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Décisions

CA Besançon, 1re ch. civ. et com., 1 décembre 2020, n° 18/02039

BESANÇON

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Vetoquinol (SA)

Défendeur :

Dechra Veterinary Produts (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Mazarin

Conseillers :

Mme Uguen Laithier, M. Leveque

T. com. Vesoul, du 19 oct. 2018

19 octobre 2018

Faits et prétentions des parties

La SAS Dechra Veterinary Products (la société Dechra), laboratoire pharmaceutique vétérinaire spécialisé dans le développement, la fabrication, la vente et la commercialisation de produits pour animaux destinés aux vétérinaires du monde entier, utilise depuis juillet 2014 l'expression « + pour vous » et un logo « + plus pour vous » inséré dans un rectangle bicolore, associé à ses campagnes commerciales.

Constatant que la SA Vetoquinol, laboratoire pharmaceutique vétérinaire, utilisait cette même expression dans une publicité pour des antibiotiques, la société Dechra l'a vainement mise en demeure les 21 avril, 8 juin et 7 juillet 2017 de cesser cette utilisation et, exploit d'huissier délivré le 22 septembre 2017, l'a fait assigner devant le tribunal de commerce de Vesoul estimant subir un préjudice du fait de cette concurrence déloyale.

Par jugement rendu le 19 octobre 2018 ce tribunal a :

- constaté que la société Vetoquinol a commis des actes de concurrence déloyale,

- condamné celle-ci à payer à la société Dechra la somme de 20 000 euros en réparation du préjudice subi,

- fait interdiction à la société Vetoquinol de faire usage du slogan « + POUR VOUS » ou « PLUS POUR VOUS » seul ou en association avec d'autres termes et ce, sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard passé le délai de trente jours suivant la signification du jugement,

- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire,

- condamné la société Vetoquinol à payer à la société Dechra la somme de 2 000 euros au titre des frais irrépétibles ainsi qu'aux dépens.

Suivant déclaration reçue au greffe le 3 décembre 2018, la société Vetoquinol a relevé appel de cette décision et, aux termes de ses dernières écritures transmises le 17 janvier 2020, elle conclut à son infirmation et demande à la cour de :

- débouter la société Dechra de ses prétentions,

- la condamner à lui verser 15 000 euros à titre de dommages-intérêts,

- ordonner la publication du jugement à intervenir (sic) in extenso ou par extraits, dans trois journaux ou périodiques, à son choix et aux frais de la société Dechra dans la limite de 3 500 euros par insertion,

- condamner la société Dechra à lui verser 15 000 euros en vertu de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens de première instance et d'appel avec droit pour son conseil de se prévaloir de l'article 699 du même code.

Par dernières écritures déposées le 24 février 2020, la société Dechra, formant appel incident, demande à la cour de confirmer le jugement déféré sauf à porter à 100 000 euros le montant de l'indemnisation de son préjudice, et de condamner la société Vetoquinol à lui verser une indemnité de 15 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.

Pour l'exposé complet des moyens des parties, la cour se réfère aux dernières conclusions susvisées de celles-ci, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.

La clôture de l'instruction de l'affaire a été prononcée par ordonnance du 2 mars 2020.

Motifs de la décision

Sur les actes de concurrence déloyale,

Attendu que le principe de liberté du commerce et de l'industrie autorise toute personne privée à accéder au marché de son choix et à y exercer l'activité économique choisie pour conquérir une clientèle, quand bien même cette dernière serait déjà exploitée par un concurrent ;

Que l'action en concurrence déloyale, fondée sur les articles 1382 et 1383 anciens devenus 1240 et 1241 du code civil, a précisément vocation à être mise en œuvre pour sanctionner un comportement qui n'entrerait pas dans la règle ci-dessus rappelée, en raison d'actes illicites, à charge pour celui qui s'en prévaut de faire la démonstration des actes fautifs de son concurrent et d'un lien de causalité entre ceux-ci et le préjudice qu'il invoque ;

Attendu que la société Dechra soutient, au visa de l'article 1240 du code civil, que la société Vetoquinol doit répondre de sa responsabilité délictuelle à raison de la concurrence déloyale qu'elle pratique à son détriment et expose à ce titre que les logo et slogan « + Pour vous » et « Plus pour vous » sont utilisés de manière intensive dans ses campagnes de communication depuis 2014, ce qui en fait un élément d'identification de la société qui s'en prévaut, et que l'usage de ce slogan accrocheur, que la société Vetoquinol qualifie de banal, démontre bien qu'elle a entendu se placer dans son sillage en l'utilisant pour son compte ;

Qu'elle souligne que l'agencement de la publicité litigieuse met clairement en avant le slogan « + pour vous » qui est dominant dans l'affiche incriminée et encore appuyé par l'usage de quatre signes + à sa suite et considère que cette pratique n'avait d'autre fonction que d'ancrer le message dans l'esprit du public par un moyen mnémotechnique et de créer une confusion avec ses produits ;

Qu'à ce titre elle rappelle qu'un simple risque de confusion suffit à établir la concurrence déloyale et que le seul fait que les produits ne visent qu'un public de professionnels n'exclut pas ce risque de confusion de même que la présence de la marque du concurrent sur le support incriminé ;

Qu'elle soutient que le parasitisme est avéré en l'espèce, puisque l'intimée a profité, sans bourse délier, des investissements publicitaires substantiels, supérieurs à 400 000 euros, opérés par elle pour créer, exploiter et diffuser le logo et le slogan « +Plus pour vous », lesquels constituent incontestablement une valeur économique, et a eu pour effet de banaliser un message qui se voulait emblématique ;

Qu'au soutien de son appel, la société Vetoquinol rétorque que la société Dechra n'a jamais fait usage du slogan, logo, expression, formule publicitaire ou campagne « + POUR VOUS » mais seulement, et de façon non systématique, du logo « + PLUS POUR VOUS » et du slogan utilisé occasionnellement « Vous + Dechra + nom du médicament = Plus pour vous » dans lequel l'expression « plus pour vous » est indissociable des autres éléments du slogan ;

Qu'elle souligne que ses deux publicités incriminées mentionnent quant à elles le slogan suivant : « On vous demande d'en faire moins... alors Vetoquinol en fait + pour vous », qu'elles ne contiennent donc aucun slogan se limitant à « + pour vous » ni un logo reprenant cette expression et que son slogan doit se lire d'un seul tenant, comme le fait le consommateur, sans que ses composantes puissent être isolées de manière artificielle ;

Qu'elle soutient par ailleurs que l'intimée échoue non seulement à démontrer la réalité de la copie ou de l'imitation mais encore d'un risque concret de confusion pour le consommateur, notamment du fait de la banalité et d'absence de caractères distinctifs du signe en cause (plus pour vous) au demeurant non déposé, en présence du logo de la marque Vetoquinol et de codes couleur différents et ajoute que le logo et le slogan utilisés par son contradicteur ne constituent pas un élément d'identification à lui seul de la société Dechra ou de ses produits et que la confusion et d'autant plus difficile que les produits s'adressent à un milieu professionnel restreint, en l'occurrence les vétérinaires ;

Qu'enfin, elle estime qu'aucun des éléments constitutifs du parasitisme ne sont réunis en l'espèce dans la mesure où le logo ou l'expression revendiqué par l'intimée ne résulte pas de la mise en œuvre d'un savoir-faire, qu'il n'est justifié d'aucun investissement substantiel consacré au slogan, que celui-ci est dépourvu de valeur économique et qu'il n'est, en tout état de cause, démontré aucune copie de celui-ci ;

Attendu qu'il est admis que la possibilité offerte à tout agent économique de reproduire les biens non protégés par un brevet ou les signes distinctifs d'un concurrent ou de s'en inspirer, devient déloyale et par conséquent illicite lorsque cette reproduction ou cette imitation est de nature à engendrer, notamment en cas de reproduction fidèle du produit, un risque de confusion dans l'esprit de la clientèle sur l'origine de celui-ci ;

Qu'il ressort des pièces versées aux débats, et en particulier des exemples de publicités destinées notamment à la presse spécialisée mais également utilisées lors de salons professionnels, que la société Dechra utilise de façon habituelle mais non systématique dans la promotion de sa marque et de ses produits le logo :

+ PLUS

POUR VOUS

inséré dans un rectangle apparaissant en haut à gauche ou à droite des documents publicitaires, bicolore et décliné en diverses couleurs selon le produit et l'affection concernée, selon les écrits non contestés sur ce point de l'appelante, faute pour la cour, destinataire de pièces en photocopies noir et blanc, de pouvoir le vérifier ;

Que la société Dechra utilise en outre de façon régulière dans certains de ses encarts publicitaires le slogan « VOUS + DECHRA + (nom du médicament) = PLUS POUR VOUS », et non pas le slogan « PLUS POUR VOUS » pris isolément ;

Que si l'intimée fait observer à bon droit que l'absence de protection d'un logo ou d'un slogan par un droit de propriété intellectuelle n'interdit pas d'agir en responsabilité à l'encontre d'un concurrent, encore faut-il que l'usage d'un logo ou d'un slogan identique ou similaire soit démontré et qu'il soit de nature à créer un risque de confusion dans le public auquel il est destiné ;

Attendu d'abord qu'il n'est pas allégué que le logo décrit précédemment ait été utilisé par la société Vetoquinol ; qu'il est en réalité fait grief à celle-ci d'avoir utilisé dans une campagne publicitaire l'expression et non le slogan « + POUR VOUS » ;

Que la campagne incriminée donne à voir un chien regardant une affiche dans un couloir du métro sur laquelle figure une femme et le commentaire « On vous demande d'en faire moins... » et la mention en bas d'affiche « ... Alors Vetoquinol en fait + pour vous ! + de conseil + d'expertise », le logo de la marque « VETOQUINOL, Achieve More Together » étant isolé et très apparent en bas à droite de l'affiche ;

Que l'utilisation de l'expression « + pour vous », même flanquée du signe mathématique + ne peut tout d'abord instiller une quelconque confusion avec le logo susmentionné, faute d'être précisément un élément isolé et distinctif présent sur l'affiche et de présenter le même code couleur que celui-ci (vert et blanc) ; que si le logo de la société Dechra comporte effectivement l'élément verbal « + Plus Pour Vous », doté du doublement par le signe mathématique et le mot « plus », que l'on ne retrouve pas dans la campagne litigieuse, il constitue au surplus un tout en ce que l'élément verbal est indissociable de l'élément figuratif ou graphique (rectangle, code couleur, police) que le public va assimiler dans son ensemble ;

Attendu ensuite, que c'est avec justesse que l'intimée soutient que l'expression « + pour vous » est inscrite dans une phrase que le public lit dans son entier et qui constitue son slogan publicitaire : « On vous demande d'en faire moins... Alors Vetoquinol en fait + pour vous », compte tenu de la disposition des termes à partir du haut à gauche de l'affiche ; que de la même manière les campagnes publicitaires de la société Dechra pour ses produits médicamenteux présentent systématiquement l'expression « Plus Pour Vous » dans un slogan ainsi libellé dans une police de même taille : « VOUS + DECHRA + (nom du médicament) = PLUS POUR VOUS », que le consommateur lit également d'un seul tenant ;

Qu'il s'ensuit qu'aucune copie ni imitation du logo et du slogan de la société Dechra n'est constituée dans la campagne publicitaire incriminée ;

Qu'en outre l'expression « + pour vous » ou « plus pour vous » intégrée dans un slogan constituant une phrase complète n'est pas en soi un élément très distinctif pour la marque qui l'utilise, eu égard à la banalité des termes et au caractère habituel, dans le domaine de la publicité, de la mise en valeur de la marque par l'usage de superlatifs et la démonstration de la performance ; qu'il n'est d'ailleurs pas anodin de relever que la société Dechra, qui revendique le caractère très distinctif de son logo pour sa marque, ne l'a pas intégré sur la page d'accueil de son site internet ;

Attendu encore que la présence de la marque particulièrement visible sur l'affiche incriminée (Vetoquinol), si elle ne peut, à elle seule, être de nature à écarter le risque de confusion entre les produits de la marque Dechra et ceux de la marque Vetoquinol, comme le souligne l'intimée, constitue en revanche un élément supplémentaire permettant d'attribuer le produit promu à une marque bien identifiée ;

Attendu enfin, que les campagnes publicitaires de chacune des parties, toutes deux laboratoires pharmaceutiques vétérinaires, s'adressent à un public spécialisé qui a, à la faveur d'une littérature professionnelle, une connaissance nécessairement aiguë des marques de médicaments vétérinaires, de nature à rendre le risque de confusion encore plus marginal s'il en était besoin ;

Attendu surabondamment que la société Dechra échoue à caractériser des faits de parasitisme commis à son détriment par l'appelante, faute de justifier de l'existence d'une réelle valeur économique de son logo « + PLUS POUR VOUS » et a fortiori de son slogan « VOUS + DECHRA + (nom du médicament) = PLUS POUR VOUS », dont il est rappelé qu'ils n'ont, ni l'un ni l'autre, jamais été utilisés par la société Vetoquinol ; que la production d'une facture portant sur l'analyse, la réflexion et la conception de la campagne institutionnelle « Plus Pour Vous » d'un montant de 3 000 euros HT par l'agence de communication BSAS Les Argentins, ne saurait répondre à l'un des éléments constitutifs du parasitisme consistant dans le fait de se positionner dans le sillage d'un concurrent afin de bénéficier, sans bourse délier, d'un savoir-faire et d'investissements tels qu'ils soient susceptibles de constituer une valeur économique et un avantage concurrentiel pour le concurrent, ce d'autant que la notoriété du logo et du slogan n'est pas démontrée, notamment au sein de la communauté des vétérinaires ;

Attendu qu'il résulte des développements qui précèdent que la société Dechra échoue à faire la démonstration que son concurrent se serait placé dans son sillage afin d'utiliser un slogan distinctif et aurait ainsi créé un risque de confusion entre leurs produits respectifs ; que c'est donc à tort que les premiers juges ont retenu l'existence d'actes de concurrence déloyale imputables à la société Vetoquinol au préjudice de la société Dechra et qu'ils ont fait droit partiellement à la demande indemnitaire de cette dernière ; que le jugement entrepris sera donc infirmé de ce chef et la société Dechra déboutée de sa prétention principale ;

Sur les demandes accessoires,

Attendu que la société Vetoquinol se prévaut du caractère abusif de l'action intentée à son encontre par son concurrent et déplore la pression exercée en cours de procédure informant la cour de la persistance de la campagne publicitaire incriminée ;

Mais attendu que la société Dechra rappelle avec pertinence que l'accès au juge est un droit fondamental et qu'il ne peut dégénérer en abus que dans des circonstances très exceptionnelles, non réunies en l'espèce, de sorte que la demande de dommages-intérêts adverse devra être écartée en cas d'infirmation du jugement déféré sur la réalité de faits de concurrence déloyale ;

Qu'en effet, la conviction erronée d'une partie dans le bien fondé de son action en justice ne saurait dégénérer en abus du droit d'agir s'il n'est pas démontré qu'elle s'accompagne d'une volonté de nuire à la partie adverse ou d'une intention malicieuse ; qu'une telle démonstration n'étant pas faite en l'espèce, il convient d'écarter cette demande d'indemnité sur ce fondement, la production contradictoire d'une pièce destinée à la cour l'informant de la persistance de la campagne publicitaire incriminée n'étant pas en soi fautive ;

Attendu que la demande de publication du présent arrêt formée par la société Vetoquinol n'est étayée par aucune justification, de sorte qu'en l'absence de preuve d'une divulgation publique des termes du jugement déféré, qui aurait pu porter préjudice à l'appelante et justifier une telle mesure, cette prétention sera pareillement rejetée ;

Attendu en revanche que la société Dechra qui succombe devant la cour sera condamnée à supporter les frais irrépétibles de première instance et d'appel exposés par la société Vetoquinol à hauteur de la somme de 6 000 euros ; que pour les mêmes motifs elle sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel, les dispositions accessoires du jugement entrepris étant infirmées ;

Par ces motifs

La cour, statuant contradictoirement, après débats en audience publique et en avoir délibéré conformément à la loi,

Infirme le jugement rendu le 19 octobre 2018 par le tribunal de commerce de Vesoul en toutes ses dispositions.

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Déboute la SAS Dechra Veterinary Products de ses entières prétentions en l'absence de preuve d'actes constitutifs d'une concurrence déloyale imputables à la SA Vetoquinol.

Déboute la SA Vetoquinol de ses demandes de dommages-intérêts et de publication du présent arrêt.

Condamne la SAS Dechra Veterinary Products à payer à la SA Vetoquinol la somme de six mille (6 000) euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

Condamne la SAS Dechra Veterinary Products aux dépens de première instance et d'appel et autorise la SCP D.-P., avocat, à recouvrer directement contre la partie condamnée ceux dont elle a fait l'avance sans avoir reçu provision conformément à l'article 699 du code de procédure civile.