CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 13 janvier 2021, n° 18/23760
PARIS
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
Soprophal SPA (Sté)
Défendeur :
Laboratoire Innotech International (SAS), Coface (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Dallery
Conseillers :
M. Gilles, Mme Depelley
Avocats :
Me Olivier, Me Samyn, Me Grappotte-Benetreau, Me Thierache, Me Gantelme
FAITS ET PROCEDURE
La société Soprophal est une société de droit algérien spécialisée dans l'importation, le conditionnement et la distribution de produits pharmaceutiques en Algérie.
La société Laboratoire Innotech International, (ci-après « société Innotech ») a pour activité la production et la commercialisation de produit de santé. Elle exporte en Algérie des produits pharmaceutiques et dispositifs médicaux.
Les sociétés Soprophal et Innotech ont entretenu des relations commerciales depuis le 25 septembre 1996, date à laquelle elles ont signé un contrat d'importation et de distribution exclusive en Algérie, renouvelable annuellement.
Un second contrat de conditionnement, d'importation et de distribution se substituant au premier a été conclu entre les parties le 19 septembre 2008, d'une durée de 3 ans tacitement renouvelable, aux termes duquel les parties convenaient d'ajouter une activité de conditionnement aux autres activités initiales d'importation et de distribution de la société Soprophal.
Les parties ont signé un nouveau contrat le 19 septembre 2008 prévoyant une activité de conditionnement des produits pharmaceutiques en plus des activités d'importation et de distribution. Ce contrat d'une durée minimum de 3 ans est renouvelable tacitement.
Ledit contrat a été résilié par la société Innotech le 3 juin 2011 au motif du refus du Ministère de la santé, de la population et de la réforme hospitalière algérien, d'octroyer un programme d'importation de ses produits pour l'année 2011.
Les relations commerciales entre les parties ont finalement repris de janvier à octobre 2012 sans contrat cadre tout d'abord, puis se sont formalisées par un contrat de conditionnement, d'importation et de distribution conclu le 22 octobre 2012 pour une durée déterminée, le contrat devant prendre fin le 31 décembre 2013. Le 25 septembre 2013, les parties ont signé un avenant afin de prolonger ledit contrat jusqu'au 31 décembre 2014, dans l'attente de la conclusion d'un nouveau contrat alors en cours de négociation.
En effet, à partir de fin 2012, des négociations étaient menées entre les parties en vue de la conclusion d'un contrat d'exclusivité, d'importation et de distribution, pour une durée de 7 ans, et prévoyant l'entrée de la société Innotech au capital de la société Soprophal.
Par lettre recommandée du 20 juin 2014, la société Innotech a mis un terme à ses relations contractuelles avec la société Soprophal au 31 décembre 2014, accordant ainsi un préavis de 6 mois. Ce préavis a été par la suite abrégé de 2 mois au motif de manquements graves de la société Soprophal à ses obligations de règlement de factures.
Le 19 décembre 2014, la société Innotech a assigné la société Soprophal devant le tribunal de commerce de Créteil en paiement d'une somme de 3 087 580,51 euros au titre de factures impayées.
Le 4 septembre 2015, la société Soprophal a assigné la société Laboratoire Innotech International devant le tribunal de commerce de Paris aux fins d'obtenir réparation de la rupture brutale des relations commerciales établies et le paiement de certaines factures.
Le tribunal de commerce de Créteil dans un jugement du 2 février 2016 a constaté la connexité entre l'instance engagée devant lui et celle engagée par la société Soprophal devant le tribunal de commerce de Paris et s'est dessaisi dans l'intérêt d'une bonne justice au profit du tribunal de commerce de Paris.
Par jugement du 5 février 2018, le tribunal de commerce de Paris, a :
- joint les causes sous les références RG 2015051912 et 2016015157 sous le seul et même numéro de RG J2018000023
- pris acte de l'intervention volontaire de la SA compagnie française d'assurance pour le commerce COFACE,
- débouté la société de droit algérien Soprophal SPA de sa demande d'ouverture d'une procédure de conciliation,
- débouté la société de droit algérien Soprophal SPA de sa demande au titre de l'article L. 442-6-I, 5° du code de commerce,
- débouté la société de droit algérien Soprophral SPA de sa demande de 3 615 390,65 euros au titre du préjudice financier,
- débouté la société de droit algérien Soprophal SPA de sa demande au titre du préjudice financier subi en raison de la perte du marché en Algérie des produits pharmaceutiques à usage gynécologique,
- débouté la société de droit algérien Soprophal SPA de sa demande relative au règlement des factures n° 000214 et 000252,
- débouté la société de droit algérien Soprophal SPA de sa demande relative au règlement de la facture n° 254,
- débouté la société de droit algérien Soprophal SPA de ses demandes de dommages et intérêts pour préjudice moral,
- condamné la société de droit algérien Soprophal SPA au paiement des factures de la SAS Laboratoire Innotech International pour un montant de 3 087 580,51 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 7 avril 2014, qu'elle devra payer jusqu'à concurrence de 2 778 322,40 euros à la SA Compagnie d'assurance pour le commerce extérieur COFACE et la différence soit 309 258,11 euros à la SAS Laboratoire Innotech International,
- ordonné la capitalisation des intérêts,
- débouté la SAS Laboratoire Innotech International de sa demande de dommages et intérêts pour perte de chances et du manque à gagner sur le territoire algérien,
- condamné la société de droit algérien Soprophal SPA à payer à la SAS Laboratoire Innotech International la somme de 45 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- débouté les parties de leurs demandes autres plus amples ou contraires,
- ordonné l'exécution provisoire,
- condamné la société de droit algérien Soprophal SPA aux dépens, dont ceux à recouvrer par les greffes, liquidés à la somme de 102,30 euros dont 16,84 euros de TVA.
Par jugement rectificatif du 14 mai 2018, le tribunal de commerce de Paris, a :
- dit qu'il convient de rectifier le jugement prononcé le 5 février 2018, de la façon suivante :
Dans les qualités dudit jugement pour l'intervenant volontaire page 1
SA Compagnie française d'assurance pour le commerce extérieur COFACE, RCS de Nanterre B 432 413 599, dont le siège social est 1 place Costes et Bellonte 92270 Bois-Colombes
Il convient de lire :
SA Compagnie française d'assurance pour le commerce extérieur COFACE, RCS de Nanterre B 552 069 791, dont le siège social est 1 place Costes et Bellonte 92270 Bois-Colombes
Le 8 novembre 2018, la société Soprophal a interjeté appel de ce jugement devant la cour d'appel de Paris
Vu les dernières conclusions de la société Soprophal, notifiées et déposées le 9 novembre 2020, par lesquelles il est demandé à la Cour de :
Vu l'article L. 442-6 du Code de commerce
Vu les articles 1134 et suivants du Code civil dans leur rédaction antérieure à l'entrée en vigueur de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations.
Infirmer le jugement prononcé par le Tribunal de commerce de Paris le 5 février 2018 en toutes ses dispositions sauf en ce qu'il a retenu l'existence d'une relation commerciale établie et débouter Innotech de sa demande de dommages et intérêts pour perte de chances et du manque à gagner sur le territoire algérien et, statuant à nouveau :
Sur la rupture brutale des relations commerciales établies
Condamner la société Laboratoire Innotech International à payer à la société de droit algérien Soprophal SPA la somme de 1 205 130,22 euros en réparation du préjudice financier subi par la société de droit algérien Soprophal SPA par la rupture brutale des relations commerciales établies,
Condamner la société Laboratoire Innotech International à payer à la société de droit algérien Soprophal SPA la somme de 3 615 390,65 euros en réparation du préjudice financier engendré par la perte du marché sur le territoire algérien.
Sur le paiement des factures
Condamner la société Laboratoire Innotech International à payer à la société de droit algérien Soprophal SPA la somme de 1 152 746 euros à titre de règlement de la facture n° 000214 émise le 16 mars 2014 et de la facture n° 000252 émise le 26 mai 2014, relative à la participation de la société Laboratoire Innotech International aux frais de distribution des produits à hauteur de 10 % du chiffre d'affaires global de la société de droit algérien Soprophal SPA.
Condamner la société Laboratoire Innotech International à payer à la société de droit algérien Soprophal SPA la somme de 112 588, 58 euros à titre de règlement de la facture n° 254 émise le 26 mars 2014, concernant le remboursement des produits Tot'hema périmés et non vendus
En tout état de cause
Condamner la société Laboratoire Innotech International à payer à la société de droit algérien Soprophal SPA la somme de 15 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
Vu les dernières conclusions de la société Laboratoire Innotech International, notifiées et déposées le 2 novembre 2020, par lesquelles il est demandé à la Cour de :
Vu les dispositions de l'article L. 442-6-I 5° ancien du Code de commerce,
Vu les dispositions des articles 1134 et suivants anciens du Code civil,
Vu les dispositions des articles 1146 et 1147 anciens du Code civil,
Vu le jugement du 5 février 2018,
Vu le jugement rectificatif du 14 mai 2018,
Vu les pièces versées aux débats.
Confirmer le jugement du Tribunal de commerce de Paris du 5 février 2018 (RG J2018000023) en ce qu'il a :
- débouté la société Soprophal de sa demande au titre de l'article L. 442-6 I, 5° du Code de commerce,
- débouté la société Soprophal de sa demande de 1 205 130,22 au titre du préjudice financier subi en raison de la prétendue rupture brutale des relations commerciales établies,
- débouté la société Soprophal de sa demande de de 3 615 390,65 au titre du préjudice financier subi en raison de la perte du marché en Algérie des produits pharmaceutiques à usage gynécologique,
- débouté la société Soprophal de sa demande relative au règlement des factures n° 000214 et n° 000252,
- débouté la société Soprophal de sa demande relative au règlement de la facture n° 254,
- débouté la société Soprophal de ses demandes de dommages et intérêts pour préjudice moral,
- condamné la société Soprophal au paiement des factures de la société Laboratoire Innotech International pour un montant de 3 087 580,51, avec Intérêts au taux légal à compter du 7 avril 2014, qu'elle devra payer jusqu'à concurrence de 2 778 322,40 à la SA Compagnie française d'assurance pour le commerce extérieur COFACE et la différence soit 309 258,11 à la société Laboratoire Innotech International,
- ordonné la capitalisation des intérêts,
- condamné la société Soprophal à payer à la société Laboratoire Innotech International la somme de 45 000 euros au litre de l'article 700 du Code de procédure civile,
- ordonné l'exécution provisoire du jugement,
- condamné la société Soprophal aux dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 102,30 dont 16,84 de TVA.
Si, par extraordinaire, La Cour de céans devait tout de même retenir le caractère brutal de la rupture intervenue considérer faire droit à l'une ou l'autre des demandes indemnitaires formulées par la société Soprophal, il est demandé à la Cour de :
Prendre en compte le caractère totalement démesuré des demandes formulées par la société Soprophal et réduire de manière très significative le montant des dommages et intérêts estimés par la société Soprophal à un montant qui ne pourra être supérieur à la somme de 723 078,13 euros.
Infirmer le jugement du Tribunal de commerce de Paris du 5 février 2018 (RG J2018000023) en ce qu'il a :
- débouté la société Laboratoire Innotech International de sa demande de dommages et intérêts à hauteur de 4 254 000 euros pour le préjudice subi au titre de la perte de chance et du manque à gagner sur le territoire algérien.
En conséquence et statuant à nouveau,
Condamner la société Soprophal à verser à la société Laboratoire Innotech International des dommages et intérêts d'un montant de 4 254 000 euros pour le préjudice subi au titre de la perte de chance et du manque à gagner sur le territoire algérien.
En tout état de cause,
Condamner la société Soprophal à verser à la société Laboratoire Innotech International la somme de 40 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens recouvrés par la SCP GRAPPOTTE BENETRAU.
Vu les dernières conclusions, déposées et notifiées le 28 octobre 2020 par la Coface, par lesquelles il est demandé à la Cour, au visa de l'article 22 de la loi du 11 juillet 1972, de :
Confirmer le jugement du tribunal de commerce de Paris du 5 février 2018 qui a jugé que la société Soprophal devrait s'acquitter entre les mains de la Coface, jusqu'à concurrence de 2 778 322,40 euros, de la condamnation à paiement de la somme de 3 087 580,51 euros prononcée à son encontre au profit de la société Innotech,
Condamner la société Soprophal à payer à la Coface une somme de 3 000 euros au titre des frais de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens de première instance et d'appel.
La cour renvoie à la décision entreprise et aux conclusions susvisées pour un exposé détaillé du litige et des prétentions des parties, conformément à l'article 455 du code de procédure civile.
SUR CE, LA COUR
Sur la rupture brutale des relations commerciales
La société Soprophal fait valoir que la société Innotech a rompu brutalement leurs relations commerciales établies datant de 18 ans, puisque le préavis de 6 mois qui lui a été accordé était insuffisant. De plus selon elle, la rupture était imprévisible puisqu'elle est intervenue alors que les parties étaient à un stade avancé des négociations de prolongation de la relation commerciale établie, qu'elles entendaient proroger pour une durée de 7 années au moins, tout en organisant parallèlement l'entrée de la société Innotech dans son capital. Elle précise que les échanges intervenus au cours de l'année 2013 et l'avenant signé à cette même époque ne pouvaient qu'entériner sa croyance légitime dans la pérennité de ce partenariat et sur son maintien pour une durée minimum de 7 ans.
Elle estime que le préavis devait être de 24 mois, en raison de l'ancienneté du partenariat, de l'importance du chiffre d'affaires et de la marge générée, ainsi que de la spécificité du marché pharmaceutique et des négociations extrêmement avancées en vue de la conclusion d'un nouveau contrat de 7 ans minimum. La société appelante soutient en outre qu'elle n'a pas commis de faute suffisamment grave justifiant d'être dispensée d'un préavis suffisant dès lors que le défaut de paiement allégué est la conséquence directe du désengagement de la société Innotech de reconvertir les factures en prise de participation indirecte dans son capital social.
Elle fait en outre valoir que dès lors que la société Innotech s'est prévalue de la résiliation en application de l'article 13.1 du contrat avec un préavis de 6 mois, elle ne peut dans un courrier postérieur invoquer une nouvelle résiliation pour fautes, préalables à la première résiliation. Selon elle, en se prévalant dans un second temps seulement de fautes alléguées, tout à la fois anciennes et injustifiée pour résilier à nouveau un contrat déjà résilié, la société Innotech a agi avec une mauvaise foi blâmable qui ôte toute crédibilité au caractère sérieux du manquement contractuel pour justifier l'absence de préavis.
Ainsi, la société appelante demande à la cour de condamner la société Laboratoire Innotech International à lui verser la somme de 1 205 130,22 euros, à titre de dommages et intérêts, correspondant à la marge brute qu'elle aurait réalisée pendant les 20 mois de préavis dont elle a été privé, calculée en considération des années 2012 et 2013, outre la somme de 3 543 082,837 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi au titre de la perte du marché des produits pharmaceutiques à usage gynécologique que lui avait promis la société intimée.
La société Laboratoire Innotech International affirme que si elle a rompu les relations commerciales qu'elle entretenait avec la société Soprophal, elle n'engage pas sa responsabilité en application de l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce, dès lors qu'elle a résilié de manière anticipée le contrat en raison de fautes graves telles que l'inexécution de la société Soprophal de son obligation de règlement des factures s'élevant à plus de 3 millions d'euros et son refus de justifier l'évolution de ses démarches et actions auprès des autorités compétentes afin d'obtenir les autorisations nécessaires à la mise en œuvre de la fabrication du produit Ideos en Algérie.
Elle précise que le contrat du 22 octobre 2012 prévoyait la possibilité de résilier de manière anticipée en cas de défaut de paiement de la part de la société Soprophal aux articles 10.3 et 13.2. Elle ajoute que le contrat de distribution lui imposait un processus long et complexe de résolution des litiges à mettre en œuvre en amont d'une résiliation anticipée pour manquement, ce qui la contraignait selon elle, à mettre à profit l'arrivée prochaine d'une échéance contractuelle le 31 décembre 2014 pour ne pas reconduire le contrat par avenant
Elle prétend que l'échec du projet de partenariat financier est uniquement imputable aux actionnaires de la société Medec qui ne voulaient pas voir entrer la société Laboratoire Innotech International au capital de la société Soprophal. Elle ajoute qu'il n'a jamais été question dans le cadre de ce projet financier de reconvertir les factures impayées en une prise de participation indirecte dans le capital de la société Soprophal.
Cela étant exposé, il convient de relever que la société Soprophal fonde ses demandes de réparation de préjudice sur la rupture brutale des relations commerciales telle que prévue par les dispositions de l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce dans sa version antérieure à l'ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019 qui dispose qu'engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers, de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels.
Les parties ne contestent pas avoir entretenu une relation commerciale établie depuis au moins 17 ans mais s'opposent sur le caractère brutal de la rupture initiée par la société Innotech dans un premier temps par courrier du 20 juin 2014 notifiant son intention de ne pas renouveler le contrat du 22 octobre 2012 à son échéance du 31 décembre 2014, puis par un second courrier du 20 octobre 2014 notifiant la résiliation anticipée et sans préavis du contrat pour fautes en raison de non-paiement de factures.
Il ressort des pièces versées aux débats que le 22 octobre 2012, dans la continuité de leur relation commerciale, les sociétés Innotech et Soprophal ont conclu un contrat de conditionnement, d'importation et de distribution pour une durée déterminée, le contrat devant prendre fin le 31 décembre 2013.
Il n'est pas contesté par les parties que dès 2011 celles-ci étaient en pourparlers pour un projet plus ambitieux de partenariat financier et industriel. Les parties ont signé le 25 septembre 2013 un avenant au contrat du 22 octobre 2012 pour le prolonger jusqu'au 31 décembre 2014 « pour finaliser dans les meilleurs délais la négociation d'un nouveau contrat d'importation et de distribution (qui se substituera lors de sa signature, de façon automatique au contrat et au présent avenant) ainsi qu'à un contrat de licence de savoir-faire et de fabrication ». Dans le même temps, un protocole d'accord signé le 11 décembre 2012 modifié par avenant du 31 janvier 2013 a été conclu entre les parties aux fins de procéder à l'entrée de la société Innotech dans le capital de la société Soprophal par l'intermédiaire de la société Medec, suivant un processus en deux phases :
- une première phase lors de laquelle la société Medec procèderait à l'acquisition de 100 % du capital social de la société Soprophal, qui a bien eu lieu le 3 mars 2013
- une deuxième phase lors de laquelle la société Innotech prendrait des participations au sein de la société Soprophal à hauteur de 49 % du capital social à la suite d'une augmentation de capital
Cependant, la société Innotech justifie, sans être utilement contredite par la société Soprophal, que les relations entre elles se sont dégradées à partir de juin 2013.
D'une part les négociations relatives aux différents projets de contrat d'importation et de distribution et de partenariat financier n'ont plus avancé (notamment pièces n° 5 et 6 Innotech). La deuxième phase du protocole précité n'ayant pas eu lieu, celui-ci est devenu caduc le 1er octobre 2013, ce qui a été reconnu par la société Soprophal (pièces n° 27, 28 et 61-1).
D'autre part, concomitamment, la société Soprophal n'a plus honoré un certain nombre de factures au titre de livraison de médicament obligeant la société Innotech à mettre en œuvre sa garantie auprès de la Coface (pièces n° 13 et 59-1). La société Innotech justifie avoir par lettre du 13 janvier 2014 invité la société Soprophal à fournir des explications pour ses retards récurrents de paiement (dont 1, 72M de factures échues) qui a suscité une réponse de la société Soprophal de contestation non sur le principe des factures mais sur les délais de paiement contractuels mais sans proposition concrète (pièce n° 58). La société Innotech justifie qu'en dépit des lettres de relances et du rappel des stipulations du contrat et de tentatives de solutions amiables (pièces n° 8 et 15), avoir mis en demeure la société Soprophal par lettre du 7 avril 2014 (pièce n° 9) de lui payer la somme de 3 087 580,51 euros en règlement de factures restées impayées entre le 26 septembre 2013 et le 18 décembre 2013.
Pour se prémunir des dispositions contractuelles, par lettre du 20 juin 2014 (pièce 16), la société Innotech a notifié sa volonté de ne pas renouveler le contrat de conditionnement, d'importation et de distribution à la date du 31 décembre 2014 dans le délai de préavis contractuel de 6 mois prévu à l'article 13.1 du contrat du 22 octobre 2012. Dans le même temps, pour se conformer aux prescriptions de l'article 19, prévoyant la recherche préalable d'un accord amiable à la suite de la notification d'un différend, et des articles 10.3 et 13.2 du contrat, la société Innotech a mis en demeure la société Soprophal par lettre du 26 juin 2014 de régulariser son défaut de paiement, puis suite à l'échec de diverses tentatives de négociations entre les parties courant juillet et août 2014, la société Innotech a notifié la résiliation anticipée et sans préavis du contrat le 20 octobre 2014 après une ultime mise en demeure du 12 septembre 2014 de payer la somme de 3 087 580, 51 euros. Ce faisant, contrairement à ce que soutient la société Soprophal, la société Innotech a respecté, sans mauvaise foi, les stipulations contractuelles.
Il résulte de ces constatations que d'une part, contrairement à ce que soutient la société Soprophal la résiliation du contrat du 22 octobre 2012 n'était ni soudaine ni imprévisible, que les parties n'étaient plus dans un stade avancé des négociations de prolongation de leur relation commerciale depuis juin 2013 et qu'il n'est pas établi que l'échec des différents projets de partenariat contractuel, financier et industriel soit imputable à la société Innotech. Il n'est pas non plus établi par les pièces versées aux débats (pièces n° 28, 29, 35, 36) que la société Soprophal ait concrètement déployé des investissements importants, notamment financier, en vu de ce partenariat.
D'autre part, la société Soprophal ne conteste pas le principe du montant de la créance de facture impayées de 3 087 580,51 euros. Contrairement à ce qu'elle prétend, il ne résulte pas du protocole du 11 décembre 2012 que celui-ci permettait de convertir une partie de la dette de Soprophal en investissement, et de surcroît, comme la relève à juste titre la société Innotech, la créance litigieuse porte sur des factures impayées sur la période de septembre à décembre 2013, soit postérieurement à ce protocole. Il est justifié par la société Innotech, sans être utilement contesté par la société Soprohal que celle-ci a vainement tenté d'obtenir le règlement des factures pour un montant de plus de 3 millions d'euros l'obligeant à mettre en œuvre sa garantie Coface, et a multiplié les tentatives de règlements amiables avant de notifier la résiliation anticipée du contrat.
Compte tenu de l'ensemble de ses éléments, la société Innotech n'engage pas sa responsabilité au regard des dispositions de l'article L. 442-6, I, 5° pour avoir rompu les relations commerciales établies avec seulement un préavis effectif de 4 mois compte tenu des manquements suffisamment graves de la société Soprophal dans l'exécution du contrat du 22 octobre 2012.
En conséquence, le jugement sera confirmé en ce qu'il a débouté de la société Soprophal de ses demandes au visa de l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce à savoir :
- la demande au titre du préjudice financier subi du fait de la rupture brutale de leurs relations commerciales établies,
- la demande au titre du préjudice financier subi en raison de la perte du marché en Algérie des produits pharmaceutiques à usage gynécologique,
Sur la demande de la société Soprophal en paiement de factures
La société Soprophal demande à la cour de condamner la société Innotech à lui verser la somme de 1 152 746 euros au titre de paiement des factures n° 000214 et n° 000252 et à lui verser la somme de 112 588,58 euros au titre du paiement de la facture n° 254 éditée au regard de la remise de 25% à laquelle s'était engagée la société intimée.
Concernant les factures n° 000214 et n° 000252, la société Soprophal affirme qu'elles sont restées impayées. Elle précise que la réalité des prestations justifiant ces factures n'a jamais été contestée et qu'il s'agit de prestations différentes. Concernant la facture n° 254, elle précise que la société Innotech n'a pas respecté ses engagements concernant l'octroi d'une remise sur certains produits de sa gamme Tot'hema, et n'a pas exécuté son obligation de reprise des produits périmés de cette gamme, c'est pourquoi elle lui a adressé une telle facture.
La société Laboratoire Innotech International conteste les factures n° 000214 et n° 000252 tant dans leur montant que dans le principe, sa participation aux frais de distribution n'ayant fait l'objet d'aucun accord contractuel entre les parties et la réglementation algérienne encadrant strictement les marges de distribution. Elle soutient, concernant la facture n° 254, que la remise de 25% sur les produits Tot’hema a déjà fait l'objet d'un avoir n° 5050048388 d'un montant de 96 144,97 euros.
Dans la perspective du projet de prolongation du partenariat contractuel entre les parties, il est effectivement évoqué le fait d'une rémunération des frais de distribution à 10% pour Soprophal par la société Innotech dans les échanges de courriers du 22 mai 2013 et 18 novembre 2013, mais il n'est pas démontré, comme le soutient la société Innotech, d'accord contractuel sur ce point, les négociations sur le partenariat contractuel n'ayant finalement pas abouties.
D'ailleurs, la société Soprophal ne prétend pas à l'appui de ses demandes avoir réclamé à la société Innotech le montant des factures n° 000214 et n° 000252, datée du 16 mars 2014 et du 26 mai 2014 préalablement à l'engagement de l'instance les opposant. Comme l'a justement relevé le tribunal, le caractère sérieux de ces deux factures est en doute dès lors qu'elles portent sur les mêmes prestations sur les mêmes périodes.
Dès lors, le jugement sera confirmé en ce qu'il a débouté la société Soprophal de sa demande en paiement des factures n° 000214 et n° 000252.
Concernant la facture n° 254 émise le 26 mai 2014, la société Soprophal a d'abord allégué devant le tribunal qu'il s'agissait d'indemniser la destruction de produits périmés « tot'Hema ». Au soutien de l'appel, il est plutôt allégué la facturation d'une remise de produits périmés de 25%.
Le tribunal a constaté que la remise de 25% sur ces produits a déjà fait l'objet d'un avoir le 18 décembre 2013 de la part de la société Innotech qui est produit aux débats. Au soutien de son appel, la société Soprophal n'apporte aucun élément supplémentaire permettant de remettre en cause ces constatations.
Dès lors, le jugement sera confirmé en ce qu'il a débouté la société Soprophal de sa demande en paiement de la facture n° 254.
Sur la demande de la société Soprophal en réparation d'un préjudice économique et moral
En application de l'article 954 alinéa 3 du code de procédure civile, la Cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif des conclusions d'appel.
Dans ses conclusions relatives à la discussion des prétentions, la société Soprophal demande la somme de 100 000 euros en réparation du préjudice économique et moral qu'elle a subi en raison de la violation par la société intimée du contrat de distribution exclusive.
Cependant, la Cour n'est pas saisie de cette prétention qui n'est pas énoncée dans le dispositif des conclusions de la société Soprophal.
Sur la demande de la société Innotech en paiement de factures
La société Soprophal fait valoir que si les 11 factures relatives à la commande de produits de la société Laboratoire Innotech International sont restées impayées c'est parce que la dette contractée devait être convertie en prise de participation indirecte dans son capital. Elle précise tout d'abord que la prise de participation par l'intermédiaire de la société Medec résultait des exigences légales gouvernant les investissements en Algérie des sociétés de droit étranger. Elle ajoute que cette stratégie de prise de participation indirecte a été formalisée dans un protocole régularisé avec la société Medec le 11 décembre 2012. Toutefois, selon elle, la société Innotech a décidé unilatéralement, en violation de ses engagements contractuels, de demander le paiement de ces factures avec un délai raccourci de 60 jours lorsque le délai de paiement habituellement pratiqué par les parties s'élevait à 180 jours et parallèlement elle a confié à une société concurrente, UPC, la distribution de spécialités pharmaceutiques. Elle ajoute que la société Innotech a rompu brutalement leurs relations commerciales, en considération desquelles elle avait financé de nombreux investissements. Selon la société Soprophal, cela l'a privé de la source de revenus lui permettant d'honorer ses dettes, ainsi sa situation financière s'est dégradée de manière drastique.
La société Innotech soutient que la société Soprophal lui doit 3 087 580, 51 euros en contrepartie de livraisons de produits pharmaceutiques qu'elle a effectuées. Par conséquent elle demande à la cour de confirmer le jugement du tribunal de commerce de Paris en ce qu'il a jugé que la créance au titre des 11 factures impayées est certaine, liquide et exigible et a condamné la société Soprophal à verser la somme de 3 087 580,51 euros en sus des intérêts au taux légal en vigueur collectée à compter de la date du 7 avril 2014, date de mise en demeure
La Coface sollicite, en application des dispositions du contrat d'assurance-crédit la liant à la société Innotech, la confirmation du jugement en ce qu'il a jugé que la société Soprophal devait s'acquitter entre les mains de la Coface, jusqu'à concurrence de 2 778 322,40 euros, de la condamnation à paiement de la somme de 3 087 580,51 euros prononcée à son encontre au profit de la société Innotech.
Il résulte des moyens et arguments de la société Soprophal que celle-ci ne conteste ni le principe ni le montant des factures de marchandises (pièce n° 10 Innotech) dont le paiement est demandé à hauteur de 3 087 580,51 euros :
- une facture n° 5050045318 du 26 septembre 2013 d'un montant de 616 790,58 euros correspondant à l'expédition à cette même date à la société Sopropahl de produits POLYGYNAX, DIOVENOR et PHARMATEX,
- deux factures n° 5050046541 et n° 5050046541 du 30 octobre 2013 d'un montant respectif de 178 278,38 euros et 166 410,77 euros correspondant à l'expédition à cette même date à la société Soprophal de produits IDEOS,
- une facture n° 5050046687 du 5 novembre 2013 d'un montant de 169 775,39 euros correspondant à l'expédition à cette même date à la société Soprophal de produits IDEOS,
- deux factures n° 5050046824 et n° 5050046826 du 7 novembre 2013 d'un montant respectif de 322 649,04 euros et 219 761,77 euros correspondant à l'expédition à cette même date à la société Soprophal de produits POLYGYNAX ;
- deux factures n° 5050047311 et n° 5050047312 en date du 21 novembre 2013 d'un montant respectif de 325 250,68 euros et 324 130,52 euros correspondant à l'expédition à cette même date à la société Soprophal de produits POLYGYNAX ;
- deux factures n° 5050047566 et n° 5050047567 en date du 27 novembre 2013 d'un montant respectif de 320 581,56 euros et 324 154,51 euros correspondant à l'expédition à cette même date à la société Soprophal de produits POLYGYNAX ;
- une facture n° 5050047604 en date du 28 novembre 2013 d'un montant de 215 912,28 euros correspondant à l'expédition à cette même date à la société Soprophal de produits POLYGYNAX ;
- un avoir n° 5050048388 en date du 18 décembre 2013 d'un montant de 96 114,97 euros relatif à l'expédition de produits TOT'HEMA dont les 2/3 de durée de vie étaient dépassés au moment de l'expédition.
Pour s'opposer au paiement de ces factures, la société Sopophal se borne à invoquer des fautes de la société Innotech sans en justifier. Le société Soprophal ne justifie pas des manquements allégués aux délais de paiement contractuels ni que sa situation financière soit fortement dégradée, sans qu'il soit non plus établi, comme il a été exposé aux motifs ci-dessus, que le montant de ces factures devaient être réinvesti en participation au capital social par la société Innotech, ni que cette dernière était à l'origine de l'échec de la poursuite du partenariat contractuel financier et industriel, ni que la société Sorprophal ait concrètement entrepris des investissements « importants » pour ce projet de partenariat.
En conséquence, le jugement sera confirmé en ce qu'il a condamné la société Soprophal au paiement des factures de la société Innotech pour un montant de 3 087 580,51 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 7 avril 2014, qu'elle devra payer jusqu'à concurrence de 2 778 322,40 euros à la Compagnie d'assurance pour le commerce extérieur Coface et la différence soit 309 258,11 euros à la société Innotech International, avec la capitalisation des intérêts.
Sur la demande de la société Innotech en réparation d'un préjudice de perte de chance et de manque à gagner
La société Innotech fait valoir que la société Soprophal a commis une faute en manquant à son obligation de règlement des factures et en refusant de l'informer sur l'évolution des démarches auprès des autorités sanitaires concernant la licence d'importation. Selon elle cette faute a entrainé, l'absence de contrepartie financière de la vente des médicaments livrés à la société Soprophal et commercialisés, l'impossibilité de réinvestir la somme de plus de 3 millions d'euros dans d'autres projets, l'impossibilité de maintenir la présence et la vente de ses produits sur le territoire algérien, la destruction des produits dont la commande a été annulée et l'impossibilité de mettre en jeu la garantie. Elle réclame pour la réparation de son préjudice la somme de 4 254 000 euros, représentant la perte de marge sur coûts variables sur son activité en Algérie entre les exercices 2013 et 2014.
La société Soprophal soutient que la demande de réparation des préjudices de perte de chance et de manque à gagner est irrecevable dès lors qu'elle viole le principe de réparation intégrale et est infondée puisque la société intimée ne produit aucune preuve pour étayer ses demandes indemnitaires.
A l'appui de sa demande, la société Innnotech ne verse aux débats aucun élément de preuve tangible permettant de démontrer l'impossibilité ou la perte de chance de maintenir une présence et de vente de ses produits sur le territoire algérien à la suite de la rupture des relations commerciales avec la société Soprophal en raison du manquement contractuel de celle-ci, la réalité et les frais engagés pour la destruction de produits à la suite de commandes non honorées, un préjudice distinct de lui celui répararé par l'allocation des intérêts au taux légal sur les sommes impayées, ainsi que l'impossibilité de mettre en œuvre sa garantie du fait de la société Soprophal, en sorte que l'indemnisation de sa perte de marge sur coûts variable entre les exercices 2013 et 2014 n'est pas justifiée.
Le jugement sera confirmé en ce qu'il a débouté la société Innotech de sa demande de dommages-intérêts pour un préjudice subi au titre de la perte de chance et du manque à gagner sur le territoire algérien.
Sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civil en appel
La société Soprophal, partie perdante, sera condamnée aux dépens d'appel.
En application de l'article 700 du code de procédure civile à l'instance d'appel, la société Soprophal sera déboutée de sa demande et condamnée à payer à la société Innotech la somme de 15 000 euros et à la Coface la somme de 2 000 euros.
PAR CES MOTIFS
Confirme le jugement en toutes ses dispositions,
Y ajoutant,
Condamne la société Soprophal aux dépens d'appel qui seront recouvrés suivant les dispositions de l'article 699 du code de procédure civile,
Condamne la société Soprophal à payer à la société Laboratoire Innotech International la somme de 15 000 euros et à la Coface la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile en appel,
Rejette toute autre demande.