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Décisions

CA Besançon, 1re ch. civ. et com., 1 décembre 2020, n° 19/00256

BESANÇON

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

D'un monde à l'autre (SARL)

Défendeur :

De Neuville (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Mazarin

Conseillers :

Mme Uguen Laithier , M. Lévêque

T. com. Besançon, du 16 janv. 2019

16 janvier 2019

Faits et prétentions des parties

Saisi le 2 mars 2018 à la demande de la SARL « D'un monde à l'autre » au visa de l'article L. 442-6-5° du code de commerce afin de « constater la résiliation du contrat de marketing imputable à la SAS de Neuville » et en paiement de dommages-intérêts et indemnité de procédure, le tribunal de commerce de Besançon, par jugement rendu le 16 janvier 2019 :

- s'est déclaré compétent pour connaître du litige,

- a constaté la résiliation du contrat de marketing signé entre la société « D'un monde à l'autre » et la société de Neuville,

- a constaté que les relations commerciales entre les deux sociétés présentaient un caractère aléatoire,

- a constaté que l'article L. 442-6-I 5° du code de commerce est inapplicable à l'espèce,

- a jugé que la société « D'un monde à l'autre » n'a pas violé son engagement de non-concurrence tel que stipulé à l'article 3 du contrat,

- a débouté les parties de leur demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile,

- a laissé à la charge de la société « D'un monde à l'autre » les dépens en liquidant ceux de son jugement à la somme de 77,08 euros.

La société « D'un monde à l'autre » a régulièrement interjeté appel de ce jugement par déclaration parvenue au greffe le 4 février 2019 et, au dernier état de ses écrits transmis le 22 juin 2020, elle conclut à son infirmation partielle et demande à la cour de, au visa de l'article 1134 du code civil, de :

- constater que les relations commerciales qu'elle a établies avec la société de Neuville présentaient un caractère durable et établi et que cette dernière les a rompues brutalement sans respecter le préavis,

- la condamner à lui payer 278 000 euros outre intérêts et anatocisme et, en application de l'article 700 du code de procédure civile, 2 500 euros pour ses frais irrépétibles de première instance et 3 500 euros pour ceux d'appel ainsi qu'aux entiers dépens.

La société de Neuville a répliqué en dernier lieu le 18 juin 2020 pour demander à la cour d'infirmer le jugement entrepris en ce qu'il s'est déclaré compétent, dire que le tribunal de commerce a commis un excès de pouvoir, de déclarer la société « D'un monde à l'autre » irrecevable en ses demandes, subsidiairement de confirmer le jugement en ce qu'il l'en a déboutée et, en tout état de cause, de l'infirmer en ce qu'il a rejeté ses propres demandes et, statuant à nouveau de :

- juger que la société « D'un monde à l'autre » a violé son engagement de non-concurrence tel que stipulé à l'article 3 du contrat,

- juger qu'elle a mis en œuvre de manière fautive la clause résolutoire du contrat et manqué à son devoir de l'exécuter de bonne foi,

- la condamner à lui payer 60 000 euros à titre de dommages-intérêts et 25 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens d'instance et d'appel.

Pour l'exposé complet des moyens des parties, la cour se réfère à leurs dernières conclusions susvisées, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 23 juin 2020.

Motifs de la décision

La société de Neuville, chocolatier français à la tête d'un réseau comprenant 150 points de vente, et la société « D'un monde à l'autre » anciennement dénommée X, agence de publicité qui édite un site internet présentant son activité à l'adresse www.X.fr ont signé entre elles, le 19 septembre 2011, un « contrat de prestation marketing » (le contrat) déterminant les charges, conditions et modalités par lesquelles la société de Neuville confie, de façon non exclusive à la société X, la réalisation de diverses missions de développement de campagnes thématiques et de packaging et d'élaboration des designs produit, étiquette, sacs de magasins, supports PLV (pièce n° 1 de l'appelante), lequel a été résilié selon lettre recommandée avec demande d'avis de réception en date du 24 novembre 2017 (pièce n° 2) par la société « D'un monde à l'autre » qui a invoqué la clause résolutoire stipulée à l'article 10b) du contrat au motif que son cocontractant aurait manqué à ses obligations contractuelles en sollicitant de sa part, au cours des derniers mois, moins de devis que par le passé faisant passer son chiffre d'affaires de 239 064 euros en 2012 à 0 euros en 2017.

- Sur la recevabilité des demandes formées par la société « D'un monde à l'autre »,

Par exploit d'huissier délivré le 2 mars 2018, la société « D'un monde à l'autre » a assigné la société de Neuville sur le fondement de l'article L. 442-6-I-5° ancien du code de commerce aux fins de voir juger que celle-ci aurait rompu brutalement leurs relations commerciales.

Déboutée en première instance, elle a interjeté appel et dans ses conclusions d'appelant transmises le 3 mai 2019, elle a sollicité l'infirmation du jugement déféré au visa de l'article L. 442-6-I-5° ancien notamment en ce qu'il a « constaté que les relations commerciales entre les deux sociétés présentaient un caractère aléatoire... et que l'article L. 442-6-I-5° du code de commerce est inapplicable à l'espèce ».

Or, pour le ressort des cours d'appel de Besançon, Colmar, Dijon, Metz et Nancy, l'article D. 442-3 du code de commerce attribue de manière exclusive à la juridiction consulaire de Nancy la connaissance des litiges fondés sur l'article L. 442-6.

Dès lors, en méconnaissant l'objet du litige tel que déterminé par les conclusions de la demanderesse prises au visa de l'article L. 442-6-I-5° du code de commerce et en refusant d'appliquer les textes législatif et réglementaire d'ordre public sus-rappelés, c'est par excès de pouvoir que le tribunal de commerce de Besançon s'est déclaré « compétent » alors que, dépourvu de tout pouvoir juridictionnel pour statuer sur les demandes formées par la société « D'un monde à l'autre », il devait les déclarer irrecevables.

Le jugement déféré sera par suite infirmé de ce chef.

- Sur l'appel incident,

La demande de la société de Neuville, tendant à voir juger que la société « D'un monde à l'autre » a mis en œuvre de manière fautive la clause résolutoire du contrat, en ce qu'elle impose au juge d'apprécier la brutalité de la rupture des relations contractuelles entre les parties, se heurte à la même fin de non-recevoir que ci-dessus.

Au visa de l'article 1134 du code civil la société de Neuville reproche à la société « D'un monde à l'autre » d'avoir gravement manqué à ses obligations contractuelles par la violation de son engagement de non-concurrence stipulé à l'article 3 du contrat en collaborant avec le chocolatier Y au plus tard à partir de janvier 2017.

Il ressort des pièces n° 7 à 10 de l'intimée, que le chocolatier Y a, dès le mois de septembre 2015, lancé son réseau national de distribution exclusive après la création de deux boutiques à Dijon et l'implantation de quatre autres au Japon.

Il s'ensuit qu'en reconnaissant avoir, au moins pendant l'année 2017 et sans autorisation de la société de Neuville, obtenu de ce chocolatier diverses missions pour un chiffre d'affaires de 54 000 euros, la société « D'un monde à l'autre » a, par là même, reconnu avoir violé son engagement de non-concurrence tel que stipulé à l'article 3 du contrat qui lui interdisait, sans autre condition, d'effectuer des prestations telles que celles définies à l'article 2 en faveur de sociétés fabricant et commercialisant au travers d'un réseau de boutiques, des produits directement concurrents de ceux de la société de Neuville, tels que produits à base de chocolat.

Le jugement déféré sera dès lors infirmé en ce qu'il a jugé le contraire.

Mais si une telle violation contractuelle a manifestement causé à la société de Neuville un préjudice moral, celle-ci ne verse au dossier de la cour aucun élément de nature à démontrer qu'elle lui aurait aussi causé un préjudice matériel de sorte qu'elle n'apparaît fondée en sa demande d'indemnisation formée, en outre, « toutes causes de préjudice confondues », qu'à hauteur de 2 000 euros.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant contradictoirement, après débats en audience publique et en avoir délibéré conformément à la loi,

Infirme le jugement rendu le 16 janvier 2019 par le tribunal de commerce de Besançon sauf en ce qu'il a laissé à la charge de la société « D'un monde à l'autre » les dépens et liquidé ceux de son jugement à la somme de 77,08 euros.

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Déclare la SARL « D'un monde à l'autre » irrecevable en ses demandes.

Déclare la SAS de Neuville irrecevable en sa demande de dommages-intérêts fondée sur la mise en œuvre fautive de la clause résolutoire du contrat par la SARL « D'un monde à l'autre ».

Condamne la SARL « D'un monde à l'autre » à payer à la SAS de Neuville la somme de deux mille (2 000) euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice moral qu'elle lui a causé en violant son engagement de non-concurrence.

Déboute la SAS de Neuville du surplus de ses demandes.

Condamne la SARL « D'un monde à l'autre » aux dépens d'appel.

Et, vu l'article 700 du code de procédure civile, la déboute de ses demandes et la condamne à payer à la SAS de Neuville la somme de sept mille (7 000) euros en indemnisation des frais irrépétibles qu'elle a exposés en première instance et en appel.