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Décisions

Cass. com., 16 décembre 2020, n° 19-12.820

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

PARTIES

Demandeur :

Lidl (SNC)

Défendeur :

Carrefour hypermarchés (SAS), CSF (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Mouillard

Rapporteur :

Mme Poillot-Peruzzetto

Avocat général :

M. Douvreleur

Avocats :

SARL Cabinet Briard, SCP Delvolvé et Trichet

Paris, Pôle 5 ch. 4, du 6 févr. 2019

6 février 2019

 Faits et procédure  

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 6 février 2019), la société Lidl exploite sur le territoire français une chaîne de supermarchés à prédominance alimentaire. Les sociétés Carrefour hypermarchés et CSF (les sociétés Carrefour) font partie du « groupe » Carrefour, la première étant spécialisée dans les hypermarchés, la seconde exploitant des supermarchés sous l'enseigne « Market ».

2. Reprochant à la société Lidl de ne pas avoir respecté, de septembre à novembre 2015, les dispositions de l'article 8 du décret no 92-280 du 27 mars 1992 prohibant les publicités télévisuelles pour des ventes promotionnelles du secteur de la distribution, les sociétés Carrefour l'ont assignée en suspension de la diffusion de publicités télévisées ainsi qu'en réparation de leur préjudice.

Examen des moyens  

Sur le premier moyen  

Enoncé du moyen

3. La société Lidl fait grief à l'arrêt de dire qu'elle s'est rendue coupable d'actes de concurrence déloyale, alors :

« 1°) qu'en application du principe d'harmonisation complète, dès lors que le décret no 92-280 du 27 mars 1992 évoque, même de manière minime, l'objectif de protection des consommateurs visé par la directive 2005/29/CE du 11 mai 2005 relative aux pratiques commerciales déloyales, celle-ci doit s'appliquer ; qu'en relevant néanmoins que la pratique visée à l'article 8 du décret de 1992 n'entrait pas dans le champ d'application de ladite directive dès lors qu'elle "ne vise pas directement à protéger le consommateur (…) mais à préserver l'attractivité des différents médias par rapport à la télévision, au regard de la publicité des annonceurs", la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

2°) que, s'il devait exister un doute sur l'interprétation, notamment, des articles 3 et 5 de la directive PCD, il appartiendrait à la Cour de cassation, conformément à l'article 267 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, de renvoyer à la Cour de justice de l'Union européenne la question préjudicielle suivante : "Les articles 3 paragraphe 1, et 5 paragraphe 5 de la directive PCD (ou d'autres dispositions de cette directive) doivent-ils être interprétés en ce sens qu'ils s'opposent à une réglementation nationale aux termes de laquelle la diffusion d'opérations commerciales de promotion à la télévision pour le secteur de la distribution est interdite de manière générale, sans obligation de vérifier au cas par cas le caractère trompeur, agressif ou déloyal d'une telle pratique commerciale ?". »

Réponse de la Cour  

4. Aux termes de son considérant 6, la directive no 2005/29/CE du 11 mai 2005 a pour objet de rapprocher les législations des États membres relatives aux pratiques commerciales déloyales, y compris la publicité déloyale, portant atteinte directement aux intérêts économiques des consommateurs et, par conséquent, indirectement aux intérêts économiques des concurrents légitimes, mais ne couvre ni n'affecte les législations nationales relatives aux pratiques commerciales déloyales qui portent atteinte uniquement aux intérêts économiques de concurrents. Aux termes de son considérant 8, elle protège expressément les intérêts économiques des consommateurs contre les pratiques commerciales déloyales des entreprises à leur égard, de sorte qu'elle protège aussi indirectement les entreprises légitimes contre les concurrents qui ne suivent pas les règles du jeu fixées par la directive, garantissant ainsi une concurrence loyale dans le secteur d'activité qu'elle coordonne.

5. La Cour de justice de l'Union européenne, saisie de la question de savoir si cette directive s'oppose à des dispositions nationales qui prévoient l'interdiction générale d'une pratique, retient que, pour y répondre, il importe, à titre liminaire, de déterminer si la disposition nationale applicable aux faits de l'espèce poursuit des finalités tenant à la protection des consommateurs, de telle sorte qu'elle soit susceptible de relever du champ d'application de la directive sur les pratiques commerciales déloyales et ajoute qu'il ne lui appartient pas de se prononcer, dans le cadre d'un renvoi préjudiciel, sur l'interprétation du droit interne, cette mission incombant exclusivement à la juridiction de renvoi (CJUE, Ordonnance Cdiscount, C-13/15, 8 septembre 2015).  

6. L'article 8 du décret no 92-280 du 27 mars 1992 fixant les principes généraux définissant les obligations des éditeurs de service de télévision en matière de publicité, de parrainage et de télé-achat, prohibe la publicité concernant notamment certains produits et secteurs économiques, en particulier celui de la distribution pour les opérations commerciales de promotion se déroulant entièrement ou principalement sur le territoire national, sous réserve de certaines exceptions territoriales, l'opération commerciale de promotion étant entendue comme toute offre de produits ou de prestations de service faite aux consommateurs ou toute organisation d'événements qui présente un caractère occasionnel ou saisonnier, résultant notamment de la durée de l'offre, des prix et des conditions de vente annoncés, de l'importance du stock mis en vente, de la nature, de l'origine ou des qualités particulières des produits ou services ou des produits ou prestations ou accessoires offerts.

7. L'arrêt énonce exactement que l'interdiction de la publicité portant sur les ventes promotionnelles de la grande distribution sur les chaînes de télévision, instituée par ces dispositions, dans leur rédaction applicable aux faits de l'espèce, ne vise pas directement à protéger le consommateur, celui-ci pouvant être informé de ces opérations commerciales par d'autres médias, mais à préserver l'attractivité, pour les annonceurs, des différents médias par rapport à la télévision et à éviter ainsi que la publicité de la grande distribution, qui constitue une source de revenus publicitaires importante, ne se concentre sur les régies publicitaires des chaînes de télévision. Ayant ainsi fait ressortir que l'article 8 du décret en cause, applicable aux faits de l'espèce, n'a pas pour finalité la protection des consommateurs et, partant, ne relève pas du champ d'application de la directive sur les pratiques commerciales déloyales, l'arrêt en déduit à bon droit qu'il n'y a pas lieu de vérifier la conformité de l'article 8 précité à cette directive et, par conséquent, de poser une question préjudicielle à la Cour de justice de l'Union européenne.  

8. Le moyen n'est donc pas fondé.

Sur le deuxième moyen  

Enoncé du moyen

9. La société Lidl fait grief à l'arrêt de lui enjoindre de diffuser à ses frais le dispositif du présent arrêt, accessible en un seul clic sur un lien de taille minimum 100 x 20 pixels figurant sur la page d'accueil du site www.lidl.fr dans le délai de deux mois à compter de la signification de l'arrêt et pendant une durée de deux mois, alors « que la cassation à intervenir sur la base du premier moyen faisant grief à l'arrêt d'avoir dit que la société Lidl s'était rendue coupable d'actes de concurrence déloyale entraînera par voie de conséquence, en application des articles 624 et 625 du code de procédure civile, l'annulation du chef de l'arrêt attaqué condamnant la société Lidl à diffuser à ses frais le dispositif du présent arrêt, accessible en un seul clic sur un lien de taille minimum 100 x 20 pixels figurant sur la page d'accueil du site www.lidl.fr dans le délai de deux mois à compter de la signification de l'arrêt et pendant une durée de deux mois. »

Réponse de la Cour  

10. Le rejet du premier moyen rend le moyen sans portée.

Sur le troisième moyen  

Enoncé du moyen

11. La société Lidl fait grief à l'arrêt de la condamner à payer la somme de trois millions d'euros à chacune des sociétés Carrefour, alors :

« 1°) que la cassation à intervenir sur la base du premier moyen faisant grief à l'arrêt d'avoir dit que la société Lidl s'était rendue coupable d'actes de concurrence déloyale entraînera par voie de conséquence, en application des articles 624 et 625 du code de procédure civile l'annulation du chef de l'arrêt attaqué condamnant la société Lidl à payer la somme de 3 millions d'euros à chacune des sociétés Carrefour ;

2°) qu'en vertu du principe de la réparation intégrale, les dommages-intérêts alloués à une victime doivent réparer le préjudice subi sans qu'il en résulte pour elle ni perte, ni profit ; qu'en allouant aux sociétés Carrefour, outre une somme mathématiquement justifiée de 2 238 609,50 euros chacune, une somme de 761 390,50 euros chacune, sans expliquer par quel calcul mathématique elle était parvenue à cette seconde somme, la cour d'appel a entaché sa décision d'un défaut de base légale au regard de l'article 1240 du code civil, ensemble le principe susvisé ;

3°) que les juges du fond ne peuvent dénaturer les termes clairs et précis des pièces fournies aux débats par les parties ; qu'en considérant que la société Lidl n'avait pas utilement contesté les chiffres apportés par les sociétés Carrefour et issus d'un panéliste sur le budget qu'elle avait consacré aux spots publicitaires, "se content[ant] de les mettre en cause, sans en rapporter la preuve contraire", cependant que la société Lidl avait produit en pièce 24 une attestation de son propre commissaire aux comptes faisant état des véritables budgets issus de sa comptabilité, la cour d'appel a dénaturé les termes clairs et précis des conclusions et pièces produites par la société Lidl et violé le principe susvisé, ensemble les articles 4 et 5 du code de procédure civile. » Réponse de la Cour  

12. D'une part, le rejet du premier moyen rend sans portée le grief de la première branche.

13. D'autre part, après avoir retenu que l'intégralité du préjudice économique ne peut être réparée par la seule indemnisation du coût que représente une campagne publicitaire rapportée aux parts de marché des sociétés Carrefour et qu'il y a lieu de tenir compte de ce que ces sociétés, victimes des publicités illicites de la société Lidl, qui combinent la visibilité d'une publicité télévisuelle et l'attractivité de la promotion, ne peuvent utiliser les mêmes armes qu'elle, et de ce que ces publicités télévisuelles, conjuguées aux publicités institutionnelles classiques, ont un effet fortement fidélisant, augmentant, de ce fait, le coût des campagnes de publicité de reconquête, c'est dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation que la cour d'appel a évalué le préjudice causé aux sociétés Carrefour.

14. Enfin, en retenant que la société Lidl se contentait de contester le coût de ses campagnes illicites, retenu pour évaluer celui de la publicité que les sociétés Carrefour devraient diffuser en réponse pour contrebalancer les effets négatifs de ces campagnes sur leur propre chiffre d'affaires, sans rapporter la preuve contraire, la cour d'appel n'a pas dénaturé l'attestation du commissaire aux comptes de la société Lidl relative à ses budgets de publicité mais a considéré, dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation des éléments de preuve qui lui étaient soumis, que cette pièce n'avait pas la portée que lui prêtait la société Lidl.

15. Le moyen n'est dès lors pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.