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Décisions

Cass. com., 16 décembre 2020, n° 19-16.760

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

PARTIES

Demandeur :

Lidl (SNC)

Défendeur :

ITM alimentaire international (Sasu)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Mouillard

Rapporteur :

Mme Poillot-Peruzzetto

Avocat général :

M. Douvreleur

Avocats :

SARL Cabinet Briard, SCP Piwnica et Molinié

Paris, Pôle 5 ch. 4, du 24 avr. 2019

24 avril 2019

Faits et procédure  

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 24 avril 2019), la société Lidl, ayant pour activité la grande distribution dans l'alimentation, le petit électro-ménager et le bricolage, exploite sur le territoire français une chaîne de supermarchés.  

2. La société ITM alimentaire international (la société ITM) est chargée de la stratégie et de la politique commerciale des enseignes de distribution du groupement Les Mousquetaires, et notamment de l'enseigne Intermarché.

3. Reprochant à la société Lidl de ne pas avoir respecté, au cours des années 2015 et 2016, les dispositions de l'article 8 du décret n° 92-280 du 27 mars 1992 prohibant les publicités télévisuelles pour des ventes promotionnelles du secteur de la distribution, la société ITM l'a assignée en réparation de son préjudice résultant de pratiques commerciales déloyales.

Examen des moyens

Sur le premier moyen  

Enoncé du moyen

4. La société Lidl fait grief à l'arrêt de dire qu'en violant l'interdiction de ventes promotionnelles de la grande distribution sur les chaînes de télévision prévue à l'article 8 du décret n° 92-280 du 27 mars 1992, elle a commis des actes de concurrence déloyale, alors :  

« 1°) qu'en application du principe d'harmonisation complète, dès lors que le décret n° 92-280 du 27 mars 1992 évoque, même de manière partielle, l'objectif de protection des consommateurs visé par la directive 2005/29/CE du 11 mai 2005 relative aux pratiques commerciales déloyales, celle-ci doit s'appliquer ; qu'en relevant néanmoins que la pratique visée à l'article 8 du décret de 1992 n'entrait pas dans le champ d'application de ladite directive dès lors que "son objectif n'est pas de protéger le consommateur, mais de préserver l'attractivité des différents médias par rapport à la télévision, au regard de la publicité des annonceurs", la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

2°) que, s'il devait exister un doute sur l'interprétation, notamment, des articles 3 et 5 de la directive PCD, il appartiendrait à la Cour de cassation, conformément à l'article 267 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, de renvoyer à la Cour de justice de l'Union européenne la question préjudicielle suivante : "Les articles 3 paragraphe 1, et 5 paragraphe 5 de la directive PCD (ou d'autres dispositions de cette directive) doivent-ils être interprétés en ce sens qu'ils s'opposent à une réglementation nationale aux termes de laquelle la diffusion d'opérations commerciales de promotion à la télévision pour le secteur de la distribution est interdite de manière générale, sans obligation de vérifier au cas par cas le caractère trompeur, agressif ou déloyal d'une telle pratique commerciale ?" 3°) qu'en tout état de cause, le critère de "l'importance des stocks" mis en vente à l'occasion d'une opération commerciale de promotion, visée à l'article 8 du décret du 27 mars 1992, doit s'appréhender au niveau de l'ensemble des magasins, et non magasin par magasin ; qu'en écartant cette interprétation au motif que le décret de 1992 "prévoit que les produits doivent être offerts à la vente pendant toute la durée de quinze semaines » et que "les campagnes publicitaires télévisées de Lidl étant diffusées sur le territoire national, la présence de ces produits sur tous les lieux de vente situés sur l'ensemble du territoire national était présumée", la cour d'appel a violé les dispositions susvisées. »

Réponse de la Cour  

5. En premier lieu, aux termes de son considérant 6, la directive 2005/29/CE du 11 mai 2005 a pour objet de rapprocher les législations des États membres relatives aux pratiques commerciales déloyales, y compris la publicité déloyale, portant atteinte directement aux intérêts économiques des consommateurs et, par conséquent, indirectement aux intérêts économiques des concurrents légitimes, mais ne couvre ni n'affecte les législations nationales relatives aux pratiques commerciales déloyales qui portent atteinte uniquement aux intérêts économiques de concurrents. Aux termes de son considérant 8, elle protège expressément les intérêts économiques des consommateurs contre les pratiques commerciales déloyales des entreprises à leur égard, de sorte qu'elle protège aussi indirectement les entreprises légitimes contre les concurrents qui ne suivent pas les règles du jeu fixées par la directive, garantissant ainsi une concurrence loyale dans le secteur d'activité qu'elle coordonne.

6. La Cour de justice de l'Union européenne retient que, pour répondre à la question de savoir si cette directive s'oppose à des dispositions nationales qui prévoient l'interdiction générale d'une pratique, il importe, à titre liminaire, de déterminer si la disposition nationale applicable aux faits de l'espèce poursuit des finalités tenant à la protection des consommateurs, de telle sorte qu'elle soit susceptible de relever du champ d'application de la directive sur les pratiques commerciales déloyales, et ajoute qu'il ne lui appartient pas de se prononcer, dans le cadre d'un renvoi préjudiciel, sur l'interprétation du droit interne, cette mission incombant exclusivement à la juridiction de renvoi (CJUE, Ordonnance Cdiscount, C-13/15, 8 septembre 2015).  

7. L'article 8 du décret n° 92-280 du 27 mars 1992 fixant les principes généraux définissant les obligations des éditeurs de service de télévision en matière de publicité, de parrainage et de télé-achat, prohibe la publicité concernant notamment certains produits et secteurs économiques, en particulier celui de la distribution pour les opérations commerciales de promotion se déroulant entièrement ou principalement sur le territoire national, sous réserve de certaines exceptions territoriales, l'opération commerciale de promotion étant entendue comme toute offre de produits ou de prestations de service faite aux consommateurs ou toute organisation d'événements qui présente un caractère occasionnel ou saisonnier, résultant notamment de la durée de l'offre, des prix et des conditions de vente annoncés, de l'importance du stock mis en vente, de la nature, de l'origine ou des qualités particulières des produits ou services ou des produits ou prestations ou accessoires offerts.

8. Après avoir rappelé les termes du rapport au premier ministre relatif au décret n° 2003-960 du 7 octobre 2003 modifiant le décret n° 92-280 du 27 mars 1992 et de l'avis du Conseil supérieur de l'audiovisuel du 22 juillet 2003 sur les projets de décrets relatifs à la publicité, au parrainage et au télé-achat, que le rapport d'information n° 413 (2004-2005) de la délégation du Sénat ne contredit pas, l'arrêt retient que l'interdiction de la publicité de ventes promotionnelles de la grande distribution sur les chaînes de télévision vise toutes les promotions télévisuelles de ce secteur car son objectif n'est pas de protéger le consommateur mais de préserver l'attractivité des différents médias par rapport à la télévision, au regard de la publicité des annonceurs, afin que la publicité de la grande distribution, qui constitue une source importante de revenus, ne se concentre pas sur les régies publicitaires des chaînes de télévision. Il ajoute que la circonstance, spécifique à l'espèce, que la promotion illégale ait revêtu une forme dissimulée, donc potentiellement déloyale, qualifiée d'ailleurs par la société ITM également sur le fondement du code de la consommation, ne doit pas induire la confusion sur l'objet, distinct, de l'interdiction générale posée par l'article 8 du décret de 1992.

9. De ces énonciations et appréciations, la cour d‘appel a déduit à bon droit que l'article 8 du décret ne tend pas à la protection du consommateur et n'entre donc pas dans le champ d'application de la directive 2005/29/CE du 11 mai 2005 sur les pratiques commerciales déloyales, de sorte qu'il n'y a pas lieu de vérifier sa conformité à ladite directive et, par conséquent, de poser une question préjudicielle à la Cour de justice de l'Union européenne.

10. En second lieu, après avoir rappelé que la publicité à la télévision des opérations promotionnelles du secteur de la distribution est interdite et que doivent être qualifiées de promotions les opérations « éphémères », caractérisées par une exposition à la vente en magasin courte, inférieure, selon l'Autorité de régulation professionnelle de la publicité, à quinze semaines, l'arrêt, retenant que la doctrine de cet organisme, bien que dépourvue de force contraignante, traduit un usage de la profession et permet ainsi d'interpréter l'interdiction de diffusion à la télévision d'opérations commerciales de promotion prévue par l'article 8 du décret de 1992, relève que les cinq produits mis en avant dans les spots télévisés diffusés en avril, mai et juin 2016 n'étaient plus offerts à la vente dans aucun des quatre magasins Lidl visités par l'huissier de justice, le 19 juillet 2016, cependant qu'ils auraient dû y être présents pendant une durée de quinze semaines à compter de la date annoncée de disponibilité en magasin. Il relève également que, dans les vingt-deux magasins visités par les huissiers de justice le 8 décembre 2015, la très grande majorité des vingt-trois produits alimentaires et produits de petit électroménager et de bricolage, mis en avant dans les spots diffusés de septembre à novembre 2015, étaient absents des rayons des magasins visités. Il constate encore que les campagnes publicitaires télévisées de Lidl étaient diffusées sur le territoire national et que les spots n'ont jamais précisé que les produits en cause étaient disponibles dans un nombre limité de points de vente Lidl, ce qui laissait penser qu'ils le seraient sur l'ensemble du territoire national. Il retient enfin que, si la société Lidl démontre l'existence d'un stock résiduel à l'issue de la période de quinze semaines et prétend que la disponibilité des stocks mis en vente doit s'appréhender au niveau de l'ensemble des magasins, soit 1 500 points de vente Lidl en France, les stocks étant disponibles, tous magasins confondus, pendant au moins quinze semaines, il est établi que l'essentiel des ventes des produits ainsi promus intervenait dans les deux à quatre premières semaines de leur mise en vente, que le niveau de stock invoqué était quasiment atteint à l'issue de la quatrième semaine et qu'elle n'avait procédé à aucun réassortiment.  

11. En l'état de ces énonciations, constatations et appréciations, la cour d‘appel a exactement retenu que les opérations commerciales litigieuses étaient des opérations de promotion dont la publicité par voie de télévision était interdite par l'article 8 du décret n°92-280 du 27 mars 1992.

12. Le moyen n'est donc pas fondé.

Sur le second moyen  

Enoncé du moyen

13. La société Lidl fait grief à l'arrêt de la condamner à payer la somme de 3 700 000 euros à la société ITM, alors :  

« 1°) que la cassation à intervenir sur la base du premier moyen faisant grief à l'arrêt d'avoir dit que la société Lidl s'était rendue coupable d'actes de concurrence déloyale par violation de l'article 8 du décret du 27 mars 1992 entraînera par voie de conséquence, en application des articles 624 et 625 du code de procédure civile l'annulation du chef de l'arrêt attaqué condamnant la société Lidl à payer la somme de 3,7 millions d'euros à la société ITM.

2°) qu'en tout état de cause, en vertu du principe de la réparation intégrale, les dommages-intérêts alloués à une victime doivent réparer le préjudice subi sans qu'il en résulte pour elle ni perte, ni profit ; qu'en allouant à la société ITM, outre une somme mathématiquement justifiée de 2 959 590 euros, une somme de 740 410 euros, sans expliquer par quel calcul mathématique elle était parvenue à cette seconde somme, la cour d'appel a entaché sa décision d'un défaut de base légale au regard de l'article 1240 du code civil, ensemble le principe susvisé ;

3°) que les juges du fond ne peuvent dénaturer les termes clairs et précis des pièces fournies aux débats par les parties ; qu'en considérant que l'attestation de son commissaire du comptes produite par la société Lidl n'était "corroborée par aucune pièce comptable, de sorte qu'elle ne saurait prévaloir sur les données officielles Kantar Média et Aréna Média", ces deux organismes n'étant pourtant nullement des sources officielles, la cour d'appel a dénaturé les termes clairs et précis de ces éléments de preuve et violé le principe susvisé, ensemble l'article 1103 du code civil, anciennement article 1134 du code civil. »

Réponse de la Cour

14. La réponse au premier moyen rend sans portée le grief de la première branche.

15. Après avoir retenu que l'intégralité du préjudice économique ne peut être réparée par la seule indemnisation du coût que représente une campagne publicitaire rapportée à la part de marché de la société ITM pour contrebalancer les effets négatifs des publicités illicites et qu'il y a lieu de tenir compte de ce que cette société, victime des publicités de la société Lidl, qui combinent la visibilité d'une publicité télévisuelle et l'attractivité de la promotion, ne peut utiliser les mêmes armes qu'elle, et de ce que ces publicités télévisuelles conjuguées aux publicités institutionnelles classiques ont un effet fortement fidélisant, augmentant, de ce fait, le coût des campagnes de publicité de reconquête, c'est dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation que la cour d'appel a évalué le préjudice causé à la société ITM et a condamné la société Lidl à lui payer la somme de 3 700 000 euros.

16. En retenant que la société Lidl se contentait de contester le coût de ses campagnes illicites, retenu pour évaluer celui de la publicité que la société ITM devrait diffuser en réponse pour contrebalancer les effets négatifs de ces campagnes sur son propre chiffre d'affaires, sans rapporter la preuve contraire, la cour d'appel n'a pas dénaturé l'attestation du commissaire aux comptes de la société Lidl relative à ses budgets de publicité mais considéré, dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation des éléments de preuve qui lui étaient soumis, que cette pièce n'avait pas la portée que lui prêtait la société Lidl.

17. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.