CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 13 janvier 2021, n° 18/27825
PARIS
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
Aupa (SAS)
Défendeur :
Continental Link Composite PTE Ltd (Sté), Cobra International Co Ltd (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Dallery
Conseillers :
M. Gilles, Mme Depelley
Avocats :
Me Boccon Gibod, Me Havet, Me Weil, Me Baali, Me Baechlin, Me Paetzold, Me Mee
FAITS ET PROCEDURE
La société Aupa commercialise sous l'enseigne Hoff des articles de sport de glisse dont les produits de la marque NSP fabriqués par la société Cobra International Co. Ltd. (ci-après "société Cobra").
La société Aupa a commercialisé les produits NSP depuis 2002 en France et en Espagne et depuis 2014 au Portugal. De 2002 à 2012, la société Aupa s'est approvisionnée directement auprès de la société Cobra International.
En 2013, la société Cobra International a confié à la société Continental Link Composite PTE Ltd (ci-après "société CLC") la distribution exclusive des produits NSP dans le monde entier.
Le 3 novembre 2015, la société CLC a informé la société Aupa qu'elle mettait un terme à leurs relations commerciales pour la distribution des produits NSP au Portugal avec effet à la fin du mois de novembre 2015. Par deux courriels des 19 août et 2 septembre 2016, la société CLC a mis un terme aux relations avec la société Aupa pour la commercialisation des produits NSP pour l'Espagne avec effet immédiat et pour la France avec un préavis de 60 jours.
Par acte du 1er février 2016, la société Aupa a assigné les sociétés Cobra et CLC devant le tribunal de commerce de Bordeaux pour obtenir la réparation de divers préjudices fondés sur la rupture brutale des relations commerciales. La société CLC a fait des demandes reconventionnelles en réparation du préjudice subi en raison de manquements de la société Aupa à ses obligations contractuelles.
Par jugement du 23 novembre 2018, le tribunal de commerce de Bordeaux a :
- condamné solidairement la société Continental Link Composite PTE LTD SARL et la société Cobra International CO. LTD SARL à verser à la société Aupa SAS la somme de 140 600,66 euros à titre d'indemnité pour rupture brutale des relations commerciales,
- débouté la société Aupa SAS de sa demande d'indemnisation de son préjudice lié à la perte de marge brute sur le chiffre d'affaires des ventes annulées,
- débouté la société Aupa SAS de demande d'indemnisation de son préjudice lié au coût des investissements de 2016 pour la marque NSP,
- condamné solidairement la société Continental Link Composite PTE LTD SARL et la société Cobra International CO. LTD SARL à payer la somme de 1,00 euros (un euro) à titre d'indemnité pour perte d'image,
- débouté la société Aupa SAS de sa demande d'indemnité pour la perte de marge brute sur les commandes annulées,
- débouté la société Continental Link Composite PTE LTD SARL du reste de ses demandes,
- débouté la société Cobra International CO. LTD SARL du reste de ses demandes,
- dit n'y avoir lieu à prononcer l'exécution provisoire,
- condamné solidairement la société Continental Link Composite PTE LTD SARL et la société Cobra International CO. LTD SARL à payer la somme de 6 000,00 euros à la société Aupa SAS au titre de l'article 700 code de procédure civile,
- condamné solidairement la société Continental Link Composite PTE LTD SARL et la société Cobra International CO. LTD SARL aux dépens.
Le 11 décembre 2018, la société Aupa a interjeté appel de ce jugement devant la cour d'appel de Paris, lequel a été enregistré sous le numéro RG 18/27825.
Le 6 mars 2019, la société Continental Link Composite PTE LTD SARL a également interjeté appel de ce jugement devant la cour d'appel de Paris, lequel a été enregistré sous le numéro RG 19/05082.
Par ordonnance du 2 avril 2019, les procédures inscrites au rôle sous les numéros RG 18/27825 et RG 19/05082 sont jointes et se poursuivent sous le numéro RG 18/27825.
Vu les dernières conclusions de la société Aupa, notifiées et déposées le 2 novembre 2020, par lesquelles il est demandé à la Cour, au visa des articles L. 442-6 I 5° du code de commerce et 1134 du code civil, de :
Infirmer le jugement du tribunal de commerce de Bordeaux du 23 novembre 2018 en ce qu'il a :
- limité la condamnation solidaire de la société Continental Link Composite PTE LTD SARL et la société Cobra International CO. LTD SARL à verser à la société AUPA SAS la somme de 140 600,66 à titre d'indemnité pour rupture brutale des relations commerciales ;
- débouté la société AUPA SAS de sa demande d'indemnisation de son préjudice lié à la perte de marge brute sur le chiffre d'affaires des ventes annulées ;
- débouté la société AUPA SAS de sa demande d'indemnisation de son préjudice lié au coût des investissements de 2016 pour la marque NSP
- limité la condamnation solidaire de la société Continental Link Composite PTE LTD SARL et la société Cobra International CO. LTD SARL à payer la somme de 1,00 à titre d'indemnité pour perte d'image ;
- débouté la société AUPA SAS de sa demande d'indemnité pour la perte de marge brute sur les commandes annulées ;
- limité la condamnation solidaire de la société Continental Link Composite PTE LTD SARL et la société Cobra International CO. LTD SARL à payer la somme de 6 000,00 à la société AUPA SAS au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
Recevoir la société Aupa en son action et l'en dire bien fondé ;
Constater que la société Aupa entretenait des relations commerciales établies avec les sociétés Continental Link Composite PTE Ltd et Cobra International Co. Ltd depuis quatorze années ;
Dire et juger que les sociétés Continental Link Composite PTE Ltd et Cobra International Co. Ltd ont rompu brutalement ses relations commerciales avec la société Aupa ;
Dire et juger que la société Continental Link Composite PTE LTD SARL et la société Cobra International CO. LTD SARL auraient dû respecter un préavis de dix-huit mois ;
Condamner solidairement la société Continental Link Composite PTE LTD SARL et la société Cobra International CO. LTD SARL à payer à la société AUPA SAS la somme de 551 301,91 en réparation du préjudice économique subi du fait de la brutalité de la rupture de leurs relations commerciales ;
Condamner solidairement la société Continental Link Composite PTE LTD SARL et la société Cobra International CO. LTD SARL à payer à la société AUPA SAS la somme de 30 000,00 en réparation du préjudice d'image subi du fait de la brutalité de la rupture de leurs relations commerciales ;
Constater que la société Continental Link Composite PTE LTD SARL et la société Cobra International CO. LTD SARL ont livré à la société AUPA SAS les commandes de produits de 2012 à 2016 avec des retards systématiques, ce qui a entrainé l'annulation des commandes des clients de la société AUPA SAS ;
Condamner en conséquence solidairement la société Continental Link Composite PTE LTD SARL et la société Cobra International CO. LTD SARL à payer à la société AUPA SAS la somme de 221 861,75 correspondant à la perte de marge sur les commandes annulées par ses clients de 2012 à 2016 en raison des retards de livraison des produits NSP.
Et, en tout état de cause :
Rejeter l'ensemble des demandes, fins et prétentions de Continental Link Composite PTE Ltd.
Confirmer le jugement du Tribunal de commerce de Bordeaux du 23 novembre 2018 en ce qu'il a débouté la société Continental Link Composite PTE LTD SARL et la société Cobra International CO. LTD SARL de l'ensemble de leurs demandes.
Condamner la société Continental Link Composite PTE LTD SARL et la société Cobra International CO. LTD SARL à payer solidairement à la société AUPA SAS la somme de 30 000,00 au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile, ainsi qu'aux entiers dépens ;
Vu les dernières conclusions de la société Continental Link Composite PTE LTD, notifiées et déposées le 21 octobre 2020, par lesquelles il est demandé à la Cour, au visa des articles L. 442-6 du Code de commerce et 1147 du code civil dans sa version antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016, de :
Infirmer le jugement du Tribunal de commerce de Bordeaux du 23 novembre 2018 en ce qu'il a :
- condamné solidairement la société Continental Link Composite PTE LTD SARL et la société Cobra International CO. LTD SARL à verser à la société AUPA SAS la somme de 140 600,66 à titre d'indemnités pour rupture brutale des relations commerciales ;
- condamné solidairement la société Continental Link Composite PTE LTD SARL et la société Cobra International CO. LTD SARL à payer la somme d’un euro à titre d'indemnité pour perte d'image ;
- débouté la société Continental Link Composite PTE LTD SARL de l'ensemble ses demandes.
- condamné solidairement la société Continental Link Composite PTE LTD SARL et la société Cobra International CO. LTD SARL à payer la somme de 6 000 à la société AUPA SAS au titre de l'article 700 du CPC ;
- condamné solidairement la société Continental Link Composite PTE LTD SARL et la société Cobra International CO. LTD SARL aux dépens.
Statuant à nouveau :
Dire et juger que la durée de la relation entre les sociétés la société Continental Link Composite PTE LTD et AUPA est de trois ans et huit mois (de janvier 2013 à septembre 2016),
Dire et juger que la société la société Continental Link Composite PTE LTD n'a commis aucune faute dans l'exécution de ses obligations contractuelles à l'égard de la société AUPA,
Dire et juger que la rupture des relations commerciales entre les sociétés la société Continental Link Composite PTE LTD et AUPA est imputable aux divers manquements de la société AUPA,
Dire et juger que la rupture par la société la société Continental Link Composite PTE LTD de ses relations commerciales avec la société AUPA n'était pas brutale,
En conséquence :
Débouter la société AUPA de l'intégralité de ses demandes à l'égard de la société Continental Link Composite PTE LTD,
A titre subsidiaire, si, par extraordinaire, la Cour caractérisait la rupture brutale :
Dire et juger que la relation entre la société CLC et la société HOFF était de trois ans et six mois,
Dire et juger que la société CLC a accordé un délai de préavis de deux mois à la société HOFF, Prendre en considération ces deux faits dans la détermination du préavis suffisant.
Recevoir la société Continental Link Composite PTE LTD en son appel incident et y faisant droit :
Déclarer la société la société Continental Link Composite PTE LTD recevable et bien fondée en ses demandes reconventionnelles à l'encontre de la société AUPA,
Condamner la société AUPA à payer à la société la société Continental Link Composite PTE LTD la somme de 803 710,81 Euros en réparation du préjudice subi en raison des manquements de la société AUPA à ses obligations contractuelles,
Autoriser la publication, par extraits du dispositif, du jugement à intervenir dans 3 journaux ou magazines spécialisés au choix de la société Continental Link Composite PTE LTD et aux frais de la société AUPA, sans que le coût global de ces publications excède la somme totale de 30 000 Euros hors taxes,
Ordonner la publication du dispositif de la décision à intervenir, dans un délai de 30 jours suivant le prononcé du jugement et pendant un délai de 180 jours, sur la page d'accueil du site internet référencé « www.hoff.fr », dans une police de caractère lisible, et ce sous astreinte de 1 000 Euros par jour de retard passé,
En tout état de cause :
Confirmer le jugement du Tribunal de commerce de Bordeaux du 23 novembre 2018 en ce qu'il a :
- débouté la société AUPA de sa demande d'indemnisation de son préjudice lié à la perte de marge brute sur le chiffre d'affaires des ventes annulées ;
- débouté la société AUPA de sa demande d'indemnisation de son préjudice lié au coût d'investissements de 2016 pour la marque NSP ;
- débouté la société AUPA de sa demande d'indemnité pour la perte de marge brute sur les commandes annulées
Condamner la société AUPA à payer les entiers dépens en application et dans les conditions de l'article 699 du Code de procédure civile,
Condamner la société AUPA à payer à la société Continental Link Composite PTE LTD LTD la somme de 30.000 Euros en application et dans les conditions de l'article 700 du Code de procédure civile.
Vu les dernières conclusions de la société Cobra International CO. LTD, notifiées et déposées le 13 février 2020, par lesquelles il est demandé à la Cour de :
Vu l'article 9 du Code de procédure civile ;
Vu les articles 2 et 1216-1 du Code civil ;
Vu l'article 442-6 du Code de commerce ;
Vu l'article 700 du Code de procédure civile ;
Vu les pièces et jurisprudences produites aux débats ;
Il est demandé à la Cour :
- d'infirmer le jugement du tribunal de commerce de Bordeaux en toutes ses dispositions ;
- constater l'absence de relation commerciales établies entre les sociétés HOFF et COBRA depuis 2012 ;
- constater que les relations commerciales entre les sociétés HOFF et COBRA ne se sont pas rompues brutalement ;
- constater que COBRA n'est pas l'auteur de la rupture ;
- débouter la société HOFF de l'ensemble de ses demandes et prétentions à l'encontre de la société COBRA ;
- condamner la société HOFF au paiement de la somme de 25 000 au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
- condamner la société HOFF au paiement des entiers dépens.
La cour renvoie à la décision entreprise et aux conclusions susvisées pour un exposé détaillé du litige et des prétentions des parties, conformément à l'article 455 du code de procédure civile.
SUR CE, LA COUR
Sur la demande de la société CLC en réparation d'un préjudice fondé sur des manquements contractuels de la société Aupa et de publicité
La société CLC invoque des manquements de la société Aupa à ses engagements contractuels. Elle soulève en premier lieu des retards de paiement systématiques qui ont considérablement perturbé le flux de sa trésorerie. Ensuite, elle reproche à la société Aupa des volumes anormalement faibles de ventes de produits NSP notamment en France, premier marché de surf en Europe et deuxième au monde, et d'avoir mené la marque NSP à un échec commercial. Elle soutient qu'en réalité pendant toute la relation commerciale, la société Aupa de manière déloyale a neutralisé les ventes NSP par des faibles commandes de produits de cette marque et l'application de prix prohibitifs pour diriger les clients qui cherchaient à acquérir des planches NSP vers d'autres marques dont elle a dissimulé être actionnaire.
La société CLC soutient que la vente des produits NSP par la société Aupa a chuté de manière vertigineuse à partir de 2012 alors que le marché du surf était incontestablement en bonne santé. Elle prétend que pendant toute la durée de la relation commerciale, elle a subi un manque à gagner qui s'étend au-delà de la rupture puisqu'elle doit développer de nouveaux réseaux de distribution supposant du temps et des investissements. Elle soutient pouvoir légitimement prétendre à ce que le nombre de planches commandées de 2013 à 2017 soit au moins égal au nombre de planches NSP commandées par la société Aupa en 2011, soit un préjudice évalué à 803 710,81 euros.
La société Aupa réplique que dans le cadre de la relation commerciale avec la société CLC, il n'existait aucun engagement minimum de volume et qu'elle était libre dans la pratique de ses prix. Elle n'avait pas non plus d'engagement d'exclusivité et que la société CLC avait connaissance de son modèle commercial distributeur multi-marques. Elle explique la baisse des commandes des produits NSP en raison des difficultés récurrentes de délais de livraison, des défectuosités et d'une hausse importante des prix entre 2012 et 2016, et ce malgré son investissement dans la promotion de la marque NSP.
Sur les retards de paiements, la société Aupa soutient que compte tenu de l'ancienneté des relations commerciales existantes, si le paiement tardif des factures avait été un réel grief pour les sociétés CLC et Cobra, une demande formelle en ce sens aurait été faite voire une mise en demeure pour remédier à ce manquement et non quelques courriels informels.
Cela étant exposé, s'il n'est pas contesté que depuis 2012, le volume de commandes de la société Aupa en produits NSP a sensiblement baissé, les pièces versées aux débats par chacune des parties permettent d'établir tout au plus une dégradation de la relation commerciale entre les parties.
D'abord, il est constant que la relation commerciale entre les sociétés CLC et Aupa n'était encadrée par aucun contrat écrit et que la société Aupa ne s'est engagée sur aucun minimum de volume de commande ni sur une exclusivité de la vente de produits de la marque NSP. Ensuite, la société Aupa explique la baisse de commande par le constat d'une hausse importante des prix des planches NSP (pièces 37, 17 et 18) et des problèmes de délais de livraisons (pièce n° 3) qui ne sont pas utilement contestés par la société CLC. De son côté, la société CLC produit plusieurs échanges de courriels entre les parties (notamment pièces n° 3,4, 5, 6,16) attestant de ses difficultés tout au long de la relation commerciale à obtenir de la part de la société Aupa des prévisions de vente et un programme concret de développement de la marque. Toutefois, la société CLC n'apporte aucun élément tangible sur une déloyauté dans les pratiques commerciales de la société Aupa. Les échanges de courriels précités entre les parties, les déboires de deux clients espagnols pour trouver une planche ou housse NSP (pièce 7 et 8), les résultats des distributeurs qui lui ont succédé (pièce n° 27) des considérations d'ordre général sur la bonne santé du marché du surf en particulier en France (pièces 20 à 22) ou la mise en avant de marques concurrentes dans la presse spécialisée (pièces n° 23 et 24), sont insuffisants pour étayer les accusations de la société CLC à l'égard de la société Aupa d'une véritable stratégie commerciale déloyale consistant à neutraliser la marque NSP par des marges de revente excessives pour réorienter la clientèle de celle-ci vers ses propres marques. Enfin les retards de paiement invoqués par la société CLC sont sans lien avec le préjudice allégué.
Autrement dit, il ressort de l'ensemble de ces éléments une dégradation de la relation commerciale entre les parties depuis 2013, mais la société CLC échoue à établir une faute contractuelle caractérisée de la part de la société Aupa à l'origine de son préjudice allégué d'un manque à gagner sur la période de 2012 à 2016.
En conséquence, le jugement sera confirmé en ce qu'il a débouté la société CLC de ses demandes en paiement et de publicités à ce titre.
Sur les demandes de la société Aupa en réparation de préjudices fondés sur une rupture brutale des relations commerciales
La société Aupa fait d'abord valoir que les relations commerciales qu'elle a entretenues avec la société Cobra et la société CLC étaient suivies, stables et habituelles depuis respectivement quatorze ans et quatre ans et revêtaient ainsi le caractère 'établi' au sens de l'article L. 442-5, I, 5° du code de commerce. Concernant les relations avec la société Cobra International, la société Aupa affirme que leurs relations n'ont pas cessées en 2012, la société CLC y étant seulement adjointe. La société appelante soutient ensuite que le préavis d'une durée de 2 mois qui lui a été accordé par les sociétés Cobra et CLC était insuffisant au regard de l'ancienneté et de l'intensité de leurs relations commerciales et du temps nécessaire pour trouver des solutions de substitution et aurait dû être de 18 mois. Elle ajoute que le préavis de 2 mois n'a pas été effectif. Elle estime enfin que le retard dans le paiement des factures, le volume des achats, la marge pratiquée et l'exploitation de marques concurrentes ne constituent ni des fautes d'une gravité suffisante, ni des urgences particulières propres à justifier une rupture immédiate.
La société appelante sollicite en application de l'article L. 442-6, I 5°, la condamnation solidaire des sociétés Cobra et CLC à l'indemniser d'un préjudice économique à hauteur de 551 301,91 euros, se décomposant en 525 051,91 euros de perte de marge brute sur 18 mois de préavis en intégrant les pertes sur les commandes annulées outre la somme de 26 250 euros au titre des investissements liés à la promotion des produits NSP. Elle réclame en outre la somme de 30 000 euros pour la réparation de son préjudice d'image ayant été brutalement évincée du marché par une marque 'phare' dans le milieu du sport de glisse dont elle a assuré le développement et la notoriété pendant de nombreuses années.
La société Cobra soutient que ses relations avec la société Aupa ont pris fin en octobre 2012 et non en septembre 2016. Elle demande à la Cour d'infirmer le jugement en ce qu'il a considéré que leurs relations ne s'étaient pas interrompues à compter d'octobre 2012 en raison de l'absence de consentement de la société Aupa à la cession du contrat à la société CLC, alors qu'il est impossible qu'une cession de contrat ait lieu en l'absence de contrat à céder. Elle ajoute qu'elle n'est pas l'auteur de la rupture brutale invoquée par la société Aupa. Elle énonce qu'en ayant conclu un contrat de distribution avec la société CLC en octobre 2012 en prévenant la société Aupa qu'elle devait passer commande auprès de celle-là, ce qu'elle a fait, les relations commerciales avec la société Aupa ne se sont pas interrompues de manière brutale. Elle fait valoir qu'au regard de l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce seul l'auteur de la rupture engage sa responsabilité, or la société Aupa n'apporte pas la preuve qu'elle ait rompu leur relation en 2016, d'autant plus qu'elle a été rompue en 2012 sans que cette dernière ne s'en plaigne.
La société CLC fait observer que les relations commerciales qu'elle a entretenues avec la société Aupa ont duré trois ans et six mois, de mars 2013 à septembre 2016. Selon elle, elle n'a jamais manifesté à l'égard des sociétés Aupa et Cobra son intention de reprendre la relation qui les unissait. Elle soutient que le préavis de deux mois qu'elle lui a accordé était suffisant. Elle précise que la rupture était prévisible dès lors qu'elle a rompu les relations commerciales de manière graduelle et équilibrée et a fait part de ses inquiétudes à la société Aupa sur l'évolution de leurs relations en raison des baisses de commandes et des retards de paiement. Elle fait en outre valoir que divers manquements de la part de la société Aupa, à savoir des retards de paiements systématiques et un comportement déloyal dans la distribution des produits NSP, justifient une rupture des relations commerciales sans préavis.
L'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce dans sa version antérieure à l'ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019 applicable au litige, dispose qu'engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers, de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels.
- sur le caractère établi de la relation commerciale, sa durée et son imputabilité
Les parties ne contestent pas le caractère établi de leurs relations commerciales mais s'opposent sur leur durée.
Il n'est pas contesté par les parties que sur la période de 2002 à 2012, la société Aupa s'est directement approvisionnée auprès de la société Cobra fabricant des produits de la marque NSP et qu'à partir de fin 2012, cette dernière a confié la distribution de ses produits à la société CLC.
Dès lors, à compter de mars 2013 (pièce Aupa n° 2), la société Aupa a toujours facturé ses commandes auprès de la société CLC et il résulte des multiples échanges de mails versés aux débats par chacune des parties, que cette dernière est devenue l'interlocuteur principal de la société Aupa dans la relation commerciale jusqu'à sa rupture. La rupture de la relation commerciale sur laquelle la société Aupa fonde ses demandes, est celle initiée par la société CLC dans ses courriers des 3 novembre 2015, 19 août et 2 septembre 2016. La société Aupa n'apporte aucun élément permettant d'établir que la société Cobra a été directement ou indirectement à l'origine de cette rupture pour engager sa responsabilité sur le fondement de l'article L. 442-6, I 5° précité.
La société Aupa produit toutefois des échanges de courriels (pièces Aupa n° 21) avec des interlocuteurs de la société Cobra sur la période 2013 à 2016, ce que cette dernière ni la société CLC ne contestent, sur divers sujets tels que les prises de commandes, les prévisions de ventes et de prix, la prise en charge de réclamation ou la coordination d'événements pour la marque. La fréquence de ces échanges ne permet pas de retenir que la relation commerciale, initiée entre les sociétés Cobra et Aupa s'est poursuivie entre elles jusqu'à la rupture formalisée par la société CLC en 2015 et 2016, mais l'existence et la teneur de ces échanges permettent d'établir qu'à partir du moment où la relation commerciale s'est établie entre la société CLC et la société Aupa, outre la reprise du courant d'affaires, celle-ci s'est faite dans la continuité des rapports précédents initiés en 2002.
Dès lors, le jugement sera infirmé en ce qu'il a retenu l'imputabilité de la rupture à l'égard de la société Cobra et condamnée celle-ci solidairement avec la société CLC à payer à la société Aupa la somme de 140 600,66 euros à titre d'indemnité pour rupture brutale des relations commerciales outre un euros de dommages-intérêts à titre d'indemnité pour perte d'image.
En conséquence, la société Aupa sera déboutée de l'ensemble de ses demandes formulées à l'égard de la société Cobra.
Le jugement sera en revanche confirmé en ce qu'il a retenu une rupture d'une relation commerciale établie depuis 14 ans imputable à la société CLC.
- sur la brutalité de la rupture
Il ressort de l'article L 442-6, I, 5° du code de commerce que la brutalité de la rupture résulte de l'absence de préavis écrit ou d'un préavis suffisant. Le délai de préavis suffisant, qui s'apprécie au moment de la notification de la rupture, doit s'entendre du temps nécessaire à l'entreprise délaissée pour se réorganiser, c'est-à-dire pour préparer le redéploiement de son activité, trouver un autre partenaire ou une solution de remplacement. Les principaux critères à prendre en compte sont l'ancienneté des relations, le degré de dépendance économique, le volume d'affaires réalisé, la progression du chiffre d'affaires, les investissements effectués, les relations d'exclusivité et la spécificité des produits et services en cause.
Il n'est pas contesté que la rupture des relations commerciales notifiée par la société CLC pour la vente des produits NSP par la société Aupa au Portugal en novembre 2015 et en Espagne en août 2016 a été faite sans préavis. La rupture de la relation commerciale pour la vente des produits NSP en France par la société Aupa a été notifiée en septembre 2016 avec un préavis de 60 jours. Toutefois, la société Aupa soutient que ce préavis n'a pas été effectif, n'ayant pas reçu en juillet 2016 le catalogue de la liste des produits NSP de la nouvelle saison, ce qui n'est pas utilement contredit par la société CLC.
La société CLC soutient que des manquements de la société Aupa justifient une rupture des relations commerciales sans préavis. Elle justifie de retards de paiement récurrents de la part de la société Aupa, mais la production de quelques courriels (pièces n° 3 et 4 CLC) informels entre les parties ne permet pas d'établir que ces retards par leur importance ou fréquence ont considérablement perturbé la trésorerie de la société CLC. Celle-ci invoque également un comportement déloyal de la société Aupa dans la commercialisation de la marque NSP au détriment de ses propres marques. Il ressort des motifs qui précèdent que ces manquements allégués ne sont pas établis. Faisant le constat d'une baisse de commande et d'une relation commerciale insatisfaisante, la société CLC était libre de rompre la relation commerciale mais elle ne justifie pas de manquements suffisamment graves de la société Aupa pour opérer cette rupture sans préavis.
La société Aupa, pour estimer un préavis suffisant à hauteur de 18 mois, se borne à invoquer l'ancienneté des relations commerciales de 14 ans et son développement de la notoriété de la marque NSP. Si la société Aupa produit le montant du chiffre d'affaires réalisé avec les produits NSP sur la période 2012 à 2016, elle ne justifie pas de la part de ce chiffre d'affaires dans son chiffre d'affaires global, ni ne donne aucun élément de preuve de l'importance de ce produit dans son modèle commercial et de ses difficultés dans le redéploiement de son activité en dehors de la marque NSP qui avait commencé à décroître dès 2013. Au contraire, la société Aupa met en avant que dans le cadre de son activité, elle distribue une soixantaine de marques dont ses propres marques et divers produits concurrents.
En l'état des éléments versés aux débats, la Cour fixe un préavis suffisant de 6 mois.
Pour l'évaluation du préjudice lié à la brutalité de la rupture, il n'y a pas lieu de tenir compte des pertes alléguées de la société Aupa relatives aux investissements qui sont liés à la rupture elle-même et non à la brutalité de celle-ci, ni de réintégrer les commandes annulées pour se prévaloir d'un hypothétique chiffre d'affaires. Le jugement sera confirmé sur ces points.
Pour le calcul du préjudice, il convient de retenir suivant l'attestation du commissaire aux comptes versée aux débats (pièce Aupa n° 40) une marge moyenne annuelle de 264 553 euros calculée sur les trois années précédant la rupture, soit une perte évaluée à 132 276 euros pendant la période d'insuffisance de préavis de 6 mois.
En conséquence, la société CLC sera condamnée à verser à la société Aupa une indemnité en réparation de son préjudice liée à la rupture brutale des relations commerciale limitée à la somme de 132 276 euros. Le jugement sera infirmé sur le montant de l'indemnité.
La société Aupa ne produit aux débats au soutien de ses allégations aucun élément de preuve tangible sur son investissement dans le développement de la notoriété de la marque et de sa perte d'image. Elle sera déboutée de sa demande à ce titre et le jugement sera infirmé sur ce point.
Sur la demande en paiement de la société Aupa de perte de marge au titre de commandes annulées
Le tribunal par des motifs justes et pertinents, qui ne sont pas utilement contredits par la société Aupa en l'absence de nouveaux éléments au soutien de son appel, et que la Cour adopte, a relevé que les parties versent aux débats des tableaux exposant un comptage réciproque d'annulation de commandes, mais ne versent aux débats aucun élément permettant d'apprécier la responsabilité de chaque partie dans l'annulation des commandes, les témoignages des clients de la société Aupa versés aux débats s'ils démontrent l'existence d'annulations de commandes ne prouvent pas qu'elles soient de la responsabilité de la société CLC.
Le jugement sera confirmé en ce qu'il a débouté la société Aupa de sa demande d'indemnité pour la perte de marge brute sur les commandes annulées.
Sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile
La société Aupa succombant dans ses prétentions à l'égard de la société Cobra, le jugement sera infirmé en ce qu'il a condamné solidairement la société Cobra aux dépens et à payer à la société Aupa une somme au titre de l'article 700 du code de procédure civile. La société Aupa sera condamnée à verser à la société Cobra la somme de 7 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
La société CLC, partie perdante, sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel.
En application de l'article 700 du code de procédure civile, la société CLC sera déboutée de sa demande et condamnée à payer à la société Aupa une somme complémentaire de 5 000 euros.
PAR CES MOTIFS
Infirme le jugement en ce qu'il a :
- condamné solidairement les sociétés Continental Link Composite PTE Ltd et Cobra Internationale Co. Ltd à verser à la société Aupa la somme de 140 600,66 euros à titre d'indemnité pour rupture brutale des relations commerciales,
- condamné solidairement les sociétés Continental Link Composite PTE Ltd et Cobra Internationale Co. Ltd à verser à la société Aupa la somme de 1,00 euros à titre d'indemnité pour perte d'image,
- condamné la société Cobra International Co. Ltd solidairement aux dépens et à payer à la société Aupa la somme de 6 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
Confirme le jugement pour le surplus,
Statuant de nouveau des chefs infirmés et y ajoutant :
Déboute la société Aupa de l'ensemble de ses demandes formulées à l'encontre de la société Cobra International Co. Ltd,
Condamne la société Continental Link Composite Pte Ltd à payer à la société Aupa une indemnité en réparation de son préjudice économique lié à la rupture brutale des relations commerciales limitée à la somme de 132 276 euros,
Déboute la société Aupa de sa demande au titre de la perte d'image,
Condamne la société Continental Link Composite Pte Ltd aux dépens de première instance et d'appel,
Condamne la société Continental Link Composite Pte Ltd à payer à la société Aupa la somme complémentaire de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne la société Aupa à payer à la société Cobra Internationale Co Ltd la somme de 7 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.