en insérant, d’une part, un paragraphe –1 qui inscrit dans l’objet de celle-ci la garantie de la protection des travailleurs détachés durant leur détachement et, d’autre part, un paragraphe –1 bis précisant que la directive 96/71 ne porte en aucune manière atteinte à l’exercice des droits fondamentaux reconnus dans les États membres et à l’échelle de l’Union.

60 Deuxièmement, l’article 1er, paragraphe 2, sous a), de la directive attaquée apporte des changements à l’article 3, paragraphe 1, de la directive 96/71, en faisant référence à l’égalité de traitement pour fonder la garantie devant être accordée aux travailleurs détachés en matière de conditions de travail et d’emploi. Il étend la liste des matières concernées par cette garantie, d’une part, aux conditions d’hébergement des travailleurs lorsque l’employeur propose un logement aux travailleurs éloignés de leur lieu de travail habituel et, d’autre part, aux allocations et au remboursement de dépenses en vue de couvrir les dépenses de voyage, de logement ainsi que de nourriture des travailleurs éloignés de leur domicile pour des raisons professionnelles. En outre, à l’article 3, paragraphe 1, premier alinéa, sous c), de la directive 96/71, telle que modifiée par la directive attaquée (ci-après la « directive 96/71 modifiée »), la notion de « rémunération » est substituée à celle de « taux de salaire minimal ».

61 Troisièmement, la directive attaquée crée une gradation dans l’application des conditions de travail et d’emploi de l’État membre d’accueil, en imposant, au moyen de l’insertion d’un article 3, paragraphe 1 bis, dans la directive 96/71, une application de la quasi-totalité de ces conditions lorsque la durée effective d’un détachement est, en règle générale, supérieure à douze mois.

62 Il découle de ce qui précède que, contrairement à l’argumentation développée par la République de Pologne, la directive attaquée est de nature à renforcer la libre prestation des services sur une base équitable, qui est l’objectif principal qu’elle poursuit, dans la mesure où elle assure que les conditions de travail et d’emploi des travailleurs détachés seront les plus proches possibles de celles des travailleurs employés par des entreprises établies dans l’État membre d’accueil tout en faisant bénéficier ces travailleurs détachés de conditions de travail et d’emploi dans cet État membre plus protectrices que celles prévues par la directive 96/71.

63 En troisième lieu, si la directive 96/71 vise, à son considérant 1, l’abolition entre les États membres des obstacles à la libre circulation des personnes et des services, elle précise, à son considérant 5, que la nécessité de promouvoir la prestation de services transnationale doit s’accomplir dans le cadre d’une concurrence loyale et de mesures garantissant le respect des droits des travailleurs.

64 C’est dans cette optique que les considérants 13 et 14 de cette directive annoncent la coordination des législations des États membres de manière à prévoir un « noyau dur » de règles impératives de protection minimale à observer dans l’État membre d’accueil par les employeurs qui y détachent des travailleurs.

65 Il en découle que, dès son adoption, la directive 96/71, tout en poursuivant l’objectif d’améliorer la libre prestation de services transnationale, prenait déjà en considération la nécessité de garantir une concurrence qui ne soit pas fondée sur l’application, dans un même État membre, de conditions de travail et d’emploi d’un niveau substantiellement différent, selon que l’employeur est ou non établi dans cet État membre, et donc la protection des travailleurs détachés. En particulier, l’article 3 de cette directive énonçait les conditions de travail et d’emploi de l’État membre d’accueil qui devaient être garanties aux travailleurs détachés sur le territoire de cet État membre par les employeurs qui les détachaient pour y accomplir des prestations de services.

66 En outre, il convient de rappeler que, ainsi qu’il est mentionné aux points 46 et 47 du présent arrêt, le législateur de l’Union qui adopte un acte législatif ne saurait être privé de la possibilité d’adapter cet acte à toute modification des circonstances ou à toute évolution des connaissances, eu égard à la tâche qui lui incombe de veiller à la protection des intérêts généraux reconnus par le traité FUE.

67 Or, il y a lieu de relever, au titre du contexte juridique plus large dans lequel la directive attaquée a été adoptée, que le marché intérieur a connu des évolutions importantes depuis l’entrée en vigueur de la directive 96/71, au premier rang desquelles figurent les élargissements successifs de l’Union, au cours des années 2004, 2007 et 2013, qui ont eu pour effet de faire participer à ce marché les entreprises d’États membres où étaient, en général, applicables des conditions de travail et d’emploi éloignées de celles applicables dans les autres États membres.

68 De plus, ainsi que l’a relevé le Parlement, la Commission a constaté, dans son document de travail SWD(2016) 52 final, du 8 mars 2016, intitulé « Analyse d’impact accompagnant la proposition de directive du Parlement et du Conseil modifiant la directive 96/71 » (ci-après « l’analyse d’impact »), que la directive 96/71 avait été à l’origine de conditions de concurrence inéquitables entre des entreprises établies dans un État membre d’accueil et des entreprises détachant des travailleurs dans cet État membre, ainsi que d’une segmentation du marché du travail, en raison d’une différenciation structurelle des règles salariales applicables à leurs travailleurs respectifs.

69 Ainsi, eu égard à l’objectif qui était poursuivi par la directive 96/71, à savoir assurer la libre prestation de services transnationale au sein du marché intérieur dans le cadre d’une concurrence loyale et garantir le respect des droits des travailleurs, le législateur de l’Union pouvait, compte tenu de l’évolution des circonstances et des connaissances mise en exergue aux points 67 et 68 du présent arrêt, se fonder, lors de l’adoption de la directive attaquée, sur la même base juridique que celle utilisée pour adopter ladite directive 96/71. En effet, afin d’atteindre au mieux cet objectif dans un contexte qui avait changé, ce législateur pouvait considérer comme nécessaire d’adapter l’équilibre sur lequel reposait la directive 96/71 en renforçant les droits des travailleurs détachés dans l’État membre d’accueil de manière à ce que la concurrence entre les entreprises détachant des travailleurs dans cet État membre et les entreprises établies dans celui-ci se développe dans des conditions plus équitables.

70 Dans ces conditions, l’argumentation de la République de Pologne selon laquelle les dispositions du traité TFUE pertinentes en matière de politique sociale constitueraient la base juridique appropriée de la directive attaquée ne peut qu’être écartée.

71 Par conséquent, le deuxième moyen doit être écarté.

2. Sur le premier moyen, tiré d’une violation de l’article 56 TFUE par l’article 1er, paragraphe 2, sous a) et b), de la directive attaquée

a) Argumentation des parties

72 Par son premier moyen, la République de Pologne soutient que la directive attaquée crée des restrictions à la libre prestation des services qui sont contraires à l’article 56 TFUE, en ce qu’elle introduit, dans la directive 96/71, l’obligation pour les États membres de garantir aux travailleurs détachés, d’une part, une rémunération conforme à la législation ou aux pratiques de l’État membre d’accueil et, d’autre part, toutes les conditions de travail et d’emploi conformes à cette législation ou à ces pratiques, dès lors que, en substance, la durée effective du détachement d’un travailleur est supérieure à douze mois.

73 Dans une première branche du premier moyen, la République de Pologne considère, premièrement, que la substitution, à l’article 3, paragraphe 1, premier alinéa, sous c), de la directive 96/71 modifiée, de la notion de « rémunération » à celle de « taux de salaire minimal » constitue une restriction discriminatoire à la libre prestation des services, en ce qu’elle impose au prestataire de services employant des travailleurs détachés une charge économique et administrative supplémentaire.

74 Elle souligne que, ce faisant, cette disposition de la directive 96/71 modifiée a pour effet de supprimer l’avantage concurrentiel des prestataires de services établis dans d’autres États membres résultant de taux de rémunération inférieurs à ceux de l’État membre d’accueil.

75 Deuxièmement, la République de Pologne est d’avis, d’une part, que la libre prestation des services garantie à l’article 56 TFUE repose non pas sur le principe d’égalité de traitement, mais sur l’interdiction des discriminations, et, d’autre part, que les prestataires de services étrangers se trouvent dans une situation différente et plus difficile que celle des prestataires établis dans l’État membre d’accueil pour la raison principale qu’ils doivent respecter les règles de leur État membre d’origine et celles de cet État membre d’accueil.

76 En outre, les travailleurs détachés se trouveraient dans une situation différente de celle des travailleurs de l’État membre d’accueil, en ce que leur séjour dans cet État membre est temporaire et qu’ils ne s’intègrent pas au marché du travail de celui-ci, dès lors qu’ils conservent le centre de leurs intérêts dans leur pays de résidence. Partant, la rémunération versée à ces travailleurs devrait leur permettre de couvrir le coût de la vie dans ce dernier pays.

77 Troisièmement, elle estime que les modifications apportées par la directive attaquée ne peuvent être considérées comme étant justifiées par des exigences impérieuses d’intérêt général ou proportionnées, alors que les objectifs de protection des travailleurs et de prévention de la concurrence déloyale avaient été pris en compte dans la directive 96/71.

78 Comme l’indiqueraient le considérant 16 de la directive attaquée et certains passages de l’analyse d’impact, la République de Pologne relève que le législateur de l’Union considère que le bénéfice d’un avantage concurrentiel résultant de coûts de main-d’œuvre inférieurs constitue désormais, à lui seul, une concurrence déloyale, bien qu’il n’ait pas été qualifié comme tel auparavant.

79 À cet égard, la République de Pologne souligne qu’il ne pourrait être question d’un avantage concurrentiel déloyal lorsqu’un prestataire de services est tenu de verser aux travailleurs qu’il détache dans un État membre un salaire conforme aux règles en vigueur dans cet État membre.

80 Dans une seconde branche du premier moyen, la République de Pologne considère que, en prévoyant un niveau de protection accru pour les travailleurs détachés dans l’État membre d’accueil pour une durée supérieure à douze mois, l’article 3, paragraphe 1 bis, de la directive 96/71 modifiée introduit une restriction à la libre prestation des services, qui n’est ni justifiée ni proportionnée.

81 Cette disposition induirait des charges financières et administratives supplémentaires pour le prestataire de services établi dans un État membre autre que l’État membre d’accueil et serait contraire au principe de sécurité juridique, eu égard à l’ambiguïté due à l’absence d’énumération par le législateur de l’Union des règles de l’État membre d’accueil applicables en vertu de ladite disposition.

82 Elle considère que le principe d’égalité de traitement vaut pour les personnes qui ont fait usage de la liberté de circulation, à savoir celles qui occupent un emploi stable dans l’État membre d’accueil, mais qu’il n’est pas possible de raisonner par analogie pour les travailleurs détachés pour une durée supérieure à douze mois dans cet État membre, soulignant que les travailleurs détachés, quant à eux, ne s’intègrent pas au marché du travail dudit État membre.

83 La République de Pologne estime que l’article 3, paragraphe 1 bis, de la directive 96/71 modifiée ne respecte par l’article 9 du règlement « Rome I » et que cette directive ne constitue pas une lex specialis, au sens de l’article 23 de ce règlement.

84 Elle est d’avis que la solution retenue à l’article 3, paragraphe 1 bis, de la directive 96/71 modifiée est disproportionnée eu égard au fait que, d’une part, un grand nombre de conditions de travail et d’emploi ont déjà été harmonisées au sein de l’Union, les intérêts des travailleurs étant dès lors suffisamment protégés par la législation de l’État membre d’origine, et, d’autre part, le mécanisme de remplacement du travailleur détaché, qui est pris en compte pour calculer la période de douze mois au-delà de laquelle la quasi-totalité des conditions de travail et d’emploi s’applique, est dissocié de la situation du travailleur détaché.

85 Enfin, elle relève que la totalisation des périodes de détachement, qui peuvent s’étaler sur un grand nombre d’années, n’est pas assortie d’un délai.

86 Le Parlement et le Conseil, soutenus par la République fédérale d’Allemagne, le Royaume des Pays-Bas, le Royaume de Suède et la Commission, contestent l’argumentation de la République de Pologne, venant au soutien des deux branches du premier moyen.

b) Appréciation de la Cour

1) Observations liminaires

87 En premier lieu, il convient de rappeler que la Cour a jugé que l’interdiction des restrictions à la libre prestation des services vaut non seulement pour les mesures nationales, mais également pour les mesures émanant des institutions de l’Union (arrêt du 26 octobre 2010, Schmelz, C 97/09, EU:C:2010:632, point 50 et jurisprudence citée).

88 Pour autant et ainsi qu’il ressort du point 53 du présent arrêt, en matière de liberté de circulation des marchandises, des personnes, des services et des capitaux, les mesures adoptées par le législateur de l’Union, qu’il s’agisse de mesures d’harmonisation des législations des États membres ou de mesures de coordination de ces législations, ont non seulement pour objectif de faciliter l’exercice de l’une de ces libertés, mais visent également à assurer, le cas échéant, la protection d’autres intérêts fondamentaux reconnus par l’Union que cette liberté peut affecter.

89 Il en va notamment ainsi lorsque, au moyen de mesures de coordination visant à faciliter la libre prestation des services, le législateur de l’Union tient compte de l’intérêt général poursuivi par les différents États membres et arrête un niveau de protection de cet intérêt qui paraît acceptable dans l’Union (voir, par analogie, arrêt du 13 mai 1997, Allemagne/Parlement et Conseil, C 233/94, EU:C:1997:231, point 17).

90 Or, ainsi qu’il a été relevé au point 56 du présent arrêt, le législateur de l’Union a cherché, en adoptant la directive attaquée, à assurer la libre prestation des services sur une base équitable, à savoir dans un cadre réglementaire garantissant une concurrence qui ne soit pas fondée sur l’application, dans un même État membre, de conditions de travail et d’emploi d’un niveau substantiellement différent selon que l’employeur est ou non établi dans cet État membre, tout en offrant une plus grande protection aux travailleurs détachés, cette protection constituant, par ailleurs, comme en atteste le considérant 10 de cette directive, le moyen de « préserver la libre prestation de services sur une base équitable ».

91 En second lieu, le juge de l’Union, saisi d’un recours en annulation contre un acte législatif visant à coordonner les législations des États membres en matière de conditions de travail et d’emploi, comme la directive attaquée, doit s’assurer uniquement, du point de vue de la légalité interne de cet acte, que celui-ci ne méconnaît pas les traités UE et FUE ou les principes généraux du droit de l’Union et qu’il n’est pas entaché d’un détournement de pouvoir.

92 Or, tant le principe d’égalité de traitement que le principe de proportionnalité, qui sont invoqués par la République de Pologne dans le cadre du présent moyen, font partie de ces principes généraux.

93 D’une part, selon une jurisprudence constante, le principe d’égalité de traitement exige que des situations comparables ne soient pas traitées de manière différente et que des situations différentes ne soient pas traitées de manière égale, à moins qu’un tel traitement ne soit objectivement justifié (arrêt du 3 décembre 2019, République tchèque/Parlement et Conseil, C 482/17, EU:C:2019:1035, point 164 ainsi que jurisprudence citée).

94 D’autre part, le principe de proportionnalité exige que les moyens mis en œuvre par une disposition du droit de l’Union soient propres à réaliser les objectifs légitimes poursuivis par la réglementation concernée et n’aillent pas au-delà de ce qui est nécessaire pour les atteindre (voir arrêt du 3 décembre 2019, République tchèque/Parlement et Conseil, C 482/17, EU:C:2019:1035, point 76 ainsi que jurisprudence citée).

95 En ce qui concerne le contrôle juridictionnel du respect de ces conditions, la Cour a reconnu au législateur de l’Union, dans le cadre de l’exercice des compétences qui lui sont conférées, un large pouvoir d’appréciation dans les domaines où son action implique des choix de nature tant politique qu’économique ou sociale, et où il est appelé à effectuer des appréciations et des évaluations complexes. Ainsi, il ne s’agit pas de savoir si une mesure arrêtée dans un tel domaine était la seule ou la meilleure possible, seul le caractère manifestement inapproprié de celle-ci par rapport à l’objectif que les institutions compétentes entendent poursuivre pouvant affecter la légalité de cette mesure (arrêt du 3 décembre 2019, République tchèque/Parlement et Conseil, C 482/17, EU:C:2019:1035, point 77 ainsi que jurisprudence citée).

96 Or, il ne saurait être contesté que la réglementation, à l’échelle de l’Union, relative au détachement de travailleurs effectué dans le cadre d’une prestation de services relève d’un tel domaine.

97 En outre, le large pouvoir d’appréciation du législateur de l’Union, impliquant un contrôle juridictionnel limité de son exercice, s’applique non pas exclusivement à la nature et à la portée des dispositions à prendre, mais aussi, dans une certaine mesure, à la constatation des données de base (arrêt du 3 décembre 2019, République tchèque/Parlement et Conseil, C 482/17, EU:C:2019:1035, point 78 ainsi que jurisprudence citée).

98 Toutefois, même en présence d’un large pouvoir d’appréciation, le législateur de l’Union est tenu de fonder son choix sur des critères objectifs et d’examiner si les buts poursuivis par la mesure retenue sont de nature à justifier des conséquences économiques négatives, même considérables, pour certains opérateurs. En effet, en vertu de l’article 5 du protocole (nº 2) sur l’application des principes de subsidiarité et de proportionnalité, annexé au traité UE et au traité FUE, les projets d’actes législatifs doivent tenir compte de la nécessité de faire en sorte que toute charge incombant aux opérateurs économiques soit la moins élevée possible et à la mesure de l’objectif à atteindre (arrêt du 3 décembre 2019, République tchèque/Parlement et Conseil, C 482/17, EU:C:2019:1035, point 79 ainsi que jurisprudence citée).

99 Par ailleurs, même un contrôle juridictionnel d’une portée limitée requiert que les institutions de l’Union, auteurs de l’acte en cause, soient en mesure d’établir devant la Cour que l’acte a été adopté moyennant un exercice effectif de leur pouvoir d’appréciation, lequel suppose la prise en considération de tous les éléments et circonstances pertinents de la situation que cet acte a entendu régir. Il en résulte que ces institutions doivent, à tout le moins, pouvoir produire et exposer de façon claire et non équivoque les données de base ayant dû être prises en compte pour fonder les mesures contestées dudit acte et dont dépendait l’exercice de leur pouvoir d’appréciation (arrêt du 3 décembre 2019, République tchèque/Parlement et Conseil, C 482/17, EU:C:2019:1035, point 81 ainsi que jurisprudence citée).

100 C’est à la lumière de ces considérations qu’il convient d’examiner les deux branches du premier moyen.

2) Sur la première branche du premier moyen, tirée de l’existence d’une restriction discriminatoire à la libre prestation des services

101 En premier lieu, la République de Pologne considère que la substitution, à l’article 3, paragraphe 1, premier alinéa, sous c), de la directive 96/71 modifiée, de la notion de « rémunération » à celle de « taux de salaire minimal » constitue une restriction discriminatoire à la libre prestation de services, en ce que cette disposition impose aux prestataires de services employant des travailleurs détachés une charge économique et administrative supplémentaire, qui a pour effet de supprimer l’avantage concurrentiel des prestataires qui sont établis dans les États membres aux taux de rémunération les plus faibles.

102 Eu égard à la nature même de la directive 96/71 modifiée, à savoir celle d’un instrument de coordination des législations des États membres en matière de conditions de travail et d’emploi, celle-ci implique que les prestataires de services qui détachent des travailleurs dans un État membre autre que celui dans lequel ils sont établis sont soumis non seulement à la réglementation de leur État membre d’origine, mais également à celle de l’État membre d’accueil de ces travailleurs.

103 La charge administrative et économique supplémentaire susceptible d’en résulter pour ces prestataires découle des objectifs recherchés lors de la modification de la directive 96/71, laquelle directive, en tant qu’instrument de coordination des législations des États membres en matière de conditions de travail et d’emploi, impliquait, au demeurant dès avant cette modification, que les prestataires de services détachant des travailleurs étaient concurremment soumis aux réglementations de leur État membre d’origine et de l’État membre d’accueil.

104 Or, ainsi qu’il a été relevé, aux points 56 et 90 du présent arrêt, le législateur de l’Union a cherché, en adoptant la directive attaquée, à assurer la libre prestation des services sur une base équitable, à savoir dans un cadre réglementaire garantissant une concurrence qui ne soit pas fondée sur l’application, dans un même État membre, de conditions de travail et d’emploi d’un niveau substantiellement différent selon que l’employeur est ou non établi dans cet État membre, tout en offrant une plus grande protection aux travailleurs détachés, cette protection constituant, par ailleurs, comme en atteste le considérant 10 de cette directive, le moyen de « préserver la libre prestation de services sur une base équitable ».

105 Il en résulte que la directive attaquée, en garantissant une protection accrue des travailleurs détachés, tend à assurer l’accomplissement de la libre prestation des services au sein de l’Union dans le cadre d’une concurrence qui ne dépende pas de différences excessives dans les conditions de travail et d’emploi appliquées, dans un même État membre, aux entreprises de différents États membres.

106 Dans cette mesure, afin d’atteindre un tel objectif, la directive attaquée procède à un rééquilibrage des facteurs au regard desquels les entreprises établies dans les différents États membres peuvent entrer en concurrence, sans pour autant supprimer l’éventuel avantage concurrentiel dont auraient bénéficié les prestataires de service de certains États membres, dès lors que, contrairement à ce que la République de Pologne soutient, ladite directive n’a aucunement pour effet d’éliminer toute concurrence fondée sur les coûts. Elle prévoit, en effet, d’assurer aux travailleurs détachés l’application d’un ensemble de conditions de travail et d’emploi dans l’État membre d’accueil, dont les éléments constitutifs de la rémunération rendus obligatoires dans cet État. Cette directive n’a, donc, pas d’effet sur les autres éléments de coût des entreprises qui détachent de tels travailleurs, tels que la productivité ou l’efficacité de ces travailleurs, qui sont mentionnés à son considérant 16.

107 En outre, il convient de souligner que la directive attaquée vise à la fois, conformément à son considérant 16, à créer un « marché intérieur véritablement intégré et concurrentiel », et, selon son considérant 4, à susciter, par l’application uniforme de règles en matière de conditions de travail et d’emploi, une « véritable convergence sociale ».

108 Il découle de tout ce qui précède que, afin d’atteindre les objectifs mentionnés au point 104 du présent arrêt, le législateur de l’Union a pu, sans créer de différence de traitement injustifiée entre les prestataires de services selon l’État membre où ils sont établis, considérer que la notion de « rémunération » était plus appropriée que celle de « taux de salaire minimal », instituée par la directive 96/71.

109 En deuxième lieu, la République de Pologne est d’avis, premièrement, que la libre prestation de services garantie à l’article 56 TFUE repose non pas sur le principe d’égalité de traitement, mais sur l’interdiction des discriminations.

110 Ainsi, elle soutient, en substance, que c’est à tort que la directive attaquée impose une égalité de traitement entre les travailleurs détachés et les travailleurs employés par des entreprises établies dans l’État membre d’accueil. Pour autant, force est de constater que cette directive n’implique pas une telle égalité entre ces deux catégories de travailleurs.

111 À cet égard, ni le remplacement de la notion de « taux de salaire minimal » par celle de « rémunération », à l’article 3, paragraphe 1, premier alinéa, sous c), de la directive 96/71 modifiée, ni l’application aux travailleurs détachés des conditions de travail et d’emploi de l’État membre d’accueil s’agissant du remboursement des dépenses de voyage, de logement et de nourriture des travailleurs éloignés de leur domicile pour des raisons professionnelles n’aboutissent à placer ces derniers dans une situation identique ou analogue à celle des travailleurs employés par des entreprises établies dans l’État membre d’accueil.

112 En effet, ces modifications n’entraînent pas l’application de toutes les conditions de travail et d’emploi de l’État membre d’accueil, seules certaines de ces conditions étant, en tout état de cause, applicables à ces travailleurs en application de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 96/71 modifiée.

113 Or, au regard des éléments exposés au point 67 du présent arrêt, la République de Pologne n’a pas été en mesure d’établir que les modifications apportées par la directive attaquée à l’article 3, paragraphe 1, premier alinéa, de la directive 96/71 allaient au-delà de ce qui était nécessaire en vue d’atteindre l’objectif de la directive attaquée, à savoir assurer la libre prestation des services sur une base équitable et offrir une plus grande protection aux travailleurs détachés.

114 Deuxièmement, la République de Pologne fait valoir que les prestataires de services établis dans un autre État membre se trouvent dans une situation différente et plus difficile que celle des prestataires établis dans l’État membre d’accueil pour la principale raison qu’ils doivent respecter les règles de leur État membre d’origine et celles de l’État membre d’accueil.

115 Pas plus que pour les travailleurs détachés, la directive attaquée n’a pour effet de placer les prestataires de services établis dans des États membres autres que l’État membre d’accueil dans une situation comparable à celle des prestataires établis dans ce dernier État, puisque les premiers ne doivent imposer aux travailleurs qu’ils emploient dans celui-ci que certaines des conditions de travail et d’emploi applicables aux seconds.

116 En outre, ainsi qu’il a été rappelé aux points 102 et 103 du présent arrêt, la directive 96/71 modifiée implique, en raison de sa nature même d’instrument de coordination des législations des États membres en matière de conditions de travail et d’emploi, que les prestataires de services qui détachent des travailleurs dans un État membre autre que celui dans lequel ils sont établis sont soumis non seulement à la réglementation de leur État membre d’origine, mais également à celle de l’État membre d’accueil de ces travailleurs.

117 S’agissant de la situation des travailleurs détachés qui se caractériserait par le fait que leur séjour dans l’État membre d’accueil est temporaire et qu’ils ne s’intégreraient pas au marché du travail de celui-ci, il est vrai que ces travailleurs exercent, pendant une certaine période, leurs fonctions dans un État membre autre que celui où ils résident habituellement.

118 Pour cette raison, le législateur de l’Union a pu raisonnablement considérer comme étant approprié que, pendant cette période, la rémunération que perçoivent ces travailleurs soit, comme le prévoit l’article 3, paragraphe 1, premier alinéa, sous c), de la directive 96/71 modifiée, celle qui est fixée par les dispositions obligatoires de l’État membre d’accueil, afin de leur permettre de couvrir le coût de la vie dans cet État membre et non, contrairement à ce que soutient la République de Pologne, une rémunération qui leur permettrait de couvrir le coût de la vie dans leur pays de résidence habituelle.

119 En troisième lieu, la République de Pologne estime que les modifications apportées par la directive attaquée ne sont pas justifiées par des exigences impérieuses d’intérêt général ni proportionnées, alors que les objectifs de protection des travailleurs et de prévention de la concurrence déloyale avaient été pris en compte dans la directive 96/71.

120 Cette argumentation est fondée sur l’idée que, au moyen de la directive attaquée, le législateur de l’Union considérerait que le bénéfice d’un avantage concurrentiel résultant de coûts de main-d’œuvre inférieurs à ceux en vigueur dans l’État membre d’accueil constitue une concurrence déloyale.

121 Or, si la directive attaquée élargit le champ des conditions de travail et d’emploi qui s’appliquent aux travailleurs détachés dans un État membre autre que celui dans lequel ceux-ci exercent habituellement leur activité, elle n’a, toutefois, pas pour effet de proscrire toute concurrence fondée sur les coûts, notamment pas celle qui découle des différences de productivité ou d’efficacité de ces travailleurs, mentionnées au considérant 16 de cette directive.

122 Par ailleurs, aucun passage de la directive attaquée ne qualifie de « déloyale » la concurrence qui serait fondée sur de telles différences. Cette directive a pour objectif de préserver la libre prestation des services sur une base équitable en assurant la protection des travailleurs détachés au moyen, notamment, de l’application à ces derniers de tous les éléments constitutifs de la rémunération rendus obligatoires par la réglementation de l’État membre d’accueil.

123 Par conséquent, la première branche du premier moyen doit être écartée.

3) Sur la seconde branche du premier moyen, tirée d’une restriction injustifiée et disproportionnée à la libre prestation des services introduite à l’article 3, paragraphe 1 bis, de la directive 96/71 modifiée

124 En premier lieu, l’article 3, paragraphe 1 bis, de la directive 96/71 modifiée prévoit que, lorsque le travailleur est détaché plus de douze mois dans l’État membre d’accueil, ou plus de dix-huit mois si le prestataire de services soumet une notification motivée en ce sens, ce dernier garantit, sur le fondement de l’égalité de traitement, outre les conditions de travail et d’emploi visées à l’article 3, paragraphe 1, de cette directive, toutes les conditions de travail et d’emploi applicables qui sont fixées, dans cet État membre, par des dispositions législatives, réglementaires ou administratives et/ou par des conventions collectives ou des sentences arbitrales déclarées d’application générale. Seuls restent en dehors du champ d’application de l’article 3, paragraphe 1 bis, de la directive 96/71 modifiée, d’une part, les procédures, les formalités et les conditions régissant la conclusion ainsi que la fin du contrat de travail, y compris les clauses de non-concurrence, et, d’autre part, les régimes complémentaires de retraite professionnels.

125 Or, au regard du large pouvoir d’appréciation du législateur de l’Union, rappelé aux points 95 et 96 du présent arrêt, c’est sans commettre d’erreur manifeste que ce législateur a pu considérer qu’un détachement d’une durée aussi longue devait avoir pour conséquence de rapprocher sensiblement la situation personnelle des travailleurs détachés concernés de celle des travailleurs employés par des entreprises établies dans l’État membre d’accueil, et justifiait que ces travailleurs détachés de longue durée bénéficient de la quasi-totalité des conditions de travail et d’emploi applicables dans ce dernier État membre.

126 En deuxième lieu, s’agissant de l’argument selon lequel l’article 3, paragraphe 1 bis, de la directive 96/71 modifiée induirait des charges financières et administratives supplémentaires pour le prestataire de services établi dans un État membre autre que l’État membre d’accueil, il ressort déjà du point 102 du présent arrêt que, eu égard à la nature même de la directive 96/71 modifiée, à savoir celle d’un instrument de coordination des législations des États membres en matière de conditions de travail et d’emploi, celle-ci implique que les prestataires de services qui détachent des travailleurs pour une durée supérieure à douze mois dans un État membre autre que celui dans lequel ils sont établis sont soumis non seulement à la réglementation de leur État membre d’origine, mais également à celle de l’État membre d’accueil de ces travailleurs.

127 Ainsi qu’il a été relevé au point 103 du présent arrêt, dans la réponse à la première branche du premier moyen, la charge administrative et économique supplémentaire susceptible d’en résulter pour ces prestataires découle des objectifs recherchés lors de la modification de la directive 96/71, laquelle directive, en tant qu’instrument de coordination des législations des États membres en matière de conditions de travail et d’emploi, impliquait, au demeurant dès avant cette modification, que les prestataires de services détachant des travailleurs étaient concurremment soumis aux réglementations de leur État membre d’origine et de l’État membre d’accueil.

128 En troisième lieu, s’agissant de l’argument tiré de la méconnaissance du principe de sécurité juridique, eu égard à l’ambiguïté due à l’absence d’énumération des règles de l’État membre d’accueil applicables en vertu de l’article 3, paragraphe 1 bis, de la directive 96/71 modifiée, force est de constater que cette disposition ne souffre d’aucune ambiguïté puisqu’elle impose l’application, en cas de détachement d’un travailleur pendant une période de plus de douze mois, de toutes les conditions de travail et d’emploi de l’État membre d’accueil, à l’exception de celles qu’elle énonce expressément.

129 Par ailleurs, l’article 3, paragraphe 1, quatrième alinéa, de la directive 96/71 modifiée prévoit que les États membres publient sur le site Internet national officiel unique, visé à l’article 5 de la directive 2014/67, conformément à la législation et/ou aux pratiques nationales, les informations sur les conditions de travail et d’emploi, y compris toutes les conditions de travail et d’emploi conformément à l’article 3, paragraphe 1 bis, de la directive 96/71 modifiée.

130 En quatrième lieu, la République de Pologne invoque l’article 9 du règlement « Rome I » et considère que la directive attaquée ne constitue pas une lex specialis, au sens de l’article 23 de ce règlement.

131 Sur ce dernier point, il y a lieu de relever que l’article 8 du règlement « Rome I » établit, à son paragraphe 1, une règle générale de conflit de lois applicable aux contrats de travail, qui désigne la loi choisie par les parties à un tel contrat, et prévoit, à son paragraphe 2, que, à défaut d’un tel choix, le contrat individuel de travail est régi par la loi du pays dans lequel ou, à défaut, à partir duquel le travailleur accomplit habituellement son travail, ce pays n’étant pas réputé changer lorsque le travailleur accomplit son travail temporairement dans un autre pays.

132 Pour autant, le règlement « Rome I » prévoit, à son article 23, qu’il puisse être dérogé aux règles de conflit de lois qu’il établit lorsque des dispositions du droit de l’Union fixent des règles relatives à la loi applicable aux obligations contractuelles dans certaines matières, le considérant 40 de ce règlement exposant, quant à lui, que ledit règlement n’exclut pas la possibilité d’insérer des règles de conflit de lois en matière d’obligations contractuelles dans les dispositions du droit de l’Union concernant des matières particulières.

133 Or, par leur nature et leur contenu, tant l’article 3, paragraphe 1, de la directive 96/71 modifiée, s’agissant des travailleurs détachés, que l’article 3, paragraphe 1 bis, de cette directive, s’agissant des travailleurs détachés pendant une période, en général, supérieure à douze mois, constituent des règles spéciales de conflit de lois, au sens de l’article 23 du règlement « Rome I ».

134 En outre, le processus d’élaboration du règlement « Rome I » démontre que l’article 23 de celui-ci recouvre la règle spéciale de conflit de lois qui était déjà prévue à l’article 3, paragraphe 1, de la directive 96/71, dès lors que, dans la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil sur la loi applicable aux obligations contractuelles (Rome I) [COM(2005) 650 final], du 15 décembre 2005, la Commission avait annexé une liste des règles spéciales de conflit de lois établies par d’autres dispositions du droit de l’Union, parmi lesquelles figurait cette directive.

135 Enfin, si la République de Pologne considère que l’article 3, paragraphe 1 bis, de la directive 96/71 modifiée ne respecte pas l’article 9 du règlement « Rome I », il suffit de constater que ce dernier article, qui doit être interprété restrictivement, se réfère aux « lois de police » des États membres, à savoir à une disposition impérative dont le respect est jugé crucial par un pays pour la sauvegarde de ses intérêts publics (arrêt du 18 octobre 2016, Nikiforidis, C 135/15, EU:C:2016:774, points 41 et 44). Or, il ne ressort d’aucun élément du dossier soumis à la Cour que l’article 3, paragraphe 1 bis, de la directive 96/71 modifiée méconnaîtrait de telles lois de police.

136 En cinquième lieu, la République de Pologne critique le mécanisme prévu à l’article 3, paragraphe 1 bis, quatrième alinéa, de la directive 96/71 modifiée, selon lequel, lorsqu’une entreprise remplace un travailleur détaché par un autre travailleur détaché effectuant la même tâche au même endroit, la durée du détachement aux fins du paragraphe 1 bis correspond à la durée cumulée des périodes de détachement de chacun des travailleurs détachés concernés. Elle conteste également le fait que cette disposition ne fixe pas de limite dans le temps à la totalisation des périodes de détachement.

137 En instituant le mécanisme prévu à l’article 3, paragraphe 1 bis, quatrième alinéa, de la directive 96/71 modifiée, le législateur de l’Union a fait usage de la large marge d’appréciation dont il disposait pour garantir que le régime mis en place, lorsque les travailleurs sont détachés pendant une période supérieure à douze mois, ne fasse pas l’objet d’un contournement par les opérateurs économiques, comme le Parlement et le Conseil l’ont expliqué et ainsi qu’il ressort du considérant 11 de la directive attaquée.

138 Eu égard à la portée de cette disposition, le fait que le mécanisme de totalisation des périodes de détachement effectuées par différents travailleurs tienne compte du poste de travail et non de la situation de ces travailleurs ne saurait avoir d’incidence sur la légalité de ladite disposition, la République de Pologne n’ayant pas, à cet égard, précisé quelle disposition du traité FUE ou quel principe général du droit de l’Union serait alors enfreint. En outre, l’absence de limite dans le temps à la totalisation des périodes de détachement ne porte pas atteinte au principe de sécurité juridique, dès lors que cette même disposition énonce clairement et de manière précise l’interdiction qu’elle impose.

139 Par conséquent, la seconde branche du premier moyen doit être écartée et, avec elle, ce moyen dans son ensemble.

3. Sur le troisième moyen, tiré d’une inclusion à tort du secteur du transport routier dans le champ d’application de la directive attaquée

a) Argumentation des parties

140 La République de Pologne allègue que la directive attaquée s’applique à tort au secteur du transport routier, alors que, en vertu de l’article 58 TFUE, la libre circulation des services en matière de transports est régie par les dispositions du titre du traité FUE relatif aux transports, de sorte que l’article 56 TFUE ne leur est pas applicable.

141 Elle invoque l’interprétation de la Commission selon laquelle il découle du libellé de la proposition de directive ayant abouti à la directive 96/71 que le domaine du transport est exclu du champ d’application des dispositions applicables au détachement de travailleurs.

142 Le Parlement et le Conseil, soutenus par la République fédérale d’Allemagne, le Royaume des Pays-Bas, le Royaume de Suède et la Commission, contestent l’argumentation de la République de Pologne.

b) Appréciation de la Cour

143 La République de Pologne considère que, en rendant applicable la directive 96/71 modifiée au secteur du transport routier à compter de l’adoption d’un acte législatif spécifique, l’article 3, paragraphe 3, de la directive attaquée méconnaît l’article 58 TFUE.

144 En vertu de l’article 58 TFUE, la libre circulation des services en matière de transports est régie par les dispositions du titre du traité FUE relatif aux transports, composé des articles 90 à 100 TFUE.

145 Il en découle qu’un service dans le domaine des transports, au sens de l’article 58, paragraphe 1, TFUE, est exclu du champ d’application de l’article 56 TFUE (arrêt du 20 décembre 2017, Asociación Profesional Elite Taxi, C 434/15, EU:C:2017:981, point 48).

146 Or, l’article 3, paragraphe 3, de la directive attaquée se limite à prévoir que celle-ci s’appliquera au secteur du transport routier à partir de la date d’application d’un acte législatif modifiant la directive 2006/22, laquelle avait comme base juridique l’article 71, paragraphe 1, CE, faisant partie des dispositions du titre du traité CE relatif aux transports et correspondant à l’article 91 TFUE.

147 Dès lors, l’article 3, paragraphe 3, de la directive attaquée n’a pas pour objet de régir la libre prestation des services dans le domaine des transports et ne saurait, partant, être contraire à l’article 58 TFUE.

148 Par conséquent, le troisième moyen doit être écarté et, avec lui, les conclusions présentées à titre subsidiaire.

 IV Sur les dépens

149 Aux termes de l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure de la Cour, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Le Parlement et le Conseil ayant conclu à la condamnation de la République de Pologne aux dépens et cette dernière ayant succombé en ses moyens, il convient de la condamner aux dépens.

150 Conformément à l’article 140, paragraphe 1, dudit règlement, la République fédérale d’Allemagne, la République française, le Royaume des Pays-Bas, le Royaume de Suède ainsi que la Commission supporteront leurs propres dépens en tant que parties intervenantes au litige.

Par ces motifs, la Cour (grande chambre) déclare et arrête :

1) Le recours est rejeté.

2) La République de Pologne est condamnée à supporter, outre ses propres dépens, ceux exposés par le Parlement européen et par le Conseil de l’Union européenne.

3) La République fédérale d’Allemagne, la République française, le Royaume des Pays-Bas, le Royaume de Suède et la Commission européenne supportent leurs propres dépens.