CA Rennes, 3e ch. com., 1 décembre 2020, n° 17/08845
RENNES
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
Amada (SA)
Défendeur :
Jeantil (SAS), Arkéa Credit Bail (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Contamine
Conseillers :
Mme Jeorger-Le Gac, M. Garet (rapporteur)
FAITS ET PROCEDURE
La société Amada conçoit, fabrique et entretient des machines-outils.
Courant mars 2013, la société Jeantil, elle-même fabricante de machines agricoles, se rapprochait de la société Amada pour lui commander un ensemble de découpe au laser pour plaques métalliques destinées à l'usinage de ses propres pièces détachées.
Sur la base d'un certain nombre de prescriptions et exigences techniques formulées par la société Jeantil, la société Amada lui transmettait un devis, en date du 26 avril 2013, portant sur un ensemble constitué notamment d'une table de découpe laser ainsi que d'un magasin composé de deux tours destinées au chargement/déchargement des plaques à traiter.
Finalement, les parties se mettaient d'accord sur un prix de 899.000 € hors taxes suivant bon de commande accepté par la société Jeantil le 23 mai 2013.
Pour le financement de cette opération, la société Jeantil souscrivait un contrat de crédit-bail auprès de la société Arkéa qui allait ainsi acquérir la machine auprès de la société Amada afin de la louer à la société Jeantil.
Le 14 octobre 2013, la société Arkéa versait à la société Amada un acompte de 45.000 €, la machine ayant été livrée à la société Jeantil le 21 novembre 2013 pour une mise en service prévue quelques semaines plus tard, après montage/réglage de la machine et formation dispensée aux opérateurs de la société Jeantil.
Toutefois, aucune réception définitive n'allait jamais intervenir, la société Jeantil déplorant plusieurs dysfonctionnements de la machine, de même que se plaignant des performances insuffisantes de celle-ci, inférieures à celles qu'elle disait lui avoir été annoncées par la société Amada.
Ainsi, compte tenu du refus de la société Jeantil de signer le procès-verbal de réception, et en dépit de plusieurs tentatives de réglage et réparation de la machine effectuées au cours des premiers mois de l'année 2014, la société Amada ne parvenait pas à satisfaire sa cliente, et par suite, à se faire régler le solde du prix par la société Arkéa.
Finalement et à l'initiative de la société Jeantil, une expertise de la machine était ordonnée en référé et un rapport déposé le 26 juin 2015.
La société Amada saisissait alors le tribunal de commerce de Rennes aux fins de voir condamner la société Arkéa à lui payer le solde du prix ainsi que diverses indemnités.
Appelée à la cause, la société Jeantil réclamait quant à elle la résolution de la vente pour vices cachés et/ou défaut de conformité, ainsi que, par voie de conséquence, celle du contrat de crédit-bail, sollicitant finalement la condamnation de la société Amada à l'indemniser des différents préjudices qui lui auraient été causés du fait de la livraison d'une machine défaillante et à tout le moins non conforme aux prévisions contractuelles.
Quant à la société Arkéa, elle concluait au débouté des demandes formées à son encontre par la société Amada et, pour le cas où il serait fait droit à la demande de résolution formée par la société Jeantil, au remboursement de l'acompte de 45.000 €, la crédit-bailleresse sollicitant enfin l'indemnisation de ses propres préjudices.
Par jugement du 23 novembre 2017, le tribunal :
- jugeait qu'il existait un contrat entre les sociétés Jeantil et Amada et que la convention devait s'apprécier en tenant compte des documents suivants :
. le mail du 29 mars 2013,
. les éléments de la « Running cost chart »,
. le devis du 30 avril 2013,
. le bon de commande du 23 mai 2013,
. les conditions générales de vente annexées à ce bon de commande ;
- constatait qu'il y avait eu délivrance d'une machine conforme, mais que cette dernière était affectée de vices cachés ;
En conséquence,
- ordonnait la restitution de la machine ;
- prononçait la résolution de la vente aux torts exclusifs de la société Amada ;
- condamnait la société Amada à payer à la société Jeantil la somme de 20.000 € à titre de dommages et intérêts et la déboutait du surplus de ses demandes indemnitaires ;
- condamnait la société Jeantil à payer à la société Amada la somme de 19.740 € en remboursement des frais engagés par elle pour la remise en état de la machine ;
- prononçait la résiliation du contrat de crédit-bail liant les sociétés Arkéa et Jeantil ;
- disait que la société Amada devait garantir la société Jeantil des éventuelles condamnations qui seraient prononcées à l'encontre de celle-ci dans le cadre de la résolution du contrat de crédit-bail ;
En conséquence,
- condamnait la société Amada à rembourser à la société Jeantil les sommes exposées par elle au titre des pré-loyers perçus par la société Arkéa ;
- condamnait la société Amada à payer à la société Arkéa la somme de 45.000 € en remboursement de l'acompte perçu par elle ;
- déboutait les parties de leurs demandes plus amples ou contraires ;
- condamnait la société Amada, sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, à payer une somme de 15.000 € à la société Jeantil et une somme de 3.000 € à la société Arkéa ;
- condamnait la société Amada aux entiers dépens.
Par déclaration reçue au greffe de la cour le 19 décembre 2017, la société Amada interjetait appel du jugement, sauf en ce qu'il avait débouté les sociétés Jeantil et Arkéa du surplus de leurs demandes indemnitaires et en ce qu'il avait condamné la société Jeantil à payer à la société Amada une somme de 19.470 € en remboursement des frais engagés pour la remise en état de la machine.
La société Amada notifiait ses dernières conclusions le 2 octobre 2018, la société Jeantil les siennes le 15 juin 2018, enfin la société Arkéa les siennes le 13 juin 2018.
La clôture de la mise en état intervenait par ordonnance du 8 octobre 2020.
Par avis en date du 17 novembre 2020, la cour, prenant acte de ce que la société Amada invoquait le bénéfice d'une clause limitative de responsabilité qui figurerait dans les conditions générales de vente convenues entre elle et la société Jeantil, invitait en conséquence les parties à présenter leurs observations, en cours de délibéré, sur l'application éventuelle de l'article 4 desdites CGV (« défaut de conformité »).
Par note en délibéré du 20 novembre 2020, la société Amada faisait valoir que l'article 4 des CGV contenait effectivement une clause limitative de responsabilité du vendeur en cas de défaut de conformité de la chose vendue, sollicitant en conséquence que les sociétés Jeantil et Arkéa soient déboutées, par suite, de leurs demandes indemnitaires.
Par note en délibéré du 23 novembre 2020, la société Jeantil rappelait que les CGV ne lui étaient pas opposables et qu'en toute hypothèse, l'article 4 ne pouvait pas s'appliquer en présence de défauts constitutifs de vices cachés relevant de la garantie légale.
Quant à la société Arkéa, elle s'abstenait de conclure sur ce point.
MOYENS ET PRETENTIONS DES PARTIES
La société Amada demande à la cour :
Vu les articles 1134, 1147, 1152, 1382, 1604 et 1641 du code civil,
Vu le rapport d'expertise judiciaire du 26 juin 2015,
- recevoir la société Amada en son appel ;
- infirmer le jugement en toutes ses dispositions, sauf en ce qu'il a :
. condamné la société Jeantil à payer à la société Amada la somme de 19.740 € en réparation des frais engagés par elle pour la remise en état de la machine ;
. débouté la société Jeantil de ses demandes indemnitaires pour absence de preuve ;
. débouté la société Arkéa de ses demandes indemnitaires au titre des frais de défense exposés par elle et du coût de portage de l'investissement' ;
. débouter les sociétés Jeantil et Arkéa de toutes leurs demandes, fins et conclusions ;
Statuant à nouveau,
A titre principal :
- dire et juger que l'ensemble découpe-laser fonctionne conformément aux spécifications techniques du constructeur ;
- dire et juger que l'ensemble découpe-laser n'est pas impropre à son usage et à sa destination ;
- prononcer la réception judiciaire de l'ensemble découpe-laser ;
En conséquence,
- débouter la société Jeantil de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions (en ce compris son appel incident) ;
- débouter la société Arkéa de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions (en ce compris son appel incident) ;
- condamner la société Arkéa à payer à la société Amada la somme, en principal, de 1.030.201,62€ TTC ;
- condamner la société Arkéa à payer à la société Amada des intérêts de retard au taux de trois fois le taux de l'intérêt légal sur la somme de 899.000 € HT, et ce à compter du 5 mars 2013 ;
- condamner la société Arkéa à payer à la société Amada, à titre de clause pénale, une somme, en principal, de 134.850 € ;
- ordonner la capitalisation des intérêts dus pour une année entière ;
- condamner la société Jeantil à payer à la société Amada, à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive et injustifiée, une somme de 100.000 € ;
- condamner solidairement les sociétés Arkéa et Jeantil à payer à la société Amada la somme de 20.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner solidairement les sociétés Arkéa et Jeantil aux entiers frais et dépens de la présente procédure, en ce compris les frais exposés par la société Amada dans le cadre de l'expertise judiciaire pour un montant de 19.740 € HT ;
A titre subsidiaire et si par extraordinaire la résolution de la vente devait être prononcée :
- ordonner la compensation entre l'acompte de 45.000 € TTC devant être restitué à la société Arkéa et l'indemnité, a minima de même montant, due à la société Amada du fait de la dépréciation subie par l'ensemble découpe-laser à raison de son usure ;
- dire et juger que les prétentions indemnitaires de la société Jeantil à l'encontre de la société Amada sont irrecevables et infondées ;
- dire et juger que les prétentions indemnitaires de la société Arkéa à l'encontre de la société Amada sont irrecevables et infondées ;
En conséquence,
- débouter les sociétés Jeantil et Arkéa de leurs appels incidents et de leurs demandes indemnitaires.
Au contraire, la société Jeantil demande à la cour de :
Vu la convention de crédit-bail et les articles 1604 et suivants et 1641 et suivants du code civil,
- confirmer le jugement en ce qu'il a :
. prononcé la résolution de la vente aux torts exclusifs de la société Amada ;
. condamné la société Amada à verser à la société Jeantil la somme de 20.000 € à titre de dommages et intérêts ;
. prononcé la résiliation du contrat de crédit-bail liant la société Arkéa à la société Jeantil ;
. dit que la société Amada garantira la société Jeantil des éventuelles condamnations qui seraient prononcées à son encontre dans le cadre de la résolution du contrat de crédit-bail ;
. condamné la société Amada à rembourser à la société Jeantil les sommes exposées par elle au titre des pré-loyers perçus par la société Arkéa ;
. condamné la société Amada à verser à la société Arkéa la somme de 45.000 € en remboursement de l'acompte perçu par elle ;
. condamné la société Amada à verser à la société Jeantil la somme de 15.000 € par application de l'article 700 du code de procédure civile ;
. condamné la société Amada aux dépens ;
- réformer le jugement en qu'il a :
. condamné la société Jeantil à verser à la société Amada la somme de 19.470 € en réparation des frais engagés par elle pour la remise en état de la machine ;
. débouté la société Jeantil de ses demandes indemnitaires pour absence de preuve ;
Statuant à nouveau sur les deux chefs de jugement précités et y additant :
- condamner la société Amada à reprendre possession de l'ensemble découpe laser se trouvant dans les locaux de la société Jeantil, ce dans un délai d'un mois à compter de l'arrêt à intervenir, et à ses frais exclusifs, sous astreinte de 500 € par jour de retard ;
- débouter la société Amada de sa demande de paiement de la somme de 19.470 € en réparation des frais engagés par elle pour la remise en état de la machine ;
- condamner la société Amada à verser à la société Jeantil la somme de 947.269,51 € en indemnisation de son préjudice financier pour la période du 1er janvier 2014 au 1er avril 2016 ;
- donner acte à la société Jeantil de ce qu'elle se réserve le droit de solliciter l'indemnisation de son préjudice financier pour la période postérieure au 1er avril 2016 ;
- condamner la société Amada à verser à la société Jeantil la somme de 30.000 € en indemnisation de son préjudice moral ;
- subsidiairement et si la cour estimait devoir disposer d'éléments d'information complémentaires, ordonner une mesure d'expertise judiciaire aux fins de détermination de l'ensemble des préjudices consécutifs subis par la société Jeantil en raison des défauts affectant la machine, ce depuis sa mise en fonctionnement et jusqu'à la date de l'arrêt à intervenir ;
En toute hypothèse,
- débouter les sociétés Amada et Arkéa de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions présentées à l'encontre de la société Jeantil ;
- le cas échéant, condamner la société Amada à garantir la société Jeantil des condamnations qui seraient prononcées à son encontre au bénéfice de la société Arkéa ;
- condamner la société Amada au paiement de la somme de 25.000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles d'appel ;
- condamner la société Amada aux entiers dépens de première instance et d'appel, en ce compris ceux de l'instance en référé et les frais d'expertise judiciaire.
Enfin, la société Arkéa demande à la cour de :
Vu les articles 1134 et suivants anciens du code civil,
- confirmer le jugement en toutes ses dispositions' ;
- débouter la société Amada de toutes ses demandes telles que formalisées à l'encontre de la société Arkéa ;
- subsidiairement et dans l'hypothèse d'une quelconque condamnation prononcée à l'encontre de la société Arkéa :
. condamner la société Jeantil à la garantir et la relever indemne de celle-ci ;
. condamner, en outre, la société Jeantil à payer à la société Arkéa la somme de 6.304,80 € TTC au titre des frais et honoraires déboursés dans le cadre de la procédure d'expertise, outre 6.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre de la procédure devant le tribunal de commerce et devant la cour ;
- dans l'hypothèse d'une confirmation du jugement :
. condamner, en outre, les sociétés Amada et Jeantil in solidum à payer à la société Arkéa la somme de 6.304,80 € TTC au titre des frais et honoraires déjà déboursés dans le cadre de la procédure d'expertise, outre 6.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre de la procédure devant le tribunal de commerce et devant la cour ;
. débouter plus généralement les sociétés Jeantil et Amada de toutes demandes dirigées à l'encontre de la société Arkéa ;
. condamner toute partie perdante en tous les dépens dont distraction au profit de Me Carine C., avocat, conformément à l'article 699 du code de procédure civile.
Il est renvoyé à la lecture des conclusions précitées pour un plus ample exposé des demandes et moyens développés par les parties.
MOTIFS DE LA DECISION
I - Sur la demande de la société Jeantil tendant à la résolution de la vente pour vices cachés :
Aux termes de l'article 1641 du code civil, dans sa numérotation et sa rédaction applicables au litige, « le vendeur est tenu de la garantie à raison des défauts cachés de la chose vendue qui la rendent impropre à l'usage auquel on la destine, ou qui diminuent tellement cet usage que l'acheteur ne l'aurait pas acquise, ou n'en aurait donné qu'un moindre prix, s'il les avait connus. »
L'article 1644 ajoute que, dans ce cas, « l'acheteur a le choix de rendre la chose et de se faire restituer le prix, ou de garder la chose et de se faire rendre une partie du prix ».
En l'occurrence, la société Jeantil sollicite la confirmation du jugement en ce qu'il a prononcé la résolution de la vente pour vices cachés, le tribunal ayant en effet qualifié de tels :
- d'abord le fait que la machine ait une vitesse de coupe plus faible que celle annoncée,
- ensuite le fait que sa capacité de charge (des plaques à usiner) se soit avérée plus faible que celle annoncée,
- enfin la circonstance qu'il faille mettre en œuvre davantage de micro-jonctions entre les plaques à découper que celles normalement nécessaires (pour limiter le risque de chutes de matériaux susceptibles de bloquer le fonctionnement de la machine).
Toutefois et à supposer que ces reproches soient établis (cf infra), la cour considère en toute hypothèse qu'ils ne sauraient caractériser des vices cachés au sens de la loi, l'expert judiciaire désigné pour rechercher d'éventuels dysfonctionnements de la machine n'en ayant en effet relevé aucun, puisqu'ayant conclu, à la page 43 de son rapport, que la machine « n'est pas impropre à son usage et à sa destination» ou encore qu'elle « permet la découpe de pièces correspondant au besoin de la production de la société Jeantil à une vitesse compatible [avec] sa puissance et sa conception ».
L'expert a encore relevé que la qualité de la découpe était « tout à fait acceptable », y compris pour des tôles épaisses alors qu'il est « de notoriété » que ce type de machines « ont de meilleures performances pour les tôles fines » (page 32 du rapport).
De même, l'expert, qui a participé à une campagne d'essais d'assez longue durée, a confirmé qu'il n'avait pas constaté de pannes, « les chutes et débouchures » tombées plusieurs fois sur les tôles en cours d'usinage n'ayant jamais provoqué l'arrêt de la machine, alors par ailleurs que la société Amada a proposé de résoudre cette difficulté par l'installation d'une brosse destinée à nettoyer la tôle lors de sa mise en place sur la table de découpe.
C'est encore à tort que la société Jeantil dénonce des dysfonctionnements de la « source laser », alors au contraire que l'expert n'a constaté aucune panne de cet ordre.
C'est toujours à tort que la société Jeantil dénonce un dysfonctionnement du « suiveur axe Z », l'expert ayant au contraire relevé que son réglage était « approprié ».
Finalement et bien qu'ayant admis que « comme toute machine complexe », celle vendue à la société Jeantil était « perfectible », l'expert a estimé qu'elle fonctionnait correctement et qu'elle « n'était pas impropre à son usage et à sa destination », conclusion qui contredit la définition même d'un vice caché.
C'est donc à tort que la société Jeantil sollicite la résolution de la vente sur ce fondement, le jugement devant être infirmé en ce qu'il l'a prononcée pour ce motif.
II - Sur la demande de la société Jeantil tendant à la résolution de la vente pour défaut de conformité :
La société Jeantil invoque également, alternativement à une action fondée sur des vices cachés, le bénéfice des articles 1604 et suivants du code civil pour réclamer la résolution de la vente pour défaut de conformité de la chose vendue, et ce par rapport aux caractéristiques substantielles de la machine telles que contractuellement définies entre les parties.
En effet, l'article 1604 du code civil oblige le vendeur à délivrer une chose conforme à celle commandée par l'acheteur, le non-respect de cette obligation pouvant justifier une résolution du contrat aux torts du vendeur.
Encore faut-il déterminer les caractéristiques du produit commandé, par là même celles du produit attendu.
En l'espèce, il résulte du rapport d'expertise et il n'est d'ailleurs pas contesté que la machine livrée à la société Jeantil est conforme à celle décrite dans le devis du 26 avril 2013 ainsi que dans le bon de commande du 23 mai 2013, les caractéristiques techniques effectives de la machine étant bien celles indiquées sur ces deux documents contractuels, et notamment la puissance du laser, ou encore le nombre et la consistance des éléments du magasin de chargement/déchargement des tôles (cf en ce sens les pages 28 et 29 du rapport d'expertise).
Par ailleurs, l'expert a confirmé, à l'issue de la campagne d'essais, que la vitesse de la machine était « compatible [avec] sa puissance et sa conception ».
En revanche, il a aussi relevé que cette vitesse était non seulement « inférieure à la vitesse souhaitée par la société Jeantil », mais également à celle indiquée sur le document « Running cost chart », document dont la société Amada ne conteste pas être l'auteur (il porte d'ailleurs son en-tête et son logo) et qui, notamment, détaille les coûts de production, et finalement les gains de productivité induits par l'utilisation de cette machine.
L'expert a ainsi pu mesurer, à l'issue de la campagne d'essais, que la machine travaillait à une vitesse inférieure de quelques 19'% par rapport à la vitesse attendue.
Pour réfuter cette comparaison, la société Amada fait valoir que le document « Running cost chart » n'a pas de valeur contractuelle puisqu'aucune référence n'y est faite ni dans le devis ni dans le bon de commande, alors par ailleurs qu'elle affirme ce n'est qu'au mois de septembre 2013, soit après la conclusion du contrat, qu'elle l'a remis à la société Jeantil.
Toutefois, cette affirmation est formellement contredite par l'attestation établie le 2 juin 2016 par M. Etienne B., ingénieur salarié de la société Jeantil, qui explique de manière particulièrement circonstanciée à quelle occasion un salarié de la société Amada, dont il cite même le nom, lui a remis le document « en mains propres », soit précisément le 11 avril 2013 lors d'une visite des membres de la société Jeantil à Bazas (33), au siège de la société Stomeca, partenaire industriel de la société Amada, lors de la démonstration d'une machine identique à celle que la société Jeantil s'apprêtait à commander.
Cette attestation doit encore être rapprochée du courriel adressé le 29 mars 2013 à la société Amada par M. Etienne B. pour lui faire part du souci de la société Jeantil d'acquérir une machine aussi performante et économique que possible, l'intéressé ayant alors insisté sur le « coût à l'heure ou au mètre découpé », sur le « coût annuel des énergies » consommées, sur les « vitesses de coupe » ou encore sur la condition impérative que la machine soit apte à un fonctionnement annuel de « 4.500 heures réparties sur 46 semaines », soit une utilisation moyenne de quelques 14 heures par jour.
S'il est certes regrettable qu'aucun cahier des charges précis n'ait été élaboré par la société Jeantil dans la perspective de la commande, pour autant il est établi, au regard de ce qui précède, que celle-ci avait fait de la vitesse de la machine une condition déterminante de son acquisition, et que c'est à cette occasion que la société Amada, pour convaincre sa future cliente des grandes performances de son produit, qu'elle lui a remis la « Running cost chart », et ce avant même l'établissement du devis initial.
C'est donc à tort que la société Amada tente de faire écarter ce document, alors au contraire qu'il est établi qu'il fait partie du champ contractuel ainsi que le tribunal l'a justement relevé.
Ainsi, s'étant déterminée à acquérir la machine au vu, notamment, de ce document, la société Jeantil était en droit de se fier aux informations qui y sont mentionnées.
Or, il résulte du rapport d'expertise que ce document s'est avéré, sinon mensonger, à tout le moins exagérément optimiste quant aux performances attendues de la machine et aux gains de productivité qui pouvaient en résulter.
A cet égard, c'est à tort que la société Amada fait valoir que ce document n'évoquerait que des vitesses théoriques maximales et qu'en toute hypothèse ces performances n'auraient jamais pu être atteintes dans le cadre de la production de la société Jeantil, la venderesse rappelant en effet que l'expert a considéré que la machine livrée suffisait aux besoins effectifs de l'acquéreur.
En effet, non seulement cette dernière affirmation est contestée par la société Jeantil, mais surtout, celle-ci, dont les capacités actuelles de production ne préjugent pas de ses éventuelles capacités futures, était en droit d'exiger une machine conforme aux caractéristiques contractuellement définies entre les parties, et présentant notamment les mêmes performances que celles indiquées sur la « Running cost chart ».
C'est encore à tort que la société Amada tente de se prévaloir d'une mention figurant à l'article 5.2 des conditions générales de vente annexées au bon de commande, selon laquelle la garantie contractuelle attachée au matériel vendu est limitée à une utilisation maximale de 8 heures par jour, limitation qui, nécessairement, est de nature à réduire les performances attendues de la machine.
En effet, l'action intentée par la société Jeantil à l'encontre de la société Amada n'est pas fondée sur la garantie contractuelle de bon fonctionnement de la machine telle que définie aux CGV, mais sur l'obligation légale de délivrance conforme.
Cette obligation légale ne saurait donc être limitée par une disposition contractuelle qui lui est étrangère.
Ainsi et dès lors qu'il est établi que la société Amada a manqué à son obligation de délivrance conforme, la société Jeantil est fondée à réclamer la résolution de la vente, le jugement devant être confirmé sur ce point.
III - Sur les demandes subséquentes :
A - Sur la remise des choses dans leur état antérieur à la vente :
Par suite de la résolution de la vente, le jugement sera confirmé en ce qu'il a ordonné la restitution de la machine à la société Amada.
Par suite, il sera enjoint à la société Amada de reprendre possession de la machine à ses frais, et ce dans un délai maximal de six mois suivant la signification du présent arrêt, sous astreinte de 200 € par jour de retard ensuite pendant soixante jours, délai à l'issue duquel il pourra à nouveau être fait droit.
Du fait de la résolution de la vente, la société Amada sera déboutée de ses demandes tendant au règlement du solde du prix de vente, tout comme de la somme de 134.850 € réclamée à titre de clause pénale, de même que des intérêts de retard qui ne sont pas dus.
Au contraire et par suite de la résiliation du contrat de crédit-bail qui découle nécessairement de la résolution de la vente, la société Amada sera condamnée à rembourser à la société Arkéa l'acompte de 45.000 € versé à ce titre, le jugement devant être confirmé sur ce point.
B - Sur les demandes indemnitaires :
1 - Sur les demandes formées par la société Amada :
En première instance, le tribunal a condamné la société Jeantil à payer à la société Amada une somme de 19.740 € « en réparation des frais engagés par elle pour la remise en état de la machine ».
La société Amada sollicite la confirmation du jugement sur ce point, sollicitant même la condamnation solidaire de la société Arkéa au paiement de cette somme, faisant essentiellement valoir qu'elle a exposé ces frais dans le cadre de la procédure d'expertise pour tenter de satisfaire aux exigences de la société Jeantil, finalement en vain.
Toutefois, la cour observe qu'il n'est pas établi que la société Jeantil ait dégradé la machine, les frais exposés par la société Amada ayant eu pour seul objet, non pas de la réparer, mais de tenter de la rendre conforme aux exigences contractuelles dont il vient d'être jugé qu'elles n'avaient finalement jamais pu être satisfaites par la venderesse elle-même.
La société Amada étant seule responsable de cette absence de conformité, elle conservera la charge définitive des frais qu'elle a pu exposer pour essayer d'y remédier, le jugement devant être infirmé en ce sens.
De même, la société Amada ne saurait reprocher à la société Jeantil d'avoir « usé » la machine en continuant à l'utiliser malgré sa non-conformité, étant ici rappelé :
- que la société Jeantil n'avait pas d'autre choix que d'utiliser cette machine, même en mode dégradé et insuffisant à satisfaire les exigences de sa production, puisqu'elle avait fait reprendre par la société Amada la machine qu'elle possédait précédemment, alors par ailleurs que la société Amada se refusait à remplacer la machine litigieuse et se montrait incapable de la rendre conforme aux exigences contractuelles ;
- qu'il est d'ailleurs établi que, très rapidement, la société Jeantil a dû recourir à la sous-traitance de ses travaux de découpe métallique, n'ayant donc fait qu'une utilisation résiduelle de la machine non conforme.
Enfin et dans la mesure où il est établi que la société Amada a manqué à ses obligations contractuelles, il ne saurait être reproché à la société Jeantil une résistance abusive et injustifiée pour avoir refusé de signer le procès-verbal de réception de la machine, ladite société ayant ainsi légitimement empêché le règlement du solde du prix de vente par la société Arkéa.
En conséquence, la société Amada sera déboutée de ses demandes indemnitaires.
2 - Sur les demandes formées par la société Jeantil :
L'article 4 des conditions générales de vente, intitulé 'défaut de conformité', stipule ce qui suit :
« Le client doit vérifier les marchandises à la livraison, ce contrôle devant notamment porter sur la qualité, les quantités, les références des marchandises et leur conformité à la commande. Aucune réclamation n'est prise en compte passé le délai de trois jours à compter du jour de la livraison. La marchandise comportant, de façon reconnue, un défaut de conformité signalé dans le délai sus-indiqué, fait l'objet d'un remplacement ou d'une remise en état, à l'exclusion de tout dédommagement, à quelque titre que ce soit [...] ».
A cet égard, c'est vainement que la société Jeantil soutient qu'elle n'aurait pas agréé ces conditions générales de vente puisque ne les ayant pas signées, voire qu'elle n'en aurait jamais eu connaissance puisque, ainsi qu'elle le conclut, le bon de commande « ne comportait aucun verso ».
En effet, d'une part la société Jeantil a confié un exemplaire de ces conditions de vente à l'expert amiable qu'elle a sollicité pour examiner la machine préalablement à sa saisine du juge des référés aux fins d'expertise judiciaire.
D'ailleurs, cet expert amiable fait expressément référence à ces conditions générales de vente en page 5 de son rapport en date du 2 juillet 2014 que la société Jeantil a dénoncé à la société Amada à l'appui de son assignation en référé.
D'autre part, le bon de commande lui-même, signé par la société Jeantil le 23 mai 2013, mentionne expressément, en son recto et juste au dessus de la signature et du cachet de la société Jeantil, que « la vente est conclue à nos conditions générales de vente [...] figurant au dos du présent bon de commande ».
Ainsi, il est établi que les conditions générales de vente de la société Amada ont été soumises à la société Jeantil qui les a acceptées sans réserve, dont la clause limitative de responsabilité du vendeur en cas de défaut de conformité de la chose vendue.
Or, de telles clauses sont valables, sous réserve seulement :
- qu'elles soient stipulées entre professionnels, alors même qu'ils ne seraient pas de la même spécialité, du moins s'agissant d'une clause limitant la responsabilité du vendeur en cas de défauts de conformité ;
- et qu'elles n'aient pas pour objet de vider de sa substance l'obligation essentielle du vendeur, en l'occurrence de le dégager de son obligation de délivrer une marchandise conforme à celle qui avait été commandée, tel n'étant pas le cas d'une clause qui, comme en l'espèce, se limite à exclure toute indemnisation de dommages immatériels résultant de ce défaut de conformité.
Enfin, il est sans effet que l'article 4 ne puisse pas s'appliquer en présence de défauts constitutifs de vices cachés relevant de la garantie légale puisque, précisément, il a été précédemment démontré que la machine litigieuse était atteinte, non pas de vices cachés, mais de défauts de conformité aux spécifications contractuellement définies entre les parties, hypothèse dans laquelle l'acheteur se trouve déchue de tout droit à dommages-intérêts complémentaires.
En conséquence, cette clause étant valable et ayant été acceptée par l'acheteur, la société Jeantil ne peut qu'être déboutée de l'ensemble de ses demandes indemnitaires, qu'il s'agisse de celle tendant au paiement d'une somme équivalant aux frais de sous-traitance qu'elle a exposés pour pallier les insuffisances de la machine, de sa demande indemnitaire pour perte d'exploitation, de sa demande pour surcoût de personnel, ou encore de sa demande en réparation de son préjudice moral.
La clause limitative de responsabilité s'étendant à « tout dédommagement, à quelque titre que ce soit », la société Jeantil sera également déboutée de sa demande tendant à être indemnisée d'une somme équivalant aux pré-loyers qu'elle a acquittés en pure perte en exécution du contrat de crédit-bail.
3 - Sur les demandes formées par la société Arkéa :
La société Arkéa réclame la condamnation in solidum de la société Jeantil et de la société Amada à lui payer une somme de 6.304,80 € en remboursement des frais et honoraires qu'elle dit avoir exposés dans le cadre de la procédure d'expertise et de première instance, se prévalant à cet égard des dispositions de l'article 9 du contrat de crédit-bail selon lesquelles tous frais et taxes qui résulteraient de tout litige en rapport avec l'exécution du contrat, ainsi que tous honoraires même non répétibles d'officiers ministériels, avocats ou experts, exposés par le bailleur seront à la charge du locataire qui s'oblige à les rembourser, au besoin à titre de dommages-intérêts.
Pour s'y opposer, la société Jeantil fait valoir que la résolution du contrat de crédit-bail prive rétroactivement de tout effet les clauses qui le composent, ensuite que la somme réclamée par la société Arkéa relève de celle susceptible d'être allouée au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
En toute hypothèse, la cour observe que la société Jeantil n'est pas responsable de la résolution du contrat de vente, et par suite de celle du crédit-bail, de telle sorte qu'elle ne saurait supporter les frais irrépétibles qui en sont résultés pour la société Arkéa.
Quant à la société Amada, la cour observe qu'elle n'est pas concernée par la clause prévue à l'article 9 du contrat de crédit-bail qui ne vise en effet que le « locataire ».
La société Arkéa sera donc déboutée de sa demande tendant au règlement de la somme de 6.304,80 €, tant en ce qu'elle est dirigée à l'encontre de la société Jeantil que de la société Amada.
IV - Sur les autres demandes :
Partie perdante en première instance comme en appel, la société Amada sera condamnée à payer :
- à la société Jeantil une somme de 15.000 € au titre des frais irrépétibles exposés par celle-ci en cause d'appel, le jugement devant en outre être confirmé en ce qu'il a condamné la société Amada au paiement d'une même somme au titre de ceux exposés par son adversaire en première instance ;
- à la société Arkéa une somme de 3.000 € au titre des frais irrépétibles exposés par celle-ci en cause d'appel le jugement devant en outre être confirmé en ce qu'il a condamné la société Amada au paiement d'une même somme au titre de ceux exposés par son adversaire en première instance.
Enfin, la société Amada supportera les entiers dépens de première instance et d'appel, en ce compris les frais d'expertise et de référé.
PAR CES MOTIFS,
La cour :
- infirme le jugement entrepris en ce qu'il a jugé que la machine acquise par la société Jeantil auprès de la société Amada était affectée de vices cachés, en ce qu'il a condamné la société Amada à payer à la société Jeantil une somme de 20.000 € à titre de dommages-intérêts, enfin en ce qu'il a condamné la société Jeantil à payer à la société Amada une somme de 19.740 € en réparation des frais engagés par cette dernière pour la remise en état de la machine ;
- confirme le jugement pour le surplus de ses dispositions non contraires ;
- statuant à nouveau des chefs d'infirmation, et y ajoutant :
. juge que la machine livrée par la société Amada n'était pas conforme aux spécifications contractuellement définies entre les parties et que, par là même, la société Amada a manqué à son obligation de délivrance conforme ;
. enjoint à la société Amada de reprendre possession de la machine à ses frais, et ce dans un délai maximal de six mois suivant la signification du présent arrêt, sous astreinte de 200 € par jour de retard ensuite pendant soixante jours, délai à l'issue duquel il pourra à nouveau être fait droit ;
. déboute la société Jeantil de l'intégralité de ses demandes indemnitaires ;
. condamne la société Amada à payer à la société Jeantil une somme de 15.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel ;
. condamne la société Amada à payer à la société Arkéa Crédit-Bail une somme de 3.000€ au titre de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel ;
. déboute l'ensemble des parties du surplus de leurs demandes ;
. condamne la société Amada aux entiers dépens de première instance et d'appel, en ce compris les frais d'expertise et de référé.