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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 7, 7 janvier 2021, n° 20/07846

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Molotov (SAS)

Défendeur :

Métropole Télévision M6 (SA), TF1 Distribution (SAS), TF1 (SA), Autorité de la concurrence, Ministre chargé de l'Economie

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Schmidt

Conseillers :

Mme Brun-Lallemand, Mme Tréard

Avocats :

Me Teytaud, Me Eskenazi, Me Boccon-Gibod, Me Baechlin, Me Assémat

CA Paris n° 20/07846

7 janvier 2021

FAITS ET PROCÉDURE

1. Par lettre du 12 juillet 2019, la société Molotov (ci-après « Molotov ») a saisi l’Autorité de la concurrence (ci-après « l’Autorité ») de pratiques mises œuvre par les sociétés Télévision Française 1 et TF1 distribution (ensemble ci-après « TF1 ») et la société Métropole télévision (ci-après « M6 ») dans le secteur de l’édition et de la commercialisation de chaînes de télévision.

2. Selon la saisissante, les sociétés TF1 et M6 auraient rompu de manière brutale et abusive les accords de distribution de leurs chaînes sur la plate-forme Molotov. Leurs comportements auraient un lien direct avec la création de la plate-forme Salto qui a pour activité la distribution de services de télévision, notamment les chaînes et services associés des sociétés mères TF1, M6 et France Télévision, et l’édition d’une offre de vidéo à la demande par abonnement. Cette plate-forme serait en concurrence directe avec celle de Molotov.

3. Par la décision n° 20-D-08 du 30 avril 2020 (ci-après « la décision attaquée »), l’Autorité, après avoir sollicité l’avis du Conseil Supérieur de l’Audiovisuel, a rejeté la saisine sur le fondement de l’article L. 462-8, alinéa 2 du code du commerce, au motif que Molotov n’apportait pas d’éléments suffisamment probants à l’appui de sa saisine.

4. La saisissante a formé un recours en annulation et subsidiairement en réformation de cette décision. Dans l’exposé de ses moyens, elle demande à la Cour d’annuler la décision attaquée et de renvoyer l’affaire devant l’Autorité pour instruction.

5. Dans leurs déclarations d’intervention volontaire, M6 et TF1 soutiennent avoir un intérêt personnel et direct, au sens des articles 330 et 554 du code de procédure civile, à se joindre à la présente instance.  

6. Molotov conclut à l’irrecevabilité des interventions volontaires de M6 et de TF1 pour défaut d’intérêt à agir et demande qu’il soit dit qu’il n’y a pas lieu de leur communiquer son recours, ses écritures et ses pièces.  

7. Elle sollicite en outre la condamnation :

– de TF1 et TF1 Distribution solidairement à lui verser une somme de 10 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

– de M6 à lui verser une somme de 10 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

– TF1, TF1 Distribution et M6 à supporter les dépens liés à leurs demandes d’intervention volontaire.

8. Le ministre chargé de l’Economie et le ministère public estiment que les interventions volontaires doivent être déclarées irrecevables.

9. L’Autorité s’en rapporte à l’appréciation de la Cour.  

MOTIVATION

Sur la recevabilité des interventions volontaires accessoires

10. Molotov fait valoir, au soutien de sa fin de non-recevoir, que TF1 et M6 ne justifient pas de l’intérêt qu’elles auraient, pour la conservation de leurs droits propres, à soutenir la décision de l’Autorité alors même que cette dernière n’a pas ouvert la procédure contradictoire et ne leur a donc pas permis de participer à la procédure qui s’est déroulée devant elle. Elle ajoute n’avoir formulé aucune demande tendant à ce que la Cour ordonne des mesures conservatoires à l’issue du recours formé contre la décision contestée, si bien que le recours contre la décision n’est en aucun cas susceptible de les affecter. Elle se prévaut d’une décision de la cour d’appel de Paris du 4 juin 2020 qui a statué en ce sens dans une espèce tout à fait similaire au motif qu’à ce stade de la procédure, l’intérêt de l’entreprise mise en cause ne peut donc être qu’hypothétique.

11. Les sociétés TF1 font valoir que lors du dépôt de leurs conclusions d’intervention volontaire, elles ignoraient la nature des demandes formées par Molotov devant la Cour, le site internet de l’Autorité ne faisant état que de l’existence d’un recours contre ses décisions, mais sans préciser la nature et l’objet. Elles ajoutent que si la Cour décidait d’annuler la décision attaquée et si elle prononçait des mesures conservatoires similaires à celles que Molotov sollicitait devant l’Autorité, cela reviendrait à les contraindre à faire revivre le contrat qui la liait à la société Molotov, alors que ce dernier est expiré depuis plus d’un an. En l’absence de communication par Molotov d’éléments de preuve relatif à l’objet de son recours, elles s’en remettent à la sagesse de la Cour dans l’hypothèse où il serait établi, sous son contrôle, que l’objet du recours de Molotov est bien celui décrit dans ses conclusions.

12. M6 demande, dans ses dernières écritures, qu’il lui soit donné acte qu’elle s’en rapporte à justice sur le mérite de l’incident formé par Molotov tendant à voir déclarer irrecevable son intervention volontaire. Elle observe que si la saisissante devait reprendre devant la Cour la demande de mesure conservatoires formulée devant l’Autorité, cette prétention risquerait de lui causer grief. Elle regrette que Molotov refuse de laisser les intervenantes vérifier la teneur de ses prétentions au fond.

13. Le ministre chargé de l’Economie et le ministère public rappellent que l’intérêt à agir doit être né et actuel et qu’il ne peut pas être simplement futur, ainsi qu’il en a déjà été jugé par la Cour. Ils l’invitent en conséquence à déclarer irrecevable les interventions volontaires accessoires formées.  

Sur ce, la Cour,  

14. L’article R. 464-17, alinéa 1er, du code de commerce, dans sa rédaction issue du décret n° 2017-523 du 5 mai 2017, dispose :

« Lorsque le recours risque d’affecter les droits ou les charges d’autres personnes qui étaient parties en cause devant l’Autorité de la concurrence, ces personnes peuvent intervenir à l’instance devant la cour d’appel. ».

15. Les modalités de cette intervention sont précisées à l’alinéa 2 de ce texte qui dispose : « L’intervention volontaire est formée, à peine d’irrecevabilité relevée d’office, par déclaration écrite et motivée déposée au greffe dans les conditions prévues à l’article R. 464-12 dans le délai d’un mois à compter de la réception de la notification prévue au troisième alinéa de l’article R. 464-15. ».

16. Cet article R. 464-15, alinéa 3 fait obligation au demandeur au recours de notifier ses observations écrites et pièces aux personnes auxquelles la décision de l’Autorité a été notifiée, lesquelles sont déterminées par l’article R. 464-8, I, du code de commerce.  

17. Il se déduit de l’ensemble de ces dispositions que l’intervention volontaire est réservée aux personnes auxquelles l’Autorité doit notifier la décision en application de l’article R. 464-8, I du code de commerce.

18. Or cette dernière disposition prévoit que les décisions adoptées par l’Autorité sur le fondement de l’article L. 462-8 du code de commerce sont notifiées à l’auteur de la saisine et au ministre chargé de l’Economie. Elle ne prévoit pas une notification aux personnes mises en cause dans la saisine.

19. Il en résulte que ces personnes ne sont pas recevables à intervenir volontairement devant la cour d’appel sur le fondement de l’article R. 464-17 du code de commerce.

20. Les interventions volontaires des sociétés TF1 et M6 ne sont pas davantage recevables sur le fondement de l’article 330 du code de procédure civile.

21. En effet, cet article dispose que l’intervention est accessoire lorsqu’elle appuie les prétentions d’une partie et est recevable si son auteur a intérêt, pour la conservation des droits, à soutenir cette partie.

22. Toutefois, la décision attaquée n’est pas une décision sur le fond. L’Autorité ne s’est pas prononcée sur l’existence des pratiques reprochées aux sociétés TF1 et M6 visées dans la saisine, mais s’est bornée à retenir, pour rejeter celle-ci, que les faits invoqués à son soutien n’étaient pas appuyés par des éléments suffisamment probants.  

23. La cour d’appel, statuant sur le recours formé contre une telle décision, doit seulement rechercher si la saisine était étayée d’éléments suffisamment probants.

24. La réformation éventuelle de la décision attaquée n’est donc pas de nature à affecter les droits des sociétés TF1 et M6, dès lors qu’à supposer le recours accueilli par la Cour et donc par hypothèse, les faits invoqués considérés comme appuyés par des éléments suffisamment probants, leur examen serait renvoyé à l’Autorité pour instruction, ainsi que le sollicite Molotov, laquelle ne formule aucune autre demande.  

25. Un tel renvoi, à supposer qu’il soit ordonné, ne présume pas de la qualification des faits invoqués, d’une notification de griefs et d’une décision sur le fond disant établies les pratiques anticoncurrentielles reprochées à TF1 et M6.  

26. Il s’en déduit qu’à ce stade liminaire de la procédure, où la seule question en débat est relative à la poursuite de l’instruction qui ne fait pas en elle-même grief, les sociétés TF1 et M6 ne peuvent se prévaloir que d’un intérêt hypothétique, insuffisant pour caractériser l’intérêt à la conservation de leurs droits requis par l’article 330 du code de procédure civile.  

27. Les interventions volontaires des sociétés TF1 distribution, Télévision Française 1 et Métropole Télévision sont donc irrecevables.

28. En conséquence de cette irrecevabilité, Molotov n’est pas tenue de communiquer ses écritures et pièces aux sociétés TF1 et M6.

Sur la demande fondée sur les dispositions de l’article 700 du code de procédure civile

29. L’équité commande de ne pas faire application de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

DÉCLARE les sociétés TF1 distribution, Télévision Française 1 et Métropole Télévision irrecevables en leur intervention volontaire accessoire ;  

LAISSE aux sociétés TF1 distribution, Télévision Française 1 et Métropole Télévision la charge des dépens de l’incident.

FIXE comme suit le calendrier de procédure pour les besoins de la poursuite de l’instance :

– l’Autorité et le ministre chargé de l’Economie devront déposer leurs observations écrites au greffe avant le 9 février 2021 ;

– la société Molotov devra déposer ses conclusions en réplique au greffe avant le 6 avril 2021

– les conclusions et les observations écrites devront être communiquées conformément aux dispositions des articles R. 464-18 et R. 464-25 du code de commerce, et doivent aussi, sans effet de droit, être adressés à :

[email protected] ;

– une réunion aura lieu le 13 avril 2021 à 09 h 00, salle d’audience Pierre MASSÉ (escalier Z -2e étage, porte 68), pour examiner l’état de la procédure et organiser la poursuite de l’instance ;

– l’audience de plaidoiries se tiendra le 20 mai 2021 à 09 h 00 en salle d’audience Pierre MASSÉ.

DIT que le présent arrêt vaut convocation à la réunion et à l’audience de plaidoiries.