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Décisions

Cass. com., 13 janvier 2021, n° 19-17.051

COUR DE CASSATION

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Caballe Distribution (SARL), Carrefour Proximité France (SAS)

Défendeur :

Distribution Casino France (SAS), Caballe

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Mouillard

Rapporteur :

Mme Michel-Amsellem

Avocat général :

Mme Beaudonnet

Avocats :

SCP L. Poulet-Odent, SCP Richard

T. com. Lyon, du 27 juill. 2015

27 juillet 2015

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 6 mars 2019), la société Caballe distribution (la société Caballe), dont le gérant associé était M. Caballe, a exploité un fonds de commerce sous l'enseigne Spar, dans le cadre d'un contrat de franchise conclu le 24 avril 1996 avec la société Médis, à laquelle s'est ensuite substituée la société Distribution Casino France (la société Casino). Le contrat a été renouvelé le 28 avril 2008.

2. Le 27 décembre 2013, la société Caballe, invoquant l'inexécution, par la société Casino, de ses obligations contractuelles, a résilié le contrat de franchise. Le 31 décembre 2013, M. Caballe a cédé ses parts dans la société Caballe à la société Carrefour proximité France (la société Carrefour). Un changement d'enseigne a alors eu lieu au profit de cette dernière.

3. Le 7 février 2014, la société Casino a assigné la société Caballe, son gérant M. Caballe et la société Carrefour, en annulation de la cession des parts de la société Caballe à la société Carrefour et en paiement de dommages-intérêts.

Examen des moyens des pourvois principal et provoqué rédigés en termes identiques

Sur le second moyen, pris en sa huitième branche, ci-après annexé

4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce grief qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

5. Les sociétés Caballe et Carrefour, ainsi que M. Caballe, font grief à l'arrêt de constater la violation par la société Caballe de la clause d'intuitu personæ et de la condamner à payer à la société Casino la somme de 20 000 euros pour violation de cette clause, alors que « les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites ; qu'en l'espèce la cour a constaté qu'en vertu de l'article 11 du contrat de franchise, « le franchisé ne pourra céder ou transférer à titre onéreux ou gratuit les avantages que lui confère le présent contrat qui lui est strictement personnel, sauf accord préalable écrit du franchiseur », que « le franchiseur pourra mettre fin au présent contrat, par lettre recommandée avec accusé de réception et sans indemnité dans tous les cas où le franchisé, signataire des accords, n'exploite pas lui-même directement », et qu'il « en serait de même au cas où le magasin serait exploité ou appartiendrait à une société que le franchisé qui en avait le contrôle et la direction au moment de la signature venait à perdre ce contrôle pour quelque cause que ce soit » ; qu'ainsi, la seule sanction prévue par cet article était la rupture sans indemnité, si bon semblait au franchiseur, en cas d'absence d'exploitation personnelle ou en cas d'exploitation par une société dont le franchisé n'avait plus le contrôle ; qu'en jugeant dès lors, au regard de ce texte, que la cessation d'exploitation personnelle par M. Caballe et sa perte du contrôle de la société franchisée justifiaient la condamnation de la société Caballe, bien que le franchiseur n'eût pas jugé devoir mettre fin au contrat, la cour a méconnu la loi des parties, en violation de l'article 1134, devenu 1103 du code civil. »

Réponse de la Cour

6. Il ne résulte ni de l'arrêt ni de leurs conclusions que les sociétés Caballe et Carrefour aient soutenu devant la cour d'appel que la seule sanction prévue par les stipulations relatives à l'intuitu personæ était la rupture du contrat sans indemnité et qu'en conséquence, la cessation d'exploitation personnelle par M. Caballe ainsi que sa perte du contrôle de la société franchisée sans que le franchiseur mette fin au contrat ne pouvaient donner lieu à des dommages-intérêts.

7. Le moyen nouveau, et mélangé de fait et de droit, est donc irrecevable.

Sur le second moyen, pris en ses première, deuxième, troisième quatrième et cinquième branches

Enoncé du moyen

8. Les sociétés Caballe et Carrefour, ainsi que M. Caballe, font grief à l'arrêt de condamner la société Carrefour à payer à la société Casino la somme de 40 000 euros pour atteinte à son image, alors :

« 1°) que comme la cour l'a elle-même relevé, si un droit de préférence porte sur la cession de parts sociales ou le contrôle d'une société franchisée, il doit être conclu avec les associés de cette société ; qu'en l'espèce, le contrat de franchise conclu le 28 avril 2008 entre la société Caballe [franchisé] et la société Casino [franchiseur] comporte un article 12, intitulé « clause d'agrément et pacte de préférence », aux termes duquel, « dans le cas où, pendant la durée du présent contrat, le franchisé souhaiterait céder (…) tout ou partie des actions ou parts représentant le capital de sa société, il s'engage à notifier au franchiseur (…) le nom et l'adresse du candidat cessionnaire et à lui communiquer le prix de cession projeté (…) », étant convenu « qu'à prix égal, le franchisé s'engage à donner la préférence au franchiseur ou à toute personne physique ou morale que ce dernier se réserve de se substituer (…) » ; que cependant la cour a constaté, par motifs adoptés, que « cet engagement de pacte de préférence a été souscrit par la société Caballe, sous la signature de M. Caballe, pris en sa qualité de gérant de la société », de sorte qu'il « est clair que cet engagement contractuel n'a pas été pris par M. Jean Caballe personnellement, non plus que par son épouse qui d'ailleurs n'est pas attraite dans l'instance, alors que chacun d'eux a bien décidé finalement de céder les 50 % de parts de la société dont il était détenteur » ; que, les propriétaires exclusifs de ces titres n'ayant pas été parties au contrat de franchise, la société Caballe, n'en étant pas quant à elle propriétaire, n'avait la faculté ni de les céder, ni d'octroyer un quelconque droit de préférence au franchiseur en cas de cession ; que ce droit de préférence n'était donc pas opposable à la société Caballe ; qu'en jugeant le contraire, au motif que cette dernière était tenue de respecter l'intuitu personæ stipulé au contrat, la cour n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, en violation de l'article 1123 du code civil, ensemble de l'article 1134, devenu 1103 du code civil ;

2°) qu'en vertu des exigences du contradictoire, le juge ne peut pas relever d'office un moyen, pour justifier sa décision, sans avoir invité préalablement les parties à présenter leurs observations sur ce moyen ; qu'en l'espèce, pour justifier que les stipulations de l'article 12 étaient opposables à la société Caballe, quand, n'étant pas propriétaire des actions, elle ne pouvait pas accorder un droit de préférence sur leur cession, la cour a retenu que M. Caballe, détenteur de la majorité des actions, était lui-même franchisé ; qu'en soulevant ainsi d'office cette qualité prétendue de franchisé de M. Caballe, dans un contrat qui avait pour seules parties la société Caballe et la société Casino, ainsi que l'avaient toujours admis ces dernières, sans avoir invité les parties à présenter leurs observations sur ce moyen, la cour a violé l'article 16 du code de procédure civile ;

3°) que le pacte par lequel le « franchisé » s'est engagé à donner préférence au franchiseur, après lui avoir notifié le nom et l'adresse du candidat cessionnaire et à lui communiquer le prix de cession projeté des parts sociales de la société (art. 12 du contrat de franchise), ne peut être conclu que par celui qui, étant propriétaire de ces parts, a la faculté de les céder ; qu'à supposer, dès lors, que M. Caballe ait qualité de « franchisé », seul ce dernier était susceptible d'être lié par le pacte de préférence, et par conséquent par le devoir d'information qui lui était connexe, puisque seul il était propriétaire de la moitié des parts sociales et pouvait les céder ; qu'en retenant dès lors que la société Caballe et M. Caballe étaient « indissociablement liés » par le pacte de préférence et que la société Caballe était de ce chef tenue d'un devoir d'information, la cour a violé l'article 1123 du code civil ;

4°) que le juge est tenu de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis ; que le contrat de franchise est, par nature, une convention par laquelle une entreprise franchiseur met à la disposition d'une autre, franchisée, contre redevances, et éventuellement droit d'entrée, son savoir-faire, son expérience, son enseigne et sa notoriété ; que, selon ses termes explicites, le contrat de franchise litigieux a été conclu entre la société Casino, franchiseur, et la société Caballe qui, ayant exclusivement la qualité de franchisé, a seule reçu l'enseigne et le savoir-faire de la société Casino ; que M. Caballe, en revanche, qui ne pouvait avoir qualité de franchisé, n'est intervenu à ce contrat qu'en tant que représentant habilité de la société Caballe ; qu'en affirmant pourtant qu'en vertu des stipulations du contrat de franchise M. Caballe avait lui aussi qualité de franchisé, pour retenir qu'il était « indissociablement lié » en tant que tel avec la société Caballe pour exécuter le contrat de franchise, la cour a violé le principe susvisé ;

5°) que le juge est tenu de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis ; que, pour justifier l'impossible qualité de franchisé de M. Caballe, contredite par les indications explicites du contrat et par la nature même du contrat de franchise, la cour s'est référée aux stipulations de l'article 11, selon lesquelles « le contrat est conclu par le franchiseur en considération expresse et déterminante de la personnalité du franchisé à savoir M. Caballe, de sa situation de dirigeant effectif de l'activité objet du contrat et le cas échéant, du contrôle qu'il détient de la majorité des parts ou actions et droits de vote de la société » ; que, cependant, cette clause, justement qualifiée de « personnalité », indiquait exclusivement les motifs personnels à M. Caballe qui avaient conduit la société Casino à choisir, comme seul et unique franchisé, la société Caballe ; qu'en revanche, le terme « franchisé », appliqué à M. Caballe lui-même procédait évidemment d'une erreur de rédaction, contredite par l'ensemble du contrat et par le fait que seules les sociétés Casino et Caballe y étaient parties, l'une comme franchiseur, l'autre comme franchisé ; qu'en jugeant le contraire, la cour a dénaturé l'article 11 du contrat, en violation du principe susvisé. »

Réponse de la Cour

9. Après avoir rappelé que l'article 12 du contrat de franchise prévoyait que dans le cas où, pendant la durée du contrat, le franchisé souhaiterait céder son fonds de commerce ou tout ou partie des actions ou parts représentant le capital de sa société, il s'engageait à en informer le franchiseur et à lui communiquer le prix de cession projeté, étant convenu qu'à prix égal, le franchisé s'engageait à donner la préférence au franchiseur, l'arrêt relève qu'aux termes de son article 11, le contrat était conclu par le franchiseur « en considération expresse et déterminante de la personnalité du franchisé à savoir M. Caballe, de sa situation de dirigeant effectif de l'activité objet du contrat et le cas échéant, du contrôle qu'il détient de la majorité des parts ou actions et droits de vote de la société » et en déduit que le terme « franchisé » stipulé dans le contrat vise indifféremment la société Caballe et M. Caballe, à titre personnel, indissociablement liés dans l'exécution du contrat de franchise.

10. Après avoir ensuite retenu que la société Caballe, représentée par M. Caballe, son gérant, était informée, d'une part, du fait que la qualité de dirigeant effectif de celui-ci et le fait qu'il détienne la majorité des parts de la société Caballe étaient essentiels pour la société Casino, d'autre part, que celle-ci bénéficiait d'un pacte de préférence, notamment, en cas de cession de tout ou partie des actions ou parts représentant le capital de sa société, l'arrêt déduit de la combinaison de ces clauses que la société Caballe a pris des engagements relatifs à la sauvegarde de l'intuitu personæ en son sein, qui mettaient à sa charge une obligation d'information préalable, quand bien même elle serait tiers à la cession des parts sociales.

11. De ces constatations et appréciations, procédant de son interprétation souveraine des clauses du contrat, rendue nécessaire par leur ambiguïté, la cour d'appel a pu, sans encourir le grief inopérant de la deuxième branche, ni celui, mal fondé de la troisième branche, dès lors que l'article 1123 du code civil dans sa rédaction issue de l'ordonnance du 10 février 2016 n'est pas applicable au contrat litigieux, conclu avant le 1er octobre 2016, déduire que, dans ces circonstances, il appartenait à la société Caballe d'informer la société Casino de tout projet de cession, quand bien même elle était tiers à cette cession.

12. Le moyen n'est donc pas fondé.

Sur le second moyen, pris en ses sixième et septième branches

Enoncé du moyen

13. Les sociétés Caballe et Carrefour, ainsi que M. Caballe, font le même grief à l'arrêt, alors :

« 6°) que pour retenir la tierce complicité de la société Carrefour, la cour a jugé qu'elle avait eu connaissance des clauses du contrat « Spar », puisqu'elle en détenait un exemplaire signé avec une société tierce, qu'elle était une professionnelle de la grande distribution et qu'elle avait contribué à la tentative de sortie de contrat réalisée par la société Caballe, dans le dessein de contourner le droit de préemption de la société Casino ; que, cependant, la cassation à intervenir de l'arrêt, en ce qu'il a jugé que la société Caballe était tenue par les termes du pacte de préférence, entraînera, par voie de conséquence, cassation de l'arrêt en ce qu'il a jugé que la société Carrefour s'était rendue coupable de complicité dans la violation de ce pacte, en application de l'article 624 du code de procédure civile ;

7°) que pour retenir la tierce complicité de la société Carrefour, la cour s'est bornée à retenir qu'elle avait eu connaissance des clauses du contrat « Spar », puisqu'elle en détenait un exemplaire signé avec une société tierce et qu'elle était une professionnelle de la grande distribution et qu'elle avait contribué à la tentative de sortie de contrat réalisée par la société Caballe, dans le dessein de contourner le droit de préemption de la société Casino ; qu'en se déterminant ainsi, par voie de pure affirmation, sans avoir retenu aucun élément permettant de justifier que la société Carrefour ait « aidé » positivement la société Caballe à « contourner » le droit de préférence de la société Casino, la cour a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382, devenu 1240 du code civil. »

Réponse de la Cour

14. Après avoir constaté que la société Carrefour connaissait les dispositions du contrat de franchise Spar et qu'elle avait connaissance, en sa qualité de professionnel aguerri de la grande distribution, de l'existence courante de ce type de droit de préemption, qu'elle incluait également dans ses propres contrats, l'arrêt retient que celle-ci a, de surcroît, elle-même contribué à la tentative de sortie de contrat réalisée par la société Caballe, dans le dessein de contourner le droit de préemption de la société Casino.

15. De ces constatations et appréciations, faisant ressortir que la société Carrefour, en contractant avec la société Caballe, avait participé en connaissance de cause à la violation, par cette société, de ses obligations contractuelles, la cour d'appel a, sans encourir le grief de la sixième branche qui manque par le fait qui lui sert de base, retenu à bon droit que la société Carrefour avait engagé sa responsabilité délictuelle envers la société Casino.

16. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi principal et le pourvoi provoqué.