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Décisions

CA Dijon, 2e ch. civ., 7 janvier 2021, n° 18/01327

DIJON

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

TMC (SAS)

Défendeur :

Bassigny Poids Lourds (SAS), Volvo Trucks France (Sasu), Donguy (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Vautrain

Conseillers :

M. Wachter, Mme Dumurgier

T. com. Mâcon, du 14 sept. 2018

14 septembre 2018

La SAS Transports Manutention C. (TMC) est spécialisée dans le transport, le levage et la manutention.

En fin d'année 2005, elle a décidé d'acquérir, pour les besoins de son exploitation, un nouveau véhicule porteur 8x4 destiné à l'installation d'une grue de marque Heila, qu'elle possédait déjà dans son parc, en vue du transport de transformateurs électriques pesant 3,5 tonnes.

A cette fin, elle s'est adressée à la SAS Bassigny Poids Lourds, agent commercial de la marque Volvo Trucks, pour la fourniture du poids lourd porteur, ainsi qu'à la SA Donguy, son carrossier habituel, pour l'adaptation de la grue sur ce nouveau véhicule.

Le 20 décembre 2005, la société Donguy a établi une étude préliminaire retenant que le porteur 8x4 devait être équipé de deux essieux avant directeurs supportant 9 tonnes chacun.

Le bon de commande a été signé par la société TMC le 10 janvier 2006.

Le porteur 8x4 Volvo a été livré le 3 mars 2006, équipé d'essieux avant directeurs d'une capacité de 8 tonnes chacun.

Pour prendre en compte cet élément, la société Donguy a reculé la grue vers les deux ponts moteur arrière afin de soulager les deux essieux directeurs avant.

Le 6 juillet 2006, la société Donguy a établi le certificat de carrossage, et le 12 juillet 2006, le véhicule a été mis en circulation sous l'immatriculation 1660 YF 71.

Le 10 juin 2013, faisant état de la survenue depuis fin 2008 de pannes récurrentes sur le circuit de direction, la société TMC a sollicité de la société Volvo Trucks France, vendeur du véhicule, l'indemnisation à hauteur de 30 000 € du préjudice subi du fait des multiples interventions de la société Bassigny Poids Lourds nécessitées par ces dysfonctionnements.

La société Volvo Trucks France n'ayant pas donné suite à cette demande, la société TMC, par exploit du 8 juillet 2014, l'a fait assigner devant le tribunal de commerce de Pontoise, lequel, par jugement du 5 février 2015, s'est déclaré territorialement incompétent, et a renvoyé l'affaire devant le tribunal de commerce de Paris.

Le 16 novembre 2014, le véhicule, qui totalisait alors 731 000 km, a à nouveau été immobilisé par une panne de boîtier et de pompe de direction générant une réparation d'un montant de 16 978,90 € HT.

La société TMC a alors fait assigner la société Volvo Trucks France devant le juge des référés du tribunal de commerce de Mâcon aux fins de mise en œuvre d'une expertise judiciaire.

Par ordonnance du 23 janvier 2015, il a été fait droit à cette demande, M. B. étant désigné en qualité d'expert.

Par ordonnances des 29 mai 2015 et 11 septembre 2015, la mesure d'instruction a été déclarée commune à la société Bassigny Poids Lourds, puis à la société Donguy.

Le 12 décembre 2016, l'expert a déposé le rapport de ses opérations, dont il résulte qu'eu égard à la capacité des essieux avant et au poids à vide réel du véhicule, la charge pouvant être transportée était limitée à 1,735 tonnes, alors que la société TMC transportait habituellement des transformateurs de 3,5 tonnes, ce qui avait pour conséquence de toujours faire fonctionner le système de direction à une pression proche de l'ouverture du limiteur de pression, provoquant à l'usage un laminage et une élévation anormale de température du fluide. L'expert a conclu à l'absence de responsabilité de la société Volvo Trucks, qui avait livré un véhicule conforme à la commande, mais a considéré que la société Bassigny Poids Lourds avait commis une faute en commandant un camion équipé d'essieux avant de 8 tonnes alors qu'elle savait depuis l'étude Donguy du 20 décembre 2005 que cette charge serait dépassée, que la société Donguy avait commis une faute en globalisant la charge sur les deux essieux avant sans tenir compte du dépassement de la limite technique pesant sur l'essieu avant n°2, et que la société TMC avait accepté la réduction de la charge transportable, mais n'en avait pas tenu compte à l'usage. Il a chiffré à 28 907,58 € HT le préjudice résultant des réparations et immobilisations rendues nécessaires par la panne récurrente, et à 14 144,87 € HT le coût de la mise en conformité du véhicule par l'adaptation d'essieux avant de 9 tonnes.

Au vu de ces conclusions, la société TMC s'est désistée de l'instance pendante devant le tribunal de commerce de Paris à l'encontre de la société Volvo Trucks France, et, par exploits du 7 février 2017, a fait assigner les sociétés Bassigny Poids Lourds et Donguy devant le tribunal de commerce de Mâcon en paiement, au visa des articles 1603, 2224 et suivants du code civil, 1134 et 1147 anciens et suivants du code civil, 1382 ancien et désormais 1240 du code civil, de la somme de 28 907,58 € HT en réparation du préjudice matériel subi du fait des pannes récurrentes, de la somme de 438 900 € au titre du remplacement du véhicule défectueux, subsidiairement de celle de 14 144,87 € HT au titre des travaux de mise en conformité à effectuer, outre de la somme de 30 000 € à titre de dommages et intérêts complémentaires.

Elle a fait valoir que la société Bassigny Poids Lourds avait engagé sa responsabilité en établissant sciemment un bon de commande portant sur un véhicule équipé d'essieux avant supportant 8 tonnes chacun, et a ajouté que cette société avait également engagé sa responsabilité en qualité de réparateur, puisqu'elle n'était pas parvenue à mettre fin aux dysfonctionnements. Elle a par ailleurs fait grief à la société Donguy d'avoir effectué un mauvais calcul de répartition des charges.

La société Bassigny Poids Lourds a soulevé la prescription de la demande au regard de la date de signature du bon de commande, ou à tout le moins de l'apparition des premiers désordres. Au fond, elle a réclamé le rejet des demandes formées à son encontre au motif qu'elle n'était devenue agent commercial de la société Volvo Trucks France que 10 jours avant la signature du bon de commande, et que toutes les négociations précontractuelles, notamment concernant la définition des caractéristiques du véhicule, avaient été menées par la société Volvo Trucks France elle-même, qui était donc seule responsable de l'inadéquation du camion livré. Elle a également contesté toute responsabilité en tant que réparateur, en indiquant que l'expertise ne mettait pas en cause la qualité des interventions réalisées.

Au regard de l'argumentation développée par la société Bassigny Poids Lourds, la société TMC a, par exploit du 20 juillet 2017, fait assigner la société Volvo Trucks France pour obtenir sa condamnation in solidum avec les autres sociétés mises en cause.

La société Volvo Trucks France a également soulevé la prescription, subsidiairement a réclamé le rejet des demandes formées à son encontre, au motif qu'elle avait livré un véhicule parfaitement conforme à la commande. Elle a ajouté que le préjudice résultait des fautes de la société Bassigny Poids Lourds, qui, pour établir le bon de commande, se devait de prendre en considération les besoins de sa cliente, et de la société Donguy, qui avait accepté de carrosser un véhicule dont elle savait qu'il ne répondait pas aux spécifications nécessaires. A titre subsidiaire, la société Volvo Trucks France a conclu à la garantie de la société Bassigny Poids Lourds, qui devait répondre envers sa mandante des fautes qu'elle avait commise dans l'exécution du mandat d'agent commercial. Elle a enfin fait valoir que le préjudice devait être cantonné aux sommes retenues par le rapport d'expertise judiciaire.

La société Donguy a elle-aussi conclu à la prescription de l'action, subsidiairement a soutenu n'avoir commis aucune faute, comme ayant signalé à sa cliente que les travaux de carrossage ne pouvaient pas se réaliser dans les conditions initialement prévues, et que la société TMC, professionnelle de la manutention et du levage, avait accepté en toute connaissance de cause la modification des calculs de répartition des charges et l'installation de la grue de manière à travailler la plupart du temps en surcharge. A titre encore plus subsidiaire, elle a sollicité un partage de responsabilité avec la société TMC et les autres intervenants, et la fixation des préjudices conformément au rapport d'expertise.

Par jugement du 14 septembre 2018, le tribunal de commerce a considéré qu'en dépit du fait que des dysfonctionnements récurrents étaient apparus sur la direction depuis 2009, ce n'était qu'à compter du rapport d'expertise en date du 12 décembre 2016 que la société TMC avait eu connaissance de la cause des pannes chroniques et des réparations à effectuer pour une solution durable, de sorte que son action n'était pas prescrite. Sur le fond, il a observé que la société Donguy avait établi un calcul initial duquel il résultait que les essieux avant devaient avoir une capacité de 9 tonnes chacun, et que, constatant que tel n'était pas le cas, elle avait réalisé un nouveau calcul, qui avait été validé par la société TMC. Il a considéré qu'eu égard à sa qualité de professionnelle de la manutention, du levage, du transport et de la maintenance des camions, la société TMC ne pouvait pas ignorer qu'en acceptant le carrossage du porteur avec le maintien des 2 essieux avant directeurs de 8 tonnes chacun, son véhicule circulerait en limite de charge à vide et en surcharge lors du transport des transformateurs, et qu'elle était donc consciente de l'usure prématurée qui résulterait d'une utilisation dans de telles conditions, ainsi que du non-respect de la réglementation en vigueur, alors qu'à ce moment précis, elle pouvait encore s'opposer à ce montage et exiger de son concessionnaire la livraison d'un porteur équipé de deux essieux de 9 tonnes de capacité. Il en a déduit que la société TMC était seule responsable des dysfonctionnements dont elle se plaignait. Le tribunal a en conséquence :

- débouté TMC de l'ensemble de ses demandes ;

- dégagé de toute responsabilité Volvo Trucks, le concessionnaire Bassigny Poids Lourds ainsi que le carrossier Donguy ;

- rejeté pour toutes les parties le bénéfice de l'article 700 du code de procédure civile ;

- rejeté toutes autres demandes, fins et conclusions contraires ;

- condamné la société TMC aux dépens dont frais de greffe liquides à la somme de 88,94 €.

La société TMC a relevé appel de cette décision le 28 septembre 2018.

Par conclusions notifiées le 3 avril 2019, l'appelante demande à la cour :

Vu l'appel interjeté par la société TMC,

- de le déclarer recevable ;

Vu les articles 1603, 2224 et suivants du code civil,

Vu les articles 1134 et 1147 anciens et suivants du code civil,

Vu l'article 1382 ancien (désormais 1240) du code civil,

Vu la jurisprudence citée,

Vu le rapport d'expertise de M. B. du 12 décembre 2016,

Vu les pièces versées au débat,

- de le déclarer fondé ;

En conséquence,

Sur la prescription :

- de constater que la prescription quinquennale n'était pas acquise au jour de l'introduction de la présente procédure ;

- de dire et juger non prescrite, recevable et bien fondée l'action diligentée par la société TMC à l'encontre des sociétés Donguy, Bassigny Poids Lourds et Volvo Trucks ;

- de débouter les sociétés Bassigny Poids Lourds, Donguy et Volvo Trucks de leur demande tendant à voir déclarer prescrite l'action de la société TMC ;

- de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a débouté les sociétés Bassigny Poids Lourds et Volvo Trucks de leur fin de non-recevoir tirée de la prescription ;

Sur le fond :

- d'homologuer le rapport d'expertise de M. B. en ce qu'il a retenu la responsabilité pleine et entière des sociétés Donguy et Bassigny ;

- d'infirmer le jugement déféré en ce qu'il a retenu que la société TMC était responsable des désordres subis par son véhicule ;

Et, statuant à nouveau :

- de constater que le véhicule Volvo FH12, immatriculé 1660 YF 71, est affecté de désordres qui atteignent le système de direction ;

- de constater que ces désordres sont causés par une surcharge anormale des essieux avant du véhicule ;

- de constater que la société Donguy a commis une faute lors de l'établissement du certificat de carrossage ;

- de constater que la société Donguy a manqué à son obligation de résultat à l'occasion de l'établissement du certificat de carrossage ainsi qu'à son obligation de conseil à l'égard de la société Transports Manutention C. et que sa responsabilité contractuelle doit être engagée à ce titre ;

- de dire et juger que la société Volvo Trucks a manqué à son obligation de délivrance conforme et à son obligation de conseil et d'information à l'égard de la société Transports Manutention C. ;

- de constater que la société Bassigny Poids Lourds a commandé un véhicule incompatible avec l'usage qui en était attendu par la société Transports Manutention C. ;

En conséquence,

A titre liminaire et en tout état de cause,

- de condamner les sociétés Donguy, Bassigny Poids Lourds et Volvo Trucks, in solidum, à payer à la société Transports Manutention C. la somme de 28 907,58 € en réparation de son préjudice matériel ;

A titre principal,

- de condamner les sociétés Donguy, Bassigny Poids Lourds et Volvo Trucks in solidum, à payer à la société Transports Manutention C. la somme de 438 900 € en remplacement du camion défectueux ;

A titre subsidiaire, si par extraordinaire la cour considérait que le remplacement du camion ne participe pas au préjudice subi par la société TMC C. :

- de condamner les sociétés Donguy, Bassigny Poids Lourds et Volvo Trucks in solidum, à payer à la société Transports Manutention C. la somme de 14 144,87 € de dommages et intérêts au titre de la remise en état du véhicule ;

- de condamner les sociétés Donguy, Bassigny Poids Lourds et Volvo Trucks in solidum, à payer à la société Transports Manutention C. la somme de 30 000 € à titre de dommages et intérêts ;

Et en tout état de cause,

- de condamner les sociétés Donguy, Bassigny Poids Lourds et Volvo Trucks in solidum, à payer à la société Transports Manutention C. la somme de 30 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- de condamner les sociétés Donguy, Bassigny Poids Lourds et Volvo Trucks in solidum, au remboursement de l'intégralité des frais d'expertise, soit la somme de 11 116,48 € ;

- de condamner les mêmes in solidum aux entiers dépens.

Par conclusions notifiées le 16 janvier 2019, la société Bassigny Poids Lourds demande à la cour :

A titre principal

Vu l'article L. 110-4 du code de commerce,

Vu la loi n°2008-561 du 17 juin 2008,

- de réformer le jugement déféré ;

- de dire et juger prescrite l'action engagée par la SA Transports Manutention C. à l'égard de la SAS Bassigny Poids Lourds ;

En conséquence,

- de débouter la SA Transports Manutention C. de l'intégralité de ses demandes, fins et prétentions ;

A titre subsidiaire

Vu les articles L. 134-1 et suivants du code de commerce,

Vu l'article 1382 du code civil,

- de confirmer le jugement déféré ;

- de débouter la SA Transports Manutention C. de l'intégralité de ses demandes dirigées contre la SAS Bassigny Poids Lourds ;

Vu l'article 1134 du code civil,

- de débouter la SAS Volvo Trucks France de l'intégralité de ses demandes dirigées à l'encontre de la SAS Bassigny Poids Lourds ;

En tout état de cause

- de condamner la SA Transports Manutention C., ou qui mieux les devra, à payer à la SA Bassigny Poids Lourds la somme de 10 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'en tous les dépens.

Par conclusions notifiées le 18 janvier 2019, la société Volvo Trucks France (VTF) demande à la cour :

Vu l'article L. 122 (sic) du code de procédure civile,

Vu les articles 1604, 1147, 1992 et 1382 du code civil,

Vu l'article 26 II de la loi du 17 juin 2008, réformant la prescription,

Vu les articles 2224 et suivants du code civil,

Vu l'ancien article L. 110-4 et le nouvel article L. 110-4 du code de commerce,

A titre principal,

- d'infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a rejeté la prescription de l'action de la société TMC ;

Et statuant à nouveau,

- de constater la prescription de l'action de la société TMC à compter du 20 juin 2013 ;

En conséquence,

- de prononcer l'irrecevabilité de la demande et action de la société TMC ;

A titre subsidiaire,

- de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a rejeté la responsabilité de la société VTF ;

- de constater que la société VTF a livré un camion conforme à la commande du 10 janvier 2006 ;

- de constater que la société TMC est mal fondée dans ses demandes à l'égard de la société VTF ;

En conséquence,

- de débouter la société TMC de ses demandes à l'égard de la société VTF ;

A titre infiniment subsidiaire,

- de constater la faute délictuelle et quasi-délictuelle de la société Bassigny à l'égard de la société TMC ;

- de constater la faute contractuelle de la société Donguy dans l'exécution de son contrat de carrossage à l'égard de la société TMC ;

En conséquence,

- de débouter la société TMC de sa demande à l'égard de la société VTF ;

A titre plus subsidiaire encore,

- de constater la faute de la société Bassigny commise à l'égard de la société VTF dans l'exécution de son mandat ;

En conséquence,

- de condamner la société Bassigny à relever et garantir la société VTF de toute condamnation qui pourrait être prononcée à son encontre dans les préjudices de la société TMC ;

En tout état de cause,

- de réduire les montants des préjudices invoqués par la société TMC à ceux du rapport d'expertise ;

- de condamner la ou les parties qui succomberont à payer la somme de 10 000 € à la société VTF au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- de la condamner aux entiers dépens de l'instance.

Par conclusions notifiées le 17 mai 2019, la société Donguy demande à la cour :

- de confirmer la décision en ce qu'elle a débouté la société TMC de l'ensemble de ses demandes formulées à l'encontre de la société Donguy ;

Sur la prescription,

- de dire et juger que l'action diligentée par la société TMC à l'encontre de la société Donguy est prescrite ;

- d'infirmer le jugement déféré en ce qu'elle (sic) a débouté la société Donguy de cette fin de non-recevoir ;

Sur le fond,

Vu le rapport d'expertise de M. B.,

Vu le certificat de carrossage en date du 31 juillet 2006,

- de rejeter toute responsabilité contractuelle de la société Donguy ;

En conséquence,

- de débouter la société TMC de l'ensemble de ses réclamations ;

- de la condamner à payer à la société Donguy une somme de 5 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile (pour la procédure de référé et de première instance) ;

Y ajoutant,

- de condamner la société TMC à payer à la société Donguy une somme complémentaire de 5 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

La clôture de la procédure a été prononcée le 6 octobre 2020.

En application de l'article 455 du code de procédure civile, il convient de se référer pour l'exposé des moyens des parties à leurs conclusions récapitulatives visées ci-dessus.

Sur ce, la cour,

Sur la prescription

Chacune des sociétés intimées soulève la prescription des demandes de la société TMC en ce qui la concerne.

Les parties s'accordent sur le fait que la prescription applicable à l'espèce résulte de l'article L. 110-4 du code de commerce, qui était d'une durée de 10 années jusqu'à l'entrée en vigueur de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008, laquelle l'a réduite à 5 années.

Il est tout aussi constant que le point de départ de ce délai de prescription est constitué par le jour où le titulaire du droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.

1°) Sur la prescription des demandes en tant qu'elles sont formées à l'encontre de la société Volvo Trucks France

a) La responsabilité de la société Volvo Trucks France est en premier lieu recherchée par la société TMC sur le fondement de l'article 1604 du code civil, pour défaut de livraison conforme, au motif qu'alors que le véhicule répondant à ses besoins devait être équipé d'essieux directeurs avant pouvant supporter une charge de 9 tonnes chacun, le véhicule livré n'était équipé que d'essieux de 8 tonnes de capacité chacun, ce qui le rendait impropre à l'usage auquel il était destiné.

Au regard de ce fondement spécifique, le délai de prescription a commencé à courir à compter de la date à laquelle la société TMC a eu connaissance du fait que le véhicule était équipé d'essieux avant directeurs de 8 tonnes de capacité, soit lors de la prise de connaissance du nouveau calcul de la répartition des charges que la société Donguy affirme lui avoir transmis en avril 2006 suite à la réception de la notice constructeur, mais qu'elle conteste avoir reçu, soit, au plus tard, lors de la réception par l'appelante du certificat de carrossage établi le 6 juillet 2006 par la société Donguy, sur lequel figure la capacité de 16 000 kg des essieux avant, soit 2 x 8 000 kg, et auquel était joint un ticket de pesage. La société TMC ne conteste pas avoir eu connaissance de ce dernier document, qui lui a en tout état de cause nécessairement été remis, puisqu'il était indispensable à l'établissement du certificat d'immatriculation.

Quoi qu'il en soit, par application combinée des dispositions de l'article L. 110-4 du code de commerce et de la loi du 17 juin 2008 réformant la prescription, le délai ouvert à la société TMC pour agir à l'encontre de la société Volvo Trucks France sur le fondement du défaut de conformité expirait le 19 juin 2013.

La prescription était donc acquise lorsque la société TMC a pour la première fois fait assigner la société Volvo Trucks France devant le tribunal de commerce de Pontoise le 8 juillet 2014.

b) La responsabilité de la société Volvo Trucks France est ensuite recherchée par l'appelante sur le fondement de l'ancien article 1147 du code civil, dans sa rédaction applicable au litige, comme ayant manqué à son obligation d'information et de conseil en sa qualité de vendeur, pour ne pas l'avoir orientée vers une configuration différente.

La société TMC indique que, si elle avait certes connaissance du fait que la capacité des essieux avant du véhicule livré ne correspondait pas à celle qui avait été définie antérieurement à la commande comme étant nécessaire pour satisfaire à l'utilisation assignée au véhicule, elle n'avait cependant eu connaissance des conséquences de cette inadéquation, et n'avait donc pu se convaincre de la réalité d'un manquement au devoir de conseil, que par les conclusions du rapport d'expertise judiciaire déposé le 12 décembre 2016, qui a établi le lien entre les pannes récurrentes du système de direction, qui empêchait l'exploitation normale du véhicule, et la capacité de charge des essieux avant.

Il résulte de l'expertise judiciaire que le déplacement vers l'arrière de la grue opéré par la société Donguy lors du carrossage du véhicule afin de délester les essieux avant pour tenir compte du fait qu'ils n'avaient qu'une capacité de charge unitaire de 8 tonnes a eu pour conséquence de réduire la charge transportable à 2,16 tonnes au regard des caractéristiques portées sur le certificat de carrossage, et même à 1,735 tonne au regard des caractéristiques réelles du véhicule, qui avait subi postérieurement à son carrossage des modifications consistant en l'ajout d'équipements supplémentaires.

La simple comparaison des indications relatives respectivement au poids à vide et au poids total autorisé en charge, qui sont reprises sur le certificat d'immatriculation, mais aussi sur un autocollant apposé de manière très apparente sur la cabine du véhicule, permettait de constater que la charge transportable était inférieure d'au minimum 1,34 tonne à celle que la société TMC avait l'intention de transporter avec ce véhicule, l'appelante rappelant en effet que ce poids lourd était spécifiquement destiné au transport de transformateurs électriques pesant 3,5 tonnes.

La société TMC, professionnel du transport, de la manutention et du levage au moyen de poids lourds, est, à ce titre, parfaitement familière de la lecture mais aussi de la prise en compte des caractéristiques relatives aux charges des véhicules qu'elle utilise, et dont le respect conditionne en particulier la conformité des transports effectués à la réglementation qui leur est applicable.

Dès la prise en compte du porteur litigieux suite à son carrossage, l'appelante ne pouvait donc en aucun cas ignorer que ce véhicule disposait d'une charge transportable très nettement inférieure à celle qui lui était indispensable pour le transport de transformateurs de 3,5 tonnes, et elle savait dès lors pertinemment que l'exercice d'un tel transport s'effectuerait nécessairement en surcharge.

Or, compte tenu du domaine d'activité spécialisé dans lequel elle intervient depuis de nombreuses années, la société TMC ne peut sérieusement soutenir ne pas avoir mesuré les conséquences que les contraintes excessives résultant d'une utilisation habituelle du véhicule en surcharge auraient immanquablement sur la durée de vie de ses organes mécaniques les plus exposés, parmi lesquels figurent en particulier, compte tenu de leur principe de fonctionnement, les organes assurant la direction. Cela est d'autant moins contestable que, pour faire grief à la société Bassigny Poids Lourds, prise en sa qualité de réparateur, de n'être jamais intervenu sur la cause des pannes successives, l'appelante indique elle-même que la surcharge constitue la première cause venant à l'esprit en cas de dysfonctionnement récurrent de la direction.

Il doit en conséquence être retenu que la société TMC disposait dès la mise à disposition du véhicule, ou à tout le moins dès la survenance de la première panne du système de direction, que l'expert situe au 5 janvier 2009, des éléments qui auraient dû lui permettre de connaître les faits lui permettant d'agir à l'encontre du vendeur sur le fondement de la responsabilité contractuelle.

Le délai de prescription ayant là-aussi expiré le 19 juin 2013, la société TMC n'était plus recevable à agir à l'encontre de la société Volvo Trucks France le 8 juillet 2014.

Le jugement déféré devra donc être infirmé en ce qu'il a écarté la fin de non-recevoir soulevée par la société Volvo Trucks France.

2°) Sur la prescription des demandes en tant qu'elles sont formées à l'encontre de la société Donguy

La société TMC recherche la responsabilité de la société Donguy sur le fondement des articles 1134 et 1147 du code civil, dans leur rédaction applicable, pour avoir manqué à son obligation de résultat en ayant carrossé le véhicule de telle manière qu'il n'était pas apte à servir à l'usage qui lui était assigné, et pour ne pas l'avoir alertée sur ce point avant de procéder au carrossage.

Toutefois, il a été démontré précédemment que l'appelante aurait dû avoir connaissance, au plus tard à la date du 5 janvier 2009, des conséquences qu'entraînait l'utilisation en surcharge constante qu'elle faisait sciemment de son véhicule. Elle disposait donc également à l'encontre du carrossier d'un délai d'action qui, par application combinée de l'article L. 110-4 du code de commerce et de la loi du 17 juin 2008, expirait le 19 juin 2013.

La prescription était en conséquence acquise à la date du 21 août 2015, à laquelle la société TMC a mis en cause la société Donguy dans le cadre de la procédure de référé expertise.

Le jugement entrepris sera infirmé en ce qu'il a écarté la fin de non-recevoir soulevée par la société Donguy, laquelle devra être accueillie.

3°) Sur la prescription des demandes en tant qu'elles sont formées à l'encontre de la société Bassigny Poids Lourds

a) La société TMC met d'abord en cause la responsabilité délictuelle de la société Bassigny Poids Lourds, au motif qu'en sa qualité de mandataire de la société Volvo Trucks France, à laquelle elle était liée par un contrat d'agent commercial, elle avait commis à l'égard de son mandant une faute en établissant sciemment un bon de commande qui ne correspondait pas aux exigences émises par la cliente, dont elle avait nécessairement connaissance, cette faute contractuelle à l'égard du mandant ayant causé un préjudice d'ordre quasi délictuel à la cliente.

Toutefois, dans la mesure où, comme il l'a déjà été indiqué, l'appelante avait conscience, au moins depuis sa prise de connaissance du certificat de carrossage établi le 6 juillet 2006, du fait que le véhicule était équipé d'essieux avant de moindre capacité que celle spécifiée lors de la définition des caractéristiques du véhicule à commander, elle disposait pour agir à l'encontre de l'agent commercial d'un délai expirant le 19 juin 2013, de sorte qu'elle était incontestablement prescrite lorsqu'elle a assigné pour la première fois la société Bassigny Poids Lourds début 2015 dans le cadre de la procédure de référé expertise.

b) L'appelante actionne également la société Bassigny Poids Lourds sur le fondement contractuel, en rappelant qu'en sa qualité de mécanicien poids lourds, elle avait procédé à l'ensemble des interventions nécessitées par la défaillance récurrente du système de direction, et qu'elle avait à cette occasion, manqué à son obligation de résultat en n'attirant jamais son attention sur la cause commune de ces pannes, savoir l'utilisation du porteur en surcharge.

Au regard de ce fondement spécifique, la prescription quinquennale court à compter de chacune des interventions incriminées. Les réparations relatives au système de direction sont listées de manière exhaustive par l'expert judiciaire, qui les fait apparaître en couleur rouge sur le tableau retraçant l'ensemble des interventions subies par le véhicule litigieux depuis sa mise en circulation. Il en résulte que si les quatre interventions ayant donné lieu à des factures établies entre le 5 janvier 2009 et le 31 décembre 2009 sont atteintes par la prescription, tel n'est en revanche pas le cas des 10 interventions suivantes, facturées entre le 11 mars 2011 et le 24 novembre 2014, soit moins de 5 ans avant la première assignation délivrée à la société Bassigny Poids Lourds.

L'action de la société TMC sera donc déclarée recevable à l'encontre de la société Bassigny Poids Lourds, prise en sa seule qualité de réparateur.

Sur le fond

En sa qualité de réparateur, la société Bassigny Poids Lourds est tenue envers sa cliente, la société TMC, d'une obligation de résultat, qui consiste, non seulement à remédier aux effets de la panne, c'est-à-dire à remettre le véhicule confié en état de fonctionnement, mais aussi à déterminer la cause de cette panne, afin d'éviter qu'en l'absence d'action sur le fait générateur du dysfonctionnement, celui-ci ne se reproduise.

Il est constant que chacune des interventions de l'intimée a été efficace en ce qu'à chaque fois le camion a pu être remis en service après reprise des organes défaillants.

Il n'en demeure cependant pas moins que la récurrence de la panne affectant le système de direction aurait nécessairement dû alerter le réparateur sur l'absence de caractère fortuit, et sur l'existence d'une origine commune pouvant expliquer la survenance d'une succession de dysfonctionnements de même nature. Il n'est en effet pas anodin de relever à cet égard que la pompe de direction assistée a été remplacée par la société Bassigny Poids Lourds à quatre reprises, et le boîtier de direction à trois reprises, les autres interventions consistant à remédier à des fuites sur le circuit d'huile de la direction.

Or, comme le fait pertinemment observer la société TMC, cette récurrence aurait, par la nature et le siège des pannes, dû aiguiller le réparateur vers un problème de surcharge, alors surtout que les caractéristiques relatives au poids du véhicule, qui étaient parfaitement apparentes pour être apposées sur la cabine, ne laissaient aucun doute sur la relative faiblesse de la charge qu'il était en mesure de transporter, et rendait l'hypothèse d'une utilisation en surcharge d'autant plus plausible.

Pourtant, il n'est ni démontré, ni même soutenu par la société Bassigny Poids Lourds qu'elle ait interrogé sa cliente sur une éventuelle circulation du véhicule en surcharge, ou qu'elle l'ait alertée de quelque manière que ce soit à cet égard.

Ce faisant, l'intimée a manqué à son obligation envers la société TMC, peu important, s'agissant d'une obligation de résultat, que l'appelante disposait elle-même des compétences qui auraient pu lui permettre d'apprécier les effets d'une utilisation de son véhicule en surcharge.

En n'avisant pas sa cliente de l'origine de la panne, la société Bassigny Poids Lourds ne l'a pas mise en mesure de faire réaliser les travaux nécessaires à y remédier définitivement, à savoir l'adaptation sur le véhicule d'essieux avant supportant 9 tonnes chacun, ce qui était techniquement possible ainsi qu'il résulte du rapport d'expertise judiciaire, et l'a donc contrainte à faire exécuter des réparations que le respect de l'obligation aurait rendues inutiles.

La société Bassigny Poids Lourds est en conséquence redevable envers la société TMC d'une somme correspondant aux factures de réparation du système de direction qui ne sont pas atteintes par la prescription, soit celles émises à compter du 11 mars 2011, ainsi que les frais engendrés par ces interventions, telles que mises en évidence par l'expert judiciaire, à savoir l'immobilisation du véhicule, et la location pendant une durée équivalente d'une grue et d'un semi-remorque pour assurer les transports.

Le total des factures concernées s'établit à 9 374,36 € HT.

Au titre de ces seules factures non couvertes par la prescription, la durée totale d'immobilisation doit, au vu des pièces produites par la société TMC, être fixée à 7 jours, à savoir 4 jours pour l'année 2013, et 3 jours pour l'année 2014. En considération du tarif unitaire retenu par l'expert, qui n'est pas remis en cause par les parties, soit 651 € HT par jour d'immobilisation, 700 € HT par jour de location grue, et 962 € HT par jour de location semi-remorque, l'indemnisation due à la société TMC s'établit ainsi à 4 557 € HT pour l'immobilisation, 4 900 € HT pour la location d'une grue et 6 734 € HT pour la location d'un semi-remorque.

La société Bassigny Poids Lourds sera donc condamnée à payer à la société TMC la somme totale de 25 565,36 € HT, la décision entreprise étant infirmée en ce sens.

Il ne pourra être fait droit aux demandes de l'appelante portant sur le coût de remplacement du véhicule litigieux, subsidiairement sur le coût de la mise en conformité par adaptation d'essieux avant de capacité suffisante, dès lors qu'en sa qualité de réparateur, la société Bassigny Poids Lourds n'est pas responsable de la surcharge qui se trouve à l'origine du dysfonctionnement récurrent du système de direction.

Enfin, il est incontestable que le manquement de la société Bassigny Poids Lourds, en n'ayant pas permis d'éviter la récurrence des pannes, a contribué, par la perturbation de l'organisation de l'activité de la société TMC que ces pannes ont engendrée, à la perte de confiance de la société Ormazabal. C'est ce qui résulte sans ambiguïté du courrier adressé le 22 juillet 2016 à l'appelante par cette société, qui indique notamment que « suite aux pannes successives et répétées de son camion grue, qui ont provoqué de nombreux retards de livraison et des incidents qualité lors des déchargements sur les chantiers de nos clients, nous avons été contraints de résilier à titre conservatoire le contrat de la société TMC à effet au 31 janvier 2013 ».

Toutefois, les pannes auxquelles il est ainsi fait référence ne concernent à l'évidence pas tout le circuit de direction, étant rappelé que l'expert a listé de nombreux autres dysfonctionnements sans aucun rapport avec la problématique de surcharge.

Il est ainsi établi que les perturbations et préjudice d'image subis par la société TMC ne sont pas exclusivement imputables au manquement de la société Bassigny Poids Lourds. La cour dispose des éléments d'appréciation suffisants pour chiffrer à 3 000 € le préjudice relevant de la responsabilité de l'intimée.

La société Bassigny Poids Lourds sera condamnée à régler cette somme à l'appelante. Le jugement querellé sera infirmé en ce sens.

Sur les autres dispositions

La décision déférée sera infirmée s'agissant de l'article 700 du code de procédure civile et des dépens.

La société Bassigny Poids Lourds sera condamnée, outre aux entiers dépens de première instance et d'appel, incluant les frais d'expertise judiciaire, à payer à la société TMC la somme de 2 000 € au titre des frais irrépétibles exposés par celle-ci pour défendre en première instance et en appel.

Les autres demandes formées sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile seront rejetées.

Par ces motifs

Statuant en audience publique et par arrêt contradictoire,

Infirme en toutes ses dispositions le jugement rendu le 14 septembre 2018 par le tribunal de commerce de Mâcon ;

Statuant à nouveau :

Déclare irrecevables les demandes formées par la société Transports Manutention C. à l'encontre de la société Volvo Trucks France et de la société Donguy ;

Déclare irrecevables les demandes formées par la société Transports Manutention C. à l'encontre de la société Bassigny Poids Lourds sur le fondement délictuel ;

Déclare recevables les demandes formées par la société Transports Manutention C. à l'encontre de la société Bassigny Poids Lourds sur le fondement contractuel ;

Condamne la société Bassigny Poids Lourds à payer à la société Transports Manutention C. les sommes de :

. 25 565,36 € HT en réparation de son préjudice matériel ;

. 3 000 € à titre de dommages et intérêts complémentaires ;

Condamne la société Bassigny Poids Lourds à payer à la société Transports Manutention C. la somme de 2 000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

Rejette les demandes formées par les autres parties sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne la société Bassigny Poids Lourds aux entiers dépens de première instance et d'appel, incluant les frais d'expertise judiciaire.