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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 14 janvier 2021, n° 18/04763

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Compagnie d'Affrètement et de Transport (SAS), CAT LC France (SAS)

Défendeur :

Selarl MJ Synergie (ès qual.), CD Rapide (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Prigent

Conseillers :

Mme Soudry, Mme Lignières

T. com. Lyon, du 26 févr. 2018

26 février 2018

RAPPEL DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE

La société CD Rapide est une société de transport routier de marchandises.

La société Compagnie d'Affrètement et de Transport (CAT) exerce les activités de transport routier de marchandises, location de véhicules pour le transport routier de marchandises avec conducteur et commissionnaire de transport.

La société CAT LC France a pour activité l'enlèvement, la manutention, la préparation, le transport et la livraison de matériels, marchandises, commissionnaire de transport. Le 30 juin 2004, elle a reçu de la société CAT un apport partiel d'activité portant sur l'activité de fourniture de prestation de transport, de stockage et de commission de transport de pièces détachées pour véhicules, appelée activité « Logistique Cargo ».

Le 27 juillet 1989, la société CD Rapide a conclu avec la société Transport Entreposage Distribution (TED), appartenant au groupe CAT, un contrat de location avec chauffeur prenant effet le 2 octobre 1989 pour la desserte quotidienne de ses centres en pièces détachées sur un axe Paris/Marseille.

Le 2 janvier 1990, la société CD Rapide a conclu avec la société Transport Entreposage Distribution (TED) un contrat de location de véhicule avec chauffeur pour une durée d'un an concernant le même axe.

Le 10 décembre 1990, à la suite de la fusion de la société TED avec la société CAT, le contrat du 2 janvier 1990 a été modifié pour substituer la société CAT à la société TED.

De nouveaux contrats de location ont été conclus chaque année portant sur plusieurs véhicules ; les derniers contrats datant du 22 décembre 1997 avec effet du 2 janvier 1998 jusqu'au 2 janvier 1999.

Par la suite, la société CAT puis la société CAT LC France ont adressé à la société CD Rapide des « confirmations d'affrètement régulier ».

Par courriel du 3 juillet 2014, la société CAT LC France a informé la société CD Rapide de la mise en place d'une procédure d'appel d'offres pour l'ensemble de ses lignes régulières : trafics « urgents » et « stock ».

Il était précisé que la prise de connaissance de cet appel d'offres constituait le point de départ du délai de préavis de résiliation concernant les prestations de transport se rapportant aux lignes régulières (trafics « urgents » et « stocks ») visées dans cet appel d'offres.

Par courriel du 10 octobre 2014, la société CAT LC France a indiqué à la société CD Rapide que son offre n'avait pas été retenue. Elle lui a également rappelé que le préavis avait couru depuis le 1er juillet 2014 et que les relations d'affaires prendraient fin le 17 octobre 2014.

Par courrier du 13 octobre 2014, la société CAT LC France a informé la société CD Rapide de la résiliation des prestations de transport sur les 9 lignes qu'elle assurait et visées dans l'appel d'offre et ce, à compter du 17 octobre 2014.

Par jugement du 19 novembre 2014, le tribunal de commerce de Saint-Etienne a ouvert une procédure de liquidation judiciaire à l'égard de la société CD Rapide et désigné la société MJ Synergie, en la personne de Me Fabrice C., en qualité de liquidateur.

S'estimant victime d'une rupture brutale de relations commerciales établies, la société MJ Synergie, en qualité de liquidateur de la société CD Rapide, a fait assigner, par actes des 22 septembre 2015 et 18 juillet 2016, les sociétés CAT et CAT LC France devant le tribunal de commerce de Lyon aux fins d'obtenir une indemnisation du préjudice causé par la rupture.

Par jugement du 26 février 2018, le tribunal de commerce de Lyon a :

Dit recevable mais mal fondée l'exception d'incompétence soulevée par les sociétés CAT et CAT LC France ;

S'est déclaré compétent pour connaître au fond de l'affaire ;

Ordonné la jonction des affaires enrôlées sous les n° 2015J01896 et 2016J01213 ;

Déclaré les sociétés CAT et CAT LC France solidairement responsables de la rupture des relations commerciales établies et des préjudices subis par la société CD Rapide ;

Condamné solidairement les sociétés CAT et CAT LC France à payer la somme de 250 000 euros à la société MJ Synergie en qualité de liquidateur judiciaire de la société CD Rapide au titre du préjudice lié aux investissements de la société CD Rapide ;

Condamné solidairement les sociétés CAT et CAT LC France au paiement de la somme de 435 638,80 euros à la société MJ Synergie en qualité de liquidateur de la société CD Rapide correspondant au passif de la société CD Rapide ;

Dit les parties mal fondées quant au surplus de leurs demandes fins et conclusions contraires et les en a déboutées respectivement ;

Ordonné l'exécution provisoire ;

Condamné solidairement les sociétés CAT et CAT LC France à verser la somme de 5 000 euros à la société MJ Synergie en qualité de liquidateur judiciaire de la société CD Rapide au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamné solidairement les sociétés CAT et CAT LC France aux entiers dépens de l'instance.

Par déclaration du 8 mars 2018, la société CAT et la société CAT LC France ont interjeté appel de ce jugement.

Prétentions et moyens des parties

Dans leurs dernières conclusions du 30 octobre 2018, la société CAT et la société CAT LC France, demandent à la cour de :

Vu les articles 32 et 122 du code de procédure civile,

Vu les articles L. 1432-1 et suivants du code des transports,

Vu le décret n° 2003-1295 du 26 décembre 2003 et le contrat-type applicable aux transports publics routiers de marchandises exécutés par des sous-traitants,

Vu les articles L. 442-6, I, 5° et D. 442-3 du code de commerce

Infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions (sauf en ce qu'il s'est reconnu compétent pour connaître du litige) ;

Et statuant à nouveau :

Irrecevabilité des demandes à l'encontre de la société CAT :

Dire et juger que la société CAT n'avait pas qualité à défendre à l'action de la SELARL MJ Synergie, ès qualités ;

Dire et juger en conséquence la SELARL MJ Synergie, ès qualités, irrecevable en ses demandes à l'encontre de la société CAT ;

Condamner la SELARL MJ Synergie à payer à la société CAT la somme de 20 000 euros pour procédure abusive et vexatoire ;

Rejet des demandes à l'encontre des sociétés CAT LC France (et CAT si, par extraordinaire, la Cour faisait droit aux demandes à l'encontre de cette dernière) :

Dire et juger que les sociétés CAT LC France et CD Rapide étaient liées par des contrats de transports publics de marchandises, soumis aux dispositions du contrat type applicable aux transports publics routiers de marchandises exécutés par des sous-traitants ;

Dire et juger que la société CD Rapide a bénéficié d'un délai de préavis conforme aux dispositions légales applicables ;

Dire et juger que ni la société CAT LC France, ni la société CAT n'a rompu brutalement ses relations commerciales avec la société CD Rapide ;

Débouter la SELARL MJ Synergie, ès qualités, de ses demandes, fins et conclusions à l'encontre des sociétés CAT LC France et CAT ;

Dire et juger que le séquestre se libérera des sommes entre les mains de CAT ou de CAT LC France, au seul vu d'une copie de l'arrêt à intervenir ;

A titre subsidiaire : sur l'absence de relations commerciales établies

Dire et juger que la société CD Rapide n'entretenait aucune relation commerciale établie avec la société CAT ou avec la société CAT LC France ;

Débouter la SELARL MJ Synergie, ès qualités, de ses demandes, fins et conclusions à l'encontre des sociétés CAT LC France et CAT ;

A titre plus subsidiaire : sur l'absence de préjudice

Dire et juger que la SELARL MJ Synergie, ès qualités, ne démontre pas l'existence ni la réalité du préjudice subi par la liquidation judiciaire ;

Débouter la SELARL MJ Synergie, ès qualités, de ses demandes, fins et conclusions à l'encontre des sociétés CAT LC France et CAT ;

En tout état de cause :

Condamner la SELARL MJ Synergie, ès qualités, à payer aux sociétés CAT et CAT LC France la somme de 25 000 euros chacune au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamner la SELARL MJ Synergie, ès qualités, aux entiers dépens dont distraction, pour ceux, la concernant, au profit de Me Patricia H. SELARL 2H AVOCATS et ce, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Dans ses dernières conclusions du 31 juillet 2018, la SELARL MJ Synergie ès qualités demande à la cour de :

Vu l'article L. 442-6-I-5 du code de commerce,

Vu l'article D. 442-3 du code de commerce,

Vu l'article L. 442-6-III alinéa 5 du code de commerce,

Confirmer le jugement entrepris et en conséquence,

Dire et juger que la loi LOTI n'a aucune vocation à s'appliquer aux relations contractuelles ayant existé entre les parties,

Dire et juger que les sociétés CAT et CAT LC France ont brutalement rompu les relations commerciales avec la société CD Rapide ;

Dire et juger que cette rupture brutale lui a causé un important préjudice l'ayant conduit à sa liquidation judiciaire pure et simple,

Dire et juger que l'indemnisation de ce préjudice doit être intégrale incluant tant le passif de la société CD Rapide que le préjudice lié aux coûts des investissements réalisés pour les sociétés CAT et CAT LC France ;

En conséquence :

Condamner solidairement les sociétés CAT et CAT LC France au paiement de la somme de 435 628,80 euros correspondant au passif de la société CD Rapide ;

Condamner solidairement les sociétés CAT et CAT LC France au paiement de la somme de 250 000 euros correspondant aux investissements que la société CD Rapide a réalisé pour le compte des appelants ;

Condamner solidairement les sociétés CAT et CAT LC France au paiement de la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ; outre l'indemnité prononcée à hauteur de 5 000 euros en première instance ;

Condamner solidairement les sociétés CAT et CAT LC France aux entiers dépens de l'instance ; distraits au profit de la SELARL BDL AVOCATS conformément à l'article 699 du code de procédure civile.

La Cour renvoie, pour un plus ample exposé des faits, prétentions et moyens des parties, à la décision déférée et aux écritures susvisées, en application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture a été prononcée le 3 septembre 2020.

MOTIFS

Sur la recevabilité des demandes à l'encontre de la société CAT

La SELARL MJ Synergie ès qualités soutient avoir intérêt à agir à la fois à l'encontre de la société CAT et de la société CAT LC France en affirmant que ces sociétés ont entretenu une confusion entre elles tout au long de la relation avec la société CD Rapide.

La société CAT dénie quant à elle toute confusion. Elle explique que si à l'origine, elle a noué des relations contractuelles avec la société CD Rapide, elle n'a plus entretenu de relations avec elle depuis le transfert de son activité « logistique cargo » à la société CAT LC France en 2004, date à laquelle les contrats la liant à la société CD Rapide lui ont été transférés. Elle fait valoir qu'à compter du transfert de cette branche d'activité, l'ensemble des échanges (correspondances, factures, confirmations d'affrètement régulier, appels d'offres...) avec la société CD Rapide l'ont été avec la société CAT LC France y compris la décision de rupture des relations. Elle soutient que dans ces conditions, la société CD Rapide n'a pas pu se méprendre sur l'identité de son cocontractant.

Selon l'article 31 du code de procédure civile, l'action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d'une prétention. Par ailleurs, l'intérêt à agir n'est pas subordonné à la démonstration préalable du bien-fondé de l'action.

En l'espèce, il est établi que la société CD Rapide a entretenu des relations avec la société CAT. S'il est soutenu que cette relation a été transférée à la société CAT LC France lors du transfert partiel de l'activité « logistique cargo », il n'en demeure pas moins que la société CD Rapide se prévaut d'une apparence trompeuse créée par la société CAT postérieurement à ce transfert. La caractérisation de cette apparence trompeuse relève d'un examen au fond de sorte que la société CD Rapide a bien intérêt à agir à l'encontre de la société CAT.

Dans ces conditions, la fin de non-recevoir tirée du défaut d'intérêt à agir sera rejetée.

Sur le bien-fondé de l'action à l'encontre de la société CAT

Il ressort des pièces versées aux débats que la société CAT a procédé à un transfert partiel de son activité « logistique cargo » à la société CAT LC France et que ce transfert, sous le régime des scissions, a entraîné de plein droit transmission universelle de patrimoine relativement aux actifs et passifs de la branche d'activité cédée et notamment des contrats conclus ne présentant pas de caractère intuitu personae.

Or le contrat liant la société CAT à la société CD Rapide faisait bien partie de l'activité « logistique cargo » et il n'était pas conclu intuitu personae.

Ainsi à compter de la prise d'effet du transfert, soit le 30 juin 2004, le contrat liant la société CAT à la société CD Rapide a été transféré de plein droit à la société CAT LC France et la société CAT s'est trouvée libérée de ses obligations à l'égard de la société CD Rapide sauf à ce que cette dernière rapporte la preuve que la société CAT a créé une apparence trompeuse lui faisant croire qu'elle restait engagée à son égard.

Or contrairement à ce qu'ont jugé les premiers juges, une telle apparence ne saurait résulter des courriers rédigés par la société CD Rapide elle-même. En outre, les avis de virement allégués mentionnent bien que le client de la société CD Rapide est la société CAT LC France ainsi que son numéro de TVA intracommunautaire. De même, les préfacturations indiquent bien que la facture est à adresser à la société CAT LC France et le numéro de TVA intracommunautaire de cette société. Le fait que le service comptabilité soit commun aux sociétés du groupe CAT ou encore que les adresses électroniques mentionnent un nom de serveur commun au groupe CAT ne peut avoir créé une apparence trompeuse quant à l'identité du cocontractant de la société CD Rapide.

Par ailleurs, la relation nouée avec la société CD Rapide ayant été reprise par la société CAT LC France, aucun grief ne peut être formé à l'encontre de la société CAT pour ne pas avoir pris l'initiative de la rompre lors du transfert partiel d'activité.

En outre, il sera relevé qu'à compter de 2004, l'ensemble des correspondances et documents (factures, confirmation d'affrètement, conditions générales...) échangés l'ont été entre la société CAT LC France et la société CD Rapide de sorte que cette dernière n'a pu se méprendre sur l'identité de son cocontractant.

En conséquence, la SELARL MJ Synergie ès qualités sera déboutée de son action en responsabilité pour rupture brutale des relations commerciales à l'encontre de la société CAT.

Sur la demande de dommages et intérêts pour procédure abusive

En l'absence de démonstration d'un abus par la SELARL MJ Synergie ès qualités de son droit d'agir en justice, la demande de dommages et intérêts formée de ce chef par la société CAT sera rejetée.

Sur les demandes à l'encontre de la société CAT LC France

Sur la qualification du contrat

La SELARL MJ Synergie ès qualités prétend que la relation contractuelle nouée par la société CD Rapide avec les sociétés CAT consistait en des locations de véhicule avec chauffeurs et ce, nonobstant le changement de dénomination des contrats intitulés « confirmations d'affrètement ». Elle prétend que le contenu de la mission de la société CD Rapide est demeuré identique. Elle souligne que le prix était fixé en fonction des kilomètres parcourus et non au poids de la marchandise ou en fonction de sa nature. Elle ajoute que la société CAT LC France conservait la maîtrise des opérations et donnait directement des ordres aux chauffeurs. En tout état de cause, elle estime que la loi LOTI n'est applicable qu'en l'absence de contrat. Or elle prétend que les relations nouées entre la société CD Rapide et la société CAT LC France étaient régies par les conditions générales de cette dernière qui ne faisaient aucunement référence à la loi LOTI et qui prévoyaient un délai de préavis de trois mois en cas de résiliation à l'initiative de la société CAT LC France. Dans ces conditions, elle affirme que les dispositions relatives à la rupture brutale des relations commerciales sont applicables si le juge considère que le préavis contractuel est insuffisant.

La société CAT LC France réplique que le contrat la liant à la société CD Rapide doit être qualifié de contrat de transport de marchandise régi, en matière de préavis, par les dispositions de la loi LOTI en l'absence de disposition contractuelle. Elle soutient qu'en conséquence les dispositions de l'article L. 442-6 I 5 du code de commerce relatives à la rupture brutale des relations commerciales ne sont pas applicables.

Il appartient au transporteur qui invoque un contrat de location de rapporter la preuve de son existence.

Il convient de rappeler que les obligations découlant du contrat de transport sont distinctes de celles résultant d'un contrat de location.

En effet, le transporteur s'engage à livrer une marchandise à tel endroit, à telle personne, éventuellement à telle date, dans l'état où il l'a prise en charge. Il est tenu d'une obligation de résultat qui le rend de plein droit et a priori responsable des dommages ou pertes constatés à destination. Et il ne peut faire tomber cette présomption de responsabilité que lorsqu’il apporte la preuve formelle que le dommage provient d’un vice propre de la marchandise, d’un cas de force majeure ou d’une faute de l’expéditeur.

En revanche, le loueur s'engage uniquement à fournir les moyens pour réaliser le déplacement de la marchandise c'est-à-dire un véhicule en bon état et, en cas de location avec chauffeur, un conducteur compétent. En conséquence, celui-ci ne répondra que des dommages causés par un vice de son véhicule ou par les fautes de conduite de son conducteur ou par tout autre manquement à ses obligations et alors que la charge de la preuve est supportée par le locataire. Le locataire assume la maîtrise et la responsabilité des opérations de transport.

La distinction entre contrat de transport et location de véhicule repose donc sur le critère de la maîtrise des opérations de transport. Lorsque c’est le donneur d’ordre qui maîtrise cette opération (itinéraire, horaires...), il est en réalité locataire d’un véhicule avec conducteur. Il donne ses ordres au loueur qui est tenu de les exécuter. Lorsque, au contraire, la maîtrise du transport est conservée par celui qui déplace matériellement la marchandise, ce dernier est un véritable transporteur :

Selon l'article 6 du contrat type de location d'un véhicule industriel avec conducteur pour le transport routier de marchandises approuvé par décret n° 2002-566 du 17 avril 2002, les opérations qui manifestent cette maîtrise du transport par le locataire de véhicule sont celles par lesquelles ce dernier :

« 1. En détermine la nature et la quantité dans la limite de la charge utile du véhicule ;

2. Fixe les itinéraires, les points de chargement et de déchargement et les délais de livraison de ces marchandises ;

3. Etablit les documents d'accompagnement des marchandises ;

4. Assure le chargement, l'arrimage et le déchargement ;

5. Réalise les opérations requises par les spécificités des marchandises transportées ;

6. Est soumis à toutes les obligations relatives aux transports de marchandises qu'il effectue au moyen du véhicule loué. »

En l'espèce, il est établi qu'à compter de 2001, les contrats passés entre la société CD Rapide et la société CAT puis la société CAT LC France ont changé de dénomination. Alors qu'ils étaient clairement intitulés « contrat de location » et portaient sur des véhicules précis, ils ont pris la forme de « confirmations d'affrètement » signés par les deux parties.

Il convient de relever que l'affrètement n'est pas une notion juridique connue en matière de transport routier de sorte que cette qualification ne permet pas de déterminer la qualification du contrat ni de tirer une quelconque conséquence quant à la volonté des parties. En revanche, les « confirmations d'affrètement » versées aux débats ne comportent l'indication d'aucune individualisation du véhicule soi-disant mis à disposition de même que les factures émises par la société CD Rapide. Or le propre d'un contrat de location étant précisément la mise à disposition d'un bien nettement individualisé et défini moyennant rémunération, il ne peut y avoir contrat de location lorsque les documents contractuels ne comportent jamais une immatriculation ou identification quelconque du véhicule loué.

En outre, les « confirmations d'affrètement », signées par la société CD Rapide, comprennent un encart « Assurance, Réglementation ». Or en face du mot « Assurance », il est indiqué : « LOTI Contrat Type Général » et en face du mot « Réglementation », il est précisé : « Les instructions de ce fax doivent être suivies dans le strict respect de la réglementation sociale (temps de conduite et de repos...), de la réglementation routière (limitation de vitesse...) et de la réglementation du travail en ce qui concerne l'article L. 324-9. L'acceptation de ce contrat de transport implique l'engagement des moyens nécessaires à sa bonne exécution. » Ainsi, contrairement à ce que soutient la société CD Rapide, ces documents contractuels font clairement référence à la loi LOTI et qualifient le contrat de « contrat de transport ».

Par ailleurs, la société CD Rapide a signé le 25 décembre 2011 les conditions générales d'achat de prestations de transport et de prestations de services logistiques de la société CAT LC France qui prévoient en leur article 2 que : « Lorsque X réalise des opérations de transport, les moyens de transport seront exploités sous le régime du transport public et X en assumera l'exploitation en tant que Voiturier. Il est expressément convenu que ces véhicules ne font pas et ne sauraient être considérés comme l'objet d'une location de mise à disposition de chauffeur. » Ainsi ces conditions générales excluent expressément toute qualification de contrat de location de mise à disposition de chauffeur pour les prestations de transport effectuées.

La société CAT LC France produit encore des lettres de voiture émises par la société CD Rapide dans lesquelles elle apparaît comme voiturier, ce qui démontre que le contrat liant les deux sociétés est un contrat de transport et non un contrat de location avec chauffeur.

Dans une lettre du 3 mai 2012 adressée à la société CAT LC France, le président de la société CD Rapide reconnaît que la nature du contrat a changé et l'existence d'un contrat de transport en indiquant que : « Je suis surpris de constater l'appel d'offres que vous m'avez fait parvenir relativement à mon activité de transport. En effet, je vous rappelle que je suis votre affrété depuis 22 années, précédemment lié par un contrat de location avec chauffeur exclusif. »

Il sera enfin relevé que les éléments invoqués par la SELARL MJ Synergie ès qualités ne démontrent pas que la société CAT LC France avait la maîtrise des opérations de transport. En effet, les protocoles de sécurité clients transmis par la société CAT LC France à la société CD Rapide ont été édictés par les sociétés automobiles clientes pour faire respecter certaines règles au sein de leurs sites lors des opérations de chargement et déchargement et n'emportent aucune conséquence sur la qualification du contrat litigieux. Les instructions données par la société CAT aux chauffeurs de la société CD Rapide en 1990, à une époque où la qualification de contrat de location avec chauffeur n'est pas discutée, ne peuvent permettre de qualifier les relations contractuelles postérieures. En outre, l'attestation signée par les chauffeurs, employés par la société CD Rapide, ne fait état d'aucun fait circonstancié de sorte qu'elle ne présente aucun caractère probant. La facturation au forfait des prestations accomplies par la société CD Rapide ne revêt aucun caractère déterminant quant à la qualification du contrat. Il sera encore relevé que les préfactures adressées par la société CAT LC France ne font que reprendre les prévisions contractuelles, laissent une possibilité de correction à la société CD Rapide et sont uniquement destinées à faciliter le traitement des factures sans emporter de conséquences sur la qualification du contrat. Enfin contrairement à ce que soutient la SELARL MJ Synergie ès qualités, la société CAT ne déterminait pas l'achat des véhicules mais se contentait d'indiquer ses préférences en réponse à des sollicitations de sa cocontractante.

Il résulte de l'ensemble de ces éléments que contrairement à ce qu'ont décidé les premiers juges, le contrat conclu entre la société CAT LC France et la société CD Rapide doit être qualifié de contrat de transport et non de contrat de location avec chauffeur.

Sur l'application des dispositions de l'article L. 442-6 I 5 du code de commerce

Les dispositions de l'article L. 442-6, I, 5 du code de commerce ne s'appliquent pas dans le cadre des relations commerciales de transports publics routiers de marchandises exécutés par des sous-traitants, lorsque le contrat-type qui prévoit la durée des préavis de rupture, institué par la loi du 30 décembre 1982 d'orientation des transports intérieurs (LOTI), régit, faute de dispositions contractuelles, les rapports du sous-traitant et de l'opérateur de transport.

Ainsi l'application de l'article L. 442-6, I, 5 du code de commerce suppose à la fois l'absence de contrat-type prévoyant la durée d'un préavis de rupture et l'absence de dispositions contractuelles quant à un préavis de rupture.

En l'espèce, il résulte de ce qui précède que le contrat liant la société CD Rapide et la société CAT LC France est un contrat de transport soumis au contrat type annexé au décret n° 2003-1295 du 26 décembre 2003 en l'absence de disposition contractuelle prévoyant un préavis et ce, compte tenu du caractère supplétif du contrat-type.

Par ailleurs, si les conditions générales de la société CAT LC France prévoient bien, à l'article 23, un préavis de trois mois en cas de résiliation à l'initiative de la société CAT LC France, ces dispositions ne sont applicables qu'en cas de survenance d'un événement indépendant de la volonté de CAT LC France énuméré limitativement, soit en cas de « fermeture d'un site de chargement ou de déchargement, fermeture d'un site de production d'un client de CAT LC France, modification des affectations de production ou de stockage des marchandises par un client de CAT LC France, perte d'un client de CAT France, contraintes d'exploitation imposant à CAT LC France la modification des schémas logistiques, baisse significative du volume d'activité. »

Force est de constater que la société CAT LC France a résilié le contrat à la suite d'un appel d'offres et non dans les cas limitativement énumérés pour lesquels ses conditions générales prévoyaient le respect d'un préavis de trois mois. Dans ces conditions, en l'absence de préavis contractuel, les dispositions du contrat-type doivent recevoir application et excluent l'application des dispositions de l'article L. 442-6, I, 5 du code de commerce.

Dès lors, la société CD Rapide ne peut prétendre à l'engagement de la responsabilité de la société CAT LC France sur ce fondement et ses demandes d'indemnisation sur ce point seront écartées. Le jugement entrepris sera infirmé de ces chefs.

Sur la restitution des sommes séquestrées

Il convient dès lors d'ordonner la remise aux sociétés CAT et CAT LC des sommes séquestrées en exécution du jugement infirmé.

Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile

La SELARL MJ Synergie ès qualités succombe à l'instance. Les dispositions du jugement relatives aux dépens et aux frais irrépétibles seront infirmées. Elle sera condamnée à supporter les dépens de première instance et les dépens d'appel. Ces derniers pourront être recouvrés selon les modalités de l'article 699 du code de procédure civile. Il apparaît inéquitable de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile à l'encontre de la SELARL MJ Synergie ès qualités. Les demandes de ce chef seront rejetées.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Infirme le jugement entrepris ;

Statuant à nouveau,

Rejette la fin de non-recevoir soulevée par la société CAT tirée du défaut d'intérêt à agir de la SELARL MJ Synergie ès qualités ;

Déboute la SELARL MJ Synergie ès qualités de son action en responsabilité pour rupture brutale des relations commerciales à l'encontre de la société CAT et de ses demandes de dommages et intérêts subséquentes ;

Déboute la société CAT de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive à l'encontre de la SELARL MJ Synergie ès qualités ;

Déboute la SELARL MJ Synergie ès qualités de son action en responsabilité pour rupture brutale des relations commerciales à l'encontre de la société CAT LC et de ses demandes de dommages et intérêts subséquentes ;

Ordonne la remise aux sociétés CAT et CAT LC des sommes séquestrées en exécution du jugement déféré ;

Déboute les parties de leurs demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne la SELARL MJ Synergie ès qualités aux dépens de première instance et d'appel ;

Dit que les dépens de l'instance d'appel pourront être recouvrés selon les modalités de l'article 699 du code de procédure civile.