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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 16, 12 janvier 2021, n° 20/02665

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Farrow & Ball Ltd (Sté)

Défendeur :

Bleu de Cobalt (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Ancel

Conseillers :

Mme Aldebert, Mme Schaller

T. com. Bordeaux, du 14 oct. 2019

14 octobre 2019

I - FAITS ET PROCEDURE

1. La société de droit anglais Farrow & Ball Limited (ci-après la société Farrow & Ball) fabrique et commercialise des peintures et des papiers peints qu'elle vend en France depuis l'an 2000.

2. Dans le cadre de son implantation à Toulouse elle a consenti une exclusivité territoriale à la société Bleu de Cobalt, exploitant un magasin de décoration sous le concept d'atelier-boutique sous l'enseigne « Secrets d'atelier », à Toulouse, par courrier en date du 29 avril 2002, « d'une validité d'un an renouvelable à sa date anniversaire aux termes duquel la société Bleu de Cobalt s'engageait à prendre un stock d'une valeur minimale de 12 000 euros et à réaliser un minimum de réassort de 14 400 euros Ht sur la première année. En contrepartie nous [Farrow & Ball] nous engageons à ne pas réaliser d'autres implantations à Toulouse et sa proche périphérie. »

3. Fin décembre 2016, la société Farrow & Ball a ouvert un corner de vente à Toulouse au sein du point de vente Zolpan et en janvier 2017 au sein du point de vente Tollens.

4. Estimant que l'ouverture de ces points vente proches de la boutique constituait des agissements déloyaux contrevenant à leur accord, la société Bleu de Cobalt après différents échanges, a fait assigner la société Farrow & Ball par exploit en date du 16 octobre 2018 devant le tribunal de commerce de Bordeaux, en concurrence déloyale, violation d'exclusivité et rupture brutale de relations commerciales établies sur le fondement des articles 1103, 1104, 1240 et 1241 du code civil et L. 442-6 I, 5° du code de commerce.

5. Par jugement du 14 octobre 2019, le tribunal de commerce de Bordeaux a condamné la société Farrow & Ball à payer à la société Bleu de Cobalt les sommes de 50 000 euros au titre du non-respect de la clause d'exclusivité et des actes de concurrence déloyale et celle 106 517 euros au titre de la rupture brutale partielle de la relation commerciale outre la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile avec le bénéfice de l'exécution provisoire.

6. Par déclaration du 3 février 2020, la société Farrow & Ball a interjeté appel de ce jugement devant la cour d'appel de Paris dans l'ensemble de ses dispositions.

II- PRETENTIONS DES PARTIES

7. Aux termes de ses dernières conclusions signifiées le 19 octobre 2020 la société Farrow & Ball demande à la cour, au visa de l'article L. 442-6-I, 5° du code de commerce, à titre principal de bien vouloir :

- infirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu par le tribunal de commerce de Bordeaux le 14 octobre 2019 ;

- débouter la société Bleu de Cobalt de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions.

A titre subsidiaire,

- infirmer le jugement en ce qu'il a condamné la société Farrow & Ball à payer à la société Bleu de Cobalt la somme forfaitaire de 50 000 euros au titre de la violation de la clause d'exclusivité ;

- réduire substantiellement le montant de dommages-intérêts imposé à la société Farrow & Ball de ce chef ;

Si par extraordinaire la Cour venait à considérer que l'ouverture des points de vente litigieux par la société Farrow & Ball a caractérisé une rupture partielle brutale de la relation commerciale qui la lie à la société Bleu de Cobalt,

- infirmer le jugement en ce qu'il a condamné la société Farrow & Ball à payer à la société Bleu de Cobalt la somme de 106 517,00 euros au titre de la rupture partielle brutale de la relation commerciale ;

- réduire substantiellement le montant de dommages-intérêts imposé à la société Farrow & Ball à ce titre à un montant qui ne saurait dépasser la somme de 15 000 euros ;

Si par extraordinaire la Cour venait à considérer que l'ouverture des points de vente litigieux par la société Farrow & Ball a caractérisé une violation de la clause d'exclusivité qui liait la société Farrow & Ball à la société Bleu de Cobalt et une rupture partielle brutale de leur relation commerciale,

- infirmer le jugement en ce qu'il l'a condamné à payer à la société Bleu de Cobalt la somme forfaitaire de 50 000 euros au titre de la violation de la clause d'exclusivité et la somme de 106 517 euros au titre de la rupture partielle brutale de la relation commerciale ;

- réduire substantiellement le montant de dommages-intérêts imposé à la société Farrow & Ball de ces deux chefs à une somme qui ne saurait dépasser 15 000 euros ;

En toute hypothèse,

- Débouter la société Bleu de Cobalt de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;

- Condamner la société Bleu de Cobalt à verser la somme de 15 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance.

8. Aux termes de ses dernières conclusions signifiées le 25 septembre 2020 la société Bleu de Cobalt demande à la Cour, au visa des anciens articles 1134 et 1147 du Code Civil, applicables en l'espèce et des articles R. 442 et D. 442-3 du Code de Commerce, de :

- Déclarer recevable mais mal fondé l'appel interjeté par la société Farrow & Ball,

- Confirmer le jugement du tribunal de commerce de Bordeaux du 14 octobre 2019 en toutes ses dispositions,

- Condamner la société Farrow & Ball à payer à la somme de 5 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, dont distraction au profit de Maître Sophie S. en application de l'article 699 du même code.

III- MOYENS DES PARTIES

Sur la rupture de la clause d'exclusivité territoriale

9. La société Farrow & Ball fait grief aux premiers juges de l'avoir condamnée à tort sur le double fondement du non-respect de la clause d'exclusivité et d'actes de concurrence déloyale au mépris du principe du non-cumul des responsabilités civiles contractuelle et délictuelle.

10. Elle soutient avoir averti les gérants de la société Bleu de Cobalt de l'ouverture prochaine des deux points de vente dans la zone périphérique de Toulouse par l'intermédiaire de leur responsable commercial de la zone géographique qui s'était rendu sur place le 19 octobre 2016. Elle indique qu'au cours de cette réunion, ils n'ont pas contesté ces implantations mais ont au contraire fait part de leur intention de céder leur fonds de commerce, ayant d 'autres projets professionnels.

11. Elle en déduit que la société Bleu de Cobalt qui avait renoncé à se prévaloir de l'exclusivité territoriale, a accepté une modification de leur relation contractuelle de sorte que 6 mois après elle ne pouvait plus s'en prévaloir en rappelant l'existence de cette clause à leur mémoire. Elle soutient que peu importe que la clause en tant que telle n'ait pas été évoquée au cours de la discussion vraisemblablement parce que les deux parties l'avaient oubliée, le fait que l'intimée n'ait pas manifesté d'opposition à l'ouverture d'un nouveau point de vente a mis un terme à l'exclusivité de sorte que leur accord n'était plus en vigueur le 23 mars 2017 date à laquelle la société Bleu de Cobalt lui a dénoncé les faits litigieux.

12. Sur le montant du préjudice, la société Farrow & Ball soutient que le montant accordé par les premiers juges de 50 000 euros est disproportionné par rapport au préjudice qui doit être calculé par rapport à la marge commerciale perdue par la société Bleu de Cobalt et que le montant du préjudice doit être ramené à la marge commerciale perdue par la société intimée sans tenir compte de la baisse de la rémunération des dirigeants.

13. Elle explique qu'en tenant compte d'une marge commerciale de 50 % en moyenne de la société Bleu de Cobalt selon les chiffres qu'elle a communiqués et du montant des approvisionnements des deux points de vente Zolpan et Tollens qui ont été en moyenne sur la période de 2016-2020 de 15 000 euros, le préjudice doit être réduit à cette somme.

14. En réponse la société Bleu de Cobalt demande à la cour de confirmer la décision du tribunal qui retenu l'absence de toute acceptation formelle de sa part de libérer la société Farrow & Ball de son engagement d'exclusivité et a condamné la société Farrow & Ball à réparer le préjudice selon les montants retenus.

15. Elle conteste avoir eu connaissance de l'ouverture des deux points de vente ayant été seulement informée du projet d'ouvrir un show-room dans le centre-ville pour promouvoir la vente en direct de ses produits lors de la réunion du 19 octobre 2016 et soutient que l'ouverture des points de vente à Toulouse a été réalisée à son insu.

16. Elle soutient que l'appelante implante encore aujourd'hui des points de vente sans concertation alors qu'elle n'a toujours pas dénoncé la clause d'exclusivité.

17. Sur le préjudice elle fait valoir une baisse de son chiffre d'affaires de 46 747 euros en 2017 du fait de l'ouverture des deux points de vente et de la répercussion sur la rémunération des dirigeants passée de 95 361 euros à 39 274 euros qui justifient le montant alloué.

Sur la rupture brutale partielle des relations commerciales établies

18. La société Farrow & Ball soutient au préalable que la société Bleu de Cobalt ne peut réclamer deux fois la réparation de son préjudice dans la mesure où le fait générateur est le même à savoir la méconnaissance l'exclusivité territoriale.

19. Elle fait de plus valoir pour les mêmes raisons factuelles précédemment exposées que les relations contractuelles ayant été modifiées en accord avec la société Bleu de Cobalt la rupture d'exclusivité territoriale n'est pas constituée et en tout cas n'a pas été brutale ayant respecté un délai de préavis de deux mois et demi entre l'annonce de l'ouverture des points de vente lors de la réunion du 19 octobre 2016 et leur ouverture.

20. Elle souligne que les parties se sont entendues sur les modalités de cette rupture et que la société Bleu de Cobalt était alors en mesure de prendre les dispositions nécessaires pour réorganiser son activité ce qu'elle souhaitait faire puisque les dirigeants voulaient céder leur fonds de commerce et cesser leur activité.

21. A titre subsidiaire à supposer que la rupture brutale partielle de sa relation commerciale soit retenue, elle soutient que la société Bleu de Cobalt n'a subi aucun préjudice et conteste le montant accordé en réparation par les premiers juges en faisant valoir qu'ils ont fait une erreur de méthodologie et retenu à tort l'existence d'une prétendue dépendance économique qui n'est pas démontrée.

22. Elle soutient que la légère baisse en 2017 du chiffre d'affaires de l'intimée qui était depuis des années fluctuant, n'est pas anormale au regard du courant des affaires passées entre les parties dès lors que les approvisionnements décroissaient depuis 2013.Elle ajoute que la société Bleu de Cobalt pouvait librement vendre d'autres produits et d'autres marques et ne justifie pas que les ventes Farrow & Ball représentaient 80 % de son chiffre d'affaires, étant observé que les produits n'étaient pas sous marque distributeur.

23. A défaut elle reproche aux premiers juges d'avoir statué comme si la rupture était totale et non simplement partielle en se basant sur une année seulement de chiffre d'affaires du 1er avril 2015 au 31 mars 2016 contrairement à la jurisprudence en la matière.

24. Elle soutient enfin pour le calcul du préjudice qu'il convient de se reporter au montant cumulé des approvisionnements réalisés par les corners litigieux sur une durée de 12 mois pour déterminer approximativement la marge commerciale perdue, soit environ 15 000 euros maximum selon ses données.

25. En réponse, sur la rupture partielle des relations commerciales établies, la société Bleu de Cobalt soutient que la suppression de son exclusivité territoriale par décision unilatérale de la société Farrow & Ball engage la responsabilité de son auteur au sens des dispositions de l'article L. 442- 6 I,5° du code de commerce. Elle considère que la rupture intervenue sans notification à son insu est brutale et ouvre droit à réparation pour un préjudice distinct né de l'absence de préavis dont le montant a été justement apprécié par le tribunal.

IV- MOTIFS DE LA DECISION

Sur la rupture de la clause d'exclusivité territoriale

26. L'article 1134 du code civil dans sa rédaction applicable au litige énonce que les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites. Elles ne peuvent être révoquées que de leur consentement mutuel, ou pour les causes que la loi autorise. Elles doivent être exécutées de bonne foi.

27. En l'espèce, il est établi que les parties sont en relations commerciales depuis le 29 avril 2002 en vertu d'un accord d'exclusivité territoriale consenti par la société Farrow & Ball à la société Bleu de Cobalt en échange d'une obligation de prise de stock d'une valeur minimale de 12 000 euros et de réassort de 14 400 euros sur la première année dont l'inexécution de la part de la société Bleu de Cobalt au cours des années passées n'est pas alléguée.

28. L'accord commercial, que seul un nouvel accord mutuel pouvait modifier, s'est renouvelé tacitement sans interruption depuis le début de leurs relations commerciales.

29. La société Farrow & Ball prétend que lors d'une réunion intervenue le 19 octobre 2016, elle a, par l'intermédiaire de son agent commercial de la zone Toulouse, dument informé les gérants de la société Bleu de Cobalt de son projet d'ouvrir un showroom et un point de vente dans le magasin Tollens, ce à quoi les gérants n'ont marqué aucune opposition.

30. Elle expose qu'ils ont au contraire indiqué vouloir céder leur fonds de commerce afin de s'installer à Bordeaux et changer d'activité, ce dont elle déduit qu'ils avaient consenti aux ouvertures et donc renoncé à se prévaloir pour l'avenir du bénéfice de leur exclusivité dans la zone géographique concernée.

31. S'il est établi par les échanges produits et notamment la lettre de la société Bleu de Cobalt du 22 mars 2017 qu'elle a eu connaissance lors de la réunion du 19 octobre 2016 des projets de la société Farrow & Ball d'ouvrir un showroom mais aussi d'un point de vente au sein de Tollens à moins de 10mn du magasin, aucune preuve n'est rapportée du fait qu'ils auraient renoncé au bénéfice de leur exclusivité territoriale qui ne peut se déduire de l'absence de réaction de leur part.

32. En outre, la société appelante reconnait que la clause dont elle dit avoir oublié l'existence, n'a pas été évoquée par les gérants ce qui exclut de plus fort toute discussion et rencontre des volontés sur ce point lors de la réunion du 19 octobre 2016. Il résulte de ce qui précède que c'est en méconnaissance de la clause d'exclusivité territoriale que la société Farrow & Ball a procédé à l'ouverture des deux points de vente en 2016 et 2017, ce qui constitue une violation de son obligation d'exclusivité ouvrant droit à réparation à la société Bleu de Cobalt sur le fondement de la responsabilité contractuelle.

33. Il sera donc statué au regard de l'article 1147 du code civil sans qu'il y ait lieu d'examiner au même titre la responsabilité de la société Farrow & Ball du fait d'actes de concurrence déloyale en raison du principe de non-cumul de responsabilité.

34. L'article 1147 dans sa version applicable au litige prévoit que « Le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au payement de dommages et intérêts, soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, toutes les fois qu'il ne justifie pas que l'inexécution provient d'une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu'il n'y ait aucune mauvaise foi de sa part. »

35. Le manquement à une obligation découlant d'une clause d'exclusivité est sanctionné par le paiement de dommages et intérêts équivalents à la perte réelle économique subie.

36. Les parties sont en désaccord sur le montant du préjudice que le tribunal a fixé à hauteur de 50 000 euros.

37. Il ressort des pièces produites que si la société Bleu de Cobalt était certes libre de développer d'autres marques de peinture et produits dans sa boutique, la majorité de ses achats était constituée de produits Farrow & Ball pour la revente desquels elle s'était investie avec succès depuis de nombreuses années qui représentait la majorité de son chiffre d'affaires.

38. Reconnue dans la presse pour être la « référence pour les peintures Farrow & Ball » à Toulouse, la société Bleu de cobalt a été gagnante en 2015 du prix « Best Local Marketing » décerné par la société Farrow & Ball qui reconnait par ailleurs expressément dans son courrier du 13 juin 2017 qu'elle était devenue un partenaire important dans le développement de la marque à Toulouse.

39. Il est certain dans ces circonstances que le retrait de l'exclusivité et le fait de ne plus être le seul revendeur des produits Farrow & Ball à Toulouse ont fait perdre à la société intimée un avantage concurrentiel sur lequel elle avait capitalisé.

40. Il ressort de plus des comptes annuels de la société Bleu de Cobalt produits que son chiffre d'affaires en 2017 d'un montant de 192 642,96 euros a baissé de 20 % par rapport à la moyenne réalisée antérieurement (soit 40 580 euros), quand elle avait l'exclusivité de la vente des produits Farrow & Ball, suite à l'ouverture des deux corners de vente qui totalisent selon les données de l'appelante 15 000 euros par an d'approvisionnement de produits.

41. L'ensemble de ces éléments permet à la cour, tenant compte aussi du fait que les produits Farrow & Ball ne sont pas les seuls vendus par la société Bleu de Cobalt, d'évaluer le préjudice économique réel de la société Bleu de Cobalt du fait de la violation à l'exclusivité à la somme de 35 000 euros.

42. La décision sera en conséquence infirmée sur le chef du montant alloué qui sera ramené à cette somme.

Sur la rupture brutale partielle des relations commerciales établies

43. Selon l'ancien article L. 442-6 I, 5° du code de commerce applicable au litige "Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers :

5° De rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels. Lorsque la relation commerciale porte sur la fourniture de produits sous marque de distributeur, la durée minimale de préavis est double de celle qui serait applicable si le produit n'était pas fourni sous marque de distributeur. A défaut de tels accords, des arrêtés du ministre chargé de l'Economie peuvent, pour chaque catégorie de produits, fixer, en tenant compte des usages du commerce, un délai minimum de préavis et encadrer les conditions de rupture des relations commerciales, notamment en fonction de leur durée. Les dispositions qui précèdent ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure. Lorsque la rupture de la relation commerciale résulte d'une mise en concurrence par enchères à distance, la durée minimale de préavis est double de celle résultant de l'application des dispositions du présent alinéa dans les cas où la durée du préavis initial est de moins de six mois, et d'au moins un an dans les autres cas".

44. L'existence d'une relation commerciale établie n'est pas contestée par les parties qui conviennent de l'ancienneté de leur coopération qui a duré depuis 2002 sans interruption jusqu'à l'ouverture des points de vente litigieux intervenue pour le premier le 13 décembre 2016 et le deuxième le 26 janvier 2017.

45. La décision de la société Farrow & Ball de retirer unilatéralement l'exclusivité territoriale a partiellement rompu l'accord de coopération commerciale.

46. Ainsi la société Bleu de Cobalt a perdu l'exclusivité de la revente des produits Farrow & Ball à Toulouse, l'exposant à une réduction des ventes sans disposer d'aucun délai de prévenance pour tenter de réorganiser son activité, étant rappelé pour les motifs exposés ci-dessus que la réunion du 19 octobre 2016 ne peut tenir lieu de point de départ d'un délai de préavis de rupture qu'elle n'a en tout état de cause jamais notifié par écrit.

47. Il résulte de ces constatations et énonciations que la décision unilatérale de la société Farrow & Ball de retrait de l'exclusivité territoriale sans notification constitue une rupture partielle sans préavis des relations commerciales établies qui engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice subi par la société Bleu de Cobalt.

48. Il sera observé que ce préjudice est distinct de celui réparé au titre du seul retrait de l'exclusivité fixé plus haut, s'agissant sur le chef de demande fondée sur l'article L. 442-6 I,5° du code de commerce de réparer le préjudice subi du fait de la brutalité de la rupture partielle.

49. Le préjudice est constitué par l'obligation de se réorganiser sans avoir eu le temps nécessaire.

50. Il sera évalué en fonction de la durée du préavis jugé nécessaire sans qu'il y ait lieu de tenir compte des circonstances postérieures dès lors que l'analyse se fait au moment de la rupture soit en 2016.

51. Compte tenu de l'ancienneté des relations et des circonstances, notamment du fait que la société Bleu de Cobalt réalisait une part importante de son chiffre d'affaires sur les produits Farrow & Ball dont elle avait développé les ventes, sans qu'il y ait lieu de retenir l'existence d'une dépendance économique qui n'est pas caractérisée, la cour confirmera la durée de 12 mois retenue par les premiers juges qui n'est pas contestée par les parties comme durée du délai de préavis raisonnable dont la société Bleu de Cobalt aurait dû bénéficier pour réorienter son activité et pallier la perte de son exclusivité du fait de la rupture partielle intervenue en décembre 2016, date d'ouverture du premier point de vente concurrent.

52. Il est de principe que la victime peut réclamer une indemnisation au titre du gain manqué qui correspond à la marge brute que cette dernière pouvait escompter bénéficier pendant la durée du préavis qui aurait dû être respecté. L'assiette retenue est la moyenne mensuelle du chiffre d'affaires HT réalisé au cours des 3 dernières années précédant la rupture à laquelle est affectée le pourcentage de marge brute pendant la durée du préavis.

53. En l'occurrence la société appelante avance que la société Bleu de Cobalt a un taux de marge de 50 % ce que l'intimée ne conteste pas.

54. Il convient donc d'appliquer ce taux à la moyenne de la part du chiffre d'affaires réalisé par la société Bleu de Cobalt avec les produits Farrow & Ball sur les trois dernières années en tenant compte du fait que la rupture est partielle.

55. Pour ce faire la cour relève que selon les documents produits l'ouverture de deux corners litigieux n'a pas exclu la société intimée du marché de la revente des produits Farrow & Ball mais a seulement pour eu effet de réduire son activité dans une proportion que la cour évalue à 20 % compte tenu des données communiquées ce qui constitue la rupture partielle.

56. Il ressort des comptes annuels de la société Bleu de Cobalt que la moyenne annuelle du chiffre d'affaires de ladite société sur les années 2014 2015 et 2016 s'élève à 233 222 euros.

57. Comme la rupture brutale n'est que partielle et représente un ratio de 20 % du chiffre d'affaires, il y a lieu d'appliquer le même ratio à la perte de marge brute donc de fixer l'indemnisation de la rupture brutale partielle à la somme de 23 322 euros, représentant 20 % de la perte de marge brute sur douze mois.

58. Il convient en conséquence d'infirmer la décision des premiers juges sur le chef du montant accordé et de condamner la société appelante au paiement de cette somme.

Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile

59. Il y a lieu de condamner la société Farrow & Ball qui succombe principalement, aux dépens qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

60. La société Bleu de Cobalt qui a dû exposer des frais irrépétibles dans la présente procédure pour faire valoir ses droits, est en revanche fondée à solliciter la condamnation de la société Farrow & Ball au paiement d'une somme 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

V- DISPOSITIF

Par ces motifs, la cour :

1. Infirme le jugement du tribunal de commerce de Bordeaux du 14 octobre 2019 sauf sur la condamnation prononcée sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et les dépens

Statuant à nouveau sur les points infirmés :

2. Déboute la société Farrow & Ball Ltd de ses demandes ;

3. Condamne la société Farrow & Ball Ltd à payer à la société Bleu de Cobalt la somme de 35 000 euros au titre de l'indemnisation du manquement contractuel à l'obligation d'exclusivité territoriale ;

4. Condamne la société Farrow & Ball Ltd à payer à la société Bleu de Cobalt la somme de 23 322 euros au titre de l'indemnisation de rupture brutale partielle des relations commerciales établies ;

5. Condamne la société Farrow & Ball Ltd payer à la société Bleu de Cobalt la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

6. Condamne la société Farrow & Ball Ltd aux dépens d'appel qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile par Me X.