ADLC, 14 janvier 2021, n° 21-D-01
AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE
Décision
relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur des isolants thermiques
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Délibéré sur le rapport oral de M. Jean-Marc Le Trong et de Mme Séverine Bertrand, rapporteurs, et l’intervention de M. Joël Tozzi, rapporteur général adjoint, par Mme Irène Luc, vice-présidente, présidente de séance, M. Savinien Grignon-Dumoulin et M. Jérôme Pouyet, membres.
L’Autorité de la concurrence (section V),
Vu la lettre du 8 avril 2009, enregistrée sous le n° 09/0061 F, par laquelle le ministre de l’Economie, de l’industrie et de l’emploi a saisi l’Autorité de la concurrence de pratiques mises en œuvre dans le secteur des isolants minces multicouches réfléchissants ;
Vu la lettre du 16 avril 2010, enregistrée sous le n° 10/0043 F, par laquelle la société Actis a saisi l’Autorité de la concurrence de pratiques mises en œuvre dans le secteur de l’isolation thermique des bâtiments ;
Vu la décision du 21 mai 2010, par laquelle le rapporteur général adjoint a procédé à la jonction de l’instruction des affaires n° 09/0061 F et n° 10/0043 F ;
Vu la décision n° 16-S-03 du 22 septembre 2016, par laquelle le dossier enregistré sous les numéros 09/0061 F et 10/0043 F a été renvoyé à l’instruction ;
Vu la lettre du 16 avril 2020, par laquelle le Syndicat des Fabricants d’Isolants en Laines Minérales Manufacturées a saisi le conseiller-auditeur ;
Vu le rapport établi le 12 juin 2020 par le conseiller-auditeur ;
Vu l’article 101 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne ; Vu le livre IV du code de commerce, et notamment son article L. 420-1 ;
Vu les décisions de secret des affaires, n° 09-DSA-279 du 9 novembre 2009, n° 10-DSADEC-18 du 1er septembre 2010, n° 10-DSA-181 du 3 septembre 2010, n° 10-DSA-235 du 10 novembre 2010, n° 10-DSA-236 du 10 novembre 2010, n° 10-DSA-237 du 10 novembre 2010, n° 11-DSA-89 du 22 mars 2011, n° 11-DSA-90 du 22 mars 2011, n° 11-DSA-110 du 12 avril 2011, n° 12-DSA-15 du 6 janvier 2012, n° 12-DEC-04 du 27 février 2012, n° 12-DEC-05 du 27 février 2012, n° 12-DSA-261 du 18 juillet 2012, n° 12-DSA-348 du 15 octobre 2012, n° 14-DSA-143 du 26 mai 2014, n° 14-DEC-29 du 20 juin 2014, n° 14-DEC-30 du 20 juin 2014, n° 14-DEC-34 du 7 juillet 2014, n° 14-DEC-40 du 18 juillet 2014, n° 14-DSA-206 du 21 juillet 2014, n° 14-DECR-30 du 3 septembre 2014, n° 14-DSA-374 du 19 décembre 2014, n° 14-DSA-375 du 19 décembre 2014, n° 15-DSA-397 du 30 novembre 2015, n° 15-DSA-388 du 25 novembre 2015, n° 15-DSA-396 du 30 novembre 2015, n° 17-DECR-262 du 28 juin 2017, n° 17-DECR-268 du 30 juin 2017, n° 17-DECR-424 du 20 octobre 2017, n° 17-DECR-480 du 13 novembre 2017, n° 17-DSA-507 du 23 novembre 2017, n° 17-DEC-528 du 4 décembre 2017, n° 17-DSA-532 du 6 décembre 2017, n° 18-DSA-136 du 14 mai 2018, n° 18-DSA-304 du 18 septembre 2018, n° 18-DSA-305 du 18 septembre 2018, n° 19-DSA-141 du 6 mai 2019, n° 19-DSA-183 du 24 mai 2019, n° 20-DSA-163 du 3 mars 2020, n° 20-DSA-183 du 14 avril 2020 ;
Vu les observations présentées par les sociétés Actis, Saint-Gobain Isover & Compagnie de Saint-Gobain, le Syndicat National des Fabricants d’Isolants en Laines Minérales Manufacturées, le Centre Scientifique et Technique du Bâtiment, la Direction de l’Habitat, de l’Urbanisme et des Paysages, et le commissaire du Gouvernement ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Les rapporteurs, le rapporteur général adjoint, le commissaire du Gouvernement et les représentants de la société Actis, du Centre Scientifique et Technique du Bâtiment, de la Direction de l’Habitat, de l’Urbanisme et des Paysages, des sociétés Saint-Gobain Isover et Compagnie de Saint-Gobain, et du Syndicat National des Fabricants d’Isolants en Laines Minérales Manufacturées, entendus lors de la séance de l’Autorité de la concurrence du 6 octobre 2020 ;
Adopte la décision suivante :
Résumé1
Aux termes de la présente décision, l’Autorité de la concurrence (ci-après « l’Autorité ») prononce un non-lieu pour des pratiques concernant le secteur de la fabrication de produits d’isolation thermique.
Les acteurs concernés par ces pratiques étaient :
. le Centre scientifique et technique du bâtiment (ci-après « CSTB »), établissement public industriel et commercial ayant pour mission principale de procéder à des recherches scientifiques dans le domaine de la construction et de l’habitat ;
. le Syndicat National des Fabricants d’Isolants en Laines Minérales Manufacturées (ci-après « FILMM ») ;
. la société Saint-Gobain Isover, fabricant de produits isolants en laine minérale et membre de ce syndicat.
Il était reproché à ces acteurs par les services d’instruction d’avoir mis en œuvre plusieurs pratiques contraires aux articles L. 420-1 du code de commerce et 101 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (ci-après « TFUE »).
En premier lieu, il était fait grief aux organismes mis en cause d’avoir échangé des informations portant, principalement, sur la demande d’agrément technique européen présentée par la société Actis, fabricant d’isolants relevant de la catégorie des produits minces réfléchissants, afin que ses produits puissent bénéficier de la marque « CE ».
En second lieu, il était fait grief au CSTB, au FILMM et à la société Saint-Gobain Isover de s’être concertés, dans le cadre d’une infraction unique, complexe et continue, afin d’entraver l’entrée et la commercialisation des produits minces réfléchissants sur le marché de la fabrication des produits d’isolation thermique. Il était notamment reproché à ces organismes d’avoir cherché à empêcher l’élaboration d’un référentiel prévoyant l’évaluation des performances des produits minces réfléchissants par le biais d’essais dits « in situ » et à favoriser le recours aux essais dits normalisés (en laboratoire), réputés plus favorables aux isolants en laine minérale.
Les pratiques relevées par les services d’instruction au titre de ce second grief concernaient :
. des réunions organisées dans les locaux du FILMM en marge de la procédure contentieuse engagée par ce syndicat professionnel contre la société Actis ;
. la procédure d’instruction de la demande d’agrément technique européen présentée par la société Actis ;
. les travaux des ateliers portant sur les PMR mis en place au sein du Comité européen de normalisation ;
. la rédaction d’une note d’information sur les PMR par le groupe spécialisé n° 20 de la Commission chargée de formuler les avis techniques ;
. l’élaboration par la société Saint-Gobain Isover et une société tierce d’une stratégie visant la société Actis ;
. la réalisation par le CSTB d’une campagne d’essais à la demande de l’ADEME dans le cadre du programme national de recherche et d’expérimentation sur l’énergie dans les bâtiments ;
. la réalisation d’essais par un laboratoire allemand à la demande de la société Actis puis de la société Saint-Gobain Isover.
Au titre du premier grief notifié, l’Autorité a estimé que les informations échangées ne présentaient pas un caractère stratégique pour les mis en cause. Elle a notamment relevé que ces informations ne portaient pas sur les données commerciales sensibles de la société Actis ou d’autres entreprises actives sur le marché de la fabrication des produits d’isolation thermique et n’étaient donc pas de nature à réduire l’incertitude sur ce marché. L’Autorité a estimé, en conséquence, que la pratique visée dans le premier grief notifié n’était pas établie.
Au titre du second grief, l’Autorité a estimé que les éléments du dossier ne permettaient pas de caractériser l’existence d’un plan d’ensemble poursuivant un objectif anticoncurrentiel unique et de pratiques présentant entre elles des liens d’identité et de complémentarité suffisants pour établir que les mis en cause avaient participé à une infraction unique, complexe et continue visant à entraver l’entrée des PMR sur le marché des produits d’isolation thermique. Par ailleurs, l’Autorité a estimé que, prises isolément, les différentes pratiques constatées, qui, selon les cas, présentaient un caractère unilatéral ou ne pouvaient être regardées comme anticoncurrentielles, ne constituaient pas des pratiques d’entente prohibées par les articles L. 420-1 du code de commerce et 101 du TFUE.
I. Les constatations
A. RAPPEL DE LA PROCEDURE
1. Par lettre du 8 avril 2009, enregistrée sous le n° 09/0061 F, le ministre chargé de l’Economie a, en application de l’article L. 462-5 du code de commerce, saisi l’Autorité de la concurrence (ci-après « l’Autorité ») de faits susceptibles de constituer des pratiques anticoncurrentielles dans le secteur des isolants minces multicouches réfléchissants.
2. Des opérations de visite et de saisie ont été effectuées le 11 juin 2009 dans les locaux de l’Association française de normalisation (ci-après « AFNOR »), du Centre Scientifique et Technique du Bâtiment (ci-après « CSTB »), de la société Saint-Gobain Isover et du Syndicat National des Fabricants d’Isolants en Laines Minérales Manufacturées (ci-après « FILMM »). Le déroulement de ces opérations a donné lieu à des recours présentés par le FILMM, le CSTB, et la société Saint-Gobain Isover2.
3. Par lettre du 16 avril 2010, enregistrée sous le n° 10/0043 F, la société Actis a saisi l’Autorité de pratiques mises en œuvre dans le secteur des produits de l’isolation thermique des bâtiments.
4. Par décision du 21 mai 2010, l’instruction des dossiers enregistrés sous les numéros 09/0061 F et 10/0043 F a été jointe.
5. Le FILMM a introduit le 17 avril 2013 un recours tendant à l’annulation de la décision par laquelle le Premier ministre avait refusé d’abroger l’article R. 464-29 du code de commerce, dans sa rédaction issue du décret n° 2009-139 du 10 février 2009. Par décision n° 367807 du 10 octobre 2014, le Conseil d’État a annulé la décision attaquée et a enjoint au Premier ministre d’abroger l’article R. 464-29 du code de commerce3.
6. Le 28 juillet 2014, le Rapporteur général a adressé une notification de griefs portant sur des pratiques prohibées au titre de l’article 101 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (ci-après « TFUE ») et de l’article L. 420-1 du code de commerce au CSTB, au FILMM, aux sociétés Saint-Gobain Isover et Compagnie de Saint-Gobain. Cette notification de griefs a été suivie d’un rapport le 10 août 2015.
7. Par décision n° 16-S-03 du 22 septembre 2016, l’Autorité a décidé, en application de l’article R. 463-7 du code de commerce, le renvoi à l’instruction de l’affaire enregistrée sous les numéros 09/0061 F et 10/0043 F.
8. Une seconde notification de griefs du 10 octobre 2018, suivie d’un rapport du 20 novembre 2019, ont été adressés au CSTB, au FILMM et aux sociétés Saint-Gobain Isover et Compagnie de Saint-Gobain.
9. Par trois requêtes, enregistrées respectivement les 25, 26 et 29 juin 2020, le FILMM, le CSTB et la société Saint-Gobain Isover ont demandé au premier président de la cour d’appel de Paris la récusation de l’un des rapporteurs désignés pour instruire l’affaire.
10. Par trois ordonnances du 24 juillet 2020, le magistrat désigné par le premier président de la cour d’appel de Paris a rejeté ces recours. Ces ordonnances font l’objet d’un pourvoi devant la Cour de cassation.
B. LE SECTEUR D’ACTIVITE
1. DEFINITION
11. L’isolation thermique vise à limiter les transferts thermiques entre un milieu chaud et un milieu froid. Ainsi, en matière de construction, l’isolant thermique est défini comme « un produit qui réduit, par sa présence, les échanges thermiques à travers la paroi dans laquelle il est placé » (Norme NF P75-101, cote 2017)4.
12. La résistance thermique d’un produit, désignée par la lettre « R », est mesurée en mètres carrés Kelvin par Watt (m².K/W). Plus la valeur « R » est grande, plus le pouvoir isolant du produit est important.
2. LES DIFFERENTES CATEGORIES D’ISOLANTS
13. L’isolation thermique des bâtiments peut être réalisée par l’intérieur ou par l’extérieur. L’isolation par l’extérieur était un procédé relativement peu répandu pendant la période des pratiques en litige, en raison notamment de son coût (cf. étude de la société MSI, Marché des produits d’isolation thermique pour le bâtiment en France, juillet 2011 - cotes 16 375 à 16 619).
14. L’isolation des bâtiments par l’intérieur peut se faire à partir des toitures, des combles, des cloisons, plafonds ou planchers. Différentes catégories de produits d’isolation peuvent être identifiées en fonction de leurs matériaux. Parmi les produits utilisés figurent les laines minérales (laines de verre et laines de roche), les plastiques alvéolaires (mousses synthétiques en polystyrène ou polyuréthane), les isolants naturels (chanvre, lin, bois, ouate, plumes, laine de mouton), les verres cellulaires, et les isolants minces thermo-réflecteurs. Cette dernière catégorie de produits est également désignée par les termes d’isolants minces multicouches réfléchissants ou encore de produits minces réfléchissants (ci-après « PMR »).
15. Selon les données figurant dans un document interne à la société Saint-Gobain Isover, daté de mars 2008, les isolants en laine minérale totalisaient 65 % de parts de marché (cote 15 789). Selon ce même document, la part des plastiques alvéolaires s’élevait à 24 %. Selon l’étude précitée de la société MSI de juillet 2011, la part des laines minérales et des plastiques alvéolaires dans le total des surfaces isolées s’élevait en 2010 à 92 % (cote 16 467).
16. L’utilisation des isolants en laine minérale est demeurée prépondérante au cours de la période visée par les pratiques, en particulier pour l’isolation des toitures. Ainsi, en 2010, pour l’isolation par les toitures et combles, la part des isolants en laine minérale s’élevait à 82 % (étude MSI précitée, cote 16 481).
17. Pour ce qui concerne les PMR, la vente de ces produits a connu une forte croissance jusqu’en 2007. Leur commercialisation a connu un net ralentissement à la suite de la crise économique de 2008 (étude MSI précitée, cote 16 497). Selon cette étude, la part des PMR dans le total des surfaces isolées, qui avait atteint environ 8,5 % en 2007, s’est élevée à 6 % en 2010 (cote 16 467). Ainsi, les ventes de PMR ont chuté de 27,7 % entre 2006 et 2010 (cote 16 497).
3. LES METHODES D’EVALUATION DE LA PERFORMANCE DES ISOLANTS
18. La valeur « R » employée pour mesurer la résistance thermique est traditionnellement évaluée à l’aide de méthodes dites normalisées, réalisées à partir d’essais en laboratoire. Les méthodes les plus fréquemment employées, visées dans la norme NF P75-101, sont dites de « la boîte chaude gardée » et la « plaque chaude gardée ».
19. La méthode de la boîte chaude gardée a pour principe, selon le CSTB, de « mesurer les performances thermiques d’éléments de taille suffisante pour représenter correctement une situation réelle ». Cette méthode repose sur l’utilisation comme éprouvette d’un élément de mur ou de toiture de plusieurs mètres carrés, qui sépare deux chambres de grande taille maintenues à température régulée (par ex. 30°C et 0°C). L’essai consiste à « mesurer le flux de chaleur traversant l’éprouvette en fonction des écarts de température » (article « Isolation thermique : les enjeux de mise en œuvre » du 9 juillet 2008, publié sur le site internet du CSTB ; cotes 14 869 – 14 879).
20. La méthode de la plaque chaude gardée consiste à placer un échantillon de matériau au contact d’une plaque chaude et d’une plaque froide et de « mesure[r] à l’équilibre la différence des températures entre les deux plaques » (extrait du site internet de la société KDB Isolation, cote 14 881).
21. Certains fabricants de PMR, dont la société Actis, considèrent que les méthodes normalisées présentent des limites et ne permettent pas de mesurer de façon adéquate les performances des isolants thermiques. Ces méthodes conduisent, en effet, selon eux, à une sous-évaluation de la performance des isolants minces, dans la mesure notamment où elles ont été conçues pour mesurer la résistance thermique des isolants épais traditionnels (étude MSI précitée, cote 16 497).
22. Par ailleurs, certains fabricants de PMR ont reproché aux méthodes normalisées de ne pas prendre en compte les variations de température, d’humidité et de vent auxquelles sont soumis les isolants en conditions réelles d’utilisation. Ainsi, les résultats obtenus à partir des essais normalisés « peuvent diverger sensiblement des consommations réelles » (procès-verbal d’audition du responsable recherche et développement de la société Actis du 3 décembre 2009, cotes 1 628 à 1 633).
23. En conséquence, certains acteurs, dont la société Actis, ont préconisé le recours à des essais dits in situ. Ces essais sont destinés à mesurer la consommation énergétique de deux bâtiments construits en un même lieu, conçus à l’identique, et dans lesquels est maintenue une température constante, mais qui sont isolés avec des produits d’isolation différents. La différence de consommation énergétique constatée entre les deux bâtiments à l’issue de la période d’essai doit permettre de comparer utilement la performance des produits isolants.
24. Au sujet des essais in situ, l’expert désigné par la cour d’appel de Versailles dans le cadre d’un litige opposant le FILMM à Actis relevait, dans son rapport du 27 février 2009, que ces essais, « bien que plus difficiles à conduire et dont les résultats sont plus difficiles à interpréter, peuvent sans doute être admis » (cote 3 640). Dans le cadre de cette même procédure, le sapiteur indiquait dans son rapport du 19 décembre 2008 que les campagnes de mesures in situ sont « très instructives sur l’analyse comparative entre deux isolants dans la situation d’une application réelle (hors toute notion de laboratoire) » (cote 347).
25. Plusieurs rapports parlementaires ont également souligné l’utilité que pouvaient représenter les essais in situ dans le secteur du bâtiment. L’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, dans un rapport du 9 juillet 2014 consacré aux économies d’énergie dans le bâtiment5, estimait ainsi que « seule la mesure in situ permet de rendre compte de la réalité de la performance thermique » et que « l’horizon véritable de la réglementation thermique est celui du remplacement de l’évaluation calculée par la mesure in situ ».
4. L’IMPORTANCE DES REFERENTIELS « QUASI-NORMATIFS »
26. Au-delà de la réglementation à laquelle sont soumis les produits utilisés dans la construction, les référentiels facultatifs permettant d’attester de la qualité des produits et de leur aptitude à l’usage revêtent une importance particulière dans le secteur du bâtiment, ainsi que l’a relevé l’Autorité dans son avis n° 15-A-16 du 16 novembre 2015 portant sur l’examen, au regard des règles de concurrence, des activités de normalisation et de certification.
27. Cette situation s’explique par la présence, dans ce secteur, de nombreux opérateurs appartenant à des corps de métier différents, pour lesquels l’existence de référentiels communs est un important facteur de coordination et d’interopérabilité. Elle s’explique également par les exigences des assureurs, qui conduisent les professionnels du secteur à privilégier les produits dont la qualité est attestée par la conformité à ces référentiels, qui acquièrent de fait un caractère « quasi normatif » (voir § 100 et suivants de l’avis n° 15-A-16 du 16 novembre 2015).
28. Ces référentiels sont notamment élaborés dans le cadre de la normalisation. Celle-ci est définie comme « une activité d’intérêt général qui a pour objet de fournir des documents de référence élaborés de manière consensuelle par toutes les parties intéressées, portant sur des règles, des caractéristiques, des recommandations ou des exemples de bonnes pratiques, relatives à des produits, à des services, à des méthodes, à des processus ou à des organisations » (article 1er du décret n° 2009-697 du 16 juin 2009 relatif à la normalisation). Elle constitue « un processus d’élaboration de standards communs sur lesquels s’accordent les différents acteurs économiques afin de faciliter les échanges commerciaux, tant nationaux qu’internationaux » (§ 5 de l’avis n° 15-A-16).
29. Les entreprises peuvent également avoir intérêt à recourir à la certification, définie à l’article L. 115-27 du code de la consommation comme une « activité par laquelle un organisme, distinct du fabricant, de l’importateur, du vendeur, du prestataire ou du client, atteste qu’un produit, un service ou une combinaison de produits et de services est conforme à des caractéristiques définies dans un référentiel de certification ». L’avis n° 15-A-16 rappelle que la certification est intimement liée à l’activité de normalisation. En effet, « dès lors que les normes attestent d’un certain niveau de qualité des produits, les entreprises et les consommateurs ont intérêt à ce qu’elles soient respectées. C’est cette demande de qualité qui justifie l’existence d’un marché des services de certification sur lesquels les organismes évaluateurs et certificateurs (…) offrent leur expertise » (§ 50).
30. Par ailleurs, indépendamment des démarches de certification, les fabricants de produits nouveaux ou innovants peuvent chercher à obtenir la délivrance d’un avis technique ou d’un agrément technique européen. Ces avis et agréments, bien que de nature différente et délivrés par des autorités distinctes, ont en commun de remédier à l’absence de normes harmonisées pour des produits innovants. Bien que facultatifs, ils présentent en outre un intérêt particulier pour les fabricants dans la mesure où, étant délivrés sur la base de référentiels faisant autorité, reconnus par l’ensemble des acteurs intervenant dans le secteur de la construction, ils facilitent l’insertion des produits sur le marché concerné.
31. Les avis techniques sont des avis formulés par un groupe d’experts institué auprès de la Commission chargée de formuler les avis techniques (ci-après « CCFAT »). L’article 1er de l’arrêté interministériel du 2 décembre 1969 portant création de la CCFAT, en vigueur au cours de la période visée par les notifications de griefs, dispose que ces avis « sont sollicités à titre facultatif, sur l’aptitude à l’emploi des procédés, matériaux, éléments ou équipements utilisés dans la construction, lorsque leur nouveauté ou celle de l’emploi qui en est fait n’en permet pas encore la normalisation ».
32. Il s’agit d’une « procédure volontaire permettant à un fabricant de vérifier que son produit ou procédé est conforme à la réglementation et permet de construire un ouvrage stable et pérenne »6. Les demandes d’avis technique sont instruites par les groupes spécialisés constitués au sein de la CCFAT.
33. L’avis n° 15-A-16 qualifie de « quasi-normes » les avis techniques délivrés sous l’égide de la CCFAT. Il est relevé que ces avis sont « demandés par un industriel souhaitant commercialiser dans le secteur de la construction un produit innovant qui n’est pas rattachable à des savoir-faire ou des pratiques traditionnels, le plus souvent parce qu’il sait d’expérience que les opérateurs exigent généralement de tels avis » (§ 122). Ainsi, bien que non obligatoires, les avis techniques constituent « une exigence de fait des assureurs et des contrôleurs techniques et, à ce titre, demeurent indispensables pour commercialiser un produit ou un procédé non encore reconnu comme technique traditionnelle » (§ 123).
34. Les agréments techniques européens (ci-après « ATE ») ont été créés par la directive 89/106/CEE du Conseil du 21 décembre 1988 relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres concernant les produits de construction7. Ces agréments permettent à des produits pour lesquels il n’existe pas de norme harmonisée élaborée au niveau européen de bénéficier néanmoins de la marque « CE », ce qui facilite leur commercialisation au sein du marché intérieur8.
35. La délivrance des ATE se déroule dans le cadre de l’Organisation européenne de l’agrément technique (ci-après « OEAT »). La procédure de délivrance est précisée à l’annexe II de la directive et par la décision 94/23/CE de la Commission du 17 janvier 1994. Il résulte de cette décision qu’une demande d’ATE peut être introduite auprès de l’un des organismes membres de l’OEAT. Il est précisé qu’il est interdit de présenter une demande pour le même produit à plus d’un organisme.
36. L’ATE est fondé sur des essais et une appréciation s’appuyant sur les guides d’agrément technique européen visés à l’article 11 de la directive. L’article 9.2 de la directive prévoit que « lorsque les guides visés à l’article 11 n’existent pas ou n’existent pas encore, un agrément technique européen peut être délivré par référence aux exigences essentielles et aux documents interprétatifs lorsque l’appréciation du produit est adoptée par les organismes d’agrément, agissant conjointement dans le cadre de [l’OEAT] ».
37. En pratique, en l’absence de guide, la délivrance de l’ATE se fait sur la base d’une position commune sur les critères d’évaluation du produit (« common understanding of assessment procedure », ci-après « CUAP »), document interne à l’OEAT, établi par l’organisme saisi de la demande. Le projet de CUAP est soumis aux autres membres de l’OEAT et, le cas échéant, modifié afin de prendre en compte leurs remarques. Il est ensuite transmis au bureau technique de l’OEAT qui recueille le consentement des membres de l’organisation. C’est alors sur la base du CUAP que l’ATE est délivré par l’organisme saisi de la demande, après accord de l’ensemble des organismes membres de l’OEAT.
C. LES ACTEURS CONCERNES
1. LES PRODUCTEURS D’ISOLANTS
38. Le secteur de la fabrication de produits d’isolation thermique est segmenté en fonction des catégories de produits isolants. En effet, les fabricants d’isolants se concentrent généralement de façon principale sur la production d’un type de produits. Seront plus particulièrement présentées les sociétés Actis et Saint-Gobain Isover.
a) La société Actis
39. La société Actis a été créée en 1980. Elle appartient depuis 2003 au groupe Laurent Thierry, holding détenant plusieurs filiales, notamment dans le secteur des textiles techniques sur le marché automobile.
40. La société Actis est spécialisée dans la conception et la fabrication de PMR. Elle en est le principal producteur en France, avec une part de marché évaluée à 40 % en 2011 (étude MSI précitée, cote 16 537).
41. Parmi les principaux produits commercialisés au cours de la période visée par les pratiques figure l’isolant mince « Triso super 9 », auquel ont succédé le « Triso super 10 » puis le « Triso super 12 ».
42. Les PMR représentaient 52 % du chiffre d’affaires de la société Actis en 2009. La vente de ces produits a toutefois connu une baisse à compter de l’exercice 20079, qui s’est poursuivie jusqu’à la fin de la période visée par les notifications de griefs10. Cette diminution des ventes de PMR a entraîné une baisse importante du chiffre d’affaires de la société11, qui a atteint 41,7 millions d’euros en 2011 (cote 17 576), contre 77,1 millions d’euros en 2007 (cote 322).
43. La commercialisation d’autres types de produits (produits d’isolation en bois, écrans de sous- toiture) n’a pas permis de compenser les évolutions constatées pour le produit « Triso super 9 ».
b) La société Saint-Gobain Isover
44. La société Saint-Gobain Isover est une filiale à 100 % de la société Compagnie de Saint- Gobain. Le chiffre d’affaires du groupe Saint-Gobain s’est élevé à 42,1 milliards d’euros en 2011 (données de la société Saint-Gobain Isover, cote 21 439).
45. La société Saint-Gobain Isover est spécialisée dans la production de produits isolants, réalisés principalement en laine de verre et, dans une moindre mesure, en laine de roche et plastiques alvéolaires. Son chiffre d’affaires s’élevait à 356 millions d’euros en 2011. En 2011, la laine de verre représentait pour la société 70 % des ventes de produits isolants, les plastiques alvéolaires 13 % et la laine de roche 10 % (données de la société Saint-Gobain Isover, cote 21 439).
46. La part de marché en France de la société Saint-Gobain Isover dans le secteur de la production d’isolants en laine de verre est évaluée à 55 % en 2011 (étude MSI précitée, cote 16 532).
2. LE FILMM
47. Le FILMM est un syndicat professionnel fondé en 1977. Il regroupe les fabricants d’isolants en laine minérale et représente ces industriels auprès des professionnels de la construction et des pouvoirs publics.
48. Il participe à l’activité de normalisation des produits de construction en prenant part aux travaux de certaines commissions de normalisation et par le biais de l’association européenne des fabricants d’isolants en laines minérales manufacturées (EURIMA).
49. En 2010, le FILMM comptait parmi ses membres les sociétés Ecophon, Eurocoustic, Flumroc, Knauf Insulation, Rockwool France, Saint-Gobain Isover et Ursa France (procès- verbal d’audition du président du FILMM du 13 juillet 2010, cotes 12 320 à 12 325).
3. LE CSTB
50. Créé en 1947, le CSTB est un établissement public industriel et commercial, doté de l’autonomie financière.
51. L’article L. 142-1 du code de la construction et de l’habitation prévoit que le CSTB reçoit pour mission de l’État de procéder à des recherches scientifiques liées à la préparation ou à la mise en œuvre des politiques publiques en matière de construction et d’habitat. Il apporte également son concours, dans ce même domaine, à l’évaluation des politiques publiques.
52. Ces activités de recherche sont conduites de façon autonome, en réponse à des appels d’offres nationaux ou internationaux, ou en collaboration avec d’autres organismes de recherche (cf. observations de la Direction de l’habitat, de l’urbanisme et des paysages du 26 mai 2020, cote 39 621). Le CSTB contribue au partage et à la diffusion de ses travaux par l’édition de documents sous différentes formes (cf. procès-verbal d’audition du président du CSTB, 6 octobre 2009, cote 911).
53. Par ailleurs, l’article R. 142-1 du code de la construction et de l’habitation dispose que le CSTB participe aux travaux de la CCFAT. L’arrêté du 2 décembre 1969 créant la CCFAT prévoit que le CSTB assure le secrétariat des groupes spécialisés créés au sein de la commission. Dans son avis n° 15-A-16 du 16 novembre 2015, l’Autorité a relevé que le CSTB joue un « rôle privilégié » au sein de la commission, qui « s’appuie largement sur le CSTB qui assure le secrétariat des groupes spécialisés créés en son sein, rapporte les demandes d’avis individuelles, enregistre les avis rendus et les publie ». Ainsi, le CSTB est « perçu par les professionnels comme un opérateur ayant de fait le monopole de la production des avis techniques » (§ 106).
54. Le CSTB participe de même « aux activités de coopération technique internationale concernant l’habitation et la construction » (article R. 142-1 du code de la construction et de l’habitation). Il est l’organisme désigné par le Gouvernement pour représenter la France au sein de l’OEAT pour ce qui concerne les produits du bâtiment. À ce titre, il est également habilité à délivrer les agréments techniques européens en application de l’article 10 de la directive 89/106/CEE du 21 décembre 1988.
55. Il résulte enfin de l’article R. 142-1 du code de la construction et de l’habitation que, « parallèlement à ses missions d’intérêt général », le CSTB « apporte son concours aux organismes, groupements, collectivités et personnes physiques ou morales qui le sollicitent pour des missions se rattachant à l’objet de ses activités, notamment par la réalisation de prestations d’études et de conseil, d’essais, et la délivrance de certifications ».
56. Le CSTB exerce son activité de certification des produits de construction par l’intermédiaire de l’association ACERMI (Association de certification des matériaux isolants), créée avec le Laboratoire national de métrologie et d’essais (LNE). Il délivre également la certification dite « CSTBat » pour les produits innovants (rapport d’activité du CSTB de 2008, cote 12 428).
57. En 2009, les produits d’exploitation du CSTB s’élevaient à 91,7 millions d’euros parmi lesquels 34,6 millions d’euros provenaient des activités technologiques (cf. brochure du CSTB « L’essentiel 2009 et perspectives », cote 12 444). Ces activités recouvrent trois types de prestations : les essais, les évaluations (avis techniques) et la certification pour le compte des industriels (cf. procès-verbal d’audition du président du CSTB, cote 911). Parmi les autres produits d’exploitation figurent les activités de consultance (22,6 millions d’euros), la recherche subventionnée (19,7 millions d’euros) et la diffusion des connaissances (7 millions d’euros).
D. LES PRATIQUES CONSTATEES
1. LES REUNIONS ORGANISEES DANS LES LOCAUX DU FILMM
58. Le FILMM a engagé le 2 mars 1999 une procédure contre la société Actis devant le tribunal de commerce de Versailles. Le syndicat professionnel faisait grief à cette société d’avoir, dans sa documentation commerciale, présenté ses produits comme étant autant, voire plus performants que les isolants en laine minérale.
59. Plusieurs réunions ont été organisées à l’initiative du FILMM en marge de ce contentieux commercial. Une réunion, à laquelle participaient des représentants du FILMM et du CSTB, ayant pour thème « isolants minces réfléchissants » s’est tenue le 24 novembre 2001 dans les locaux du FILMM. L’objectif de la réunion, selon les termes du compte rendu (cotes 5374 et 5375), consistait à faire le « point sur les procès en cours » et à envisager les « scénarios possibles ». Le contentieux devant le tribunal de commerce de Versailles a été mentionné au cours de la réunion. Il était indiqué que « les chances d’obtenir satisfaction sont très réduites ». Le CSTB, représenté par son directeur juridique, a souligné être « directement concerné » et avoir « décidé de se mobiliser ». Une action en justice envisagée contre la société Actis pour « dénigrement » est mentionnée dans le compte rendu de la réunion.
60. Une deuxième réunion entre le FILMM et le CSTB s’est tenue le 17 janvier 2002. Il y était question d’un document commercial de la société Actis faisant mention d’une « certification européenne » obtenue du laboratoire anglais BM Trada pour l’un de ses produits. Le compte rendu de la réunion (cotes 7765 à 7768) fait apparaître que les représentants du CSTB estimaient que la société Actis ne pouvait se prévaloir d’une telle certification, au motif que le laboratoire BM Trada n’était pas « agréé en thermique » et qu’il n’existait pas de guide élaboré dans le cadre de l’OEAT dans le « domaine des isolants minces réfléchissants ». Au titre des actions à mener, le compte rendu indique que « ce dossier sera transmis à la DGCCRF» et qu’ « avec toutes ces preuves, le FILMM et le CSTB peuvent aller en justice ». Il est enfin mentionné qu’ « il faut rapidement pénaliser ces produits en intégrant une valeur forfaitaire de base dans les règles ThU »12.
61. Une troisième réunion s’est déroulée le 9 décembre 2002 dans les locaux du FILMM, en présence de représentants du FILMM et du CSTB (cote 15 434). Cette réunion avait pour objet d’évoquer une procédure d’expertise dans le cadre du contentieux opposant le FILMM à la société Actis et d’identifier les moyens pouvant permettre d’aboutir à ce que les conclusions de l’expertise soient favorables au FILMM. Il est mentionné dans le compte rendu de la réunion que « l’ensemble des participants est d’accord pour considérer que si il y a expertise, il faut, pour la gagner, alimenter en permanence l’expert par des contributions d’experts reconnus sur des sujets donnés (…) On est d’accord qu’il faut au plus vite préparer un référentiel français première proposition janvier. Dans la foulée on peut prévoir un CUAP » (cote 15 436).
2. LA DEMANDE D’AGREMENT TECHNIQUE EUROPEEN PRESENTEE PAR LA SOCIETE ACTIS
62. Le 6 septembre 2002, la société Actis a déposé une demande d’ATE auprès de l’Union belge pour l’agrément technique de la construction (ci-après « UBAtc »), organisme belge membre de l’OEAT (cote 10 559). Cette demande, présentée pour son produit mince multicouche réfléchissant « Triso Super 9 », a été enregistrée en juin 2003 au secrétariat de l’OEAT sous le n° 12.01/12.
63. À la même période, la société canadienne Polytech Radiant a présenté une demande d’ATE pour le produit « air thermofoil », décrit par son fabricant comme un « complément d’isolation », composé de « 2 rangées de bulles obtenues à l’aide de films de polyéthylène et aluminium » (cote 15 320). La société a saisi le CSTB à cette fin le 26 novembre 2003 (cote 15 334). Selon les déclarations du directeur export de la société entre 2003 et 2005, la demande d’ATE a été introduite à la demande des responsables de la société Saint-Gobain Isover, dans le cadre de la négociation d’un contrat de distribution, afin de « faire reconnaître l’air thermofoil par un référentiel » (cote 14 817).
64. Par courrier du 17 décembre 2003, le CSTB a informé l’UBAtc de la demande d’ATE présentée par la société Polytech Radiant. Le courrier indique que, du point de vue du CSTB, il paraît « urgent de travailler ensemble sur les produits minces réfléchissants opaques ». Le CSTB ajoutait qu’il serait « utile de comparer les demandes effectives pour voir s’il s’agit de 2 CUAP séparés ou si on peut envisager (…) un CUAP commun préparé par nos deux instituts ». Le CSTB exposait être prêt « à rédiger un projet rapidement » (cote 17 124) 13.
65. Par courrier électronique du 31 mars 2004, le CSTB adressait à l’UBAtc un projet de CUAP en indiquant être « assez pressé pour le faire circuler à l’OEAT » (cote 14 809). Ainsi, à l’initiative du CSTB, une instruction commune, visant à l’adoption d’un CUAP unique, a été menée au sein de l’OEAT dans le cadre des demandes d’ATE présentées pour des produits différents par la société Actis et par la société Polytech Radiant.
66. Le 9 avril 2004, le CSTB a adressé à l’ensemble des organismes membres de l’OEAT un premier projet de CUAP, à l’élaboration duquel l’UBAtc n’a pas été associée. Dans un courrier électronique du 25 mars 2005 (cote 6 682), le chef du service « constructions légères et transferts » du CSTB indiquait ainsi que « la préparation du CUAP a été faite au CSTB afin de devancer le CSTC » – laboratoire rattaché à l’UBAtc. De même, les versions intermédiaires du projet de CUAP adressées aux membres de l’OEAT en mars 2006 (cote 19 144), mai 2006 (cote 19 215) et septembre 2006 (cote 19 273) indiquent que le document a été élaboré par le CSTB et ne font pas mention d’un travail commun avec l’UBAtc.
67. Les différents projets de CUAP élaborés sous l’égide du CSTB proposaient le recours aux méthodes normalisées (plaque chaude gardée ou boite chaude gardée) pour évaluer la performance thermique des produits minces réfléchissants. Cette question a toutefois fait l’objet de débats parmi les membres de l’OEAT. Dans ses commentaires sur la deuxième version du document de mai 2006, le laboratoire britannique BM Trada a ainsi fait valoir qu’il était nécessaire de prendre en considération l’ensemble des méthodes d’évaluation existantes et qu’il n’était pas acceptable de privilégier les méthodes conventionnelles quelle que soit la catégorie de produits d’isolation concernée (cotes 19 260 à 19 265). De même, plusieurs organismes membres de l’OEAT se sont réunis dans les locaux du CSTB le 15 novembre 2006 afin de débattre de l’utilisation possible de méthodes alternatives de mesure de la performance thermique. Alors qu’à ce stade, aucun consensus sur le sujet ne s’était dégagé, le communiqué de presse publié par le CSTB le 18 décembre 2006 indique que le groupe d’experts est parvenu à la conclusion selon laquelle « la procédure d’évaluation applicable ne s’appuiera pas sur des mesures de performances in situ », précisant que pour les produits réfléchissants, « la méthode adaptée (…) est celle de la boite chaude gardée » (cote 2650).
68. Par ailleurs, l’élaboration du projet de CUAP a donné lieu à des échanges entre le CSTB, le FILMM et la société Saint-Gobain Isover. Ainsi, le 25 mars 2005, une salariée de cette société, occupant, au sein de la direction du marketing, les fonctions de responsable de la politique technique, s’est interrogée sur l’état d’avancement de la procédure de CUAP (cote 6 682). Le même jour, le chef du service « constructions légères et transferts » du CSTB, lui répondait que « la demande de feu vert est en attente depuis avril 2003 » et qu’il allait « essayer de la faire débloquer dès la semaine prochaine » (même cote).
69. Une version du projet de CUAP a été envoyée le 21 février 2006 par le CSTB à l’adresse électronique du FILMM avec la mention « document de travail à ne pas diffuser » (cote 15 457). Le 1er mars 2006, le chef du service « constructions légères et transferts » du CSTB a procédé à un nouvel envoi du projet de CUAP à la responsable de la politique technique de la direction du marketing de la société Saint-Gobain Isover, en précisant qu’il s’agissait d’un « document de travail à ne pas diffuser, et pour lequel nous n’avons pas encore l’accord final des membres de l’EOTA » (cote 15 487). Par un courrier électronique du 20 novembre 2006, cette même salariée de la société Saint-Gobain Isover a informé plusieurs de ses collègues, des salariés d’autres sociétés membres du FILMM et des représentants de ce syndicat, que « le mercredi 14 novembre le CUAP européen sur les produits réfléchissants a bien été enregistré, il sera publié par la Commission européenne bientôt. 2 ans de travail pour un succès qui arrive à point » (cote 16 123).
70. Par courrier électronique du 9 mars 2007 envoyé de la part du président du CSTB, un document adressé par la société Actis aux membres de l’OEAT a été transmis au directeur du marketing de la société Saint-Gobain Isover (cote 6 460). Dans ce document, reproduit à la suite du courrier électronique, la société Actis regrettait que le projet de CUAP prévoie le recours à la méthode de la plaque chaude gardée et insistait sur la nécessité de recourir à des méthodes d’essais in situ pour l’évaluation de la performance des PMR. En réponse au message du CSTB, le directeur du marketing de la société Saint-Gobain Isover écrivait le 12 mars 2007, que l’OEAT « n’a pas pour habitude de céder aux industriels » et ne doit « bien entendu pas céder, sinon cela créerait un précédent fâcheux ». Il ajoutait que « le document doit être enregistré en l’état » (cote 6 459).
71. La version finale du CUAP, qui retient comme méthode d’évaluation celle de la plaque chaude gardée, a été adoptée le 14 mars 2007 (cotes 30 115 à 30 151).
72. La régularité de la procédure d’adoption du CUAP a été contestée par plusieurs industriels, ainsi qu’il résulte d’un courrier du 28 février 2007 adressé par la Commission européenne au secrétaire général de l’OEAT (cote 19 708). Dans un courrier du 12 mars 2007 envoyé au président de l’OEAT (cotes 2475 et 2476), la Commission européenne exposait que, de son point de vue, les demandes d’ATE reçues, d’une part, par le CSTB, et d’autre part, par son homologue belge, ne portaient pas sur des produits comparables. Elle remettait par suite en cause le choix d’élaborer un projet de CUAP unique pour ces deux demandes en faisant valoir que l’organisme belge aurait dû être en charge de la rédaction du projet de CUAP correspondant à la demande n° 12.01/12 (de la société Actis), pour laquelle la Commission avait donné son « feu vert » le 8 avril 2005 (cotes 5 470 et 5 471). Selon ce même courrier, le CSTB aurait dû, pour sa part, procéder à la rédaction d’un autre projet de CUAP, après avoir reçu à cette fin l’autorisation de la Commission. Compte tenu de l’ensemble de ces éléments, la Commission européenne demandait à l’OEAT de reporter la procédure d’adoption du CUAP afin de remédier aux « erreurs procédurales évidentes »14 constatées dans ce dossier.
73. Après l’adoption du CUAP le 14 mars 2007, en dépit de cette demande, la Commission européenne, dans un courrier du 30 mai 2007 adressé au président de l’OEAT, indiquait qu’elle avait uniquement été informée de la demande d’ATE présentée par l’intermédiaire de l’organisme belge et n’avait pas donné son « feu vert » pour la préparation d’un CUAP, concernant un second produit, sous l’égide du CSTB. Elle estimait en conséquence que le document préparé par le CSTB ne devait pas être considéré comme un CUAP (cotes 2 482 et 2 483).
74. Insatisfaite du CUAP adopté le 14 mars 2007, la société Actis a déposé la même année une nouvelle demande d’ATE auprès du laboratoire VTT, organisme finlandais membre de l’OEAT, pour son produit « Triso super 10 ». Un contrat a été signé à cette fin au mois de septembre 2007 (cotes 14 980 à 14 983).
75. La Commission européenne a donné son accord à l’élaboration d’un nouveau CUAP. Lors de son audition du 8 février 2010, le chef de l’unité « construction équipements à pression métrologie », a déclaré que la Commission avait accepté « que le VTT travaille sur un nouveau CUAP, restant fidèle à sa position du 30 mai 2007 ne reconnaissant pas la validité du CUAP du CSTB du mois de mars 2007 » (cote 9 994).
76. Le CSTB s’est opposé au nouveau projet de CUAP élaboré par le laboratoire VTT. Dans un courrier électronique interne du 18 décembre 2008, le directeur technique du CSTB exposait que « le VTT a mis en circulation sa CUAP sur le produit Actis. Cette CUAP serait différente de la CUAP précédente basée sur la proposition du CSTB ». L’auteur du message soulignait la nécessité de « réagir dans les délais voulus » et de « passer la proposition du VTT à la direction de la recherche (…) pour en critiquer éventuellement le contenu » (cote 7 348).
77. Dans une contribution adressée le 24 juin 2011 au laboratoire VTT, le CSTB exposait que le champ d’application du CUAP adopté le 14 mars 2007 couvrait l’ensemble des produits minces réfléchissants et que le CUAP proposé par le VTT portait ainsi sur des produits déjà couverts par le premier CUAP. Le CSTB estimait en conséquence que le nouveau projet de CUAP remettait indûment en question la validité du CUAP existant, approuvé par l’ensemble des organismes membres de l’OEAT (cotes 14 829 à 14 830).
78. Il résulte de ce qui précède que le CSTB, en dépit de la demande dont était saisie l’UBAtc, a pris l’initiative de la rédaction d’un CUAP concernant les PMR dans des conditions que la Commission européenne a ultérieurement estimées irrégulières. Le CSTB a cherché à faire inscrire dans le projet de CUAP le recours à des méthodes d’essais normalisées et à faire obstacle aux initiatives visant à envisager un recours possible à des méthodes alternatives. Enfin, après l’adoption de son projet de CUAP le 15 mars 2007, le CSTB a manifesté son opposition au principe de l’élaboration d’un nouveau CUAP portant sur les PMR, nonobstant les irrégularités précédemment relevées par la Commission européenne et l’accord donné par celle-ci à l’instruction de la nouvelle demande d’ATE présentée par la société Actis pour son produit « Triso super 10 ».
3. LES GROUPES DE TRAVAIL DEDIES AUX ESSAIS IN SITU AU SEIN DU COMITE EUROPEEN DE NORMALISATION
79. Le Comité européen de normalisation (ci-après « CEN ») est un organisme européen chargé d’adopter les normes harmonisées au niveau européen. Les produits satisfaisants à ces normes harmonisées bénéficient de la marque « CE » et peuvent librement circuler et être utilisés au sein du marché intérieur.
80. Le CEN comporte des comités techniques (ci-après « TC ») compétents pour certaines catégories de produits ou de procédés. En matière d’isolation thermique, le TC 88 est compétent pour ce qui concerne les matériaux et produits isolants thermiques. Le TC 89 l’est plus particulièrement pour ce qui concerne la performance thermique des bâtiments et des composants du bâtiment.
81. Le principe de la création d’un groupe de travail normatif dédié aux isolants minces a été discuté au sein du TC 89 au cours du mois de février 2007 (cotes 3270 et 3271). Dans un courrier électronique interne daté du 13 mars 2007, le directeur technique du CSTB estimait que cette initiative risquait de conduire à « admettre que les essais et méthodes de calcul actuels doivent être modifiés. On est sur le point d’ouvrir la boite de Pandore » (cote 19 717). Il ajoutait que, selon lui, « il vaudrait mieux éviter que ces travaux ne démarrent avant que nous n’ayons produit plusieurs CUAP confirmant nos positions sur les performances des PMR ».
82. Le 28 mars 2007, le TC 89, par une résolution n° 421, a décidé de la création d’un groupe de travail (working group, ci-après « WG ») n° 12 chargé d’élaborer une méthodologie de tests pour apprécier les performances des PMR. Le même jour a été adoptée une résolution n° 420 prévoyant que, dans l’attente de guides spécifiques, la résistance thermique des produits minces réfléchissants devait être mesurée en utilisant la méthode de la plaque chaude gardée ou de la boite chaude gardée (cotes 3 238 et 3 239).
83. Un courrier électronique interne au CSTB, daté du 30 mars 2007, comporte un compte rendu de la réunion du 28 mars. Ce courrier électronique précise que la première résolution, qui porte le n° 420 « est la plus importante ». Il est précisé qu’elle n’était « pas prévue à l’origine » mais a été « exigée par la délégation française ». Il est indiqué, par ailleurs, que, « pour contrer la présence d’Actis » au sein du futur WG n° 12, le CSTB a proposé la présence d’un « industriel sérieux de produits réfléchissants », faisant référence à la société KDB Isolation (cote 7 314).
84. Un ingénieur du CSTB a confirmé lors de son audition avoir, au cours du mois d’avril 2007, suggéré au directeur technique de la société KDB Isolation, ainsi qu’à un membre du laboratoire Armines, de se porter candidat au WG n° 12 (cote 1051). Le directeur technique de la société KDB Isolation a de même déclaré lors de son audition avoir demandé le 3 mai 2007 à intégrer le WG n° 12 à l’invitation du CSTB (cote 182).
85. Ces candidatures ont été présentées au bureau national de normalisation des techniques du bâtiment (ci-après « BNTB »), dont le CSTB assure le secrétariat, et qui est chargé de veiller au fonctionnement de la commission P38B de l’AFNOR, dont le périmètre coïncide avec celui du TC 89 du CEN.
86. Par courrier électronique du 11 mai 2007, l’AFNOR, confirmant un précédent message du BTNB, a indiqué au CEN l’identité des trois experts français désignés pour siéger au sein du WG n° 12, à savoir un représentant du CSTB, le directeur technique de la société KDB Isolation et un membre du laboratoire Armines (cote 5111).
87. Lorsque le Syndicat des fabricants d’isolants réflecteurs minces multicouches (ci-après « SFIRMM »), auquel appartient la société Actis, a demandé à être représenté au sein du WG n° 12, il lui a été répondu, par courrier électronique du BNTB en date du 11 mai 2007, que « l’AFNOR a déjà procédé à la nomination de 3 experts français pour le suivi des travaux » de ce groupe de travail (cote 3 253).
88. Par courrier électronique du 9 novembre 2007, le directeur de la recherche et du développement de la société Actis, par ailleurs membre de la commission P38B, a demandé à « faire partie des experts français membres du comité CEN TC 89 WG 12 » (cote 5 101). Le BTNB lui a répondu par courrier électronique du 14 novembre 2007 que « vu le grand nombre de pays intéressés à participer aux travaux du WG 12, l’animatrice du groupe a limité à trois le nombre d’experts par pays. En France trois experts suivent déjà les travaux, parmi eux figure déjà un fabricant de produits réfléchissants » (cote 5 100).
89. Au cours de l’année 2007, parallèlement au WG n° 12, plusieurs industriels ont pris l’initiative de la création au sein du CEN d’un atelier, le CEN workshop n° 36 (ci-après « CW 36 »). Il résulte du document actant la création de cet atelier, le CEN workshop agreement (ci-après « CWA »), que cet atelier serait chargé de travailler sur un protocole de test in situ pour évaluer la performance des isolants minces multicouches réfléchissants (cote 643 à 649 du dossier n° 10/0043F).
90. Plusieurs fabricants d’isolants en laine minérale, dont la société Saint-Gobain Isover, ont présenté le 13 juin 2008 auprès du secrétariat général du CEN une demande tendant à l’interruption des travaux du CW 36 (cotes 3 277 à 3 302). Cette demande n’a pas abouti.
91. De même, le CSTB a cherché à s’opposer à cette initiative. Un courrier électronique interne au CSTB, daté du 15 mai 2007, énonce que « nous avons besoin d’agir rapidement pour trouver une stratégie commune de préférence avec les autres membres du CEN afin de barrer la route au CWA. Notre argument principal pourrait être la non cohérence entre les objectifs du CWA et ceux du WG12 par exemple » (cote 19 733). Le président du CSTB a déclaré, au cours d’une réunion du 11 février 2008, à propos du CW 36, que « le CSTB a essayé d’empêcher le lancement en disant, comme d’autres acteurs, que c’était en opposition avec les travaux du TC 89. Cela n’a pas suffi » (cote 20 541).
92. Il résulte de ces éléments que, dans le cadre des travaux du CEN portant sur les PMR, le CSTB a cherché, d’une part, à favoriser au sein des groupes de travail la présence d’experts partageant ses positions, d’autre part, à s’opposer aux initiatives destinées à explorer le recours à des méthodes de test in situ.
4. LES PRATIQUES RELATIVES AU GROUPE SPECIALISE N° 20 DE LA COMMISSION CHARGEE DE FORMULER LES AVIS TECHNIQUES
a) La note d’information du GS 20
93. La CCFAT, dont le rôle a été présenté au paragraphe 31 ci-dessus, est composée de différents groupes thématiques, appelés groupes spécialisés (ci-après « GS »). Le GS 20, créé en 2011, est compétent pour les « produits et procédés spéciaux d’isolation ». Ainsi qu’il a été dit plus haut, le secrétariat du GS 20, comme celui de la CCFAT, est assuré par le CSTB.
94. Lors d’une réunion du 15 octobre 2003, le GS 20 a décidé de rédiger une note d’information sur les PMR. Le CSTB a été chargé de préparer un projet de note (cote 21 092). Le chef du service « constructions légères et transferts » du CSTB a indiqué lors de son audition avoir été à l’initiative de cette note (cote 30 159). Le projet a été débattu lors d’une réunion du GS 20 du 31 mars 2004 (cote 21 097). Une première version de la note a été adoptée et publiée en juin 2004 (cote 21 102).
95. La note, dans sa version n° 2 du 14 juin 2004 (cotes 792-806), expose que certaines conditions d’utilisation des PMR « peuvent conduire à des désordres graves. Ainsi il est devenu urgent (…) d’avertir les acteurs concernés ». Elle indique que les performances thermiques intrinsèques des PMR sont « très faibles au regard des exigences thermiques actuelles ». Elle préconise en conséquence l’utilisation de ces produits « en tant que compléments d’isolation ». Enfin, la note considère, au sujet des essais in situ, que « compte tenu des incertitudes de mesures élevées, les comparaisons de consommation entre deux logements ne sont en général pas significatives ».
96. La note a été élaborée sans qu’aucun industriel membre du SFIRMM ait été associé à sa rédaction. Ses conditions d’élaboration ont été contestées par la société Actis. Ainsi, dans un courrier du 11 août 2004, adressé au CSTB, le président d’Actis indiquait être « particulièrement surpris » de la note du GS 20. Il regrettait que la société n’ait pas été consultée et contestait le recours aux méthodes normalisées préconisées dans la note, en affirmant que « les essais in situ réalisés par Actis affichent des résultats supérieurs à ceux mesurés en laboratoire et cela ne peut être objectivement ignoré » (cotes 418 à 420, dossier 10/0043F).
97. Le CSTB a en outre souhaité assurer une large diffusion de la note. Un courrier électronique interne du 17 juin 2004 indique que « pour la note du GS n° 20, nous avons prévu le site des [avis techniques] et les e-cahiers, et en outre le webzine et un communiqué de presse, ce qui est fait chaque fois que le CSTB estime qu’il est important de communiquer une information » (cote 6 738).
98. Par ailleurs, une diffusion de la note aux négociants et aux réseaux de distribution de produits de construction a été envisagée. Le courrier électronique du 17 juin 2004 susmentionné énonce que, « pour ce qui est de la diffusion aux négociants, le CSTB vient d’acheter un fichier de 4000 adresses et le FILMM nous a procuré environ 8000 adresses » (cote 6 738). Un courrier électronique du même jour mentionne qu’il a été convenu avec la société Saint- Gobain Isover que « le CSTB utiliserait un fichier de points de vente pour adresser une note d’information signalant la publication de la note d’information du GS 20 sur le site de l’avis technique. 7000 points de vente seraient visés » (cote 6 739). Le CSTB a toutefois renoncé à ce mode de diffusion, finalement jugée inapproprié (cf. procès-verbal d’audition du chef du service « constructions légères et transferts » du CSTB, cote 30 159).
99. Bien que la note d’information du GS 20 ait fait l’objet de plusieurs mises à jour, notamment en 2007, son contenu est néanmoins demeuré relativement stable. Ainsi, dans sa quatrième version, datée du 12 décembre 2007 (cotes 16 647 à 16 662), la note mentionne de nouveau les performances thermiques intrinsèques « insuffisantes » des PMR et les risques de « graves désordres » liés à de mauvaises conditions d’utilisation. Faisant référence à la résolution n° 420 du TC 89 du CEN (cf. § 82 ci-dessus), elle précise en outre que les méthodes normalisées doivent être utilisées pour le calcul de la performance thermique de ces produits.
100. La note est demeurée accessible sur le site internet du CSTB, à tout le moins jusqu’en janvier 2012 (cf. rapport de consultation de sites internet, cotes 16 643 à 16 646).
101. Ainsi, il résulte de ces éléments que le CSTB a été à l’initiative d’une note d’information sur les PMR, élaborée sans concertation avec les membres du SFIRMM et présentant ces produits comme des « compléments d’isolation », aux performances thermiques très faibles. Le CSTB a par ailleurs cherché à assurer une large diffusion de cette note auprès des professionnels du secteur.
b) La demande d’avis technique présentée par la société XL Mat
102. La société XL Mat, qui fabrique et commercialise des PMR, a sollicité en 2008 la délivrance d’un avis technique pour son produit « XL premium ». Un devis E08-028 a été adressé par le CSTB à la société, qui l’a accepté le 14 août 2008 (cotes 16 285 à 16 287).
103. Le président de la société XL Mat a mentionné lors de son audition que l’instruction de la demande d’avis technique avait donné lieu à des retards et à de « nombreux incidents » (cote 12 852).
104. La première version du projet d’avis technique mentionnait que le produit était prévu pour une utilisation comme « complément d’isolation » (cote 14 391), contrairement à la position de la société XL Mat qui considérait son produit comme un isolant à part entière (cote 14 393). Ce n’est qu’après l’intervention du président de la société XL Mat, le 22 décembre 2009, que le CSTB a consenti à ne plus faire apparaître cette mention dans le titre de l’avis technique (cote 14 393).
105. Par ailleurs, le président de la société XL Mat a indiqué lors de son audition que l’obtention d’une certification, non prévue dans le devis initial, avait été demandée par le CSTB, faute de quoi la valeur de la résistance thermique du produit « XL Premium » serait minorée de 15 %. Il résulte en effet du rapport du CSTB au comité thermique de l’avis technique (ci- après « CTAT »), consulté dans le cadre de la demande d’avis technique, qu’un coefficient de sécurité de 0,85 serait appliqué « en l’absence de suivi CTAT » (cote 12 858). De même, un courrier électronique du CSTB daté du 21 mai 2010 indiquait que le CTAT a « décidé qu’un contrôle de la résistance thermique n’était pas suffisant pour diminuer le coefficient de sécurité appliqué étant donné qu’il n’y avait pas de contrôle réalisé par un organisme certificateur (comme celui assuré par le CSTB ou le LNE dans le cadre d’une certification Acermi » (cote 14 403).
106. L’avis technique (cotes 16 261 à 16 282) a finalement été publié le 5 août 2010, soit près de deux ans après le dépôt de la demande. Toutefois, selon le président de la société XL Mat, la minoration de la résistance thermique « R » du produit « XL Premium », qui a résulté de l’absence de certification Acermi, « ne lui permet pas de satisfaire à la RT 200515. On retrouve ce seuil éliminatoire dans le dispositif fiscal (…) » (cote 12 853). Un grossiste en matériaux de construction et client de la société XL Mat exposait de même dans un message adressé à cette société le 10 septembre 2010 que « on a donc un R inférieur à la RT 2005 en murs (…) Le produit n’est donc pas éligible au crédit d’impôt et ne satisfait en rien à la RT 2005. J’en suis le premier désolé mais le CSTB vous a bien mené en bateau, comme il est de coutume d’ailleurs » (cote 12 877).
107. À la suite de la délivrance de cet avis technique, le CSTB a adressé le 3 août 2012 un courrier à la société XL Mat. Il était reproché à la société de faire mention, sur son site internet et sur un document commercial, de ce que le produit « XL Premium » disposait d’une résistance thermique de 6,3 m².k/W calculée selon la norme ISO 9869, alors que l’avis technique faisait mention d’une résistance thermique de 1,5 m².k/W. Selon le courrier, ces publications seraient « qualifiables de pratiques commerciales trompeuses » (cote 21 303). Il convient toutefois de relever que, saisi par la CCFAT d’une réclamation portant sur le terme d’ « avis technique », le jury de déontologie publicitaire a estimé dans un avis publié le 19 décembre 2012 que ce terme est « générique » et « n’est pas propre aux évaluations émanant de la CCFAT »16. Postérieurement à cet avis, le CSTB, par courrier du 31 janvier 2013, indiquait à la société XL Mat qu’il était en réalité « possible de faire référence, dans un même document commercial ou sur une même page internet, à l’avis technique délivré par la commission chargée de formuler les avis techniques pour le produit réfléchissant XL Premium et aux résultats issus des tests in situ réalisés selon la norme ISO 9869 ». Le CSTB précisait toutefois qu’il était nécessaire « que soient mentionnés l’origine, la date et l’organisme ayant réalisé ces tests in situ » et « que cette mention ne laisse pas supposer que les résultats de ces essais ont contribué à la délivrance de l’avis technique » (cote 30 060).
108. Il résulte de ce qui précède que la demande d’avis technique présentée par la société XL Mat a été instruite par le CSTB dans des conditions jugées particulièrement défavorables par cette société. Cette démarche a abouti à la délivrance d’un avis technique faisant apparaître pour le produit « XL Premium » des performances ne lui permettant pas d’être éligible au crédit d’impôt pour la transition énergétique. Enfin, le CSTB, avant de revenir sur sa position, s’est opposé à ce que la société XL Mat fasse référence sur un même document à cet avis technique et à une norme prévoyant le recours à des tests in situ.
5. LES PRATIQUES EN LIEN AVEC LA SOCIETE SIPLAST
109. La société Saint-Gobain Isover s’est rapprochée au cours de l’année 2007 de la société Siplast, qui commercialise des produits destinés à assurer l’étanchéité des bâtiments. Il résulte du compte rendu d’une réunion du 29 août 2007 (cotes 9 777 et 9 778) à laquelle ont participé des représentants de ces deux sociétés que celles-ci ont évoqué des possibilités de coopération concernant certains de leurs produits et procédés respectifs. Le compte rendu fait en outre mention d’éventuelles « actions contre Actis ». Les actions envisagées visaient à dénoncer « l’absence de marquage CE pour les PMR » et la « concurrence déloyale » de la société Actis. À ce titre, il est précisé que le CSTB pourrait être contacté afin de « l’inciter à agir après du ministère des finances voire d’autres administrations et les assureurs » (cote 9 778). Les participants à la réunion ont enfin évoqué la possibilité de mener des actions contre la société Actis en soulignant l’existence d’un « risque de pathologie sur charpentes et isolants lié à la condensation ». Le compte rendu est toutefois assorti sur ce point de la mention suivante : « problème : on a du mal à trouver des cas de pathologie avérés » (cote 9 778).
110. À la suite de cette réunion, le directeur marketing stratégique de la société Siplast a contacté le 17 septembre 2007 le président du CSTB par courrier électronique afin de l’informer que les sociétés Siplast et Saint-Gobain Isover ont « décidé de lancer des actions concrètes contre les fabricants de PMR ». Le message précise que ces deux sociétés souhaitent rencontrer le président du CSTB afin d’examiner si leurs projets « peuvent entrer en synergie avec les actions (…) menées [par le CSTB] au sujet des PMR » (cote 20 046).
111. Par ailleurs, un courrier du 28 avril 2008 a été saisi dans les locaux du CSTB. Ce courrier est signé par le directeur marketing de la société Siplast, agissant en qualité de président de l’Association pour la promotion des produits minces réfléchissants (APPMR). Cette association, créée en janvier 2008, regroupe, selon ses statuts, des fabricants de PMR « légitimistes », par opposition aux industriels « révisionnistes » en conflit avec les « laboratoires et instances officielles garants de l’orthodoxie » (cote 621).
112. Dans son courrier du 28 avril 2008, adressé à la Commission européenne, l’APPMR soulignait « la légitimité des laboratoires et instances officielles (DGUHC, CSTB…) » et déplorait que certains producteurs de PMR « se réfèrent à un essai de comparaison "in situ" inventé par et pour eux-mêmes qui n’a été jusque-là ni contrôlé ni validé par aucun organisme européen reconnu comme compétent dans le domaine thermique » (cote 19 839). En conclusion de ce courrier, l’APPMR insistait sur la nécessité « de disposer, pour tous les produits isolants de valeurs de performances thermiques établies par des laboratoires aux compétences reconnues, mesurées selon des méthodes normalisées au plan européen (…) » (cote 19 840).
113. Ainsi, ces éléments font apparaître que la société Siplast, qui se présente comme un fabricant de PMR, a cherché à mettre en œuvre, en lien avec la société Saint-Gobain Isover, et par l’intermédiaire de l’APPMR, des initiatives visant à remettre en cause la légitimité du discours porté par la société Actis et à afficher son soutien à l’action du CSTB ainsi qu’aux méthodes d’essais normalisées.
6. LES PRATIQUES RELATIVES AUX ESSAIS « PREBAT »
114. Dans le cadre du programme national de recherche et d’expérimentation sur l’énergie dans les bâtiments (ci-après « PREBAT »), l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ci-après « ADEME ») a conclu le 7 septembre 2006 un partenariat avec le CSTB portant sur les « méthodes d’évaluation des performances thermiques et des produits réfléchissants (hiver et été) » (cote 2 387). Dans le cadre de ce partenariat, le CSTB était chargé de définir un « référentiel d’évaluation rigoureux » (cote 2 395). L’annexe 2 à la convention signée entre les deux parties mentionnait que le « travail technique » réalisé dans le cadre du projet aurait pour objectif de « compléter et valider les référentiels d’évaluation existants des produits réfléchissants et de leurs performances thermiques, en été et en hiver » (cote 2 396).
115. Dans le cadre de ce programme, le CSTB a procédé à une campagne de mesures in situ destinée à comparer les performances des PMR et des isolants en laine minérale. Ainsi, le rapport final du CSTB de mars 2008 indique que « l’approche scientifique par modélisation a permis d’affiner la connaissance des phénomènes de transfert thermique » et que « les résultats ont été confirmés par des essais expérimentaux effectués sur des cellules placées sous conditions climatiques réelles » (cote 1 592). Le rapport concluait que l’étude a permis « de confirmer la validité des normes de calcul et/ou de mesure en vigueur » (cote 1 593).
116. La société Actis a critiqué la méthode employée par le CSTB dans le cadre de la réalisation des tests in situ. Dans son argumentaire du 5 décembre 2007 transmis à la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (ci-après « DGCCRF »), la société Actis estimait que « l’examen plus attentif des conditions de l’essai in situ conduit à s’interroger sur le caractère rigoureux du test in situ mené par le CSTB » et que « le mode de pose de la laine de verre qui a été adopté est visiblement destiné à la faire travailler dans des conditions très proches de celles de la boite chaude gardée » (cotes 1 958 et 1 959). Dans son rapport du 27 février 2009, l’expert désigné par la cour d’appel de Versailles dans le cadre du litige opposant le FILMM à Actis relevait que « les cellules utilisées sont trop éloignées d’un bâtiment réel, par leur taille comme par leurs caractéristiques constructives, pour que ces résultats puissent être tenus pour réellement significatifs d’essais in situ » (cote 3 653).
117. Néanmoins, du point de vue du CSTB, les essais réalisés dans le cadre du programme « Prebat » ont permis de confirmer que les « mesures in situ à grande échelle » ne peuvent pas « servir à évaluer les performances d’un produit d’isolation » compte tenu des « incertitudes de mesures » liées au « nombre de facteurs influençant la comparaison » (compte rendu de la réunion du GS 20 du 13 décembre 2006, cote 29 253).
118. En outre, le CSTB a mené en 2008 et 2009 des campagnes de mesures complémentaires, en dehors du cadre du programme « Prebat », en utilisant les cellules d’essais mises en place à cette occasion. Selon le chef du service « constructions légères et transferts » du CSTB, ces essais additionnels ont « mis en évidence des résultats qui indiquaient une dégradation de la performance des parois incluant de la laine minérale selon le mode de pose » (procès- verbal d’audition du 13 octobre 2017, cote 30 156). Le CSTB a informé la société Saint- Gobain Isover du résultat de ces essais additionnels – qui n’ont toutefois pas été rendus publics – en soulignant qu’une mauvaise étanchéité à l’air était susceptible d’avoir des conséquences négatives sur les performances des isolants en laine minérale (courrier électronique du 2 février 2009, cotes 20 120 et 20 121).
119. Il résulte de ces éléments que le CSTB, au terme de la campagne d’essais réalisée dans le cadre du programme « Prebat », a cherché à mettre en avant le caractère inadapté des tests in situ pour mesurer les performances thermiques des produits isolants. Les campagnes de mesures additionnelles réalisées par le CSTB, dont les résultats ont été communiqués à la société Saint-Gobain Isover, ont néanmoins été utilisées pour souligner la sensibilité des isolants en laine minérale aux mouvements d’air.
7. LES PRATIQUES RELATIVES AUX ESSAIS REALISES PAR L’INSTITUT IBP FRAUNHOFER
120. Un contrat a été conclu dans le courant de l’année 2005 entre la société Actis et le laboratoire allemand IBP Fraunhofer, prévoyant la réalisation d’une campagne d’essais in situ. Selon le directeur administratif et financier de la société Actis, l’objectif poursuivi par la société était l’obtention d’un document (« Zulassung ») permettant à ses produits d’accéder au marché allemand (procès-verbal d’audition du 4 juillet 2017, cote 29 464).
121. Un rapport d’étude intermédiaire a été établi le 6 mars 2007 (cotes 29 483 à 29 493). Ce rapport est fondé sur une campagne d’essais réalisée sur une période de trente-six jours. Il procède à la comparaison des consommations en énergie d’un chalet C1 équipé avec un isolant de la société Actis et d’un chalet C2 isolé en laine minérale. Le rapport indique que la consommation énergétique moyenne des deux chalets diffère peu au cours de la période. Par ailleurs, le rapport expose en conclusion que les essais normalisés font apparaître pour le produit isolant de la société Actis des résultats défavorables par rapport à ceux obtenus dans le cadre de la campagne d’essais in situ. Le rapport préconise ainsi de poursuivre les essais.
122. Un rapport final a été établi le 27 juillet 2007. Il expose notamment les résultats d’une seconde campagne d’essais, menée du 8 avril au 8 mai 2007, faisant apparaître un écart de consommation énergétique de 30 % en défaveur du chalet C1, à l’intérieur duquel était posé l’isolant de la société Actis. La société a contesté la méthodologie employée pour la réalisation de cette seconde campagne d’essais en faisant valoir que « l’IBP a changé les conditions relatives à l’étanchéité à l’air et ce sans nous informer de ce changement » (procès-verbal d’audition du 4 juillet 2017 susmentionné, cote 29 466).
123. Ces divergences quant à la méthodologie employée n’ont pas permis la poursuite du programme d’essais entre la société Actis et le laboratoire IBP Fraunhofer. La société Actis indique avoir été informée au cours d’une réunion du 8 octobre 2007 que les cellules d’essais du laboratoire IBP Fraunhofer employées jusqu’alors avaient été réservées par un autre industriel et n’étaient plus disponibles (procès-verbal du 4 juillet 2017, cote 29 467). Le laboratoire allemand a indiqué pour sa part avoir cherché durant l’été 2007 à trouver un nouveau partenaire afin que ses cellules d’essais ne demeurent pas inutilisées (cote 30 694).
124. Le laboratoire et la société Saint-Gobain Isover se sont alors rapprochés. Ce partenariat a débouché sur la réalisation, à compter du 11 décembre 2007, de trois campagnes d’essais in situ reprenant le principe d’une comparaison de la consommation énergétique entre un chalet équipé d’un isolant de la société Actis et un chalet équipé d’un isolant en laine minérale. Le chef du service « constructions légères et transferts » du CSTB a indiqué avoir été sollicité par la société Saint-Gobain Isover pour être « un conseil dans ces essais » (procès-verbal d’audition du 13 octobre 2017, cote 30 155). Un rapport a été établi le 18 septembre 2008 à la suite de ces campagnes d’essais. S’il fait mention de la forte sensibilité des isolants en laine minérale au vent, il conclut également que, quelle que soit la période considérée, la consommation énergétique demeure presque deux fois supérieure pour le chalet isolé avec le produit de la société Actis.
125. Dans son rapport du 27 février 2009 susmentionné, l’expert désigné par la cour d’appel de Versailles dans le cadre du litige opposant le FILMM à Actis relevait que les conditions d’essais utilisées par le laboratoire IBP Fraunhofer dans le cadre des mesures réalisées à la demande de la société Saint-Gobain Isover étaient « très voisines de celles adoptées par Actis, sur son site d’essais de Limoux ». L’expert relevait cependant une « différence essentielle », liée au fait que les cellules d’essais utilisées par le laboratoire allemand comportait « un écran de sous toiture assurant une étanchéité à l’air des combles pratiquement totale ». L’expert concluait que les améliorations de la performance de la laine minérale observées étaient « incontestablement dues à l’amélioration de l’étanchéité à l’air des locaux d’essais » (cote 3 655).
126. Il résulte de ce qui précède que le partenariat entre la société Actis et le laboratoire allemand IBP Fraunhofer a pris fin dans un contexte marqué par de fortes divergences quant à la méthode employée pour la réalisation des tests in situ. Les essais réalisés par la suite par ce même laboratoire à la demande de la société Saint-Gobain Isover ont été mis en œuvre dans des conditions permettant d’assurer une meilleure étanchéité à l’air des cellules d’essais, favorisant ainsi les performances des isolants en laine minérale au détriment de celles des PMR.
E. LES GRIEFS NOTIFIES
127. Le 28 juillet 2014, les services d’instruction ont notifié le grief suivant :
« Il est fait grief au Centre Scientifique et Technique du Bâtiment (« CSTB »), à la société Saint-Gobain Isover (RCS Nanterre B 312 379 076), au syndicat national des Fabricants d'Isolants en Laines Minérales Manufacturées («FILMM») en tant qu'auteurs des pratiques, et à la société Saint-Gobain (RCS Nanterre B 542 039 532) en tant que maison mère de la société Saint-Gobain Isover, de s'être échangé, entre mars 2002 et mars 2007, des informations stratégiques et confidentielles relatives d'une part à la demande d'agrément technique européen de la société Actis déposée auprès de l'UBAtc pour le produit « Tri Iso Super 9 », et l'élaboration de la « CUAP » n° 12.01/12 correspondante (« common understanding of assessment procédure »), et d'autre part au contentieux opposant le FILMM et Actis devant le tribunal de commerce de Versailles. Ces échanges d'informations ont, sur le marché de la fabrication des produits d'isolation thermique, et sur le marché des services d'essais et d'évaluation technique des produits de la construction, d'une part réduit l'incertitude nécessaire au libre jeu de la concurrence dans laquelle les destinataires de la présente notification de griefs auraient dû se trouver, et d'autre part conféré à ceux-ci un avantage dans la concurrence, sans pour autant améliorer la transparence du marché.
Ces pratiques ont eu pour objet et pour effet d'empêcher le libre jeu de la concurrence et sont contraires aux articles L. 420-1 du code de commerce et 101 TFUE ».
128. Le 10 octobre 2018, les services d’instruction ont notifié le grief suivant :
« Il est fait grief au Centre Scientifique et Technique du Bâtiment (« CSTB »), à la société Saint-Gobain Isover (RCS Nanterre B 312 379 076), au syndicat national des Fabricants d’Isolants en Laines Minérales Manufacturées (« FILMM ») en tant qu’auteurs des pratiques, et à la société Compagnie de Saint-Gobain (RCS Nanterre B 542 039 532) en tant que maison-mère de la société Saint-Gobain Isover, de s’être concertés, dans le cadre d’une infraction unique, complexe et continue, entre le 24 novembre 2001 et le 18 janvier 2013, afin d’entraver l’entrée et la commercialisation des IMMR sur le marché de la fabrication des produits d’isolation thermique et d’avoir ainsi mis en œuvre des pratiques ayant eu pour objet et pour effet de fausser le libre jeu de la concurrence sur le marché en cause.
De telles pratiques sont contraires aux articles L. 420-1 du code de commerce et 101 TFUE ».
II. Discussion
A. SUR LA COMPETENCE
1. LES PRINCIPES APPLICABLES
129. En application de l’article L. 410-1 du code de commerce, les règles relatives à la liberté des prix et de la concurrence s’appliquent à toutes les activités de production, de distribution et de services, « y compris celles qui sont le fait des personnes publiques ».
130. Le Tribunal des conflits a jugé que les personnes publiques peuvent être sanctionnées au titre du droit de la concurrence « dans la mesure où elles effectuent des activités de production, de distribution ou de services ». En revanche, « les décisions par lesquelles ces personnes assurent la mission de service public qui leur incombe au moyen de prérogatives de puissance publique relèvent de la compétence de la juridiction administrative » (arrêt du 18 octobre 1999, préfet de la région Ile-de-France, préfet de Paris, affaire dite « Aéroports de Paris », n° 03174, publié au Recueil).
131. De la même manière, il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne qu’ « une activité qui, par sa nature, les règles auxquelles elle est soumise et son objet, est étrangère à la sphère des échanges économiques (...) ou se rattache à l’exercice de prérogatives de puissance publique (...) échappe à l’application des règles de concurrence du Traité » (arrêt du 19 février 2002, Wouters e. a., C-309/99 point 57).
132. La Cour de cassation a jugé, dans le même sens, que « les décisions par lesquelles les personnes publiques ou les personnes privées chargées d’un service public exercent la mission qui leur est confiée et mettent en œuvre des prérogatives de puissance publique et qui peuvent constituer des actes de production, de distribution et de services au sens de l’article 53 de l’ordonnance du 1er décembre 1986 entrant dans son champ d’application, ne relèvent pas de la compétence du Conseil de la concurrence ». La cour précise néanmoins « qu’il en est autrement lorsque ces organismes interviennent par leurs décisions hors de cette mission ou ne mettent en œuvre aucune prérogative de puissance publique » (arrêt du 16 mai 2000, société Semmaris, n° 98-11800, publié au Bulletin).
133. Plus récemment, la Cour de cassation a jugé que l’Autorité était compétente pour sanctionner des pratiques par lesquelles la SNCF avait utilisé des données détenues dans le cadre de ses missions de service public afin de favoriser la branche « Fret » de son activité. La Cour de cassation a ainsi relevé que « les actes litigieux sont intervenus hors de la mission de service public qui a été déléguée à la SNCF et n’ont mis en œuvre aucune prérogative de puissance publique » (arrêt du 22 novembre 2016, société Euro Cargo Rail, n° 14-28.224).
2. APPRECIATION EN L’ESPECE
134. Ainsi qu’il a été dit, le CSTB est un établissement public industriel et commercial doté de l’autonomie financière. Il résulte des articles L. 142-1 et R. 142-1 du code de la construction et de l’habitation qu’il exerce des missions d’intérêt général et peut, parallèlement à celles- ci, fournir des prestations d’études, de conseil, d’essais ou encore délivrer des certifications (cf. § 50-57 ci-dessus).
135. Les pratiques auxquelles le CSTB a pris part s’inscrivent, pour plusieurs d’entre elles, dans le cadre des missions d’intérêt général qui lui sont confiées. Il en va ainsi de la participation du CSTB aux travaux de l’OEAT en tant qu’organisme membre. Cette mission s’inscrit dans le cadre des activités de coopération technique internationale mentionnées à l’article R. 142-1 du code de la construction et de l’habitation. Il en va de même s’agissant des activités du CEN auxquelles le CSTB a pris part. Par ailleurs, les pratiques relatives au GS 20 s’inscrivent dans le cadre des travaux de la CCFAT, dont le CSTB assure le secrétariat. Cette mission figure également parmi les missions d’intérêt général mentionnées à l’article R. 142-1 du code de la construction et de l’habitation.
136. Il doit néanmoins être relevé que les missions d’intérêt général décrites ci-dessus, qui contribuent à l’élaboration de référentiels présentant un caractère facultatif, n’impliquent pas la mise en œuvre de prérogatives de puissance publique17.
137. En l’espèce, il est fait grief au CSTB d’avoir participé à des échanges d’informations ayant réduit l’incertitude nécessaire au libre jeu de la concurrence sur le marché de la fabrication des produits d’isolation thermique et sur le marché des services d’essais et d’évaluation technique des produits de la construction (cf. grief notifié le 28 juillet 2014). Il lui est, en outre, fait grief d’avoir pris part à une entente ayant eu pour objet ou pour effet d’entraver l’entrée et la commercialisation des isolants minces multicouches réfléchissants sur le marché de la fabrication des produits d’isolation thermique (cf. grief notifié le 10 octobre 2018).
138. Si de telles pratiques d’entente étaient établies, le CSTB, sans mettre en œuvre aucune prérogative de puissance publique, devrait alors être regardé comme ayant agi en dehors des missions de service public qui lui sont confiées, en vue de favoriser les intérêts d’une partie des fabricants de produits d’isolation. L’Autorité serait, en conséquence, compétente pour sanctionner de telles pratiques.
139. Enfin, les autres pratiques visées dans les notifications de griefs, auxquelles il est reproché au CSTB d’avoir pris part, ont été mises en œuvre dans le cadre des prestations de conseil et d’essais qu’il est habilité à fournir parallèlement à ses missions d’intérêt général. En conséquence, ces prestations relèvent d’une activité de services entrant dans le champ des articles L. 410-1 du code de commerce et 101 du TFUE.
B. SUR LA PROCEDURE
1. SUR LA DEMANDE DE SURSIS A STATUER
140. Les sociétés Saint-Gobain Isover et Compagnie de Saint-Gobain (ci-après « Saint- Gobain »), le FILMM et le CSTB ont présenté respectivement les 12 août, 17 et 18 septembre 2020 une demande de sursis à statuer auprès de l’Autorité.
141. À l’appui de cette demande, les parties soutiennent que l’un des rapporteurs désignés par le rapporteur général ne présente pas les garanties d’impartialité requises pour instruire l’affaire eu égard aux fonctions d’enquête qu’il a précédemment exercées sur cette même affaire au sein des services placés sous l’autorité du ministre chargé de l’Economie.
142. La demande de sursis à statuer est par ailleurs fondée sur la circonstance que les parties mises en cause ont formé un pourvoi en cassation contre les ordonnances du 24 juillet 2020 par lesquelles le magistrat désigné par le premier président de la cour d’appel de Paris a rejeté leurs recours en récusation dirigés contre le rapporteur (voir supra, rappel de la procédure, § 10).
143. Au cours de la séance, les représentants des services d’instruction, le commissaire du Gouvernement, ainsi que la société Actis, partie saisissante, ont soutenu que cette demande était infondée.
144. Cette demande appelle les observations suivantes.
145. En premier lieu, il est relevé qu’aucune disposition ni aucun principe n’impose à l’Autorité de surseoir à statuer jusqu’à ce que la Cour de cassation se prononce sur les pourvois formés contre les ordonnances du 24 juillet 2020, qui ne présentent pas de caractère suspensif.
146. En deuxième lieu, eu égard notamment à l’ancienneté de l’affaire, il est de bonne administration que l’Autorité se prononce sans attendre l’issue de ces recours, et ce d’autant plus qu’elle est compétente pour examiner les moyens de procédure soulevés devant elle, y compris ceux ayant trait à l’impartialité du rapporteur.
147. En dernier lieu, les conséquences d’une éventuelle cassation des ordonnances du 24 juillet 2020 pourront être tirées par la cour d’appel de Paris, statuant sur le recours qui sera, le cas échéant, formé contre la décision rendue par l’Autorité, sur le fondement de l’article L. 464-8 du code de commerce.
148. Pour l’ensemble de ces motifs, il n’y a pas lieu de faire droit à la demande de sursis à statuer.
2. SUR LA QUESTION PRIORITAIRE DE CONSTITUTIONNALITE
149. Par un mémoire du 25 juin 2020, Saint-Gobain a saisi l’Autorité d’une question prioritaire de constitutionnalité portant sur la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit des dispositions de l’article 13 de la loi n° 2012-1270 du 20 novembre 2012.
150. Il est soutenu que ces dispositions, codifiées au cinquième alinéa de l’article L. 462-7 du code de commerce, méconnaissent les articles 6, 8 et 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, en tant qu’elles prévoient que les recours exercés contre les opérations de visite et de saisie constituent une cause de suspension de la prescription décennale visée au troisième alinéa du même article.
151. L’article 61-1 de la Constitution prévoit que la question prioritaire de constitutionnalité (ci- après « QPC ») peut être soulevée « à l’occasion d’une instance en cours devant une juridiction ». Les conditions dans lesquelles sont présentées les QPC sont précisées par l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, modifiée par la loi organique n° 2009-1523 du 10 décembre 2009. Il résulte de l’article 23-1 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 que la QPC peut être soulevée « devant les juridictions relevant du Conseil d’Etat ou de la Cour de cassation ».
152. Il résulte en outre des travaux préparatoires de la loi organique n° 2009-1523 que le législateur n’a pas entendu conférer à l’Autorité le caractère de juridiction, au sens et pour l’application des dispositions relatives à la QPC. Le rapport fait au nom de la commission des lois de l’Assemblée nationale sur le projet de loi organique précise en effet que « la question ne saurait être posée devant (…) une autorité administrative indépendante exerçant un pouvoir de sanction »18. Le rapport fait au nom de la commission des lois du Sénat indique de même que la question « ne saurait être invoquée devant une autorité administrative indépendante qui, bien qu’elle puisse disposer d’un pouvoir de sanction (…) n’est pas une juridiction en droit interne »19. Les travaux préparatoires rappellent par ailleurs que la QPC peut être soulevée dans le cadre de l’instance formée devant le juge administratif ou judiciaire contre les décisions de ces autorités administratives.
153. Au-delà de l’interprétation des textes relatifs à la QPC, il résulte de la jurisprudence du Conseil constitutionnel que, alors même qu’elle dispose d’un pouvoir de sanction et est soumise dans ce cadre au respect du principe de légalité des délits et des peines, l’Autorité est une « autorité de nature non juridictionnelle » (n° 2012-280 QPC du 12 octobre 2012).
De même, saisie d’une QPC présentée devant elle, la cour d’appel de Paris a rappelé que l’Autorité n’est pas une « juridiction de premier degré » mais une « autorité non juridictionnelle » (arrêt du 23 mars 2017, n° 17/04010).
154. À titre surabondant, il peut être relevé que la Cour de justice de l’Union européenne, saisie d’une question préjudicielle par l’autorité de concurrence espagnole, la Comisión Nacional de los Mercados y la Competencia (ci-après « CNMC »), l’a récemment rejetée comme irrecevable (arrêt du 26 septembre 2020, Asociación Nacional de Empresas Estibadoras y Consignatarios de Buques e.a., C-462/19). Pour juger que cette autorité ne pouvait être qualifiée de juridiction au sens de l’article 267 du TFUE, la Cour de justice a notamment relevé que la CNMC peut se saisir d’office en vue de sanctionner des pratiques anticoncurrentielles, qu’elle est amenée à travailler en étroite collaboration avec la Commission européenne et est susceptible d’être dessaisie au profit de cette dernière. Ces critères étant applicables à l’Autorité, il en résulte qu’elle ne peut davantage être regardée comme une juridiction au sens des stipulations de l’article 267 du TFUE.
155. Il résulte de ce qui précède que, dès lors que l’Autorité n’est pas une juridiction au sens des dispositions précitées, la QPC soulevée par Saint-Gobain n’est pas recevable.
3. SUR LE SECRET DES AFFAIRES
156. Le FILMM soutient que, au cours de l’instruction, la société Actis, partie saisissante, a pu avoir accès à des documents qui devaient être protégés au titre du secret des affaires et qui ont été utilisés par cette société dans le cadre d’une procédure judiciaire. Le FILMM fait en outre valoir qu’il n’a pu exercer un recours effectif contre les décisions de levée du secret des affaires.
157. Ces circonstances ne peuvent toutefois utilement être invoquées en l’espèce. En effet, ainsi que l’a jugé le Conseil d’État, « les décisions par lesquelles le rapporteur général refuse la protection du secret des affaires ou accorde la levée de ce secret (…) sont sans incidence sur la régularité de la procédure suivie devant l’Autorité de la concurrence » (décision du 10 octobre 2014, FILMM, n° 367807).
158. Ainsi, une violation éventuelle du secret des affaires « ne saurait entraîner la nullité de la procédure, donc de la Décision, que s’il résulte de cette violation une atteinte irrémédiable et concrète aux droits de la défense, dont la preuve incombe à l’entreprise qui s’en plaint » (arrêt de la cour d’appel de Paris du 23 septembre 2010, Sté Orange Caraïbes, n° 2010/00163).
159. En l’espèce, s’il est soutenu que la partie saisissante aurait cherché à exploiter à son avantage les documents comportant des secrets d’affaires du FILMM dans le cadre de la procédure suivie devant l’Autorité, le FILMM a été en mesure de répondre aux griefs notifiés et de répliquer aux écritures de la société Actis. Ainsi, il n’est pas établi que la prétendue violation du secret des affaires aurait été de nature à porter atteinte de façon irrémédiable aux droits de la défense du FILMM.
160. De même, la circonstance que le Gouvernement français a reconnu que le FILMM n’avait, en matière de secret des affaires, pas bénéficié d’une voie de recours effective, ce dont la Cour européenne des droits de l’homme a pris acte par décision du 5 novembre 2020 (cf. paragraphe 5 ci-dessus), est par elle-même sans incidence sur la régularité de la procédure suivie devant l’Autorité.
4. SUR LE SECRET DES CORRESPONDANCES ENTRE AVOCATS ET CLIENTS
161. Saint-Gobain estime que le secret des correspondances entre avocats et clients a été violé. Il est soutenu que plusieurs documents protégés par ce secret ont été saisis et ont pu être utilisés par les services d’instruction.
162. Il résulte toutefois de l’article L. 450-4 du code de commerce que la régularité des opérations de visite et de saisie ne peut être contestée que devant le premier président de la cour d’appel, statuant dans les conditions prévues par ces dispositions (décision n° 10-D-26 du 28 juillet 2010, § 75 ; décision n° 11-D-13 du 5 octobre 2011, § 249 ; décision n° 19-D-24 du 17 décembre 2019, § 337). En conséquence, il n’appartient pas à l’Autorité de se prononcer sur le déroulement de ces opérations et notamment sur la régularité de la saisie de documents au cours de celles-ci.
163. Au surplus, il n’est pas contesté que l’ensemble des documents visés dans les ordonnances de la cour d’appel de Paris, statuant sur les recours formés contre le déroulement des opérations de visite et de saisie, ont été restitués aux parties mises en cause. Ces documents n’ont en tout état de cause été utilisés par les services d’instruction ni dans la notification de griefs du 28 juillet 2014, ni dans celle du 10 octobre 2018, ni dans les rapports des 10 août 2015 et 20 novembre 2019.
164. Le moyen tiré de la violation du secret des correspondances entre avocats et clients doit par suite être écarté.
5. SUR LE SECRET DE L’INSTRUCTION
165. Saint-Gobain et le FILMM soutiennent que des informations figurant dans la notification de griefs du 28 juillet 2014 ont été diffusées dans la presse, au mépris du secret de l’instruction. Il en est résulté, selon eux, une atteinte à la présomption d’innocence.
166. En premier lieu, il n’est ni établi, ni même allégué, que la violation prétendue du secret de l’instruction serait imputable aux services de l’Autorité.
167. En second lieu, et en tout état de cause, une telle violation, à supposer qu’elle ait été établie, est sanctionnée par les dispositions des articles L. 226-13 et L. 226-14 du code pénal et n’entraîne pas la nullité de la procédure (voir en ce sens l’arrêt de la cour d’appel de Paris du 12 décembre 2006, Sté Bouygues Télécom, n° 2006/0048). En effet, ce n’est que dans l’hypothèse où les droits de la défense seraient irrémédiablement affectés par une telle violation, ce qui n’est pas démontré en l’espèce, que la procédure en serait viciée.
168. En l’espèce, les articles de presse fondés sur les informations divulguées, qui n’ont pas été rendues publiques à l’initiative de l’Autorité, n’ont pas été de nature à influencer l’appréciation portée sur l’affaire par les services d’instruction ou le collège, basée sur les éléments figurant au dossier et les observations de l’ensemble des parties, et ne peuvent être regardés comme traduisant une forme de pré-jugement. Aucune atteinte à la présomption d’innocence des parties mises en cause ne peut dès lors en avoir résulté.
169. Il s’ensuit que le moyen tiré de la violation du secret de l’instruction n’est pas fondé.
6. SUR L’IMPARTIALITE DU RAPPORTEUR
170. Le FILMM remet en cause l’impartialité de l’un des rapporteurs, en faisant valoir que ce dernier, avant d’être désigné rapporteur, a exercé des fonctions d’enquête sur la présente affaire en qualité d’agent de la DGCCRF.
171. Le FILMM et Saint-Gobain soutiennent en deuxième lieu que l’impartialité de ce rapporteur peut être mise en doute dès lors que ce dernier a pu, avant que leur restitution ne soit ordonnée, prendre connaissance de pièces protégées par le secret des correspondances entre avocats et clients.
172. Le FILMM et Saint-Gobain prétendent enfin que l’instruction a été menée uniquement à charge.
173. En premier lieu, il y a lieu de rappeler que s’il existe, au sein de l’Autorité, une séparation fonctionnelle entre les services d’instruction et le collège, les fonctions d’enquête et d’instruction sont au contraire, d’un point de vue procédural, indissociables.
174. Dès l’entrée en vigueur de l’ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986, les enquêteurs de la DGCCRF et les rapporteurs du Conseil de la concurrence disposaient des mêmes pouvoirs d’enquête prévus aux articles L. 450-3 et L. 450-4 du code de commerce. Un rapporteur pouvait donc « enquêter » en se livrant à des actes d’enquête prévus par ces articles dès qu’il était nommé par le rapporteur général. Toutefois, le rapporteur général et les rapporteurs de l’ancien Conseil de la concurrence ne pouvaient enquêter sans que le Conseil ait été préalablement saisi, soit par le ministre de l’Economie, soit par un autre plaignant. Il était donc d’usage, dans les cas de saisine du ministre de l’Economie, les plus fréquents, que celle-ci soit accompagnée d’un rapport administratif d’enquête établi par les enquêteurs de la DGCCRF.
175. Depuis l’entrée en vigueur de la loi n° 2008-776 du 4 août 2008, le rapporteur général, et les rapporteurs nommés par lui, peuvent eux-mêmes réaliser les enquêtes de bout en bout, sans nécessairement disposer préalablement d’un rapport administratif d’enquête rédigé par les enquêteurs de la DGCCRF. Ainsi, la réforme de 2008 vise à permettre à l’Autorité de disposer de modalités d’enquête dont l’efficacité a été renforcée par la mise en place d’un système original dans lequel elle peut s’appuyer sur une double capacité d’enquête : celle que la DGCCRF met à sa disposition et celle qui repose sur ses propres services d’instruction.
176. Le système institutionnel créé par la loi du 4 août 2008 repose en outre sur une intégration forte des pouvoirs d’enquête de la DGCCRF et de l’Autorité, ce qui permet notamment une détection plus efficace des pratiques anticoncurrentielles. Ainsi, la DGCCRF transmet au rapporteur général de l’Autorité les indices de pratiques anticoncurrentielles détectés qui méritent, selon elle, une enquête approfondie. Ce dernier décide soit de prendre la direction de l’enquête, soit de laisser la DGCCRF la conduire jusqu’à son terme. Dans ce dernier cas, celle-ci informe l’Autorité du résultat de ses investigations. L’Autorité peut alors se saisir d’office de l’affaire ou laisser la DGCCRF y donner les suites qu’elle juge appropriées. La DGCCRF peut également saisir l’Autorité, au nom du ministre de l’Economie, de toute pratique contraire aux articles L. 420-1 ou L. 420-2 du code de commerce ou aux articles 101 et 102 du TFUE. L’Autorité, en ce qui concerne ses attributions contentieuses, peut ouvrir des enquêtes de concurrence, les instruire, qualifier les pratiques poursuivies et, le cas échéant, les sanctionner. Parmi les affaires instruites par l’Autorité figurent, notamment, celles qui émanent des rapports d’enquête de la DGCCRF ou de saisines ministérielles. Enfin, l’Autorité peut demander à la DGCCRF de lui apporter son concours pour la réalisation des opérations de visite et de saisie. Le dispositif français de protection de la concurrence repose ainsi sur deux entités dont les rôles, bien que distincts, sont complémentaires et interdépendants.
177. Ainsi, le législateur n’a pas entendu séparer, ni fonctionnellement, ni institutionnellement, les activités d’enquête et d’instruction. Les réformes de 1986 et de 2008 ont respectivement permis de les rapprocher, d’une part, en réunissant au sein de l’Autorité les fonctions d’enquête et d’instruction, et, d’autre part, en assurant une meilleure coordination entre les services d’instruction de l’Autorité et de la DGCCRF dans la mise en œuvre des enquêtes sur les faits susceptibles de constituer des pratiques anticoncurrentielles.
178. Il en résulte que la seule circonstance qu’un rapporteur chargé de l’instruction à l’Autorité ait été précédemment enquêteur sur le même dossier au sein de la DGCCRF ne saurait par elle-même être de nature à porter atteinte au principe d’impartialité.
179. Un manquement au principe d’impartialité ne saurait davantage résulter du simple fait que les agents de la DGCCRF sont placés sous l’autorité du ministre chargé de l’Economie : il ne peut en effet être présumé de cette seule circonstance que ces agents mènent leurs investigations de façon orientée et systématiquement défavorable aux entreprises mises en cause. En effet, tout comme les rapporteurs de l’Autorité, ces agents sont soumis au respect du principe d’impartialité, consacré à l’article 25 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, et qui s’impose à toute autorité administrative.
180. En conséquence, il ne peut être soutenu, comme le fait le FILMM, que l’enquête menée par les agents de la DGCCRF serait uniquement menée « à charge contre les opérateurs visés dans la plainte » du saisissant et orientée « vers une recherche exclusive des éléments susceptibles de constituer une pratique anticoncurrentielle » (cote 33 541). Ainsi, la circonstance qu’un rapporteur a précédemment exercé des fonctions d’enquête au sein de la DGCCRF ne le conduit pas à orienter l’instruction dans un sens déterminé, et pas davantage dans un sens qui serait nécessairement défavorable aux parties mises en cause.
181. Il en résulte que le principe d’impartialité ne peut être regardé comme ayant été méconnu en l’espèce au motif que l’un des rapporteurs a précédemment exercé des fonctions d’enquête au sein des services placés sous l’autorité du ministre chargé de l’Economie.
182. En deuxième lieu, s’il est allégué que les services d’instruction ont pu prendre connaissance de pièces saisies, puis restituées au cours de la procédure, il n’est pas établi que cette circonstance aurait conduit à orienter l’instruction dans un sens particulier, ou aurait fait obstacle à ce que les rapporteurs mènent celle-ci en toute impartialité.
183. Au demeurant, les griefs notifiés aux parties mises en cause sont fondés sur les pièces figurant au dossier, auxquelles les parties ont pu avoir accès, et non sur des documents dont la restitution a été ordonnée. La circonstance invoquée par les mis en cause n’a, dès lors, porté atteinte ni au principe d’impartialité, ni au principe du contradictoire.
184. En dernier lieu, il résulte de la jurisprudence de la cour d’appel de Paris que « l’appréciation de la partialité de l’instruction ne saurait résulter de la seule circonstance alléguée au cas d’espèce que le rapporteur n’aurait pas tenu compte, dans sa notification de griefs, d’éléments qui, selon les parties, viendraient au soutien de leur défense » (arrêt de la cour d’appel de Paris du 20 janvier 2011, société Perrigault, n° 2010/08165). La cour d’appel juge en outre qu’il ne peut être « reproché aux rapporteurs d’avoir retenu des éléments à charge des entreprises et écarté les éléments que celles-ci invoquaient à leur décharge, dès lors qu’ils ont pour fonction d’instruire et de décrire dans la notification de griefs, puis dans le rapport, ce qui à leurs yeux doit conduire à la qualification et à la sanction de pratiques anticoncurrentielles » (arrêt de la cour d’appel de Paris du 17 mai 2018, société Umicore, n° 2016/16621).
185. En conséquence, il ne peut être reproché aux services d’instruction d’avoir retenu les éléments venant au soutien de la thèse défendue dans les notifications de griefs et les rapports, y compris ceux émanant de la partie saisissante, et de ne pas avoir tenu compte de l’ensemble des arguments avancés par les mis en cause. Contrairement à ce que soutient le FILMM, aucun élément ne permet d’établir l’existence, entre l’un des rapporteurs et la partie saisissante, d’une « proximité » contraire au principe d’impartialité. En dénonçant ainsi l’instruction « exclusivement à charge » conduite par le rapporteur, Saint-Gobain et le FILMM entendent en réalité critiquer la pertinence du raisonnement suivi par les services d’instruction, sans démontrer un quelconque manque de rigueur et d’objectivité de la procédure d’instruction.
186. Il résulte de ce qui précède que les arguments mettant en cause l’impartialité des services d’instruction doivent être écartés.
7. SUR LA DUREE DE LA PROCEDURE
187. Le FILMM et Saint-Gobain, qui rappellent que la saisine du ministre de l’Economie a été enregistrée le 8 avril 2009, soutiennent que la durée de la procédure est excessive et a entraîné une violation de leurs droits de la défense.
188. Il résulte d’une jurisprudence constante que le délai raisonnable de la procédure, garanti par l’article 6 § 1 de la CEDH, doit être apprécié au regard de l’ampleur et de la complexité de l’affaire (voir notamment l’arrêt de la cour d’appel de Paris du 26 janvier 2012, Beauté Prestige International, n° 2010/23945).
189. Par ailleurs, la sanction qui s’attache à la violation, par l’Autorité de la concurrence, de l’obligation de se prononcer dans un délai raisonnable n’est pas l’annulation de la procédure, mais la réparation du préjudice résultant éventuellement du délai excessif (arrêt de la cour d’appel de Paris du 21 décembre 2017, La Banque Postale e.a., n° 15/17638). Il n’en va autrement que s’il est démontré une atteinte personnelle, effective et irrémédiable au droit des entreprises en cause de se défendre (même arrêt). C’est à l’entreprise qui soutient que la durée excessive de la procédure a fait obstacle concrètement et effectivement à l’exercice normal de ses droits de la défense d’en apporter la preuve (arrêt de la cour d’appel de Paris du 18 janvier 2018, Groupement des installateurs français SA, n° 2017/01703).
190. En ce qui concerne les atteintes alléguées à la possibilité pour les entreprises de se défendre utilement contre les griefs notifiés, compte tenu de la durée de la procédure, la cour d’appel de Paris a précisé que « la réalité d’une telle violation s’apprécie nécessairement à l’aune du devoir général de prudence incombant à chaque opérateur économique qui se doit de veiller à la bonne conservation de ses livres et archives comme de tous éléments permettant de retracer la licéité de ses pratiques en cas d’actions judiciaire ou administrative » (arrêt de la cour d’appel de Paris du 26 janvier 2012, Beauté Prestige International, n° 2010/23 945).
191. En l’espèce, il convient de tenir compte de la nature particulière de l’affaire, qui fait intervenir des acteurs au profil singulier, repose sur des pratiques complexes et de nature très diverse, et a nécessité une analyse détaillée du secteur et des multiples règles applicables en matière de certification et de normalisation. Sur le plan procédural, l’affaire a donné lieu à des opérations de visite et de saisie, qui ont suscité un contentieux dont l’issue définitive n’est intervenue qu’en 2015. L’affaire a également fait l’objet d’un contentieux introduit par le FILMM en matière de secret des affaires, qui a conduit à la décision du Conseil d’État du 10 octobre 2014 (cf. supra § 5). L’exercice de ces recours a nécessairement influé sur la durée de l’instruction. Par ailleurs, l’affaire a donné lieu, en 2016, à un renvoi à l’instruction. Enfin, les parties ont introduit, au mois de juin 2020, des recours en récusation, qui ont conduit à reporter de plusieurs mois la date de la séance. Ainsi, au regard de ces éléments, la durée de la procédure ne saurait être regardée comme déraisonnable.
192. En tout état de cause, le FILMM et Saint-Gobain n’apportent pas la preuve, qui leur incombe, de ce que la durée de la procédure aurait fait obstacle à l’exercice effectif de leurs droits de la défense. Les parties ont eu connaissance des investigations menées par l’Autorité dès le 11 juin 2009, date à laquelle les opérations de visite et de saisie ont eu lieu dans leurs locaux. Il n’est nullement établi que l’écoulement du temps aurait rendu impossible la collecte et la conservation des éléments de preuve contemporains des pratiques en cause. Si les parties font état du départ de plusieurs salariés ayant une bonne connaissance du contexte de l’affaire, elles n’allèguent cependant pas avoir rencontré des difficultés pour accéder aux documents utiles à leur défense. Elles ont d’ailleurs été en mesure de présenter des observations détaillées en réponse aux notifications de griefs et aux rapports qui leur ont été notifiés.
193. Il en résulte que la preuve d’une atteinte aux droits de la défense liée à la durée de la procédure n’est pas apportée en l’espèce.
8. SUR LA MOTIVATION DE LA NOTIFICATION DE GRIEFS DU 10 OCTOBRE 2018 ET LA CLARTE DES GRIEFS NOTIFIES
194. Le CSTB soutient que la notification de griefs du 10 octobre 2018 comporte des contradictions et ne lui permet pas de comprendre quelles sont les pratiques qui lui sont reprochées.
195. De même, le FILMM prétend que la notification de griefs du 10 octobre 2018 n’expose pas clairement les fondements et la qualification des pratiques retenues à son encontre. Il ajoute que des contradictions existent entre les deux notifications de griefs.
196. Comme le Conseil de la concurrence l’a indiqué dans sa décision n° 09-D-06 relative au secteur de la vente de voyages en ligne, « la notification des griefs est un document synthétique qui contient une description précise des faits reprochés, leur date, leur imputabilité et leur qualification, puis reprend, in fine, en les résumant, la rédaction des griefs eux-mêmes dans une formule concise. Elle constitue l’acte d’accusation et doit donc être précise (cour d’appel de Paris, 29 mars 2005, Filmdis Cinésogar), cette exigence n’excluant pas que les juges d’appel et de cassation recherchent, dans le corps même de la notification des griefs, la portée de ces derniers (Cour de cassation, 6 avril 1999, ODA) ».
197. En l’espèce, le grief notifié aux mis en cause est formulé de façon claire et concise (cf. supra, § 128). Par ailleurs, la notification de griefs du 10 octobre 2018, dans sa partie « constatations », décrit de façon précise les faits pertinents de l’espèce (cotes 31 911 à 32 072). Elle détaille ensuite, sur plus de soixante pages, la qualification des pratiques reprochées aux mis en cause (pages 227 à 291), en indiquant qu’elles présentent le caractère de pratiques d’entrave à l’accès au marché, mises en œuvre dans le cadre d’une infraction unique, complexe et continue.
198. Si les parties soutiennent par ailleurs que la notification de griefs du 10 octobre 2018 est entachée d’inexactitudes et d’imprécisions et entre en contradiction, sur certains points, avec la notification de griefs du 28 juillet 2014, elles contestent ce faisant le bien-fondé du raisonnement suivi par les services d’instruction, et non la régularité de la procédure.
9. SUR LE CHAMP DU RENVOI A L’INSTRUCTION
199. Saint-Gobain soutient que, dans le cas d’un renvoi à l’instruction, les services d’instruction ne sont ressaisis que dans le cadre délimité par la décision de renvoi et qu’en conséquence l’instruction complémentaire ne peut excéder le champ temporel et matériel défini dans cette décision. Saint-Gobain et le FILMM exposent en outre qu’à la suite du renvoi à l’instruction, aucun élément nouveau ne justifiait que des pratiques écartées dans la première notification de griefs soient finalement retenues dans la seconde.
200. Aux termes de l’article R. 463-7 du code de commerce : « Lorsqu’elle estime que l’instruction est incomplète, l’Autorité de la concurrence peut décider de renvoyer l’affaire en tout ou partie à l’instruction. Cette décision n’est pas susceptible de recours ». Conformément à ces dispositions, le renvoi à l’instruction ne constitue pas une obligation mais une faculté que le collège de l’Autorité est libre d’exercer au vu des éléments du dossier (arrêt de la cour d’appel de Paris du 12 mai 2016, Société Brandalley, n° 2015/00301). Par ailleurs, lorsqu’elle prend une décision dont le dispositif se limite à un renvoi du dossier à l’instruction, l’Autorité ne tranche définitivement aucun point de droit ou de fait et ne prend qu’une mesure interne concernant l’instruction d’une affaire estimée incomplète (arrêt de la cour d’appel de Paris du 6 avril 2010, Société France Télécom, n° 2009/13347).
201. Il en résulte que si le collège dispose de la faculté de renvoyer l’affaire, en tout ou partie, à l’instruction, le champ du renvoi doit être apprécié au regard du dispositif de la décision de renvoi, dont les motifs ont seulement pour objet d’exposer les raisons pour lesquelles le collège a estimé que l’instruction de l’affaire était incomplète. Ces motifs ne peuvent en revanche être lus comme une prise de position du collège sur la nature, l’étendue et la réalité des pratiques. Ainsi, lorsque le dispositif de la décision de renvoi énonce que le dossier est renvoyé à l’instruction, les services d’instruction sont ressaisis de l’intégralité de l’affaire.
202. En l’espèce, le dispositif de la décision n° 16-S-03 du 22 septembre 2016 se limite à un renvoi du dossier à l’instruction. En conséquence, les parties ne sont pas fondées à soutenir que les services d’instruction auraient excédé le champ matériel du renvoi en examinant des pratiques qui ne sont pas expressément mentionnées dans les motifs de la décision de renvoi. De même, au regard du dispositif de cette décision, le champ temporel du renvoi à l’instruction ne peut être regardé comme ayant été limité au seul motif que cette décision mentionne en son point 29 que « les pratiques en cause concernent des actions menées (…) entre novembre 2001 et avril 2009 ».
203. Enfin, dès lors que la décision n° 16-S-03 n’a pas circonscrit le champ matériel du renvoi à l’instruction, aucune irrégularité procédurale ne peut résulter de la circonstance que les services d’instruction auraient décidé, dans un premier temps, de ne pas tenir compte de certaines pratiques au soutien du premier grief notifié aux parties mises en cause, puis, après renvoi à l’instruction, de retenir ces pratiques en vue d’étayer le nouveau grief notifié aux parties.
204. Il résulte de ce qui précède que les parties ne sont pas fondées à soutenir que les services d’instruction ont excédé le champ de la saisine résultant de la décision de renvoi à l’instruction.
10. SUR LA PRESCRIPTION
205. Le CSTB, le FILMM et Saint-Gobain font valoir que la prescription décennale prévue à l’article L. 462-7 du code de commerce est acquise au cas d’espèce. Ils soutiennent que les faits en lien avec les pratiques qui leur sont reprochées sont anciens de plus de dix ans.
206. Il résulte du troisième alinéa de l’article L. 462-7 du code de commerce que « la prescription est acquise en toute hypothèse lorsqu’un délai de dix ans à compter de la cessation de la pratique anticoncurrentielle s’est écoulé sans que l’Autorité de la concurrence ait statué sur celle-ci ».
207. Dans le cas de pratiques pouvant être qualifiées d’infraction continue, c’est-à-dire « lorsque l’état délictuel se prolonge dans le temps par la réitération constante ou par la persistance de la volonté anticoncurrentielle après l’acte initial », il convient de retenir la date de cessation de l’infraction continue comme point de départ de la prescription (arrêt de la Cour de cassation du 15 mars 2011, n° 09-17.055). Ainsi, même lorsque les pratiques ont débuté plus de dix ans avant qu’intervienne la décision de l’Autorité, la prescription n’est pas acquise, dans le cas d’une infraction continue, si ces pratiques ont cessé moins de dix ans avant la décision de l’Autorité (voir notamment l’arrêt de la cour d’appel de Paris du 17 mai 2018, n° 2016/16621).
208. En l’espèce, parmi les pratiques retenues par les services d’instruction pour caractériser l’infraction unique, complexe et continue mentionnée dans la notification de griefs du 10 octobre 2018, figure celle relative à l’instruction de la demande d’ATE présentée par la société Actis le 6 septembre 2002. Or, il ressort du dossier que le CSTB, dans une contribution écrite du 24 juin 2011, a manifesté son opposition à un projet de CUAP élaboré sous l’égide de l’OEAT dans le cadre d’une nouvelle demande d’ATE présentée par cette même société, au motif qu’un CUAP avait déjà été adopté pour le même type de produits en mars 2007.
209. Ainsi, dès lors que cette pratique aurait pris fin en juin 2011, la prescription décennale n’est, en tout état de cause, pas acquise à la date de la présente décision.
11. SUR LE PRINCIPE NON BIS IN IDEM
210. Selon Saint-Gobain, le principe non bis in idem s’oppose à ce qu’une même entreprise soit sanctionnée à raison de deux griefs fondés sur des faits similaires.
211. En tout état de cause, aucune sanction n’étant prononcée dans la présente décision contre les parties mises en cause, le moyen tiré de la méconnaissance du principe non bis in idem doit être écarté comme inopérant.
C. SUR L’APPLICATION DU DROIT DE L’UNION
1. PRINCIPES APPLICABLES
212. L’article 101 du TFUE dispose que « sont incompatibles avec le marché intérieur et interdits tous accords entre entreprises, toutes décisions d’associations d’entreprises et toutes pratiques concertées, qui sont susceptibles d’affecter le commerce entre États membres et qui ont pour objet ou pour effet d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l’intérieur du marché intérieur (…) ».
213. Selon la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne et la communication de la Commission européenne portant lignes directrices relatives à la notion d’affectation du commerce figurant aux articles 101 et 102 du TFUE20, trois éléments doivent être établis pour que des pratiques soient susceptibles d’affecter sensiblement le commerce entre États membres de l’Union : l’existence d’un courant d’échanges entre les États membres portant sur les produits en cause, l’existence de pratiques susceptibles d’affecter ces échanges et le caractère sensible de cette affectation.
214. La circonstance que les pratiques sanctionnées ne soient commises que sur le territoire d’un seul État membre ne fait pas obstacle à ce que le commerce entre États membres soit susceptible d’être affecté. À cet égard, la Cour de cassation a jugé que les termes « susceptibles d’affecter » énoncés par les articles 101 et 102 du TFUE « supposent que l’accord ou la pratique abusive en cause permette, sur la base d’un ensemble d’éléments objectifs de droit ou de fait, d’envisager avec un degré de probabilité suffisant qu’il puisse exercer une influence directe ou indirecte, actuelle ou potentielle, sur les courants d’échanges entre États membres, sans que soit exigée la constatation d’un effet réalisé sur le commerce intracommunautaire » (arrêt du 31 janvier 2012, Orange Caraïbe e. a., n° 10-25.772).
215. Par ailleurs, la Commission européenne rappelle au point 61 de ses lignes directrices que « Dans la quasi-totalité des cas, les accords et pratiques couvrant ou mis en œuvre dans plusieurs États membres sont, par leur nature même, susceptibles d’affecter le commerce entre États membres ».
216. S’agissant du troisième élément, la Cour de cassation a jugé que « le caractère sensible de l’affectation directe ou indirecte, potentielle ou actuelle, du commerce intracommunautaire résulte d’un ensemble de critères, parmi lesquels la nature des pratiques, la nature des produits concernés et la position de marché des entreprises en cause » (arrêt du 31 janvier 2012, Orange Caraïbe précité ; voir également, en ce sens, arrêt de la cour d’appel de Paris, du 28 mars 2013, Société des pétroles Shell e. a., n° 2011/18 245 et arrêt de la Cour de cassation du 20 janvier 2015, Société Chevron Products Company e. a., n° 13-16.745).
217. Par ailleurs, le point 52 des lignes directrices précitées se réfère à deux seuils cumulatifs en deçà desquels un accord est présumé, du point de vue de la Commission européenne, ne pas affecter sensiblement le commerce entre États membres :
- la part de marché totale des parties sur le marché communautaire affecté par l’accord n’excède pas 5 % ;
- et, dans le cas d’accords horizontaux, le chiffre d’affaires annuel moyen réalisé dans l’Union par les entreprises en cause avec les produits concernés par l’accord n’excède pas 40 millions d’euros.
2. APPRECIATION EN L’ESPECE
218. En premier lieu, il existe un courant d’échanges entre États membres en ce qui concerne les produits d’isolation, fabriqués et commercialisés par des sociétés appartenant à des groupes de dimension internationale dans différents États membres de l’Union21. Par ailleurs, dans sa décision du 7 novembre 200222, concernant une opération de concentration entre les groupes Pfeiderer et Uralita, le ministre de l’Economie a relevé que les produits d’isolation « peuvent être adaptés aux différentes spécificités nationales à un coût qui n’empêche pas un commerce intracommunautaire rentable ». De même, les pièces du dossier font apparaître que la société Actis, dont une part importante du chiffre d’affaires était, au cours de la période en litige, réalisée à l’export (cotes 322 et 323), a entendu commercialiser ses produits dans plusieurs Etats membres de l’Union, notamment en Allemagne.
219. En deuxième lieu, ces pratiques s’inscrivent pour partie dans le cadre de l’OEAT et du CEN, organismes de dimension européenne concourant à l’élaboration de référentiels ayant vocation à s’appliquer à l’ensemble des produits commercialisés au sein du marché intérieur. Le fonctionnement de ces organismes et la procédure d’élaboration des référentiels sont, en outre, régis par la directive n° 89/106/CEE du Conseil du 21 décembre 1988. Les pratiques en cause, en ce qu’elles seraient susceptibles de conduire à l’adoption de référentiels européens ayant une incidence sur l’attractivité des PMR, seraient de nature à affecter l’accès au marché de ces produits sur l’ensemble du territoire européen.
220. En troisième lieu, il est constant que la société Saint-Gobain Isover, seul fabricant de produits d’isolation thermique mis en cause dans la présente affaire, possède sur le marché européen de la fabrication des produits d’isolation une part de marché supérieure à 5 %. Cette société a réalisé, au cours des exercices en litige, un chiffre d’affaires supérieur à 300 millions d’euros (cotes 12 534 et 21 439).
221. Il résulte de ce qui précède que les pratiques en cause sont susceptibles d’avoir affecté de façon sensible le commerce entre les États membres. Elles doivent, en conséquence, être examinées tant au regard des règles de concurrence de l’Union que des règles internes.
D. SUR LE BIEN-FONDE DES GRIEFS NOTIFIES
1. LE GRIEF NOTIFIE LE 28 JUILLET 2014
222. Le premier paragraphe de l’article 101 du TFUE et l’article L. 420-1 du code de commerce prohibent les accords et les pratiques concertées entre entreprises qui ont pour objet ou effet de restreindre la concurrence.
Principes applicables en matière d’échanges d’informations
223. Les échanges d’informations qualifiés de restriction de concurrence peuvent soit s’inscrire dans le cadre d’une entente plus globale, soit avoir lieu de façon autonome, sans autre comportement infractionnel.
224. Dans cette dernière hypothèse, les lignes directrices de la Commission européenne du 14 juin 201123 précisent qu’un « échange d’information peut (…) constituer une pratique concertée s’il diminue l’incertitude stratégique sur le marché et, partant, facilite la collusion, c’est-à-dire si les données échangées présentent un caractère stratégique. En conséquence, l’échange de données stratégiques entre concurrents équivaut à une concertation, en ce qu’il diminue l’indépendance de comportement des concurrents sur le marché et leur incitation à se livrer concurrence » (§ 61).
225. Il résulte également des lignes directrices que « les échanges, entre concurrents, de données individualisées concernant les futurs prix ou quantités envisagés » doivent être regardés « comme constituant une restriction de la concurrence par objet » (§ 74). Par ailleurs, un échange d’information « aura ou non des effets restrictifs sur la concurrence en fonction des conditions économiques prévalant sur les marchés en cause, ainsi que des caractéristiques des informations échangées » (§ 75). Ainsi, « l’échange entre concurrents, de données stratégiques, c’est-à-dire de données diminuant l’incertitude sur le plan stratégique sur le marché, est davantage susceptible de relever de l’article 101 que l’échange d’autres types d’informations » (§ 86).
226. Les juridictions européennes ont précisé les conditions dans lesquelles un échange d’informations est susceptible d’accroître la transparence sur le marché, de lever l’incertitude sur le comportement des concurrents et d’altérer la concurrence qui subsiste entre les opérateurs.
227. À ce titre, le Tribunal de l’Union a indiqué que, sur un marché oligopolistique, « la mise en commun régulière et rapprochée des informations relatives au fonctionnement du marché a pour effet de révéler périodiquement, à l’ensemble des concurrents, les positions sur le marché et les stratégies des différents concurrents » (arrêt du Tribunal de l’Union du 27 octobre 1994, John Deere Ltd / Commission européenne, T-35/92).
228. La jurisprudence nationale adopte une approche similaire.
229. Ainsi, la cour d’appel de Paris a jugé que « l’échange régulier entre les acteurs assurant la majeure partie voire la totalité de l’offre, selon une périodicité rapprochée et systématique, d’informations nominatives, précises et non publiques sur le marché est de nature à altérer sensiblement la concurrence qui subsiste entre les opérateurs économiques dès lors que la mise en commun régulière et rapprochée de ces informations a pour effet de révéler périodiquement à l’ensemble des concurrents les positions sur le marché et les stratégies de chacun d’eux » (arrêt du 26 septembre 2006, Société hôtel le Bristol SA, n° 2005/24285).
230. S’agissant du caractère stratégique des informations échangées, le Conseil de la concurrence a rappelé que « ce qui importe, selon la jurisprudence John Deere, n’est pas la précision, mesurée en termes abstraits, des informations échangées mais bien le lien entre la nature de ces informations et la possibilité pour les opérateurs de surveiller l’impact de leur politique commerciale, et de celle de leurs concurrents, sur leurs ventes » (décision n° 05-D-65 du 30 novembre 2005).
Appréciation au cas d’espèce
231. La notification de griefs du 28 juillet 2014 relève l’existence d’échanges d’informations, à compter du 24 novembre 2001, en ce qui concerne la procédure contentieuse opposant le FILMM à la société Actis, puis, à compter du 15 mars 2002, en ce qui concerne la demande d’ATE présentée par cette société.
232. S’agissant de la procédure introduite par le FILMM, le rapport du 10 août 2015 relève que lors des réunions des 24 novembre 2001, 17 janvier 2002 et 9 décembre 2002 « des questions relatives au contentieux ont été directement abordées par les participants » et que « des informations ont été échangées autour des actions à mener par rapport aux [isolants minces multicouches réfléchissants] produits par Actis ». Les services d’instruction considèrent en conséquence que ces informations ont revêtu « un caractère stratégique pour les parties au litige au regard de leur contexte et de leur contenu » (§ 507).
233. S’agissant de la procédure d’ATE, les services d’instruction estiment que les informations communiquées par le CSTB, qui étaient confidentielles, présentaient un caractère stratégique pour le FILMM et la société Saint-Gobain Isover, dans la mesure où elles leur permettaient de connaître, avant la société Actis, le contenu du projet de CUAP et l’état d’avancement de la procédure d’ATE. Les services d’instruction estiment en conséquence que la communication de ces informations était de nature à réduire l’incertitude sur le marché des produits d’isolation thermique (notification de griefs du 28 juillet 2014, § 758).
234. Les services d’instruction concluent que ces échanges d’informations, qui ont eu des effets anticoncurrentiels24, constituent des pratiques contraires aux articles L. 420-1 du code de commerce et 101 du TFUE.
235. Toutefois, si les échanges d’informations ont concerné le marché de la fabrication de produits d’isolation thermique, il convient de relever qu’ils sont intervenus entre des acteurs qui ne sont pas des concurrents sur ce marché. Ces échanges n’ont donc pas été de nature à réduire l’indépendance de comportement des entreprises actives sur ce marché et leur incitation à se faire concurrence.
236. Par ailleurs, les informations échangées, notamment celles relatives au contenu du CUAP élaboré par le CSTB, ne portaient pas sur des données commerciales sensibles – telles que les prix ou les quantités vendues – propres à la société Actis ou à un autre fabricant de produits d’isolation. Ces informations ne pouvaient, en elles-mêmes, contribuer à réduire l’incertitude sur ce marché en permettant aux mis en cause, et en particulier à la société Saint-Gobain Isover, de connaître par avance la stratégie de leurs concurrents et d’adapter leur politique commerciale en conséquence.
237. Dès lors, compte tenu de la nature des informations échangées et même si celles-ci n’étaient pas dépourvues d’intérêt pour les mis en cause, l’existence d’échanges d’informations ayant un objet ou un effet anticoncurrentiel n’est pas démontrée en l’espèce.
Conclusion
238. Il résulte de ce qui précède qu’en l’état des éléments présents au dossier, la pratique d’échange d’informations susceptible de constituer une restriction de concurrence visée par le grief notifié le 28 juillet 2014 n’est pas établie.
2. LE GRIEF NOTIFIE LE 10 OCTOBRE 2018
a) En ce qui concerne l’infraction unique, complexe et continue
Principes applicables
239. L’article 101, paragraphe 1 du TFUE et l’article L. 420-1 du code de commerce prohibent notamment les accords et les pratiques concertées entre entreprises qui ont pour objet ou effet de restreindre la concurrence. L’Autorité peut sanctionner ces pratiques individuellement ou globalement, dans le cadre d’une infraction unique et continue.
240. La notion d’infraction unique, complexe et continue réunit « dans une seule infraction, une pluralité de comportements successivement ou simultanément mis en œuvre pour atteindre un objectif commun » (Étude thématique de l’Autorité de la concurrence sur l’infraction unique, complexe et continue, rapport d’activité de l’année 2015).
241. Les comportements qui constituent l’expression de l’infraction unique, complexe et continue peuvent relever « pour partie de la notion d’accord et pour partie de celle de pratique concertée » (arrêt de la Cour de justice du 8 juillet 1999, Commission/ Anic Partecipazioni, C 49/92, point 114). Néanmoins, chacun de ces comportements doit relever de l’interdiction édictée à l’article 101 du TFUE (même arrêt, point 135 ; voir, en outre, l’arrêt de la Cour de justice du 5 décembre 2013, Solvay Solexis SPA, C 449/11 P, point 61).
242. La qualification d’infraction unique, complexe et continue suppose en premier lieu l’existence d’un plan d’ensemble poursuivant un objectif unique (arrêt de la Cour de justice du 7 janvier 2004, Aalborg Portland e. a. /Commission, C-204/00, point 290 ; arrêt de la cour d’appel de Paris, 30 janvier 2014, Colgate-Palmolive, n° 2012/00723). Cet objectif unique ne peut être réduit à une référence générale à la distorsion de concurrence sur le marché concerné par l’infraction, « car cela priverait la notion d’infraction unique, complexe et continue d’une partie de son sens en conduisant à ce que des comportements disparates concernant un même secteur économique soient systématiquement qualifiés d’infraction unique » (arrêt de la Cour de justice du 19 décembre 2013, Siemens AG, Mitsubishi Electric Corp. et Toshiba Corp./Commission, C-239/11, point 245). Par ailleurs, l’existence d’un lien de complémentarité entre ces différentes actions peut contribuer à apporter la démonstration de l’existence d’un plan d’ensemble (arrêt de la cour d’appel de Paris, 11 octobre 2012, Société Entreprise H. Chevalier, n° 2011/03798).
243. En second lieu, il est nécessaire de pouvoir identifier des caractéristiques communes entre les pratiques pour qu’elles puissent être qualifiées d’infraction unique, complexe et continue. Ainsi cette notion vise « une situation dans laquelle plusieurs entreprises ont participé à une infraction constituée d’un comportement continu poursuivant un seul but économique visant à fausser la concurrence ou bien encore d’infractions individuelles liées entre elles par une identité d’objet (même finalité de l’ensemble des éléments) et de sujets (identité des entreprises concernées, conscientes de participer à l’objet commun) » (arrêt du Tribunal du 27 juin 2012, Coats Holdings Ltd / Commission, T-439/07, point 141).
Appréciation au cas d’espèce
244. La notification de griefs du 10 octobre 2018 considère que les différentes pratiques constatées relèvent d’un plan d’ensemble conçu et exécuté par le CSTB, le FILMM et la société Saint-Gobain Isover visant l’objectif anticoncurrentiel unique de faire obstacle à l’élaboration d’un référentiel dédié aux isolants minces multicouches et d’éviter tout débat sur les essais normalisés (§ 1361).
245. Selon les services d’instruction, ce plan d’ensemble, dont la pierre angulaire est le contentieux introduit par le FILMM contre la société Actis devant le tribunal de commerce de Versailles, a été défini dans son principe au cours des réunions organisées entre le FILMM et le CSTB les 24 novembre 2001 et 9 décembre 2002 (§ 1364 et 1365). Ces réunions sont ainsi qualifiées de « concertations préparatoires » dans la notification de griefs du 10 octobre 2018.
246. Toutefois, en premier lieu, si le FILMM et le CSTB ont pris part aux réunions des 24 novembre 2001 et 9 décembre 2002, il convient de relever que la société Saint-Gobain Isover n’est pas expressément mentionnée parmi les participants. Si le nom de plusieurs de ses salariés figure dans le compte rendu de ces réunions, il apparaît qu’ils y ont pris part en qualité de membres du FILMM. Dès lors, la présence de ces salariés ne peut suffire à établir que la société Saint-Gobain Isover était représentée et donc à démontrer son adhésion aux actions envisagées par le FILMM et le CSTB au cours de ces réunions.
247. En deuxième lieu, ces réunions ont notamment porté sur la procédure contentieuse opposant le FILMM à la société Actis devant le tribunal de commerce de Versailles. Ces réunions, de même que celle du 17 janvier 2002, ont également permis aux participants d’évoquer les actions envisagées individuellement contre la société Actis. En revanche, ni les mentions du compte rendu de ces réunions, ni les autres pièces du dossier ne font apparaître que les participants auraient, à l’occasion de ces réunions, conçu un plan d’ensemble poursuivant un objectif anticoncurrentiel unique, visant à entraver l’entrée et la commercialisation des isolants minces multicouches réfléchissants sur le marché de la fabrication des produits d’isolation thermique.
248. À cet égard, s’il est fait référence, dans le compte rendu de la réunion du 9 décembre 2002, à l’élaboration d’un référentiel français pour les PMR et à la préparation d’un CUAP, ces actions sont envisagées dans le cadre de la stratégie contentieuse du FILMM et ne sont pas évoquées dans une perspective plus large, à travers laquelle les participants auraient exprimé leur volonté d’agir de concert en vue d’exclure ces produits du marché. De même, si le CSTB a indiqué, au cours de la réunion du 24 novembre 2001, avoir décidé de « se mobiliser », cette expression générale ne peut, à elle seule, permettre d’établir son adhésion à la définition d’une stratégie anticoncurrentielle commune.
249. Ainsi, les réunions organisées en 2001 et 2002 dans les locaux du FILMM ne peuvent être regardées comme ayant conduit à la définition d’un plan d’ensemble ayant un objet anticoncurrentiel unique.
250. En troisième lieu, la réalité d’un plan d’ensemble anticoncurrentiel ne peut être inférée de la seule existence de prises de position et d’intérêts convergents entre les différents acteurs. Ainsi, le scepticisme exprimé quant aux performances des PMR, l’attachement des mis en cause aux méthodes d’essais normalisées, de même que les différends ayant opposé chacun d’entre eux à la société Actis ne peuvent conduire à présumer, dans les circonstances de l’espèce, l’existence d’une stratégie commune.
251. Enfin, si les autres pratiques décrites ci-dessus portent toutes, dans une certaine mesure, sur l’évaluation des performances des PMR, elles n’en demeurent pas moins diverses quant à leur nature, à l’identité des participants, à l’échelle et à la période à laquelle elles ont été menées. En effet, ces pratiques concernent la procédure d’instruction de la demande d’ATE présentée par la société Actis, les travaux des ateliers portant sur les PMR mis en place au sein du CEN, la rédaction d’une note d’information par le GS n° 20 de la CCFAT et l’instruction d’une demande d’avis technique présentée par la société XL Mat, l’élaboration par la société Saint-Gobain Isover et une société tierce d’une stratégie visant la société Actis, la réalisation d’une campagne de mesures par le CSTB à la demande de l’ADEME, et la réalisation d’essais par l’institut allemand IBP Fraunhofer à la demande de la société Actis puis de la société Saint-Gobain Isover. Eu égard à leur caractère très disparate, ces pratiques ne présentent pas en l’espèce des liens d’identité et de complémentarité suffisants pour permettre de les regarder comme les composantes d’une infraction unique, complexe et continue.
252. Il résulte de ce qui précède que l’existence d’une infraction unique, complexe et continue n’est pas établie en l’espèce. Il convient néanmoins d’examiner si, prises isolément, les pratiques relevées par les services d’instruction ne constituent pas des pratiques prohibées par les articles 101 du TFUE et L. 420-1 du code de commerce.
b) En ce qui concerne la qualification individuelle des pratiques relevées par les services d’instruction
253. L’article 101, paragraphe 1 du TFUE et l’article L. 420-1 du code de commerce prohibent notamment les accords et les pratiques concertées entre entreprises qui ont pour objet ou effet de restreindre la concurrence.
Principes applicables
254. L’existence d’un accord est établie dès lors que les entreprises ont exprimé leur volonté commune de se comporter sur le marché d’une manière déterminée (voir notamment arrêt de la Cour de justice du 8 juillet 1999, Anic Partecipazioni SpA, C-49/92, point 40). L’existence d’une pratique concertée peut être démontrée par des éléments convergents prouvant que des contacts ont eu lieu entre un certain nombre d’entreprises et qu’elles poursuivent le but commun d’éliminer ou de réduire l’incertitude relative à leur comportement futur sur le marché (arrêt de la Cour de justice du 16 décembre 1975, Suiker Unie e.a, C-40/73, points 175 et 179). La démonstration de l’existence d’une pratique concertée requiert, non seulement une concertation entre les entreprises, mais aussi un comportement sur le marché résultant de cette concertation et ayant un lien de causalité avec elle (arrêt de la Cour de justice du 8 juillet 1999, Hüls AG c/ Commission, C‐199/92 P, point 161 ; voir également la décision n° 14-D-19 du 18 décembre 2014, point 851).
255. Par ailleurs, le concours de volonté est l’un des éléments constitutifs de l’infraction d’entente anticoncurrentielle. Comme le relevait le Conseil de la concurrence, « les volontés libres et autonomes doivent se nouer dans une volonté commune pour constituer l’entente. Chaque volonté doit rencontrer la volonté des autres, ce qui veut dire qu’elle doit s’extérioriser d’une certaine façon » (étude thématique du Conseil de la concurrence, La preuve des accords de volontés constitutifs d’entente, 2006, p. 98). Ainsi, la preuve d’une entente requiert la démonstration de l’accord de volontés des parties à l’entente exprimant leur volonté commune de se comporter sur le marché de manière déterminée (arrêt de la cour d’appel de Paris du 16 mai 2013, société Kontiki SAS, n° 2012/01227).
256. Enfin, l’interdiction des ententes anticoncurrentielles ne vise pas uniquement les parties à un accord ou à une pratique concertée qui sont actives sur les marchés affectés par ceux-ci. Ainsi, une entreprise, bien que n’étant pas active sur le marché affecté par l’entente, peut être tenue pour responsable d’une infraction à l’article 81, paragraphe 1, CE lorsqu’elle contribue activement et en toute connaissance de cause à la mise en œuvre ou au suivi d’une entente entre producteurs actifs sur ce marché (arrêt de la Cour de justice du 22 octobre 2015, AC-Treuhand AG c. Commission, C-194/14 P). De même, l’Autorité a sanctionné la chambre interdépartementale des notaires de Franche-Comté, sur le fondement de l’article L. 420-1 du code de commerce, au motif que la chambre s’était abstenue de dénoncer une entente entre les notaires membres d’un groupement d’intérêt économique, et avait elle- même contribué à l’infraction en mettant activement son secrétariat à disposition du groupement d’intérêt économique (décision n° 19-D-12 du 24 juin 2019 relative à des pratiques mises en œuvre par des notaires dans le secteur de la négociation immobilière).
Appréciation au cas d’espèce
Sur les réunions organisées dans les locaux du FILMM
257. Ainsi qu’il a été dit (cf. § 244 à 248 ci-dessus), les réunions organisées dans les locaux du FILMM en 2001 et 2002 ont eu pour objet principal d’évoquer les actions en cours et celles envisagées individuellement par le FILMM ou le CSTB contre la société Actis. Il a notamment été question de la procédure devant le tribunal de commerce de Versailles, et de la stratégie que devait suivre le FILMM dans le cadre d’une éventuelle expertise.
258. Si on peut s’interroger sur les motifs pour lesquels le CSTB, en sa qualité d’expert indépendant, a cru devoir participer à des réunions portant sur un contentieux auquel il n’était pas partie, les échanges de vues exprimés au sujet de cette procédure ne constituent pas, en tant que tels, l’expression d’un accord de volontés des participants visant à mettre en œuvre des pratiques poursuivant un but anticoncurrentiel. De même, dans le compte rendu de la réunion du 9 décembre 2012, la seule mention de l’élaboration d’un CUAP et d’un référentiel français pour les PMR ne suffit pas à établir l’existence d’un tel accord de volontés.
Sur la demande d’agrément technique européen présentée par la société Actis
259. Il résulte des constatations exposées aux paragraphes 62 à 78 de la présente décision que les pratiques concernant la demande d’ATE présentée par la société Actis se sont concentrées sur l’élaboration d’un CUAP dédié aux PMR.
260. Il doit tout d’abord être relevé que les pratiques en cause ont, pour l’essentiel, fait intervenir le CSTB. En effet, si le FILMM et la société Saint-Gobain Isover ont suivi l’évolution de la procédure d’élaboration du CUAP, les éléments du dossier ne permettent pas d’établir que ce syndicat et cette société se seraient concertés avec le CSTB afin de définir une stratégie commune que ce dernier aurait été chargé de mettre en œuvre. En outre, les éléments du dossier ne font pas apparaître que les entreprises actives sur le marché de la fabrication et de la commercialisation de produits d’isolation thermique, en particulier la société Saint- Gobain Isover, auraient adopté sur ce marché un comportement particulier, résultant des pratiques constatées dans le cadre de la demande d’ATE présentée par la société Actis et présentant un lien de causalité avec elles.
261. Par ailleurs, ainsi qu’il a été exposé au paragraphe 37 ci-dessus, le CUAP est un document interne à l’OEAT, élaboré dans le cadre d’une première demande d’ATE concernant un produit pour lequel il n’existe pas de guide d’agrément technique. Il vise à établir une position commune sur les critères d’évaluation du produit concerné. Par les choix techniques qui y sont effectués, il oriente la procédure de délivrance de l’ATE. En outre, s’il est élaboré dans le cadre de l’instruction d’une demande d’ATE particulière, il a vocation à servir de référence pour l’instruction de futures demandes d’ATE présentées pour des produits similaires. Enfin, le document est soumis à la discussion au sein de l’OEAT et doit être approuvé par l’ensemble de ses membres.
262. Il en résulte que l’élaboration d’un CUAP poursuit une finalité d’intérêt général en ce qu’elle conduit à l’adoption d’un document de référence utilisé par l’ensemble des membres de l’OEAT pour l’instruction des demandes individuelles d’ATE présentées pour une même catégorie de produits. Par suite, la participation du CSTB à l’élaboration d’un CUAP relève d’une mission d’intérêt général et ne peut être regardée en tant que telle comme une activité économique dans le cadre de laquelle cet établissement public se trouverait en concurrence avec les autres membres de l’OEAT. Par ailleurs, nonobstant les irrégularités relevées par la Commission européenne (voir paragraphe 72), le CSTB, habilité à délivrer des ATE et compétent à ce titre pour soumettre un projet de CUAP à l’approbation des autres membres de l’OEAT, ne peut être regardé comme étant intervenu hors du champ de la mission d’intérêt général qui lui est confiée. Dès lors, les pratiques relatives à l’intervention du CSTB dans la procédure d’élaboration du CUAP ne peuvent, en tout état de cause, être sanctionnées au titre de l’application du droit de la concurrence.
263. Enfin, il doit être relevé que ces pratiques ne sont pas le fruit d’une concertation entre concurrents actifs sur le marché de la fabrication et de la commercialisation des produits d’isolation thermique. En effet, le grief notifié ne vise pas l’existence d’une entente entre plusieurs fabricants de produits d’isolation thermique visant à influer sur la procédure d’élaboration d’un référentiel au point de la contrôler et de la vicier afin de restreindre l’accès au marché de produits concurrents.
264. En outre, à défaut d’entente entre plusieurs fabricants d’isolants, le CSTB ne peut être regardé comme ayant joué en l’espèce un rôle de facilitateur d’une entente, à l’image de l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt AC-Treuhand précité ou de celle ayant conduit à la décision n° 19-D-12 précitée.
265. Il résulte de ce qui précède qu’aucune entente anticoncurrentielle ne saurait être caractérisée en l’espèce entre le CSTB, la société Saint-Gobain Isover, et le FILMM au sujet des pratiques relatives à l’instruction de la demande d’ATE de la société Actis.
Sur les pratiques relatives aux groupes de travail du CEN
266. Il résulte des constatations opérées aux paragraphes 79 à 92 de la présente décision que le CSTB a cherché à influer sur la composition des groupes de travail au sein du CEN et à s’opposer aux initiatives visant à étudier le recours à des méthodes d’essais alternatives pour mesurer la performance des PMR. Toutefois, les éléments du dossier ne permettent pas de mettre en évidence l’existence dans ce cadre d’une concertation avec le FILMM ou la société Saint-Gobain Isover.
267. Par ailleurs, si la société Saint-Gobain Isover a, avec plusieurs fabricants d’isolants en laine minérale, présenté auprès du secrétariat général du CEN une demande tendant à l’interruption des travaux du CW 36, il n’est pas établi que cette initiative aurait été décidée en concertation avec le CSTB et en lien avec les actions que celui-ci a décidé de mener.
268. Dès lors, ces pratiques, qui présentent un caractère unilatéral, ne peuvent, en tout état de cause, être qualifiées d’entente au sens des articles 101 du TFUE et L. 420-1 du code de commerce.
Sur les pratiques relatives à la CCFAT
269. Les pratiques mises en œuvre au sein de la CCFAT concernent, d’une part, la rédaction de la note d’information du GS 20 sur les PMR et, d’autre part, l’instruction de la demande d’avis technique présentée par la société XL Mat pour son produit « XL Premium ».
270. En premier lieu, il convient de relever que l’initiative de la note d’information est revenue au CSTB, qui a par ailleurs été chargé de son élaboration et a décidé d’en assurer une large diffusion, une fois celle-ci approuvée par le GS 20. S’il est constant que le CSTB, dans le but de diffuser la note d’information, a obtenu du FILMM la communication d’un fichier d’adresses – qui n’a au demeurant pas été utilisé – cette circonstance ne peut permettre d’établir que l’élaboration de la note aurait été le fruit d’une initiative partagée ou que le FILMM aurait contribué à sa rédaction. Par suite, et à supposer même que la note puisse être qualifiée de dénigrante, la pratique en cause ne peut être regardée comme le résultat d’une concertation.
271. En second lieu, l’instruction de la demande d’avis technique présentée par la société XL Mat a fait intervenir le CSTB, qui assure le secrétariat des groupes spécialisés de la CCFAT et est chargé à ce titre de rapporter les demandes d’avis. En revanche, ni le FILMM, ni la société Saint-Gobain Isover n’ont été associés à cette pratique. Compte tenu de son caractère unilatéral, elle ne peut dès lors être qualifiée d’entente.
Sur les pratiques en lien avec la société Siplast
272. Ainsi qu’il a été exposé au paragraphe 109 ci-dessus, la société Saint-Gobain Isover et la société Siplast se sont rencontrées le 29 août 2007 afin d’envisager des actions contre la société Actis et d’autres fabricants de PMR. Par ailleurs, l’APPMR, dont la société Siplast est membre fondateur, a porté auprès de la Commission européenne un discours critique des essais in situ et favorable à l’action du CSTB et aux méthodes d’essais normalisées.
273. Toutefois, si les sociétés Siplast et Saint-Gobain Isover ont, après la réunion du 29 août 2007, souhaité rencontrer le président du CSTB, le dossier ne comporte pas d’éléments permettant de connaître les suites données à cette initiative et d’établir que le CSTB aurait soutenu ces deux sociétés dans leurs démarches.
274. En conséquence, dès lors que ces pratiques ne concernent que l’un des trois mis en cause – aucun grief n’ayant été notifié à la société Siplast – elles ne peuvent en tout état de cause être qualifiées d’accords ou de pratiques concertées dès lors que l’existence d’un accord de volontés entre les mis en cause fait ici défaut.
Sur les essais en lien avec le programme « Prebat »
275. Les essais réalisés et le rapport rédigé par le CSTB dans le cadre du programme « Prebat » résultent d’un partenariat entre cet établissement public et l’ADEME et n’ont fait intervenir ni le FILMM, ni la société Saint-Gobain Isover.
276. Par ailleurs, la campagne d’essais additionnels menée en 2008 et 2009 a été réalisée par le CSTB de sa propre initiative. La communication des résultats de cette campagne d’essais à la société Saint-Gobain Isover ne peut suffire à établir que cette société aurait pris part à cette pratique, qui, au demeurant, ne présente pas en tant que telle un caractère anticoncurrentiel.
Sur les essais réalisés par l’institut IBP Fraunhofer
277. Il résulte des constatations exposées aux paragraphes 120 et suivants de la présente décision que les essais réalisés par l’institut IBP Fraunhofer à la demande de la société Actis ont pris fin en 2007 à la suite de différends apparus entre ces deux acteurs et que des essais ont ensuite été réalisés par le même laboratoire à la demande de la société Saint-Gobain Isover. Le CSTB a été sollicité afin d’apporter son expertise technique pour la réalisation de ces essais.
278. Il convient de relever que les éléments du dossier ne font pas apparaître que les essais réalisés à la demande de la société Actis auraient été interrompus par l’effet d’une initiative concertée du CSTB et de la société Saint-Gobain Isover. Par ailleurs, la réalisation d’essais par le laboratoire IBP Fraunhofer à la demande de cette société ne peut par elle-même être regardée comme une pratique anticoncurrentielle.
Conclusion
279. Pour l’ensemble des raisons qui précèdent et en l’état des éléments présents au dossier, il convient de considérer que la pratique d’entente visée par le grief notifié le 10 octobre 2018 n’est pas établie.
DÉCISION
Article 1er : L’Autorité de la concurrence considère, sur la base des informations dont elle dispose, en ce qui concerne la pratique concertée constituée d’échanges d’informations stratégiques et confidentielles relatives à la demande d’agrément technique européen de la société Actis et au contentieux opposant le FILMM et Actis devant le tribunal de commerce de Versailles, que les conditions d’une condamnation au titre des articles 101 du TFUE et L. 420-1 du code de commerce ne sont pas réunies. Il n’y a donc pas lieu de poursuivre la procédure.
Article 2 : L’Autorité de la concurrence considère, sur la base des informations dont elle dispose, en ce qui concerne la pratique d’entente visant, dans le cadre d’une infraction unique, complexe et continue, à entraver l’entrée et la commercialisation des isolants minces multicouches réfléchissants sur le marché de la fabrication des produits d’isolation thermique, que les conditions d’une condamnation au titre des articles 101 du TFUE et L. 420-1 du code de commerce ne sont pas réunies. Il n’y a donc pas lieu de poursuivre la procédure.
NOTES
1 Ce résumé a un caractère strictement informatif. Seuls font foi les motifs de la décision numérotés ci-après.
2 S’agissant du CSTB : ordonnance de la cour d’appel de Paris du 2 novembre 2010 (prescrivant une mesure d’expertise), arrêt de la Cour de cassation du 16 juin 2011 (annulant, sur pourvoi du CSTB, l’ordonnance du 2 novembre 2010), ordonnance de la cour d’appel de Paris du 31 août 2012 (ordonnant la restitution des documents couverts par le secret des correspondances entre avocats et clients et rejetant le surplus des conclusions du CSTB), arrêt de la Cour de cassation du 22 janvier 2014 (rejetant le pourvoi formé par le rapporteur général de l’Autorité) ; s’agissant du FILMM : ordonnance de la cour d’appel de Paris du 25 octobre 2011 (constatant l’accord de l’Autorité pour restituer une partie des documents saisis et rejetant le surplus des conclusions du FILMM), arrêt de la Cour de cassation du 24 avril 2013 (annulant, sur pourvoi du FILMM, l’ordonnance, en ce qu’elle a rejeté ses conclusions concernant certains documents couverts par le secret des correspondances entre avocats et clients) ; ordonnance de la cour d’appel de Versailles du 10 avril 2014 (annulant la saisie de documents couverts par le secret des correspondances entre avocats et clients et rejetant le surplus des conclusions du FILMM) ; s’agissant de la société Saint-Gobain Isover : ordonnance de la cour d’appel de Paris du 25 octobre 2011 (constatant l’accord de l’Autorité pour restituer une partie des documents saisis et rejetant le surplus des conclusions de la société) ; arrêt de la Cour de cassation du 24 avril 2013 (annulant, sur pourvoi de la société, l’ordonnance en ce qu’elle a rejeté les conclusions concernant certains documents couverts par le secret des correspondances entre avocats et clients), ordonnance de la cour d’appel de Versailles du 30 janvier 2014 (annulant la saisie de documents couverts par le secret des correspondances entre avocats et clients et rejetant le surplus des conclusions de la société), arrêt de la Cour de cassation du 20 mai 2015 (rejetant le pourvoi de la société).
3 Saisie le 15 juin 2012 par le FILMM (requête n° 47499/12), la Cour européenne des droits de l’homme a, par décision du 5 novembre 2020, pris acte de ce que le Gouvernement français a reconnu que le FILMM n’avait, en matière de secret des affaires, pas bénéficié d’une voie de recours effective.
4 Norme publiée le 8 octobre 1983, confirmée le 30 novembre 2018 https://norminfo.afnor.org/norme/nf-p75- 101/isolants-thermiques-destines-au-batiment-definition/100466
5 Rapport de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques sur « les freins réglementaires à l’innovation en matière d’économies d’énergie dans le bâtiment : le besoin d’une thérapie de choc » http://www.assemblee-nationale.fr/14/pdf/rap-off/i2113.pdf
6 http://www.ccfat.fr/doc/avis-techniques/procedure-atec-fr.pdf
7 Directive 89/106/CEE, en vigueur pendant la période visée par les griefs : Art. 4 : « (…) / 2. Les États membres présument aptes à l’usage les produits qui (…) portent la marque CE. La marque « CE » atteste : / a) qu’ils sont conformes aux normes nationales qui transposent les normes harmonisées (…) / b) qu’ils sont conformes à un agrément technique européen délivré selon la procédure décrite au chapitre III ; ». Art. 8 : « 1. L’agrément technique européen est l’appréciation technique favorable de l’aptitude d’un produit à l’usage prévu, fondée sur la satisfaction des exigences essentielles prévues pour les ouvrages dans lesquels le produit doit être utilisé ».
8 Les ATE ont progressivement été remplacés, à compter du 1er juillet 2013, par les évaluations techniques européennes, délivrées sur le fondement du règlement (UE) n° 305/2011 du Parlement européen et du Conseil du 9 mars 2011, abrogeant la directive 89/106/CEE.
9 Pour le produit « Triso Super 9 », diminution en quantités vendues de 17,09 % en 2008 et de 21,30 % en 2009 (données fournies par la société Actis, cote 324).
10 Diminution de 16 % entre 2010 et 2013 (données fournies par la société Actis, cote 31 175).
11 Diminution du chiffre d’affaires brut de la société Actis de 42,5 % entre 2006 et 2009 (données fournies par la société, cote 322).
12 Les règles Th-U ont pour objet la détermination des caractéristiques thermiques « utiles » des parois de construction.
13 Courrier cité dans un jugement du Tribunal de première instance de Bruxelles du janvier 2012, cotes 17 112 à 17 158.
14 Traduction libre. « Obvious procedural mistakes » dans le texte original (cote 2476).
15 Il est fait référence à la règlementation thermique 2005, prévue par le décret n° 2006-592 du 24 mai 2006 relatif aux caractéristiques thermiques et à la performance énergétique des constructions et l’arrêté du 24 mai 2006 relatif aux caractéristiques thermiques des bâtiments nouveaux et des parties nouvelles de bâtiments.
16 L’avis est disponible à l’adresse suivante : https://www.jdp-pub.org/avis/avis-jdp-n-230-12-produit-d- isolation/
17 Le Tribunal a relevé, à cet égard, qu’une norme élaborée dans le cadre du CEN, permettant aux produits couverts par celle-ci d’obtenir la marque « CE », « ne revêt pas un caractère obligatoire de jure » (arrêt du 12 mai 2010, EMC Development AB c/ Commission, T 432/05, § 113).
18 Rapport fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la république sur le projet de loi organique relatif à l’application de l’article 61-1 de la Constitution, par M. Jean-Luc Warsmann, député.
19 Rapport fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale sur le projet de loi organique, adopté par l’Assemblée Nationale, relatif à l’application de l’article 61-1 de la Constitution, par M. Hugues Portelli, sénateur.
20 Lignes directrices relatives à la notion d'affectation du commerce figurant aux articles 81 et 82 du traité, Journal officiel n° C 101 du 27/04/2004 p. 0081 - 0096.
21 Ainsi, à titre d’exemple, en ce qui concerne les isolants en laine minérale, les principaux fabricants appartiennent aux groupes Knauf (Allemagne), Saint-Gobain (France), Ursa/Uralita (Espagne) et Rockwool (Danemark).
22 Lettre du ministre de l’Economie, des finances et de l’industrie en date du 7 novembre 2002, au conseil de la société Uralita, relative à une concentration dans le secteur de la distribution des matériaux d’isolation.
23 Lignes directrices sur l'applicabilité de l'article 101 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne aux accords de coopération horizontale.
24 La qualification d’infraction par objet, initialement retenue dans la notification de griefs du 28 juillet 2014, a été abandonnée par les services d’instruction au stade du rapport du 10 août 2015 (§ 426).