CA Reims, ch. civ. sect. 1, 12 janvier 2021, n° 19/01413
REIMS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Enedis (SA)
Défendeur :
Mutuelles Assurances des Instituteurs de France (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Maussire
Conseillers :
Mme Mathieu, Mme Lefort
EXPOSE DU LITIGE :
Le 1er mars 2016, vers 1 heure du matin, un incendie s'est déclaré dans la cuisine de la maison d'habitation de M. Olivier B. et Mme Christelle G. épouse B. située [...]. M. B., présent avec ses trois enfants au moment du sinistre, a été alerté par le détecteur de fumées et a donc pu évacuer la maison.
Sont intervenus immédiatement sur place le service départemental d'incendie et de secours de la Marne, pour circonscrire le sinistre, et un agent d'ERDF pour mettre en sécurité l'installation électrique par le retrait des fusibles.
La MAIF, assureur de M. et Mme B., a mandaté le cabinet EUREXO aux fins d'expertise. L'expert s'est rendu sur les lieux du sinistre le 2 mars 2016.
Par assignation du 3 mai 2016, les époux B. et la MAIF ont fait citer la société ERD devant le juge des référés du tribunal de grande instance de Reims aux fins d'expertise, laquelle a été ordonnée par ordonnance du 20 mai 2016.
L'expert judiciaire, M. Gérard C., a déposé son rapport le 30 novembre 2016.
Par acte d'huissier en date du 1er février 2018, M. et Mme B. ainsi que la MAIF ont fait assigner la société ENEDIS, anciennement dénommée ERDF, devant le tribunal de grande instance de Reims aux fins de la voir déclarée responsable de l'incendie et condamnée à réparer les préjudices, au visa des articles 1384, 1386-1 et 1386-3 (devenus 1242, 1245 et 1245-2) du code civil.
La société ENEDIS a conclu au débouté.
Par jugement en date du 3 mai 2019, le tribunal de grande instance de Reims :
- juge que la SA ENEDIS anciennement dénommée ERDF est responsable de l'incendie survenu le 1er mars 2016 dans l'immeuble sis [...],
- condamne la SA ENEDIS anciennement dénommée ERDF à verser à la MAIF la somme de 65 740,63 euros au titre de l'indemnité versée par cette dernière à M. et Mme B. ensuite de l'incendie susvisé,
- condamne la SA ENEDIS anciennement dénommée ERDF à verser à M. B. et à Mme B. la somme de 4 000 euros chacun en réparation de leur préjudice moral,
- condamne la SA ENEDIS anciennement dénommée ERDF à verser à M. et Mme B. en leur qualité de représentants légaux de leur enfants mineurs Marie, Elsa et Clémence la somme de 3 000 euros à chacun, soit 9 000 euros, en réparation de leur préjudice moral,
- déboute les parties du surplus de leurs demandes,
- condamne la SA Enedis anciennement dénommée ERDF à payer à la MAIF la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens, avec distraction,
- ordonne l'exécution provisoire.
Pour statuer ainsi, le tribunal retient que la responsabilité de la société ENEDIS du fait des choses ne peut être retenue mais que sa responsabilité est engagée sur le fondement de l'article 1245 du code civil, puisque le départ de feu est situé dans le placard technique contenant le compteur lui appartenant, qu'il existe des traces d'amorçages importantes sur le câble situé en amont de l'installation, ce qui est caractéristique d'un phénomène de surtension imputable au fournisseur d'électricité, et que ni l'expertise ni la société ENEDIS n'établissent la preuve d'une quelconque autre origine possible du départ de feu.
Par déclaration du 25 juin 2019, la société ENEDIS a fait appel de ce jugement.
Par conclusions n°1 du 24 septembre 2019, la société ENEDIS, anciennement dénommée ERDF, demande à la cour d'appel de :
- infirmer le jugement entrepris,
Statuant à nouveau,
- dire et juger que la MAIF et ses assurés, les époux B., ne rapportent pas la preuve qui leur incombe d'un défaut de l'alimentation électrique, défaut qui serait la cause de l'incendie dont ils ont été victimes le 29 février 2016,
- dire que le rapport de l'expert judiciaire, M. C., n'est pas de nature à apporter suffisamment d'éléments techniques pour retenir comme cause de l'incendie, un défaut de l'énergie électrique alimentant l'habitation de M. et Mme B.,
En conséquence,
- rejeter toutes les demandes, fins et conclusions de la MAIF et des époux B., y compris celle relative aux frais d'instance,
- condamner la MAIF à lui payer la somme de 8 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- laisser les dépens à la charge des intimés, avec distraction.
Par conclusions du 17 janvier 2020, M. et Mme B., agissant tant à titre personnel qu'en qualité de représentants légaux de leurs enfants mineurs Clémence, Elsa et Marie B., et la MAIF demandent à la cour d'appel de :
- confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,
Y ajoutant,
- condamner la société ENEDIS au paiement de la somme de 3 000 euros au titre des frais irrépétibles d'appel sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, et aux entiers dépens, avec distraction.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 4 mai 2020.
MOTIFS DE LA DECISION :
Sur la responsabilité de la société Enedis
Les époux B. et la MAIF exposent que le gestionnaire du réseau d'électricité, seul habilité à intervenir sur le compteur et le disjoncteur, a la garde de la structure de ces installations de distribution publique situées dans le logement, de sorte qu'il est seul responsable des dommages résultant de leur défaut de conception ou de fonctionnement sur le fondement de l'article 1384 devenu 1242 du code civil; qu'il est en outre responsable, au titre de la responsabilité du fait des produits défectueux sur le fondement des articles 1386-1 et 1386-3 devenus 1245 et 1245-2 du même code, des surtensions sur le réseau public; que la preuve du défaut peut résulter de présomptions graves, précises et concordantes dès lors que des éléments scientifiques rendent vraisemblable le lien entre le défaut et le dommage et qu'il n'existe aucune autre cause de survenance du dommage.
Ils approuvent le tribunal d'avoir retenu la responsabilité de la société ENEDIS du fait des produits défectueux au vu du rapport d'expertise car l'expert accrédite l'hypothèse d'une surtension et affirme que le point de départ de l'incendie se situe sur le disjoncteur de branchement EDF et que l'expertise permet d'exclure l'hypothèse d'un incendie provenant de l'installation électrique intérieure ou d'appareils connectés.
Ils contestent le renversement de la charge de la preuve invoqué par la société ENEDIS et font valoir que cette dernière ne peut tirer argument de l'absence de certitude sur la cause de l'incendie dès lors qu'il existe indéniablement des éléments scientifiques rendant vraisemblable le lien entre le défaut et le dommage et qu'il n'existe pas d'autre cause vraisemblable de survenance du dommage. Ils précisent qu'il n'existe aucun indice pouvant corroborer l'hypothèse, émise par l'appelante, d'une défaillance d'un matériel de l'installation intérieure.
La société ENEDIS reproche au tribunal d'une part d'avoir retenu l'existence présomptions graves, précises et concordantes alors que l'expert n'a fait que des suppositions quant à la survenue du sinistre, et d'autre part d'avoir inversé la charge de la preuve en exigeant d'elle de rapporter la preuve d'une autre origine.
Elle fait valoir qu'il ressort des expertises amiables du cabinet EUREXO et du cabinet POLYEXPERT, missionné par ENEDIS, que la cause de l'incendie est indéterminée ; que l'expert judiciaire n'a émis qu'une supposition sur un phénomène de surcharge électrique sans même localiser cette surcharge et en lui reprochant à tort le comportement de son préposé et en retenant sa responsabilité pour ce motif qui ne constitue pas un avis technique ; qu'en concentrant son analyse sur la prétendue disparition des appareils d'ENEDIS, l'expert judiciaire a suivi une démarche particulièrement critiquable, non conforme aux règles régissant l'expertise qui doit rester impartiale et surtout ne permettant pas d'éclairer la juridiction qui doit statuer sur les responsabilités encourues.
Elle conclut que la cour doit écarter le rapport de M. C. et examiner les éléments produits par les parties, surtout le rapport de l'expert de la MAIF qui a eu accès aux lieux après le départ des pompiers.
Elle ajoute que lorsqu'un incendie a une origine électrique, la cause la plus fréquente est une défaillance d'un matériel de l'installation intérieure, hypothèse qui n'a pas été examinée par l'expert judiciaire ; qu'en tout état de cause l'hypothèse d'une surtension n'exclut pas une défectuosité de l'installation intérieure, d'autant que rien ne permet de supposer que la surtension proviendrait du réseau de distribution ; que la conformité aux normes de l'installation intérieure n'a pas été vérifiée par l'expert.
Elle conclut que sa responsabilité ne peut être engagée sur le fondement des dispositions des articles 1245 et suivants du code civil, en l'absence de preuve du défaut qui serait à l'origine de l'incendie.
Aux termes de l'article 1245 du code civil, le producteur est responsable du dommage causé par un défaut de son produit, qu'il soit ou non lié par un contrat avec la victime.
L'article 1245-2 du même code dispose notamment que l'électricité est considérée comme un produit.
Selon l'article 1245-3, un produit est défectueux lorsqu'il n'offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre.
Il résulte de l'article 1245-5 qu'est producteur, lorsqu'il agit à titre professionnel, le fabricant d'un produit fini.
Aux termes de l'article 1245-8, le demandeur doit prouver le dommage, le défaut et le lien de causalité entre le défaut et le dommage.
Il résulte de la jurisprudence de la Cour de cassation que la preuve du caractère défectueux du produit et du lien de causalité peut résulter de présomptions graves, précises et concordantes.
L'article 1245-10 du code civil dispose « le producteur est responsable de plein droit à moins qu'il ne prouve :
1° Qu'il n'avait pas mis le produit en circulation ;
2° Que, compte tenu des circonstances, il y a lieu d'estimer que le défaut ayant causé le dommage n'existait pas au moment où le produit a été mis en circulation par lui ou que ce défaut est né postérieurement ;
3° Que le produit n'a pas été destiné à la vente ou à toute autre forme de distribution ;
4° Que l'état des connaissances scientifiques et techniques, au moment où il a mis le produit en circulation, n'a pas permis de déceler l'existence du défaut ;
5° Ou que le défaut est dû à la conformité du produit avec des règles impératives d'ordre législatif ou réglementaire. »
En l'espèce, selon le rapport d'expertise du cabinet EUREXO mandaté par la MAIF, l'incendie est sans aucun doute d'origine électrique et a pris naissance dans un placard technique situé dans la cuisine contenant le tableau de protection privatif ainsi que des appareils appartenant à EDF : compteur, CCPI et disjoncteur.
L'expert, qui s'est rendu sur le lieux le 2 mars 2016, lendemain du sinistre, indique que lors de l'intervention des pompiers, l'agent EDF présent a déposé et emporté l'ensemble des appareillages EDF laissant sur site une partie du câble d'alimentation en amont des installations ainsi qu'une partie du câble en aval des installations permettant le raccordement au tableau de protection ; qu'il existe un fort impact thermique au droit des installations EDF et vraisemblablement du disjoncteur (sur le mur) ; qu'en l'absence des vestiges des appareillages EDF, il est difficile de déterminer l'origine exacte du sinistre ; que même si l'ensemble du tableau de protection électrique est anéanti puisqu'on ne retrouve plus que les câbles et parties métalliques et mécaniques, l'examen des vestiges de ce tableau ne fait pour autant apparaître aucun indice significatif type perlage ou rigidité de câblage pouvant permettre de déterminer que celui-ci serait à l'origine de l'incendie ; et que seul l'examen des vestiges des appareillages EDF pourrait permettre éventuellement de déterminer la cause exacte du sinistre.
Il ajoute que M. B. a déclaré n'avoir connu aucun dysfonctionnement ancien ou récent de l'installation électrique et n'avoir réalisé aucune intervention sur l'installation récemment. Il conclut qu'un dysfonctionnement du tableau de protection électrique (privatif) ne lui paraît pas être à l'origine de l'incendie, et qu'un départ d'incendie sur ou dans l'environnement des appareillages EDF semble plus vraisemblable, compte tenu du fort impact thermique sur le mur.
Il ajoute « ce qui est souligné par le société ENEDIS » qu'un échauffement consécutif à un desserrement de connexion est une cause habituellement rencontrée dans ce type de sinistre, que la connexion des câbles sur le bornier aval du disjoncteur est considérée comme privative, et qu'en tout état de cause, pour engager la responsabilité d'EDF, il sera nécessaire que EDF soit présente lors d'une réunion contradictoire des vestiges des appareillages et que la cause du sinistre soit identifiée de façon précise.
Sur ce dernier point, il convient de rappeler que selon la jurisprudence de la Cour de cassation sur la responsabilité du fait des produits défectueux, il n'est nullement nécessaire que la cause du sinistre soit précisément identifiée et il suffit qu'il existe des présomptions graves, précises et concordantes.
Lors de la réunion d'expertise judiciaire du 19 juillet 2016, il a été indiqué à l'expert que la maison avait été achetée en 2008, que toute l'électricité avait été refaite par un professionnel, qu'aucuns travaux d'électricité n'avait été réalisé dans les jours ayant précédé le sinistre, et que les radiateurs étaient éteints au moment du sinistre, la maison étant chauffée par des poêles à bois.
M. C., expert judiciaire, constatant qu'il ne subsistait que les câblages, a interrogé les parties pour tenter de savoir qui avait emporté les vestiges. M. L., du cabinet EUREXO, qui a réalisé l'expertise amiable, a indiqué qu'il avait fait intervenir une entreprise spécialisée pour dépolluer l'habitation, qu'il avait donné pour consigne de préserver les éléments du sinistre, et que ses consignes n'avaient pas été respectées puisque tout avait été mélangé dans un sac.
M. B. a indiqué être entré dans son habitation plusieurs heures après le sinistre et ne pas savoir quand ni qui avait déposé les éléments du tableau électrique. Le représentant d'ENEDIS a indiqué que son agent n'était pas intervenu à l'intérieur de l'habitation et qu'il allait se renseigner sur ce qui était advenu des fusibles.
L'expert indique dans son rapport que l'inspection des câblages restants fait apparaître des amorçages très marqués d'une part sur le câblage propriété d'EDF/ENEDIS mais également sur le câblage privatif, fait accréditant probablement un problème lié à une surtension. Il ajoute qu'il ne lui est pas possible de déterminer précisément qui a pu intervenir dans la dépose des éléments de desservissement (EDF/ENEDIS), qui auraient pu donner des indications précieuses quant à la survenue du sinistre ; qu'au vu des circonstances, la cause du sinistre est un phénomène brutal probablement de type surcharge électrique, et que sans les éléments disparus, il ne pourra être fait que des suppositions quant à la survenue du sinistre.
Après avoir reçu les dires et compléments d'information des parties, l'expert mentionne que les préconisations d'ENEDIS n'ont pas été respectées puisque les fusibles retirés par l'agent n'ont pas été conservés, et que contrairement aux allégations au cours de la réunion d'expertise, l'agent EDF était bien entré dans l'habitation.
Dans ses conclusions générales, il indique que bien que l'installation électrique ait complètement brûlé et soit réduite en cendres, des éléments métalliques du tableau et des résidus de fondus de plastique auraient dû être retrouvés dans les décombres (disjoncteur) ; et que les investigations de M. L. (EUREXO) démontrent des marques de sinistre plus marquantes au droit du disjoncteur de branchement EDF, signe que le sinistre a été plus marquant sur celui-ci donc probable endroit de départ de l'incendie.
Il ajoute qu'il est impossible d'envisager que M. B. soit retourné dans son habitation dans les heures qui ont suivi l'incendie afin de retirer les restes du tableau électrique ; que les sapeurs-pompiers laissent toujours les gravats à proximité et à disposition ; et que l'entreprise de nettoyage, bien que n'ayant pas respecté les consignes, n'a pu retirer les restes du compteur électrique puisqu'elle est intervenue après l'expert de la MAIF qui avait déjà constaté la disparition des ouvrages propriété d'ENEDIS et privatifs.
L'expert judiciaire s'est basé notamment sur la réponse, par courriel, de M. E., de la société ENEDIS, qui indique : « Lors de cette mise en sécurité, nous avons simplement retiré les fusibles pour mettre le branchement hors tension, tout était complètement brûlé, en cendres (tableau Erdf + tableau client instal intérieure). Nous n'avons rien emporté, comme stipulé à tort dans le courrier joint, mis à part les fusibles évidemment. »
Il a également tenu compte de l'attestation de M. G., agent Enedis, qui déclare être arrivé sur les lieux du sinistre à 1h28 pour mettre en sécurité l'installation par retrait des fusibles qui alimentent celle-ci et n'avoir emporté aucun élément faisant partie de l'installation du client et aucun élément faisant partie du réseau ENEDIS. Comme l'a relevé l'expert, au vu du plan de l'habitation, si l'agent intervenu a pu constater que tout avait brûlé, alors que les fusibles retirés se trouvaient à l'extérieur, c'est qu'il est nécessairement entré à l'intérieur de la maison. Par ailleurs, les messages d'intervention des pompiers, adressés à l'expert, ne fournissent aucun élément utile aux investigations.
La société ENEDIS produit un rapport d'expertise amiable contradictoire en date du 2 mai 2017, établi par le cabinet POLYEXPERT mandaté par son assureur AXA CORPORATE SOLUTIONS. D'après l'expert, il ne fait aucun doute que l'incendie a pris naissance dans le doublage en placoplâtre (coffrage) où sont situés les ouvrages ENEDIS et le tableau de protection privatif, de sorte que la source de l'incendie est électrique.
Cependant, il estime que les éléments constatés ne permettent pas de déterminer l'origine de cet incendie puisque d'une part l'analyse des dégradations, impacts thermiques et traces de fumée sur le mur ne lui permet pas de conclure quant à la présence nette d'une zone de départ de feu, car le mur n'est pas homogène et que l'ensemble a été purgé lors des travaux de contamination, d'autre part il a étudié le contenu d'un sac poubelle, notamment les vestiges d'un tableau de protection, deux barrettes et les bornes aval du disjoncteur, et n'a pas décelé de signe de départ de feu sur ces éléments pourtant très fortement carcinés, et enfin qu'aucun ouvrage ENEDIS n'a été retrouvé.
En outre, il doute de la conclusion de l'expert judiciaire sur la surtension, estimant que les traces d'échauffement sont davantage consécutives aux élévations d'intensité et non de tension. Il considère que ce n'est pas cette analyse qu'il faut retenir de l'expertise judiciaire mais plutôt le fait que l'expert ne fait que des suppositions. Il conclut que le point de départ de l'incendie n'est pas démontré et que la responsabilité d'ENEDIS ne semble donc pas pouvoir être retenue.
Ainsi, il est constant que le feu a pris naissance dans le placard contenant des ouvrages appartenant à EDF/ENEDIS (notamment compteur et disjoncteur) et le tableau de protection électrique appartenant à M. et Mme B., et que l'incendie est d'origine électrique. Les deux experts amiables ont examiné les vestiges du tableau de protection et n'ont repéré aucun signe de départ de feu, ce qui permet d'exclure que cette installation privative soit à l'origine de l'incendie, comme l'a relevé le cabinet EUREXO, avec certes beaucoup de prudence au vu du peu d'éléments dont il disposait.
S'agissant des impacts thermiques sur le mur, si le cabinet POLYEXPERT n'a pu faire de constatations utiles, le cabinet EUREXO, intervenu immédiatement après le sinistre et avant nettoyage et décontamination, a pu constater un fort impact thermique au droit des installations EDF et vraisemblablement du disjoncteur. L'expert judiciaire en déduit logiquement que le sinistre a été plus marquant sur le disjoncteur, probable endroit de départ de l'incendie.
En outre, l'examen des câblages restants par l'expert judiciaire fait apparaître des amorçages très marqués tant en amont qu'en aval, ce qui est un signe de surtension. Dans ses premières conclusions, il indique qu'au vu des circonstances, la cause du sinistre est un phénomène brutal probablement de type surcharge électrique.
Pour contredire M. C., le cabinet POLYEXPERT, qui n'est pas impartial, indique en premier lieu que les traces d'échauffement sont davantage consécutives aux élévations d'intensité et non de tension, ce que laisse effectivement entendre la notion de surcharge électrique.
Toutefois, il n'existe aucun élément - dans aucune des trois expertises - permettant de supposer que la cause du sinistre serait une surintensité, étant rappelé que l'incendie a pris naissance de façon certaine dans le placard technique et non sur un appareil électrique de l'habitation.
En outre, le fait qu'il existe des traces d'échauffement consécutives à une élévation d'intensité n'est pas de nature à exclure une surtension, puisqu'une augmentation brutale de la tension entraîne nécessairement une élévation de l'intensité, ce qui se manifeste par un dégagement brutal de chaleur. Il y a donc bien lieu de retenir que c'est une surtension, et non pas seulement une simple surcharge électrique, qui est cause de l'incendie.
En second lieu, la société ENEDIS et son expert se prévalent du fait que l'expert judiciaire ne fait que des suppositions. Sans pouvoir examiner les vestiges du compteur, du disjoncteur, du tableau de protection privatif, ni les fusibles retirés, les experts ne peuvent émettre que des hypothèses et déterminer l'hypothèse la plus plausible. Il convient de rappeler à ce titre que la société ENEDIS est responsable de la disparition des fusibles, lesquels n'ont pas été conservés lorsqu'ils ont retiré et emporté lors du sinistre. Il peut être souligné que les agents d'ENEDIS qui affirment n'avoir emporté que les fusibles ne donnent aucune indication sur l'état de ces fusibles, alors que l'un d'entre eux a pris la peine de préciser que « tout était complètement brûlé, en cendres (tableau Erdf + tableau client installation intérieure) ».
En outre, il n'a pas été possible de déterminer qui est à l'origine de la disparition de ces appareillages brûlés, mais cette affirmation de l'agent d'ENEDIS, qui confirme sa présence à l'intérieur de l'habitation, empêche d'exclure formellement la responsabilité d'ENEDIS à ce titre.
Dès lors, c'est à juste titre que le tribunal a jugé que la société ENEDIS avait au moins partiellement fait échec au bon déroulement de l'expertise, de sorte qu'elle n'est pas fondée à reprocher à l'expert de ne pouvoir faire que des suppositions.
Par ailleurs, c'est en vain que la société ENEDIS fait valoir que l'expert n'a pas recherché d'autres hypothèses que celle d'une surtension, que la cause la plus fréquente est une défaillance d'un matériel de l'installation intérieure, hypothèse non examinée par l'expert judiciaire, et qu'en tout état de cause l'hypothèse d'une surtension n'exclut pas une défectuosité de l'installation intérieure.
En effet, il ne s'agit pas de déterminer la cause du sinistre litigieux en fonction des statistiques mais en fonction des éléments propres à l'espèce. En outre, la défectuosité de l'installation électrique de la maison et la défaillance d'un matériel électrique (notamment les convecteurs) sont justement des hypothèses envisagées par l'expert et non retenues.
De même, le fait que le cabinet EUREXO ait indiqué qu'un échauffement consécutif à un desserrement de connexion (privatif) est une cause habituellement rencontrée dans ce type de sinistre ne permet pas de retenir que ce soit le cas en l'espèce, étant précisé que l'expert amiable lui-même n'en tire aucune conclusion pour l'incendie litigieux.
Il résulte de l'ensemble de ces éléments que l'hypothèse la plus vraisemblable est un départ de feu au niveau du disjoncteur appartenant à la société ENEDIS en raison d'une surtension.
Une surtension sur le réseau de distribution d'électricité est un défaut de sécurité de l'électricité, produit fini distribué par la société ENEDIS, qui régule la tension sur le réseau. Ainsi, il existe en l'espèce des présomptions graves, précises et concordantes établissant le caractère défectueux de l'électricité et du lien de causalité avec les dommages causés à la famille B., de sorte que la responsabilité de la société ENEDIS est engagée sur le fondement des articles 1245 et suivants du code civil.
Par conséquent, il convient de confirmer le jugement en toutes ses dispositions, étant précisé que l'indemnisation allouée par le tribunal n'est pas discutée devant la cour.
Sur les demandes accessoires
Au vu de la présente décision, il convient de condamner la SA ENEDIS aux entiers dépens de la procédure d'appel, avec distraction au profit de l'avocat des intimés, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
En outre, l'équité commande de faire application de l'article 700 du code de procédure civile et de condamner la société ENEDIS à payer à M. et Mme B. la somme de 3 000 euros au titre de leurs frais irrépétibles d'appel.
PAR CES MOTIFS,
La Cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire, rendu par mise à disposition au greffe,
CONFIRME en toutes ses dispositions le jugement rendu le 3 mai 2019 par le tribunal de grande instance de Reims,
Y ajoutant,
CONDAMNE la SA ENEDIS à payer à M. Olivier B. et Mme Christelle G. épouse B. la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
CONDAMNE la SA ENEDIS aux dépens d'appel, avec distraction au profit de Me Charles Louis R., avocat membre de la SCP-R.-C., conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.