ADLC, 23 juillet 2020, n° 20-DCC-88
AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE
Décision
relative au rapprochement de trois bailleurs sociaux actifs dans la région des Hauts-de-France
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Présidente :
Mme de Silva
L’Autorité de la concurrence,
Vu le dossier de notification adressé complet au service des concentrations le 25 juin 2020, relatif au regroupement des groupes Habitat du Nord, Mon Abri – Logis Métropole et Sambre Avesnois Immobilier, formalisé par un pacte d’associés en date du 18 novembre 2019 ;
Vu le livre IV du code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence, et notamment ses articles L. 430-1 à L. 430-7 ;
Vu les autres pièces du dossier ; Adopte la décision suivante :
I. Les entreprises concernées et l’opération
1. Le groupe Habitat du Nord est composé de la société anonyme d’HLM Habitat du Nord détenue notamment par l’association Un Toit Pour Vivre Autrement (ci-après, « TPVA ») à hauteur de 51,80 %. Avec un patrimoine de 9 202 logements, la SA d’HLM Habitat du Nord a une activité de bailleur social dans la région des Hauts-de-France, qui se concentre particulièrement sur la Métropole Européenne de Lille. La gestion de son patrimoine immobilier a une vocation essentiellement sociale puisqu’elle vise l’accession sociale à la propriété, la gestion de logements locatifs sociaux individuels ou collectifs, la gestion de logements adaptés au handicap ou au vieillissement et de foyers d’hébergement pour personnes âgées ou handicapées et la gestion d’établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes et de foyers d’hébergement d’urgence.
2. Le groupe Mon Abri-Logis Métropole, dont la société tête est LDEV, détient la société coopérative Mon Abri à hauteur de 54,53 % et la société anonyme d’HLM Logis Métropole à hauteur de 81,35%. Le groupe Mon Abri – Logis Métropole a une activité de bailleur social dans la région des Hauts-de-France. La société coopérative d’HLM Mon Abri réalise des opérations de promotion immobilière à vocation sociale, dans le cadre de l’accession sociale à la propriété au bénéfice de personnes dont les revenus se situent sous les plafonds réglementaires. Quant à la société Logis Métropole, son patrimoine situé principalement sur le territoire de la Métropole Européenne de Lille, s’établit au 31 décembre 2018 à 7 324 logements locatifs sociaux. Le groupe Mon Abri – Logis Métropole contrôle également la société ATREO, active dans le secteur de la promotion immobilière privée.
3. Le groupe Sambre Avesnois Immobilier (ci-après « SAI ») est un groupe privé d'intérêt général qui regroupe des sociétés anonymes d’HLM (L’Avesnoise et Promocil) et une coopérative HLM (Logis Sambre Avesnois). Le groupe SAI met en œuvre les politiques publiques d’habitat en concertation avec les collectivités territoriales, l’État et les représentants des locataires. Le groupe SAI gère, réhabilite et développe des logements sociaux : immeubles d’habitations collectives, structures sociales, ensembles d’habitations individuelles, établissements médico- sociaux. La SA d’HLM l’Avesnoise et la SA d’HLM Promocil gèrent un patrimoine de plus de 14 061 logements locatifs sociaux. L’Association ADELA, holding du groupe Sambre Avesnoise Immobilier, a été créée en janvier 1989 avec pour objet l’orientation et le développement de la politique du logement dans l’arrondissement d’Avesne sur Helpe, essentiellement pour satisfaire les besoins en logements des salariés des entreprises locales.
4. L’opération consiste dans le rapprochement de ces trois groupes de bailleurs sociaux indépendants intervenant dans la région des Hauts-de-France, initié dans le cadre de leur obligation de regroupement imposée par la loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique, dite Loi « Elan ».
5. En ce qu’elle se traduit par la prise de contrôle conjoint de Mon Abri par ADELA, TPVA et LDEV d’une part, et par celle de l’Avesnoise par Mon Abri et ADELA d’autre part, l’opération notifiée constitue une concentration au sens de l’article L. 430-1 du code de commerce.
6. Les entreprises concernées réalisent ensemble un chiffre d’affaires total sur le plan mondial de plus de 150 millions d’euros, intégralement réalisé en France et deux au moins de ces entreprises réalisent, en France, un chiffre d’affaires supérieur à 50 millions d’euros. Compte tenu de ces chiffres d’affaires, l’opération ne revêt pas une dimension européenne. En revanche, les seuils de contrôle mentionnés au I de l’article L. 430-2 du code de commerce sont franchis. La présente opération est donc soumise aux dispositions des articles L. 430-3 et suivants du code de commerce, relatives à la concentration économique.
II. Délimitation des marchés pertinents
7. Le secteur concerné par l’opération est celui des services immobiliers.
A. LES MARCHÉS DE SERVICE
8. Les autorités de concurrence nationale1 et européenne2 ont envisagé différentes segmentations dans le secteur des services immobiliers selon (i) les destinataires des services (particuliers ou entreprises), (ii) le mode de fixation des prix (immobilier résidentiel libre et logements sociaux ou intermédiaires aidés), (iii) le type d’activité exercée dans les locaux (bureaux, locaux commerciaux et autres locaux d’activité) et (iv) la nature des services ou biens offerts.
9. Concernant la segmentation selon la nature des services ou des biens offerts, la pratique décisionnelle a envisagé, tout en laissant la question ouverte, la distinction entre :
- la promotion immobilière, qui comprend les activités de construction et de vente de biens immobiliers ;
- la gestion d’actifs immobiliers pour compte propre ;
- la gestion d’actifs immobiliers pour compte de tiers ;
- l’administration de biens immobiliers, qui recouvre les activités de gestion des immeubles pour le compte de propriétaires et qui peut être segmentée entre la gestion locative et la gestion de copropriété ;
- l’expertise immobilière ;
- le conseil immobilier ;
- l’intermédiation dans les transactions immobilières, activité au sein de laquelle une distinction peut être faite entre la vente et la location d’immeubles3.
10. Il n’y a pas lieu de remettre en cause cette délimitation des marchés à l’occasion de la présente opération.
B. LES MARCHÉS GÉOGRAPHIQUES
11. Selon la pratique décisionnelle précitée, les marchés relatifs au secteur immobilier sont généralement de dimension locale, compte tenu, notamment, des différences entre les régions et les métropoles régionales en termes de prix et de demande dans l’immobilier.
12. Pour les régions hors Île-de-France, les autorités de concurrence ont mené leurs analyses concurrentielles au niveau régional ou infrarégional4. Dans ses décisions récentes, l’Autorité a examiné les effets d’opérations au niveau des agglomérations5. En l’espèce, les activités des parties se chevauchent principalement dans la région Haut-de-France, plus précisément dans le département du Nord.
13. La question de la délimitation exacte des marchés géographiques concernés par l’opération peut toutefois être laissée ouverte dans la mesure où les conclusions de l’analyse concurrentielle demeurent inchangées quelle que soit la segmentation retenue.
III. Analyse concurrentielle
14. Les activités des parties se chevauchent sur les marchés des services immobiliers, principalement sur celui de la gestion pour compte propre de logements à usage social dans le département du Nord.
15. Sur les marchés (i) de la promotion immobilière de biens immobiliers résidentiels libres et (ii) de logements à usage social, (iii) de la gestion pour compte propre de biens immobiliers résidentiels (incluant les logements sociaux et les logements libres), (iv) de la gestion pour compte propre de bureaux et (v) de locaux commerciaux, la nouvelle entité disposera de parts de marché inférieures à 25 % quelle que soit la délimitation géographique retenue.
16. Compte tenu de ces parts de marché limitées, l’opération n’est pas susceptible de porter atteinte à la concurrence par le biais d’effets horizontaux sur ces marchés.
17. Sur le marché de la gestion pour compte propre de logements à usage social dans la région des Hauts-de-France, la nouvelle entité disposera d’une part de marché de 5 %6 et de 11 % dans le département du Nord. La nouvelle entité fera face à sept principaux concurrents7 dont deux opérateurs nationaux8.
18. Sur les marchés géographiques potentiels plus étroits des établissements publics de coopération intercommunale (« EPCI »), les parts de marché seront inférieures à 11 % sauf sur le territoire de l’EPCI de la Communauté d’Agglomération de Maubeuge-Val-de-Sambre (ci-après, « CAMVS ») où la part de marché de la nouvelle entité s’élèvera à 77 % (11 % pour habitat du Nord et 66 % pour SAI, Logis Métropole n’étant pas présent dans cette zone).
19. La nouvelle entité fera face à la concurrence de deux autres bailleurs sociaux et notamment de Partenord lequel dispose de 2 545 logements (soit 18 % de part de marché sur le territoire de la CAMVS) et Habitat en Région, lequel dispose de 440 logements (soit 3 % de part de marché sur le territoire de la CAMVS) contre 11 165 pour la nouvelle entité.
20. Malgré les niveaux de parts de marché importants qu’elles détiendront à l’issue de l’opération sur ce territoire, les parties notifiantes estiment que leur position sur ce marché ne sera pas de nature à générer des effets unilatéraux et que cette opération sera donc sans effet potentiel au détriment du locataire social compte tenu de l’encadrement des prix et des obligations auxquelles elle sera soumise en matière de maintien de la qualité des logements sociaux.
Identification par l’Autorité de la concurrence des critères de l’analyse concurrentielle
21. Dans le cadre de l’instruction de la présente opération, compte tenu de la position de la nouvelle entité sur le marché de la détention et de la gestion pour compte propre de logements à usage social sur le territoire de la CAMVS, l’Autorité de la concurrence a approfondi son analyse du fonctionnement de ce marché, en s’appuyant sur des échanges avec le ministère chargé du logement et des tests de marché réalisés auprès de concurrents. Après avoir exposé les conséquences de l’application de la loi Elan précitée sur le secteur du logement social, l’Autorité exposera son analyse des conséquences du cadre réglementaire applicables aux organismes de logements sociaux et de la capacité d’arbitrage des demandeurs de logements sociaux sur le fonctionnement concurrentiel de ce marché.
Conséquence de l’application des dispositions de la loi Elan sur le secteur du logement social
22. La loi Elan précitée impose aux organismes d’HLM qui gèrent moins de 12 000 logements d’appartenir à un groupe d’organismes de logement social, sous réserve de certaines exonérations, à compter du 1er janvier 2021. À cette fin, les pouvoirs publics ont souhaité améliorer les possibilités de structuration du secteur en facilitant les regroupements d’organismes.
23. En effet, selon les travaux parlementaires de la Loi Elan et l’étude d’impact ayant conduit à ce projet de loi, la capacité d’investissements des petits organismes est plus faible, ces derniers ayant besoin de mobiliser davantage de ressources financières pour sécuriser leur activité quotidienne, au détriment de la rénovation et du développement du parc immobilier. Par ailleurs, l’accroissement de la taille des organismes HLM leur permet de disposer de la possibilité de rassembler plus aisément toutes les compétences, y compris les plus spécialisées, au bénéfice du locataire9.
24. Même s’il a été admis qu’au-delà « d’un certain niveau peuvent apparaître des déséconomies d’échelle » et autres surcoûts de coordination, le constat qui a justifié l’adoption de la loi Elan est que plus la taille des organismes est importante, plus le bénéfice potentiel de ces mutualisations est important, tant en termes d’investissements dans la rénovation et la construction de logement que de mutualisation des compétences. Dans la mesure où il paraît adapté pour atteindre les objectifs d’intérêt général poursuivis par la consolidation et où il fait consensus avec plusieurs fédérations d’organismes, le seuil de 12 000 logements a été retenu.
25. En l’espèce, c’est pour atteindre cette taille critique et bénéficier des avantages de cette mutualisation de moyens qu’a été initiée la présente opération.
Sur le cadre réglementaire applicable aux organismes de logements sociaux
26. Afin d’apprécier les effets de l’opération sur le marché de la détention et de la gestion pour compte propre de logements à usage social sur le territoire de la CAMVS, il convient tout d’abord d’analyser l’argument des parties notifiantes selon lequel, compte tenu de l’encadrement des prix et des obligations auxquelles elle sera soumise en matière de maintien de la qualité des logements sociaux, le renforcement de la position de la nouvelle entité dans cette zone n’est pas de nature à soulever de problèmes de concurrence.
27. S’agissant, en premier lieu, du choix de l’attributaire des logements sociaux, les bailleurs sociaux sont soumis à des règles précises. L’attribution doit bénéficier aux ménages sous conditions de ressources, dans les conditions des articles L. 441-1 et suivants ainsi que des articles R. 441-1 et suivants du code de la construction et de l’habitation.
28. Tout d’abord, les attributions sont réalisées à partir de l’analyse des dossiers de demande de logement social des candidats, enregistrés sur le SNE.
29. Ensuite, chaque bailleur social est soumis à une obligation de loger les ménages prioritaires définis par la loi (ménages reconnus au titre du droit au logement opposable et ménages les plus fragiles ou connaissant des difficultés particulières d’accès au logement). La loi prévoit que les logements attribués en faveur de ces ménages prioritaires doivent représenter au moins 25 % des attributions pour chaque bailleur.
30. Enfin, l’attribution d’un logement fait l’objet d’une décision de la commission d’attribution de logement et d’examen de l’occupation des logements de chaque bailleur, qui intègre des représentants de l’État, de la mairie et de locataires. Il s’agit de l’instance décisionnaire en matière d’attribution de logements à usage social.
31. En conséquence, l’attribution des logements sociaux par les bailleurs est encadrée par un corpus de règles dont le respect est garanti par un contrôle des autorités publiques, qui interdit aux bailleurs de sélectionner de manière discriminatoire les locataires, quelle que soit la position concurrentielle du bailleur social sur le marché considéré. Il y a donc lieu de considérer que la concentration consécutive à l’opération sur le marché de la détention et de la gestion pour compte propre de logements à usage social sur le territoire de la CAMVS n’est pas susceptible de produire d’effets sur le choix par la nouvelle entité de ses locataires.
32. S’agissant, en deuxième lieu, des loyers, ceux-ci sont fixés par les conventions d’encadrement des loyers (ci-après « conventions APL ») qui sont conclues entre l’État et les bailleurs sociaux, au cas par cas. Elles sont régies par l’article L. 351-2 du code de la construction et de l’habitation. Ces conventions fixent notamment les loyers plafonds révisés chaque année au 1er janvier en fonction de l’Indice de référence des loyers du 2e trimestre de l’année précédente. Les valeurs maximales des loyers plafonds sont fixées chaque année. Elles sont déclinées par territoire en fonction de la tension sur ces territoires et par typologie sociale des logements. Les loyers plafonds des conventions APL font l’objet d’une modulation en fonction notamment de la taille moyenne des logements, de la qualité de service et de la performance énergétique. Les conventions APL constituent donc un cadre qui détermine strictement les niveaux de loyers plafonds des logements concernés.
33. Les loyers ne peuvent ainsi pas dépasser les montants fixés par ce cadre légal et réglementaire. En revanche, ils peuvent se situer en-deçà de ces montants. Le ministère en charge du logement a indiqué qu’il est assez régulièrement constaté que les bailleurs sociaux fixent leurs loyers en dessous des plafonds.
34. S’agissant, enfin, de la qualité de la prestation de logement social fournie par le bailleur, les conventions d’utilité sociale (ci-après, « CUS ») conclues entre l’État et les bailleurs prévoient des indicateurs de qualité qui portent sur les axes de production, de rénovation, d’efficience de la gestion et d’attributions de logements, afin de répondre à des objectifs de logements pour les plus défavorisés et de mixité sociale. De plus, dans le chapitre obligatoire des CUS, figurent des éléments relatifs à la qualité de la gestion locative et du service aux locataires. Ces engagements portent notamment sur le processus de traitement des réclamations des locataires, l'existence et la fréquence d'une enquête de satisfaction auprès des locataires ainsi que les dispositifs de certification ou de labellisation en matière de qualité de service obtenus par l'organisme. Ils intègrent également des données sur le nombre de logements accessibles aux personnes à mobilité réduite dans le parc concerné ou sur le nombre de logements réhabilités rénovés pour répondre aux exigences requises en matière de performance énergétique.
35. Le respect de l’ensemble du cadre contraint qui vient d’être décrit, s’agissant des loyers et de la qualité de la prestation de logement social, est assuré par les pouvoirs publics, et notamment l’État, qui veille à ce que les bailleurs sociaux respectent les dispositions réglementaires et législatives qui s’imposent à eux, autant sur les aspects patrimoniaux que pour les attributions de logements et la gestion locative. Lorsque des écarts sont constatés, après une procédure contradictoire et sur proposition du conseil d’administration, des sanctions administratives10 peuvent être proposées par l’Agence nationale de contrôle du logement social au ministre chargé du logement.
36. Ces différents éléments sont donc de nature à contraindre les parties, une fois l’opération réalisée, à maintenir un certain standard de qualité de l’offre proposée aux locataires. Toutefois, tant pour ce qui concerne le niveau de loyers que la qualité des prestations offertes aux locataires, le cadre réglementaire applicable fixe un standard de référence. Il est donc loisible aux opérateurs de fixer les loyers des logements à un niveau inférieur au plafond ou d’offrir des services améliorés par rapport au standard de qualité résultant des CUS, notamment sous l’influence de la pression exercée par des opérateurs concurrents.
37. Compte tenu de cette situation, l’Autorité estime que le cadre réglementaire applicable au secteur du logement social n’est pas, à lui seul, de nature à écarter tout risque d’effet anticoncurrentiel lié à l’opération.
Les effets du jeu concurrentiel limité par la réduction des capacités d’arbitrage du consommateur en zone tendue
38. Eu égard à la spécificité du mécanisme d’attribution des logements sociaux, l’Autorité de la concurrence s’est également interrogée sur la possibilité pour les candidats locataires d’arbitrer entre les offres des bailleurs sociaux. En effet, en l’absence d’une telle capacité d’arbitrage, la structure du marché n’aurait pas de conséquence sur l’incitation des bailleurs sociaux à améliorer leur offre en matière de qualité et, dans une certaine mesure, de prix et l’opération n’aurait donc pas d’effet sur le marché concerné.
39. Or, ainsi qu’il a été expliqué précédemment, les demandeurs de logements sociaux formulent leurs demandes de logement sur le SNE, qui regroupe, au sein d’un fichier unique, l’ensemble des demandeurs de logement social.
40. Le ministère chargé du logement a décrit le fonctionnement du SNE de la façon suivante :
« Chaque demande est suivie par des événements qui sont enregistrés informatiquement par la gestion partagée, et accessibles à tous les bailleurs. [En principe], si un bailleur a proposé un logement, cela fera l'objet d'un événement dans le système, et un autre bailleur ne proposera pas en pratique un autre logement au même moment. » Il ressort toutefois des éléments recueillis dans le cadre du test de marché auprès des concurrents des parties que le candidat à un logement social peut se trouver dans une situation d’arbitrage « dans l’hypothèse où plusieurs bailleurs proposent un logement à un même candidat du fichier SNE ».
41. Selon les informations recueillies dans le cadre du test de marché organisé auprès des concurrents, un tel scénario est peu probable dans les zones particulièrement « tendues », caractérisées par un déséquilibre important entre le volume de l’offre disponible et la demande. Au contraire, une telle situation d’arbitrage ne peut pas être exclue dans le cas des zones « non tendues », d’autant plus que le refus de logement consécutif à une proposition de la part d’un bailleur social n’emporte pas nécessairement de conséquence sur l’attribution d’un logement à l’avenir.
42. Afin d’apprécier les effets de l’opération sur le marché de la détention et de la gestion pour compte propre de logements à usage social sur le territoire de la CAMVS, l’Autorité de la concurrence a donc fondé son analyse notamment sur les caractéristiques socio-économiques de ce dernier.
Application en l’espèce
43. En l’espèce, il ressort des différents éléments recueillis dans le cadre de l’instruction que l’EPCI CAMVS constitue une zone « non tendue » caractérisée par une offre sensiblement supérieure à la demande.
44. En effet, selon un rapport public relatif au programme de l’habitat de la CAMVS11, « les ménages exclus du marché privé peuvent prétendre à une offre sociale relativement abondante. En effet, le logement social représente 27 % du parc sur le territoire, et il est localisé dans les communes urbaines et périurbaines où les ménages sont plus modestes. Le parc locatif social du territoire de la CAMVS est plus facile d’accès que le parc social d’autres territoires. 60 % des demandes satisfaites localement datent de moins de 6 mois, tandis que ce taux est de 42 % à l’échelle du département. En outre, 13,3 % du parc local existant « tourne » chaque année, contre 10,6 % à l’échelle du Nord, permettant un fonctionnement plus fluide et facilitant les parcours résidentiels ».
45. C’est donc à l’aune de ce constat qu’il convient d’apprécier les effets de l’opération sur ce territoire.
46. À l’issue de l’opération, dans l’EPCI de la CAMVS, la nouvelle entité détiendra une part de marché de 77 %, accrue de 11 points par rapport à la situation antérieure. Elle ne fera face qu’à la concurrence d’un seul opérateur significatif (Partenord). Par ailleurs, il apparaît que la nouvelle entité détiendra dans les deux EPCI limitrophes des parts de marché substantielles12. Dans ces zones, deux autres concurrents sont également présents de manière significative (Partenord et SIGH).
47. Interrogées sur la pression concurrentielle exercée par le parc locatif social d’EPCI proches de celui de Maubeuge d’une part, et du parc de logement privé maubeugeois d’autre part, les parties notifiantes ont indiqué que les locataires sont peu mobiles entre les EPCI et que, compte tenu des écarts de prix entre le parc locatif social et le parc locatif privé, ils considéraient que le parc privé est peu substituable au parc social.
48. Il ressort toutefois des éléments du dossier que le parc locatif privé exerce effectivement, dans le territoire de la CAMVS, une pression concurrentielle sur le parc locatif social.
49. Selon le rapport précité, « le marché immobilier local est peu influencé par la demande d’investisseurs ou de ménages venant d’ailleurs. Ainsi, les vendeurs doivent positionner leurs biens à des niveaux de prix accessibles aux ménages locaux. De cette façon, et en l’absence de réelle tension, les prix immobiliers sont plutôt adaptés aux capacités financières des ménages locaux ». Ce même rapport indique qu’«à Maubeuge comme sur d’autres communes urbaines, le territoire de la CAMVS compte des secteurs d’habitat privé et social accueillant des ménages à très faibles revenus ». Il apparaît donc qu’une certaine pression concurrentielle existe bien entre le parc privé et le parc social au sein de la CAMVS.
50. Cette analyse est confirmée par la réponse d’un concurrent au test de marché, qui a indiqué que
« le logement social se doit d’être moins cher que le logement privé, autrement, les clients potentiels s’orienteront vers le privé ».
51. La majorité des répondants au test de marché a ainsi indiqué pratiquer des prix inférieurs au plafond dans les territoires concernés. Interrogés sur les déterminants de cette politique tarifaire, les répondants ont rappelé que la zone concernée constituait une zone « non tendue » ce qui influait leur positionnement en termes de niveau des loyers. L’un des concurrents interrogés a ainsi expliqué pratiquer des prix inférieurs au prix plancher fixé par la loi « notamment en secteur détendu quand le prix plafond de la catégorie de financement du logement est proche de la valeur du marché locatif privé ».
52. Un autre répondant a indiqué :
« [L]es raisons sont celles qui poussent tout bailleur à chercher un équilibre entre la rentabilité locative et le taux d’occupation :
- Pour des raisons d’attractivité commerciale, le bailleur peut estimer que la localisation des logements ou la typologie du logement ou les revenus des ménages sur la commune ne permet pas l’application des loyers plafonds.
- Pour des raisons techniques, le bailleur peut estimer que l’état du bien ainsi que les services rendus ne justifient pas l’application du loyer maximal.
- Pour des raisons de concurrence en zone détendue, où l’offre de logements (social ou privé) est supérieure à la demande. »
53. En d’autres termes, « le prix pratiqué est lié au bilan financier d’équilibre de l’opération » et les opérateurs réagissent « pour s’adapter à un marché local particulièrement détendu ». Plus spécifiquement, aux termes de certains répondants au test de marché, le prix du marché locatif privé « ne permet pas l’application du loyer maximal ».
54. Il ressort de ces différents éléments que, si, à l’issue de l’opération, la nouvelle entité ne sera que peu disciplinée par le comportement des acteurs du logement social, elle se verra contrainte par le parc locatif privé, tant en matière de prix des loyers que de qualité des logements. En effet, au-delà du niveau des loyers proposés, la pression concurrentielle exercée par le parc privé sur le parc social se traduit également de manière corrélative, en matière de qualité de l’offre – qualifiée d’élément « d’attractivité commerciale » par plusieurs répondants – par la nécessité de maintenir, voire d’améliorer l’offre dans le cadre de projets de réhabilitations des logements sociaux. Ainsi, face à la pression concurrentielle exercée par un parc locatif privé relativement accessible dans la zone de Maubeuge, les bailleurs sociaux, et plus particulièrement la nouvelle entité, ont davantage intérêt à louer leurs biens en maintenant des niveaux de prix et de qualité acceptables plutôt que de les laisser vacants, perdant ainsi les revenus y afférant et risquant, à terme, de laisser se dégrader ces actifs. Cela est confirmé par les répondants au test de marché précité.
55. Compte tenu de l’ensemble de ces éléments, l’Autorité de la concurrence considère que tout risque d’atteinte à la concurrence par le biais d‘effets horizontaux sur le marché de la détention et de la gestion pour compte propre de logements à usage social sur le territoire de la CAMVS peut être écarté en l’espèce.
DÉCIDE
Article unique : L’opération notifiée sous le numéro 19-268 est autorisée.
NOTES
1 Voir notamment les décisions de l’Autorité de la concurrence n° 19-DCC-204 du 28 octobre 2019 relative à la prise de contrôle exclusif de la SEMADER par CDC Habitat, n° 17-DCC-181 du 6 novembre 2017 relative à cinq opérations dans le secteur immobilier dans les départements et régions d’Outre-mer, n° 17-DCC-09 du 20 janvier 2017 relative à la prise de contrôle conjoint d’un ensemble immobilier par la Caisse des dépôts et consignations et le groupe Artea, n° 16-DCC-02 du 11 janvier 2016 relative à la prise de contrôle conjoint d’un actif immobilier situé à Marseille par le groupe BPCE et la Caisse des dépôts et consignations, n° 15-DCC-156 du 7 décembre 2015 relative à la prise de contrôle conjoint d’un actif immobilier à usage de bureaux par Sogecap et Predica, n° 15-DCC-128 du 21 septembre 2015 relative à la prise de contrôle conjoint d’un actif immobilier situé à Rennes par le groupe BPCE et la Caisse des dépôts et consignations, n° 14-DCC- 46 du 1er avril 2014 relative à la prise de contrôle conjointe d’un actif immobilier industriel en Moselle par la Norges Bank et Prologis, n° 09-DCC-16 du 22 juin 2009 relative à la fusion entre les groupes Caisse d’Épargne et Banque Populaire, ainsi que la lettre du ministre de l’économie, de l’industrie et de l’emploi C2008-79 du 22 août 2008 relative à une concentration dans le secteur de l’immobilier, BOCCRF n° 8 bis du 23 octobre 2008.
2 Voir les décisions de la Commission européenne COMP/M.2110 du 25 septembre 2000, Deutsche Bank / SEI / JV, IV/M.2825 du 9 juillet 2002, Fortis AG SA / Bernheim-Comofi, SA COMP/M.3370 du 9 mars 2004, BNP Paribas/ARI.
3 Lettre du ministre de l’économie, des finances et de l’industrie C2005-126 du 25 janvier 2006 relative à une concentration dans le secteur des services immobiliers.
4 Voir, par exemple, la décision de l’Autorité de la concurrence n° 19-DCC-204 précitée et la décision n° 14-DCC-166 du 13 novembre 2014 relative à la prise de contrôle exclusif par Klépierre SA de Corio NV.
5 Voir, par exemple, la décision de l’Autorité de la concurrence n° 19-DCC-204 précitée et la décision n° 16-DCC-50 du 7 avril 2016 relative à la prise de contrôle conjoint d’un actif immobilier situé à Toulouse par la société Oppidéa, la société Immo Retail et la Caisse des Dépôts et Consignations.
6 Cette part de marché s’élève à 7 % dans l’ancienne région Nord – Pas de Calais.
7 Six d’entre eux auront des parts de marché supérieurs à la nouvelle entité au niveau régional et quatre au niveau départemental.
8 Action Logement et la CDC Habitat, filiale de la Caisse des Dépôts et Consignations.
9 Les objectifs de la concentration des opérateurs imposée par la loi ELAN sont (1) de favoriser le contrôle financier des bailleurs sociaux en leur permettant de mieux maitriser leurs risques financiers, (2) de mieux allouer l’investissement et de contribuer à une amélioration du service de logement social tout en assurant une meilleure utilisation des aides publiques, (3) de mutualiser les risques (vacances, impayés, etc.) et les ressources des bailleurs sociaux, (4) de réaliser des économies d’échelle (achats, systèmes d’informations, fonctions communes) et (5) de diffuser les compétences et les savoir-faire, notamment en matière de maîtrise d’ouvrage.
10 Les sanctions peuvent être financières ou personnelles. Elles peuvent aller jusqu’au retrait de l’agrément de l’organisme.
11 Rapport de Diagnostic, Programme local de l’habitat 2016-2022 Communauté d’Agglomération Maubeuge Val de Sambre, avril 2016.
12 62,15 % dans l’EPCI Cœur de l’Avesnois, avec une addition de part de marché inférieure à 0,2 % et 41,7 % dans l’EPCI Pays de Mormal.