CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 6 janvier 2021, n° 18/24012
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Assurances Courtage de France (SARL)
Défendeur :
Swisslife (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Dallery
Conseillers :
M. Gilles, Mme Depelley
EXPOSÉ DU LITIGE
La société Assurances Courtage de France (ci-après « ACF ») a pour activité le courtage dans le secteur des assurances.
Monsieur X en est le gérant.
La société Swisslife Assurances de biens (ci-après « Swisslife ») commercialise des produits d'assurance.
Les parties sont entrées en relation à la fin de l'année 2006. Un protocole de connexion informatique signé le 13 décembre 2006 entre ACF et les quatre sociétés du groupe Swisslife a permis à ACF d'accéder au réseau internet Swisslife, de disposer de certains services et d'informations afférentes aux produits commercialisés par Swisslife et d'enregistrer les affaires qu'elle apportait.
ACF était habilitée à commercialiser des produits Swisslife dans les branches Vie, Prévoyance, Santé et Dommages.
A la suite d'un contrôle aléatoire de l'activité d'ACF réalisé le 1er septembre 2015, Swisslife lui a adressé par lettre datée du 6 octobre suivant, le rapport de contrôle de sa délégation de gestion - Portefeuille Frontignan et sollicité ses explications et observations sur cette analyse avant le 20 octobre.
Par lettre recommandée avec accusé de réception datée du 20 novembre 2015, adressée par courriel du 23 novembre 2016, Swisslife informait ACF qu'elle mettait fin à sa collaboration s'agissant du risque Dommages au vu des résultats de l'analyse effectuée, associés à des résultats déficitaires et une fréquence sinistre élevée, et ce, à effet du 27 novembre pour la souscription d'une affaire nouvelle par son intermédiaire et toute délégation de gestion étant supprimée et qu'elle procédait à la résiliation intégrale de son portefeuille Dommages, selon un échéancier joint, ajoutant « Afin de vous permettre de prendre toutes dispositions utiles, les opérations de résiliation débuteront par l'échéance de Mars 2016 ».
Par courriel du 7 janvier 2016, la société ACF demandait à Swisslife de revenir sur sa décision de rompre le code Dommages et sollicitait la suspension de l'envoi de lettres recommandées de résiliation à ses clients.
Swisslife acceptait le 8 janvier 2016 cette demande de suspension, sauf pour ACF à anticiper les délais de préavis de résiliation des contrats.
Le 11 janvier 2017, ACF assignait Swisslife sur le fondement de l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce.
Par jugement du 3 octobre 2018, le tribunal de commerce de Lille Métropole a :
- Débouté Monsieur X de sa demande d'intervention volontaire ;
- Dit irrecevables les demandes formées par la société ACF et Monsieur X sur les fondements des articles 1103, 1104 et suivants, 1217 et 1231-1 du Code civil ;
- Rejeté le caractère brutal de la rupture des relations commerciales ;
- Débouté la société ACF de toutes ses demandes au titre de l'article L. 442-6-I, 5° du Code de commerce ;
- Condamné la société ACF de Monsieur X à payer chacun la somme de 1 000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'à supporter les entiers frais et dépens de l'instance, taxés et liquidés à la somme de 84,49 € en ce qui concerne les frais de Greffe ;
- Débouté les parties de toutes leurs autres demandes plus amples ou contraires.
Vu les dernières conclusions notifiées et déposées le 11 février 2019 par la société Assurances Courtage de France « ACF » et Monsieur X, par lesquelles il est demandé à la Cour de :
Vu les dispositions des articles 325 et suivants et plus particulièrement 328 et suivants du Code de procédure civile,
- Dire et juger tant recevables que bien fondés la société ACF et Monsieur X en leur appel formé à l'encontre du jugement prononcé le 3 octobre 2018 par le Tribunal de commerce de Lille.
Y faisant droit,
- Infirmer en toutes ses dispositions le jugement prononcé le 3 octobre 2018 par le Tribunal de commerce de Lille.
Statuant à nouveau
- Dire et juger tant recevables que bien fondés la société ACF et Monsieur X en son intervention volontaire en sa qualité de gérant unique de la société ACF sur le fondement des dispositions des articles 325 et suivants ainsi que 328 et suivants du Code de procédure civile.
Au fond
Vu les dispositions anciennes des articles 1134 et suivants du Code civil,
Vu les dispositions nouvelles des articles 1103, 1104 et suivants, 1193, 1217 et 1231-1 du Code Civil,
Vu les dispositions de l'article L. 442-6-1, 5° du Code du commerce,
- Dire et juger que la société Swisslife a engagé sa responsabilité à l'occasion de la rupture brutale et abusive de ses relations contractuelles avec la société ACF.
En conséquence,
- Condamner la société Swisslife à indemniser la société ACF des préjudices subis :
au titre du préjudice financier par l'allocation d'une somme de 34 000 € correspondant à 2 ans de commissions dommages qui n'ont pas été réglées depuis la rupture abusive de la relation contractuelle,
au titre du préjudice financier par l'allocation d'une somme de 25 500 € correspondant à un préavis basé sur 18 mois de chiffres d'affaires,
au titre du préjudice moral, une somme de 15 000 €.
- Condamner la société Swisslife à indemniser Monsieur X des préjudices subis :
au titre de son préjudice moral, une somme de 15.000 €,
au titre de son préjudice physique une somme de 50.000 €
Y ajoutant,
- Condamner la société Swisslife aux entiers dépens tant de première instance que d'appel.
- Condamner la société Swisslife au paiement d'une somme de 15 000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
Vu les dernières conclusions notifiées et déposées le 12 mars 2019 par la société Swisslife assurances de biens, par lesquelles il est demandé à la Cour de :
Vu l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce,
Vu les pièces versées aux débats,
- Constater que l'intervention volontaire de Monsieur X est irrecevable ;
- Constater que les demandes fondées sur les articles 1103, 1104 et suivants, 1193, 1217 et 1231-1 du Code civil, modifiés par l'ordonnance du 10 février 2016 sont irrecevables ;
- Juger que la rupture des relations commerciales entretenues avec ACF par SwissLife n'était pas brutale ;
- Juger que SwissLife n'a pas violé les usages du courtage ;
- Constater qu'ACF ne justifie de ses prétendus préjudices ni en leurs principes, ni en leurs montants ;
- Constater que les demandes indemnitaires de Monsieur X sont irrecevables et mal fondées.
Et en conséquence :
- Confirmer le jugement du Tribunal de commerce de Lille rendu le 3 octobre 2018 ;
- Débouter la société ACF et Monsieur X de l'ensemble de leurs demandes ;
- Condamner ACF et Monsieur X chacun à payer à SwissLife 3 000 € au titre de l'article 700 du CPC, ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance.
SUR CE, LA COUR,
Sur l'intervention volontaire de Monsieur X
Les appelants soutiennent que Monsieur X est recevable en son intervention volontaire en sa qualité de gérant d'ACF et au regard du fait qu'il a subi un préjudice distinct de celui d'ACF s'agissant d'un préjudice moral et physique, en lien direct avec les conditions brutales de la rupture.
Mais, ainsi que le fait valoir la société Swisslife, la demande d'indemnisation personnelle du dirigeant au titre de son préjudice physique du fait de la détérioration de son état de santé et au titre de son préjudice moral, intervenant volontaire à la procédure introduite en indemnisation de la rupture brutale des relations commerciales et de la rupture fautive, ne se rattache pas aux prétentions des parties par un lien suffisant, conformément aux dispositions de l'article 325 du code de procédure civile.
Le jugement est en conséquence confirmé en ce qu'il a déclaré irrecevable l'intervention volontaire de M. L..
Sur la rupture brutale des relations commerciales établies
La société ACF fait état de relations commerciales établies entre les parties depuis la fin de l'année 2006 et d'une rupture brutale intervenue par courrier électronique du 23 novembre 2015 à effet du 27 novembre suivant, sans préavis suffisant et sans mise en demeure, faisant valoir à cet égard, que le rapport de contrôle qui lui a été adressé ne faisait état que de « recommandations ».
Swisslife rétorque que la rupture intervenue est justifiée par des manquements graves de la société ACF à ses obligations contractuelles, excluant toute brutalité.
Elle se prévaut à cet égard d'une part de la lettre de courtage du 8 février 2007 conclue avec Swisslife Assurances de Biens prévoyant en son article 3 que toute violation ou inobservation des règles de souscription et de gestion engagerait sa responsabilité personnelle et entraînerait la fermeture immédiate de son code auprès de la société et de toute autre société du groupe et d'autre part du rapport de contrôle adressé à ACF qui a mis en exergue un pourcentage de 29% de contrats non-conformes, dont 18% comportant une anomalie grave et constitutifs d'une violation de la délégation de souscription et de gestion accordée, justifiant la cessation de la relation commerciale.
Elle ajoute que si la rupture a pris effet le 27 novembre 2015, ACF a disposé de fait, d'un délai de 4 mois de préavis pour replacer ses contrats puisqu'elle avait indiqué que les opérations de résiliation du portefeuille « Dommages » ne commenceraient qu'à compter de l'échéance de mars 2016.
L'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019 applicable au litige, dispose qu'engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers, de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels.
En l'espèce, le caractère établi des relations commerciales entre les parties n'est pas contesté.
Le tribunal a justement retenu qu'au regard des manquements de la société ACF à ses obligations de courtier, la rupture des relations commerciales établies étaient justifiées.
En effet, il résulte du rapport de contrôle du 15 septembre 2015 (pièce 25 de l'intimée) dont les résultats ne sont pas contestés par ACF, que les résultats techniques du portefeuille en Dommages étaient déficitaires sur les trois derniers exercices avec un ratio S/P (sinistres/Primes) de 84 % ce qui conduisait les contrôleurs à faire état d'une gestion incorrecte (« Rating D ») nécessitant la mise en œuvre d'adaptations importantes. A cela s'ajoutait, s'agissant de la souscription automobile, 29 % de contrats non conformes dont 18 % comportant une anomalie grave telle que des antécédents non déclarés ou des erreurs de date de première immatriculation. Le comité de contrôle concluait le 3 novembre 2015 à la cessation de la collaboration avec résiliation du portefeuille.
La violation par la société ACF de l'article 3 de la lettre de courtage Swisslife Assurances de Biens conclue le 8 février 2007 (pièce 4 de l'intimée), prévoyant que l'intéressée s'engage à se conformer aux règles de la délégation de souscription et de gestion accordée, est ainsi établie.
En conséquence, au regard de la gravité des manquements relevés dans le cadre de la délégation de gestion concernant la branche Dommages, la rupture intervenue le 20 novembre 2015 à effet du 27 novembre suivant s'agissant de l'apport d'affaires nouvelles et à échéance du mois de mars 2016 pour la résiliation du portefeuille Dommages, est justifiée sans que la brutalité de la rupture puisse lui être opposée.
Le jugement est en conséquence confirmé en ce qu'il a rejeté la demande de la société ACF sur le fondement de l'article L. 442-6, I,5° du code de commerce.
Sur la violation par Swisslife des usages du courtage
ACF se prévaut de l'application des dispositions de l'ordonnance du 10 février 2016 et des dispositions des articles 1134 et suivants anciens du code civil. Elle invoque le caractère abusif de la rupture et le non-respect par Swisslife du 9ème usage du courtage d'assurance terrestre qui prévoit une information de la résiliation de la police six mois au moins avant la date d'expiration de celle-ci.
Elle ajoute que Swisslife a donné une fausse information aux clients puisqu'elle prétendait mettre un terme à tous les contrats souscrits par son intermédiaire alors que seule la branche « dommages assurance auto » était supprimée
L'intimée rétorque que les dispositions de l'ordonnance du 10 février 2016 ne sont pas applicables en l'espèce et que ACF ne peut se prévaloir d'une violation des usages du courtage alors qu'en résiliant les contrats, elle a préservé la relation contractuelle existant entre ACF et ses clients, permettant au courtier de replacer utilement les contrats auprès d'autres compagnies.
Les dispositions de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations ne peuvent trouver à s'appliquer à un contrat conclu et résilié avant leur entrée en vigueur le 1er octobre 2016, conformément à l'article 9 de cette ordonnance.
En revanche, les dispositions des articles 1134 et suivants anciens du code civil sont applicables.
Cependant la rupture étant justifiée par des manquements contractuels graves, c'est vainement que l'appelant se prévaut du caractère abusif de la rupture.
Par ailleurs, s'il est justifié d'envoi de lettres de résiliation par l'assureur faisant état de la cessation de toute collaboration avec ACF, ces lettres visent le contrat en référence dont il n'est pas établi qu'il ne correspondrait pas à la branche Dommages, seule concernée.
En outre, ainsi que le fait valoir Swisslife, la résiliation des contrats par l'assureur permet de préserver la relation contractuelle qui lie le courtier à son client et la lettre de Swisslife datée du 20 novembre 2015 précise que les opérations de résiliation débuteront par l'échéance de mars 2016, permettant ainsi à ACF de prendre ses dispositions notamment pour replacer ses contrats auprès d'une autre compagnie
La violation des usages par l'assureur n'est pas établie et la responsabilité de celui-ci ne peut se trouver engagée.
La société ACF est ainsi déboutée de ses demandes.
Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile
M. X dont l'intervention volontaire est irrecevable et la société ACF, partie perdante, sont condamnés aux dépens d'appel, déboutés de leur demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile et condamnés à payer chacun à la société Swisslife, la somme de 2 000 euros sur ce dernier fondement, en sus de la somme allouée à ce titre par le tribunal.
PAR CES MOTIFS
Confirme le jugement,
Y ajoutant,
Déboute la société ACF de ses demandes fondées sur les articles 1134 et suivants anciens du code civil et le manquement aux usages ;
Condamne M. X et la société ACF aux dépens d'appel et à payer chacun, à la société Swisslife la somme de 2000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Rejette toute autre demande.