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Décisions

CA Pau, 1re ch., 15 décembre 2020, n° 18/02565

PAU

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Enedis (SA)

Défendeur :

AXA France Iard (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Duchac

Conseillers :

Mme Rosa-Schall, Mme Asselain

TGI Pau, du 29 juin 2018

29 juin 2018

La SARL P., devenue SAS P., exploite un commerce de boulangerie-pâtisserie à Jurançon (64).

Pour les besoins de son activité professionnelle, elle est assurée auprès de la société AXA France IARD.

Le local commercial a été détruit par un incendie survenu le 15 juillet 2012.

Une expertise amiable a été diligentée par l'assureur qui n'a pas permis de déterminer l'origine du sinistre.

À la requête de la SARL P., le juge des référés du tribunal de grande instance de Pau suivant ordonnance du 12 septembre 2012, a ordonné une expertise judiciaire et, désigné M. R. pour y procéder.

L'expert a déposé son rapport le 27 septembre 2013.

Par acte d'huissier en date du 15 décembre 2015, la SARL P. a fait assigner la société ERDF, devenue la société Enedis, devant le tribunal de grande instance de Pau afin qu'elle soit déclarée responsable de l'incendie et condamnée à l'indemniser de tous les préjudices en résultant, tant concernant la reconstruction du bâtiment et des agencements que la perte des matériels et marchandises, le branchement GRDF, la perte d'exploitation et le remboursement des intérêts d'un emprunt.

La société Axa France IARD est intervenue volontairement à la procédure suivant conclusions du 18 mai 2016.

Par jugement du 29 juin 2018, le tribunal a :

- déclaré recevable l'intervention volontaire de la SA Axa France IARD,

- fixé le préjudice subi par la SARL P. aux droits de laquelle vient la SAS P. à la suite de l'incendie survenu le 15 juillet 2012 à la somme de 307 204€, se décomposant comme suit :

Reconstruction bâtiment et agencements :

. agencements : 39 343€,

. déblais bâtiment : 1 452€,

. matériels détruits (valeur à neuf) : 149 527€,

. marchandises : 5906€,

. déblais contenu : 900€,

. branchement GRDF : 631,38€,

Perte d'exploitation : 110 015€.

- condamné la SA Enedis à verser à la SAS P. la somme de 70 527€ au titre des agencements et dommages mobiliers et immobiliers,

- condamné la SA Enedis à verser à la SA compagnie Axa France IARD subrogée dans les droits de la SAS P. la somme de 236 677€,

- débouté la SAS P. du surplus de ses demandes,

- condamné la SA Enedis à verser à la SAS P. et à la SA Axa France IARD, chacune, la somme de 3000€ sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- débouté la SA Enedis de ses demandes sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné la SA Enedis aux dépens de l'instance, en ce compris les frais de référé et d'expertise.

Par déclaration du 30 juillet 2018, la société Enedis a interjeté appel partiel de cette décision qu'elle conteste, sauf en ce qu'elle a déclaré recevable l'intervention volontaire de la SA Axa France IARD et a débouté la SAS P. du surplus de ses demandes.

Aux termes de ses dernières conclusions du 12 février 2019, la société Enedis demande, au visa de la législation applicable en matière de produits défectueux et de l'article 12 du code de procédure civile, d'infirmer le jugement dont appel et statuant à nouveau de :

- dire que sa responsabilité n'est pas démontrée,

- débouter, en conséquence, la société P. et la SA Axa France IARD de l'ensemble de leurs demandes formulées à son encontre,

À titre infiniment subsidiaire :

- débouter la société P. de sa demande de condamnation au paiement d'une somme de 19 824,81€ au titre d'un crédit qu'elle aurait souscrit,

- condamner, in solidum, la société P. et la SA Axa France IARD à lui verser la somme de 4000€ au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens.

Par conclusions du 3 janvier 2019, la SA Axa France IARD conclut au débouté de la SA Enedis de son appel et à la confirmation du jugement en toutes ses dispositions. Elle sollicite la condamnation de la société Enedis à lui payer une somme de 3000€ au titre des frais irrépétibles exposés en cause d'appel et aux entiers dépens de l'instance d'appel pour lesquels il sera fait application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile au profit de Maître E., avocat associé de la SELARL G. et associés.

Par conclusions du 27 novembre 2018, la SARL P. sollicite la confirmation du jugement sauf en ce qu'il a écarté l'indemnisation sollicitée à hauteur de 19 824,81€ correspondant aux intérêts d'un emprunt de 55 000€ souscrit pour la reconstruction du fonds.

Elle demande de condamner la SA Enedis au paiement de cette somme de 19 824,80€ et à lui payer la somme de 4000€ sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 19 février 2020.

SUR CE :

Sur la responsabilité de la société Enedis

La société Enedis sollicite la réformation du jugement et le débouté des demandes, au motif que sa responsabilité n'est pas démontrée et que le recours engagé par la société P. et la société AXA France IARD est mal fondé.

En première instance, alors qu'aucune loi, ni article spécifique n'étaient visés par les parties, il était toutefois expressément fait référence par les parties à la qualification d'ouvrage public s'agissant du coffret électrique, et à la notion de dommages causés à un usager de l'ouvrage public.

La société Enedis qui ne soutient pas avoir fait d'observation de ces chefs, fait grief au premier juge de l'avoir condamnée sur le fondement d'une jurisprudence administrative du conseil d'État, inapplicable devant les juridictions judiciaires.

La SAS P. soutient qu'en sa qualité d'usager d'un service public, la responsabilité de la société Enedis a été exactement recherchée sous le régime spécial des dommages causés aux usagers d'un ouvrage public et ajoute, en toute hypothèse, que sous le régime de l'article 1386-1 du Code civil en sa rédaction applicable aux faits de la cause, la garantie de la société Enedis serait également acquise dès lors qu'elle ne rapporte pas la preuve d'un des cas d'exonération prévus à l'article 1386-11 du code civil.

La société AXA France IARD qui sollicite la confirmation du jugement, fait valoir qu'à supposer que les dispositions afférentes à la responsabilité du fait des produits défectueux soient applicables, la SA Enedis n'en tire aucune conséquence particulière et cela ne change rien en termes de responsabilité, puisqu'il s'agit d'une responsabilité de plein droit.

En application des dispositions de l'article 12 du code de procédure civile, le juge tranche le litige conformément aux règles de droits qui lui sont applicables.

La compétence du juge judiciaire n'est pas contestée, ni le fait que la victime était au moment de l'accident usager d'un service public industriel et commercial.

Le coffret électrique n°3 de type S300 dans lequel a pris naissance l'incendie correspond au coffret de distribution du branchement individuel de la SARL P..

Il est constant toutefois que la mise en œuvre du régime de responsabilité pour faute présumée de service, applicable en matière de défaut d'entretien normal d'un ouvrage relève des juridictions administratives.

La société Enedis, qui conclut au débouté des demandes indique que l'électricité doit être considérée comme un produit relevant de l'application de la responsabilité du fait des produits défectueux.

Selon l'article 1386-1 du Code civil dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, applicable en l'espèce, « le producteur est responsable du dommage causé par un défaut de son produit, qu'il soit ou non lié par un contrat avec la victime. »

L'article 1386-3 ancien du Code civil énonce pour sa part que l'électricité est considérée comme un produit.

La société Enedis ne conteste pas sa qualité de producteur.

Les dispositions afférentes à la responsabilité du fait des produits défectueux sont donc applicables au présent litige et la responsabilité de la société Enedis sera recherchée sur ce fondement.

En application des dispositions de l'article 1386-9 ancien du Code civil, il appartient à la SAS P. et à son assureur, demandeurs à l'indemnisation, de prouver le dommage, le défaut et le lien de causalité entre le défaut et le dommage.

Le dommage de la SAS P. consécutif à l'incendie n'est pas contesté.

Il résulte du rapport d'expertise de M.R., que l'incendie prend sa source dans l'installation sous concession ERDF, la localisation du point de départ étant le coffret électrique n°3.

L'expert, qui n'a pas établi avec certitude que l'incendie était d'origine électrique a cependant relevé des conditions favorables à un départ de feu, notamment à raison de la présence d'un panneau de bois au fond du coffret dissimulant l'arrivée du câble et traversé par celui-ci, alors que les exigences réglementaires ne permettent pas que le câble soit placé à proximité de matériaux combustibles.

Il relève que cette anomalie crée un risque potentiel d'incendie, soit en raison de l'échauffement de contacts, soit en raison de la détérioration d''isolant du câble d'arrivée, cause qu'il retenait comme probable après avoir indiqué qu'un précédent incident était intervenu au mois de juin qui pouvait avoir altéré la qualité d'isolant des conducteurs sur une zone non visible des agents ERDF qui étaient intervenus pour cette réparation le 5 juin 2012.

Il précise que cette cause (l'altération de l'isolant du câble) apparaît la cause la plus probable en raison de l'inactivité du commerce à l'heure du sinistre de sorte que le sous tirage de courant était minimum et donc, le risque d'échauffement de contact minimum.

Ainsi, l'altération de l'isolant, provoquant un défaut non franc aurait conduit à l'échauffement du câble puis à sa mise en court-circuit.

La société Enedis soutient que la preuve de la défaillance de son installation n'est pas rapportée et que celle d'un lien de causalité entre les dysfonctionnements de son coffret et la déclaration de l'incendie n'est pas établie, la cause n'étant pas précisément identifiée.

Elle se prévaut, pour soutenir l'intervention malveillante d'un tiers, de la présence d'un distillat moyen de pétrole de type White Spirit trouvé sur les vestiges des coffrets n°2 et n°3, toutefois les analyses n'ont pas permis d'établir avec certitude l'existence ou non d'un acte de malveillance ni, s'il y a eu ou non pollution aérosol après le sinistre. L'expert a également précisé (page 42) qu'il n'était pas exclu qu'un produit similaire ait été utilisé pour tout autre intervention.

Si, à l'issue des opérations d'expertise, Monsieur R. explique qu'aucune certitude ne se dégage entre l'hypothèse d'une cause accidentelle liée à l'installation ERDF ou celle d'un acte de malveillance, il est certain qu'un incident est survenu en juin 2012 consécutif à un échauffement anormal sur ce coffret électrique qui avait rendu nécessaire de remplacer le coffret CCPI (page 35 du rapport de Monsieur R.) et l'expertise a également démontré l'existence d'une anomalie réglementaire créant un risque potentiel d' incendie.

Il résulte de ces constatations que ce produit est défectueux puisqu'il n'offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre conformément aux dispositions de l'article 1386-4 ancien du Code civil.

La société AXA France IARD verse d'ailleurs aux débats 5 jugements du tribunal administratif de Pau afférents aux indemnisations fixées à la charge de la société Enedis, à verser à des particuliers, à des entreprises ou à leur assureur, suite à cet incendie survenu le 15 juillet 2012 dans le coffret électrique n° 3 qui s'est propagé plus ou moins gravement à d'autres bâtiments au-delà du commerce de la SAS P..

Pour l'analyse de ces sinistres, le tribunal administratif s'est fondé sur le même rapport de l'expert judiciaire, Monsieur R..

À l'examen de l'ensemble de ces éléments, il existe une présomption suffisamment grave et certaine du lien de causalité entre le défaut de cette installation électrique et l'incendie qui en est résulté.

Pour s'exonérer de sa responsabilité de plein droit, la société Enedis ne prouve pas, ni même n'allègue, qu'il puisse être fait application, de l'un des cas limitativement énoncés par l'article 1386-11 ancien du Code civil. Elle n'allègue pas non plus de faute de la victime.

Par ailleurs, la société Enedis ne démontre pas davantage que le dommage n'est pas dû au défaut de son produit mais au fait du tiers, cause étrangère qu'elle invoque mais qui demeure hypothétique.

En conséquence, c'est par une exacte appréciation des faits de l'espèce que le premier juge a retenu que la société ERDF aux droits de laquelle vient désormais la société Enedis était tenue d'indemniser la société P. du préjudice subi, ainsi que la société Axa France IARD pour la partie pour laquelle elle est subrogée dans les droits de la société P..

Sur le préjudice de la société P.

L'expert a évalué les préjudices en se fondant sur les protocoles d'accords signés entre les experts d'assurances et les parties.

S'agissant de la société P., les dommages immobiliers et mobiliers sont fixés à la somme de 197 128€ HT et les pertes d'exploitation à la somme de 110 015€.

La réalité de ce préjudice est contestée par la société Enedis, au-delà de la somme de 236 677€ allouée par la société AXA France IARD à son assurée.

Toutefois, l'évaluation des dommages immobiliers et mobiliers à la somme de 197 128€ hors-taxes résulte de protocoles d'accord signés par les experts d'assurance et les parties ce que rappelle l'expert en page 43 de son rapport.

Par ailleurs, la perte de marge d'exploitation à hauteur de 110 015€ a été calculée avec justificatifs, tel que cela résulte également de cette mention de l'expert.

Il s'ensuit, que c'est à bon droit que le premier juge a relevé, que l'évaluation de ces préjudices ne saurait être sérieusement discutée par la société Enedis qui a participé à cette évaluation et l'a acceptée.

Le jugement déféré sera confirmé en ce qu'il a fixé le préjudice subi par la SAS P. à la somme de 307 204€ et a condamné la société Enedis à verser à la société P. la somme de 70 527€ au titre des agencements et dommages mobiliers et immobiliers et la somme de 236 677€ à la société AXA France IARD subrogée dans les droits de la société P..

Sur l'appel incident de la SARL P.

La société P. fait valoir qu'elle a emprunté la somme de 55 000€ assortie des intérêts pour faire face à ses engagements dans l'attente de la reconstruction du local.

Elle demande à être indemnisée de la somme de 19 824,81€ correspondant aux intérêts de l'emprunt.

Il résulte des documents produits, que ce crédit de 55 000€ a été souscrit par M. Jean-Pierre P., à titre personnel, au mois de novembre 2013.

Dès lors, c'est par de justes motifs que le premier juge a rejeté cette demande après avoir relevé que la société P. n'était pas l'emprunteur, et qu'il n'était pas justifié qu'elle ait fait face au remboursement des intérêts de cet emprunt personnel de son dirigeant, ce qui ne résulte pas des extraits du grand livre produits aux débats.

Le jugement sera confirmé de ce chef.

Sur les demandes sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et les dépens

Le jugement déféré sera confirmé de ces chefs.

La société Enedis qui succombe en son recours sera déboutée de sa demande au titre des frais irrépétibles et sera condamnée à payer à la SAS P. la somme de 3000€ et à la société AXA France IARD la somme de 2000€ sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel.

La société Enedis sera condamnée aux dépens de l'instance en appel.

Il sera fait application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant publiquement, par mise à disposition, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,

Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions

Y ajoutant,

Dit que la responsabilité de la société Enedis venant aux droits de la société ERDF est engagée sur le fondement de la responsabilité du fait des produits défectueux des articles 1386-1 ancien et suivants du Code civil ;

Condamne la société Enedis à payer à la SARL P., la somme de 3000€ et à la société AXA France IARD la somme de 2000€ sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel.

Déboute la société Enedis de sa demande sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile

Condamne la société Enedis aux dépens de l'appel et autorise Maître E., avocat associé de la SELARL G. et associés à procéder au recouvrement direct des dépens dont elle a fait l'avance sans avoir reçu provision, en application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.