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Décisions

CA Paris, 16 mai 1991

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Mobil Oil française (SA), Esso (SA), Fédération nationale du commerce et de l’artisanat automobile, Ministre chargé de l’Economie, des Finances et du Budget

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Schoux

Conseillers :

M. Collomb-Clerc, M. Canivet, Mme Mandel, M. Becht

Avocats :

Me Thorne, Me Henriot-Bellargent, Me Bourgeon

Cons. conc., du 23 oct. 1990

23 octobre 1990

LA COUR : - Vu les mémoires, pièces et documents déposés au greffe à l’appui des recours.

Par décision n° 87-D-34, délibérée le 29 septembre 1987, sur la saisine de la Fédération nationale du commerce et de l’artisanat automobile (ci-après F.N.C.A.A.), le Conseil de la concurrence (ci-après le conseil) a décidé que:

- la clause de restitution en nature des cuves et matériels, telle qu’elle figure dans les contrats liant les sociétés Compagnie française de raf finage et de distribution Total France (ci-après Total), des pétroles Sheli (ci-après Shell), Elf-Antar, Esso S.A.F. (ci-après Esso) et Mobil Oil française (ci-après Mobil Ou) à des distributeurs, tombait sous le coup de l’article 50 de l’ordonnance n°45-1483 du 30juin 1945 sans pouvoir bénéficier de son article 51;

- dans un délai de six mois, lesdites sociétés devront renégocier, en tant que de besoin, leurs contrats, de sorte que les détaillants, à l’expiration ou à la suite de la réalisation anticipée du contrat, ne soient plus tenus de restituer en nature les cuves et matériels mis à leur disposition.

Sur les recours formés par les sociétés Total et Esso ainsi que par la F.N.C.A.A., la cour d’appel de Paris, aux termes d’un arrêt prononcé le 5mai 1988, a jugé que:

- les clauses expresses ou implicites, contenues dans les contrats d’achat et de commission exclusifs conclus par les sociétés Total et Esso et obligeant les détaillants à restituer les réservoirs eux-mêmes avec leurs accessoires, constituent des clauses prohibées par les règles de la concurrence;

- elles échappent toutefois à ces règles lorsqu’elles sont prévues pour le cas de résiliation jugée fautive à l’encontre du détaillant;

- les sociétés susnommées devront, dans le délai de six mois, négocier avec les détaillants la modification des contrats en cours de façon que ces derniers ne soient plus tenus de l’obligation précitée et dis posent d’une faculté de rachat.

Saisi de la vérification de l’exécution de ces injonctions, le conseil, par décision n° 90-D-39, délibérée le 23 octobre 1990, a notamment constaté que:

- la société Esso ne prévoit pas dans ses contrats la possibilité pour le détaillant de racheter les matériels annexes ;

-  la faculté d’opter pour le rachat des matériels de stockage en cas de résiliation anticipée du contrat n’est offerte explicitement, ni même implicitement, par les contrats des sociétés Esso, Total, Mobil Oil et Sheil.

En raison de l’inexécution partielle des injonctions susvisées, il a infligé une sanction pécuniaire de 1 000 000 F à la société Esso et de 800 000 F aux sociétés Total, Shell et Mobil Oit.

Les sociétés Mobil Ou et Esso ont formé un recours en annulation et en réformation contre cette décision, la F.N.C.A.A. ayant déclaré se joindre à l’instance devant la cour.

Au soutien de son recours, la société Mobil Oit fait valoir:

- que, dès lors qu’elle n’a pas exercé de recours, la seule injonction qui lui est opposable est celle du conseil, alors que celui-ci a estimé à tort qu’il était compétent pour vérifier les injonctions prononcées par application de l’article 13 «auxquelles s’incorpore, en cas de réformation, le dispositif des décisions rendues par la cour d’appel de Paris sur le recours formé contre la décision du conseil»;

- que le conseil ne peut statuer que sur les inexécutions dénoncées par le ministre chargé de l’économie, alors qu’en l’espèce il a excédé les limites de la lettre dudit ministre datée du 3 octobre 1989;

- que pour vérifier l’exécution de ses injonctions dans les conditions prévues par l’article 14 de l’ordonnance du 1er décembre 1986, le conseil doit mettre en œuvre la procédure de notification des griefs telle que prévue par l’article 21 de ladite ordonnance.

Les deux requérantes prétendent, en outre, que les inexécutions partielles de l’injonction qui leur sont reprochées ne sont pas caractérisées.

Elles soutiennent enfin qu’à les supposer établies, ces inexécutions ne seraient que formelles et sans gravité, en tous cas impropres à justifier les sanctions pécuniaires qui leur ont été respectivement infligées, sans aucune motivation et au mépris des principes d’équité, de proportionnalité et d’individualisation qui gouvernent la fixation du montant de telles sanctions.

Dans ses observations écrites et orales, le représentant du ministre chargé de l’économie conclut au rejet du recours, de même que le ministère public qui, dans ses conclusions à l’audience, soulève en outre l’irrecevabilité de l’intervention de la F.N.C.A.A.;

Sur quoi la cour:

Considérant qu’à l’audience, chacune des parties et le représentant du ministre chargé de l’économie ont été entendus dans leurs explications sur la recevabilité de l’intervention de la F.N.C.A.A. laquelle a eu, sur l’incident, la parole en dernier, puis le ministère public est intervenu;

Considérant qu’aux termes de l’article 7 du décret du 19 octobre 1987, lorsque le recours risque d’affecter les droits et charges d’autres parties qui étaient en cause devant le conseil, ces personnes peuvent se joindre à l’instance devant la cour d’appel par déclaration écrite et motivée déposée au greffe, dans les conditions prévues à l’article 2, dans le délai d’un mois après la réception de la lettre prévue à l’article 4;

Considérant que, par conclusions déposées au greffe le 16janvier 1991, la F.N.E. A.A. a déclaré intervenir à l’instance; que sa déclaration n’étant pas motivée, elle devait, conformément aux dispositions de l’article 2 du décret susvisé, déposer l’exposé de ses moyens dans les deux mois de la notification de la décision du conseil qui lui a été faite le 20 novembre 1990; que son mémoire n’ayant été produit que le 7 mars 1991, elle est irrecevable en son intervention;

Considérant que le grief d’inexécution formulé à l’encontre de la société Mobil Ou a été apprécié au regard des termes de l’injonction édictée par la décision du conseil du 29 septembre 1987; que, dès lors, sont sans objet les moyens tirés de l’inopposabilité à cette société des modifications apportées au contenu de l’injonction par l’arrêté de la cour du 5 mai 1988 ou de l’incompétence du conseil pour vérifier l’exécution des injonctions prononcées par la cour;

Considérant que selon les dispositions de l’article 14 de l’ordonnance du 1er décembre 1986, si les mesures ou injonctions prévues aux articles 12 et 13 ne sont pas respectées, le conseil peut prononcer une sanction pécuniaire dans les limites de l’article 13; qu’aucune des prescriptions de ce texte ne limite à l’acte de saisine du ministre chargé de l’économie les pouvoirs du conseil qui est par conséquent compétent pour vérifier l’intégralité des injonctions par lui prononcées;

Considérant que les prescriptions du même texte n’imposent pas davantage au conseil de mettre en œuvre la procédure de notification des griefs prévue par l’article 21 de l’ordonnance et qu’aucun moyen de nullité ne peut en être tiré dès lors que, comme en l’espèce, la procédure a été pleinement contradictoire;

Considérant que l’injonction édictée par la décision du conseil du 29 septembre 1987 faisait obligation aux compagnies pétrolières concernées de renégocier, en tant que de besoin, leurs contrats de sorte que les détaillants, à l’expiration ou à la suite de la résiliation anticipée desdits engagements, ne soient plus tenus de restituer en nature les cuves et matériels mis à leur disposition; qu’aux sociétés Esso et Total qui ont exercé un recours, la cour, par son arrêt du 5 mai 1988, a laissé la faculté de maintenir de telles clauses en cas de résiliation du contrat jugée fautive à l’encontre du détaillant;

Considérant qu’il est reproché à la société Esso d’avoir conservé dans ses contrats antérieurs à 1984 la clause imposant la restitution en nature des matériels annexes; que toutefois la compagnie fait la preuve que, depuis 1984, elle ne prévoit plus de telles clauses et que, à la date de vérification de l’injonction, tous ses concessionnaires étaient devenus propriétaires des cuves et matériels annexes; que, de ce fait, l’injonction étant devenue sans objet, l’inexécution ne peut en être sanctionnée;

Considérant qu’il est encore fait grief à cette société d’avoir maintenu la restitution en nature du matériel de stockage en cas de résiliation anticipée du contrat « imputable au détaillant » , alors que la cour ne l’avait admis que lorsque la résiliation était « jugée fautive à l’encontre du détaillant »;

Qu’en dépit des explications fournies par la requérante, le sens des deux expressions n’est pas similaire, le terme retenu par la cour impliquant la constatation judiciaire d’une faute du détaillant que ne comprend pas l’adjectif imputable, lequel permettrait une mise en œuvre de la clause avant l’intervention de la justice; qu’en conséquence, le conseil était fondé à constater, de ce chef, l’inexécution de la décision;

Considérant que, sur le même point, il est fait grief à la société Mobil Oil de n’avoir stipulé le rachat des cuves et matériels qu’à l’expiration du contrat, sans le prévoir dans l’hypothèse, expressément visée par l’injonction du conseil, de résiliation anticipée de la convention; que les arguments de terminologie avancés par la requérante ne suffisent pas à écarter la réalité de l’infraction justement retenue à son encontre;

Considérant que l’ampleur et la gravité relatives des inexécutions constatées résultent de la description qu’en fait le conseil et de la discussion des moyens de défense des parties à laquelle il a procédé; que la cour, réformant partiellement la décision déférée en ce qui concerne l’un des griefs retenus à l’encontre de la société Esso, réduira en conséquence le montant de la sanction pécuniaire infligée à cette société;

Considérant que les requérantes prétendent que le conseil a enfreint dans la fixation du montant des sanctions pécuniaires les principes d’équité, de proportionnalité et d’individualisation; qu’elles n’exposent cependant pas en quoi, eu égard à la situation respective de leurs entreprises, en particulier au montant de leurs chiffres d’affaires respectifs, il aurait été manqué aux principes généraux de détermination des peines; que leurs moyens seront en conséquence rejetés;

Par ces motifs: Déclare irrecevable l’intervention de la Fédération nationale du commerce et de l’artisanat automobile;

Réformant partiellement la décision délibérée par le Conseil de la concurrence le 23 octobre 1990, fixe à 800000 F le montant de la sanction pécuniaire infligée à la société Esso;

Rejette les recours pour le surplus;

Laisse les dépens à la charge des requérants et de l’intervenant.