CA Bordeaux, 1re ch. civ., 15 décembre 2020, n° 19/03821
BORDEAUX
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
New Jump International (SAS), New Jump (SAS)
Défendeur :
Cp Sports & Health (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Potee
Conseillers :
M. Braud, Mme Vallee
Avocat :
SELARL Lexavoue Bordeaux
EXPOSE DU LITIGE
La SAS NEW JUMP International et la SAS NEW JUMP (ci-après les sociétés NEW JUMP) exposent qu’elles bénéficient de contrats de licence sur deux marques comportant la dénomination « NEW JUMP » déposées les 1er août 2016 et 15 juin 2017 par son fondateur, M. S., qui a créé des activités et des cours de trampoline dans des parcs de loisirs et qu'il a ainsi été développé sous ce nom un réseau de concessionnaires sur tout le territoire français.
Les deux sociétés indiquent que la SAS CP SPORTS & HEALTH a déposé le 4 novembre 2018 une marque 'YOU JUMP' désignant les mêmes produits et services, et créé un site internet <youjump.fr>.
Par acte du 4 avril 2019, les sociétés NEW JUMP ont fait assigner la société CP SPORTS & HEALTH devant le juge des référés du tribunal de grande instance de Bordeaux, afin qu'il se prononce sur des actes de contrefaçon de marque et de concurrence déloyale.
Les sociétés NEW JUMP soutenaient qu'il existe un risque de confusion entre les marques au regard de la similitude visuelle, phonétique et conceptuelle, YOU JUMP imitant l'élément NEW JUMP qui constitue le caractère distinctif et dominant des marques antérieures. Elles soulignaient l'importance du préjudice au regard des redevances attendues des concessionnaires et de la perte de crédibilité auprès des partenaires.
Par ordonnance du 1er juillet 2019, le juge des référés a rejeté les demandes des sociétés NEW JUMP et les a condamnés à payer à la SAS CP SPORTS & HEALTH la somme de 3 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et les dépens.
Pour ce faire, le tribunal a considéré pour l'essentiel que :
Sur la contrefaçon :
Le risque de confusion était insuffisamment caractérisé en ce que :
- les marques NEW JUMP LETS GO et YOU JUMP, qui se différencient visuellement et phonétiquement, n'ont en commun que le seul mot JUMP qui n'a qu'une distinctivité faible pour désigner une activité de saut en trampoline, le tribunal relevant qu'il existait 173 dénominations comprenant le terme JUMP, déposées dans le répertoire INPI en classe 41, concernant les mêmes activités que celles en cause.
- la marque NEW JUMP GOOOO! LANGON est encore plus nettement différenciée puisqu'elle présente une calligraphie particulière accompagnée de dessins, alors que la marque verbale YOU JUMP est représentée en lettres majuscules noires d'une police de caractère courante.
Sur la concurrence déloyale :
- il n'est pas démontré que la société SPORTS & HEALTH utilisait une dénomination susceptible de créer une confusion entre les produits pour les consommateurs, ses visuels sur son site ou ses flyers publicitaires ne ressemblant pas à ceux des sociétés NEW JUMP, sauf à relever qu'ils sont multicolores et représentent des personnes en action de saut, ce qui est commun pour une activité sportive. L'existence d'un trouble manifestement illicite n'était donc pas démontré.
Les sociétés NEW JUMP ont relevé appel de cette ordonnance par déclaration du 8 juillet 2019 et par conclusions déposées le 23 octobre 2020, elles demandent à la cour de :
- les recevoir en leur appel, et les déclarer bien fondées,
- réformer l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a rejeté leurs demandes et les a condamnés à payer à la S.A.S. CP SPORTS & HEALTH la somme de 3 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile outre les dépens,
Statuant à nouveau et y ajoutant
A l'égard de la société New Jump International :
A titre principal,
- dire que la société CP SPORTS & HEALTH a vraisemblablement porté atteinte aux droits de la société New Jump International sur les marques antérieures NEW JUMP n°4291217 et n°4368721 en ayant déposé postérieurement et exploité la marque YOU JUMP ;
- dire que la société CP SPORTS & HEALTH s'est rendue coupable d'actes de concurrence déloyale distincts de la contrefaçon de marque à l'égard de la société New Jump International, lui causant un trouble manifestement illicite,
En conséquence,
- condamner la société CP SPORTS & HEALTH à payer à la société New Jump International la somme de 560 000 € à titre de provision à valoir sur la réparation du préjudice matériel subi, et 50 000 € à titre de provision à valoir sur la réparation de son préjudice moral, du fait de l'atteinte à ses droits sur les marques NEW JUMP et des actes de concurrence déloyale distincts à la contrefaçon ;
A titre subsidiaire à la contrefaçon,
- dire que la société CP SPORTS & HEALTH a, en tout état de cause, commis des actes de concurrence déloyale et parasitaire subsidiaire à la contrefaçon de marque, à l'encontre de la société New Jump International, lui causant un trouble manifestement illicite ;
En conséquence,
- condamner la société CP SPORTS & HEALTH à payer à la société New Jump International la somme de 560 000 € à titre de provision à valoir sur la réparation du préjudice matériel subi, et 50 000 € à titre de provision à valoir sur la réparation de son préjudice moral, en raison des actes de concurrence déloyale et parasitaire subsidiaires à la contrefaçon de marque ;
A l'égard de la société New Jump :
- dire que la société CP SPORTS & HEALTH s'est rendue coupable d'actes de concurrence déloyale à l'égard de la société New Jump, lui causant un trouble manifestement illicite ;
En conséquence,
- condamner la société CP SPORTS & HEALTH à payer à la société New Jump la somme de 60 000 € à titre de provision à valoir sur la réparation de son préjudice matériel, et 50 000 € à titre de provision à valoir sur la réparation de son préjudice moral, en raison des actes de concurrence déloyale commis à son encontre ;
En tout état de cause,
- ordonner sous astreinte de 1 000 € par jour ou par infraction constatée à compter de la décision à intervenir :
La suppression du nom de domaine <youjump.fr> réservé en contrariété avec les dispositions de l'article L.45-2 du Code des postes et communications électroniques ;
La confiscation et la destruction de tous catalogues, prospectus ou affiches comportant le signe YOU JUMP, et de ceux reproduisant les éléments de communication des appelantes ;
La cessation de tout usage du signe YOU JUMP à quelque titre que ce soit et sous quelque forme que ce soit, et la cessation d'usage de tout élément reproduisant les éléments de communication des appelantes ;
La suppression des pages Facebook YOU JUMP AMIENS, YOU JUMP TOULON, YOU JUMP CHAMBLY, YOU JUMP MARSEILLE, YOU JUMP BEAUVAIS et YOU JUMP VALENCE ;
L'interdiction d'ouvrir au public les centres YOU JUMP listés sur le site internet www.youjump.fr, en ce compris celui de Bordeaux, ou tout autre nouveau centre sous le signe YOU JUMP.
- se réserver la liquidation des astreintes ordonnées au titre de l'ordonnance à intervenir ;
- condamner la société CP SPORTS & HEALTH à payer à la société New Jump International et à la société New Jump la somme de 6 000 € chacune au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens, en ce compris les frais du procès-verbal de constat d'huissier du 29 mai 2019.
Par conclusions déposées le 22 octobre 2020, la société CP SPORTS & HEALTH demande à la cour de confirmer l'ordonnance entreprise en toutes ses dispositions, de débouter les sociétés NEW JUMP et de condamner chacune d'elles à lui verser la somme de 5 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens de l'instance.
L'affaire a été fixée à bref délai à l'audience collégiale du 10 novembre 2020.
MOTIFS DE LA DECISION
Il y a lieu de noter à titre liminaire que la compétence territoriale de la juridiction bordelaise et la recevabilité des demandes des sociétés appelantes sur le fondement de l'article 716-5 du code de la propriété intellectuelle ne sont plus contestées en appel.
Par ailleurs, si l'intimée invoque l'irrecevabilité comme nouvelles en appel, des demandes en concurrence déloyale formées à titre subsidiaire à la contrefaçon par la société NEW JUMP INTERNATIONAL et l'irrecevabilité des demandes formées à titre principal sur le fondement de la concurrence déloyale en raison de l'absence de faits distincts de la contrefaçon, ces moyens d'irrecevabilité ne sont pas repris dans le dispositif des conclusions qui seul lie la cour de sorte qu'il n'y a pas lieu de les examiner.
Sur la contrefaçon
Les sociétés appelantes soutiennent que le premier juge a écarté à tort le risque de confusion entre les deux marques antérieures comportant l'expression NEW JUMP et la marque YOU JUMP alors que ces signes, déposés pour des produits et services similaires, présentent une forte similitude visuelle, phonétique et conceptuelle.
Les sociétés NEW JUMP précisent que si le risque de confusion doit être apprécié globalement, cette appréciation n'exclut pas pour autant que l'impression d'ensemble puisse être dominée par un ou plusieurs des composants de la marque si tous les autres sont négligeables, ce qui est le cas en l'espèce, l'élément « NEW JUMP » apparaissant aux yeux du consommateur moyen comme l'élément dominant au sein des marques antérieures.
L'intimée rappelle que le risque de confusion s'apprécie par comparaison abstraite des marques telles que déposées et elle estime que les appelantes ne sont pas fondées à isoler un extrait des marques antérieures pour démontrer ce risque en excluant arbitrairement les autres composants de ces marques présentés comme accessoires. Elle souligne la banalité du terme JUMP pour désigner des activités sportives et de loisirs comme le trampoline et rejette toute vraisemblance de contrefaçon par comparaison visuelle, phonétique et intellectuelle des marques en cause.
La société NEW JUMP INTERNATIONAL détient par contrat de licence exclusive l'exploitation de la marque verbale NEW JUMP LET'S GO et de la marque semi-figurative NEW JUMP GOOOO ! LANGON TRAMPOLINE PARK et elle invoque la vraisemblance de la contrefaçon de ces marques par la marque YOU JUMP déposée postérieurement par la société CP SPORTS & HEALTH.
L'appréciation du risque de confusion doit se faire par comparaison abstraite des marques telles que déposées et par une appréciation globale fondée sur l'impression d'ensemble produite par les marques en termes de similitude visuelle, auditive ou conceptuelle, en tenant compte, notamment, de leurs éléments distinctifs et dominants.
En l'espèce, il n'est pas contestable que, comme l'a noté le premier juge, tant la marque verbale NEW JUMP LET'S GO que la marque semi-figurative complexe NEW JUMP GOOOO ! LANGON TRAMPOLINE PARK prises dans leur globalité, sont nettement différentes au plan visuel et phonétique de la marque verbale YOU JUMP et que le seul mot commun à ces marques, le mot JUMP, est faiblement distinctif pour identifier une activité de trampoline puisque de nombreuses enseignes, spécialisées dans cette discipline, présentent leur activité sous une appellation comportant le terme JUMP.
Sur le plan conceptuel, la traduction des signes verbaux en français n'induit pas de similitude manifeste au regard des significations respectives des mots utilisés, les expressions « nouveau saut allez. Parc de trampoline de Langon » et « nouveau saut allons y » étant distinctes de l'expression « tu sautes » et le concept du saut comme le mot qui le désigne en anglais sont peu distinctifs pour identifier l'exploitation de parcs de saut en trampoline.
Par ailleurs, les sociétés appelantes ne démontrent pas avec l'évidence requise dans le présent cadre procédural, que le seul élément dominant des marques antérieures serait constitué de l'ensemble NEW JUMP et que les autres composantes de ces marques devraient être tenues pour négligeables pour apprécier le risque de confusion alors que ni la taille des signes, ni leur présentation, ni leur signification ne permettent d'affirmer qu'un consommateur moyen ne retiendrait des marques antérieures que l'élément NEW JUMP.
C'est ainsi à bon droit que le premier juge a rejeté l'action fondée sur les dispositions de l'article 716-6 du code de la propriété intellectuelle, faute de démonstration de la vraisemblance d'un risque de confusion entre les marques litigieuses.
Sur la concurrence déloyale
Les sociétés appelantes soutiennent qu'indépendamment des actes de contrefaçon de marques évoqués ci-dessus, la société CP SPORTS & HEALTH s'est rendue coupable à leur égard d'actes de concurrence déloyale et parasitaire qu'elles demandent à la cour de sanctionner sur le fondement de l'article 809 ancien du code de procédure civile et 1240 nouveau du code civil, faisant grief au premier juge d'avoir rejeté leurs demandes de ce chef sans se prononcer sur les actes de concurrence déloyale subis par la société NEW JUMP.
Ces sociétés font valoir que la société intimée usurpe leur dénomination sociale, leur enseigne et leur nom commercial et que la similarité entre les marques des parties crée un risque de confusion dans l'esprit du public, risque aggravé par l'utilisation par la société CP SPORTS & HEALTH d'un code couleur orange et de visuels identiques et dans la présentation de ses activités.
La société intimé conteste l'existence de trouble manifestement illicite en exposant que ni les enseignes, ni les noms de domaine respectifs ne sont similaires, qu'il en est de même de la charte graphique et des codes couleurs, que la couleur orange, couleur des tapis amortisseurs de saut, est en outre communément utilisée par de nombreuses enseignes de parc de trampoline , comme les visuels de personnes en train de sauter et notamment celui qui est cité par les appelantes, issu d'une banque d'image et libre de droit.
Le risque de confusion des marques ayant été écarté pour les motifs exposés plus haut, l'utilisation par la société intimée de sa marque comme dénomination sociale n'est pas non plus de nature à entraîner de confusion de ce chef.
Par ailleurs, il apparaît, à l'examen comparatif des éléments cités par les appelantes, que les noms de domaines et enseignes commerciales utilisés par la société intimée sont assez dissemblables tant dans leur orthographe que dans leur graphisme, de ceux des sociétés appelantes pour éviter toute usurpation ou confusion (newjump.com et youjump.fr ; NEW JUMP et YOU JUMP).
S'agissant des codes couleurs, ils ne peuvent être qualifiés de similaires même si la société intimée utilise aussi parmi d'autres couleurs, la couleur orange comme de nombreuses enseignes exploitant la même activité, cet usage étant par exemple limité au mot YOU tandis que le mot JUMP est écrit en blanc sur fond bleu alors que les deux mots NEW JUMP sont écrits en orange souligné de rouge avec une silhouette de femme en vert.
Pour ce qui concerne les visuels, il est exact que la société intimée insère dans sa communication commerciale la même image d'un jeune homme en action de saut, jambes et bras écartés que celle d'un visuel du réseau NEW JUMP mais l'antériorité de cet usage par les sociétés appelantes n'est pas établie et, en tout état de cause, la société CP SPORTS & HEALTH justifie que cette image, disponible sur la banque d'images SHUTTERSTOCKS, est libre de droit de sorte que les sociétés appelantes ne peuvent prétendre à un usage exclusif de ce type de visuel.
Enfin, les sociétés appelantes ne peuvent pas non plus se prévaloir du monopole d'utilisation d'images d'hommes ou de femmes en action de saut pour l'exploitation de leur activité de parc de trampoline, ces images étant d'un usage très fréquent pour ce genre d'activité.
L'ordonnance déférée sera ainsi confirmée en l'absence de trouble manifestement illicite et il sera alloué à l'intimée une indemnité de 4 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
LA COUR,
Confirme l'ordonnance déférée et, y ajoutant ;
Condamne in solidum les sociétés NEW JUMP INTERNATIONAL et NEW JUMP à payer à la société CP SPORTS & HEALTH la somme de 4 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne in solidum les sociétés NEW JUMP INTERNATIONAL et NEW JUMP aux dépens.