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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 13 janvier 2021, n° 18/18549

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Esnault Eurofruit Méditerranée (SAS)

Défendeur :

Leader Price Exploitation (Sasu), Distribution Leader Price (SNC)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Dallery

Conseillers :

M. Gilles, Mme Depelley

Avocats :

Me Removille, Me Régnier

T. com. Bordeaux, du 15 juin 2018, n° 20…

15 juin 2018

FAITS ET PROCÉDURE

La SAS Esnault Eurofruit Méditerranée (ci-après « la société Esnault ») était spécialisée dans la commercialisation de fruits et légumes.

La SASU Leader Price Exploitation (ci-après « la société LPE ») est une société du groupe Franprix Leader price qui exploite des magasins à l'enseigne Leader price ou qui détient des participations dans des sociétés qui exercent une telle exploitation.

La société Esnault a approvisionné certains magasins à l'enseigne Leader Price.

Se plaignant de la rupture brutale des relations commerciales établies et après une vaine mise en demeure du 29 février 2016, la société Esnault, par acte extrajudiciaire du 13 mai 2016, a assigné la société LPE devant le Tribunal de commerce de Bordeaux, sur le fondement de l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce.

Par jugement du 5 janvier 2017, le tribunal de commerce d'Angoulême a ouvert une procédure de redressement judiciaire au bénéfice de la société Esnault.

Par jugement du 12 octobre 2017, la procédure de redressement judiciaire a été convertie en liquidation judiciaire, la SCP X, en la personne de M. Y, administrateur judiciaire, ayant été nommée en qualité de liquidateur.

Par jugement du 15 juin 2018, le tribunal de commerce de Bordeaux a :

Reçu la SCP X en son intervention volontaire ;

Débouté la société Esnault de toutes ses demandes ;

Condamné la société Esnault à payer à la société LPE la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Condamné la société Esnault aux dépens.

Ordonné que l'ensemble des condamnations s'imputent en frais privilégiés de la procédure.

Le 23 juillet 2018, la société Esnault représentée par son liquidateur a interjeté appel de ce jugement devant la Cour d'appel de Paris.

Par acte extrajudiciaire du 10 janvier 2020, la SCP X a appelé en intervention forcée la SNC Distribution leader price (ci-après DLP).

Vu les dernières conclusions notifiées et déposées le 13 janvier 2020 par le liquidateur de la société Esnault Eurofruit Méditerranée, appelant, demandant à la Cour de :

Vu l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce,

Infirmer le jugement rendu par le Tribunal de commerce de Bordeaux,

Dire et juger que la société LPE et la société Distribution Leader Price ont rompu brutalement les relations commerciales établies avec la Société Esnault depuis 17 années,

Condamner la société LPE à payer à M. Y, en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société Esnault, la somme de 1 570 307 euros en réparation du préjudice subi par cette dernière avec intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 29 février 2016,

Condamner la société LPE à payer à M. Y, ès qualités, la somme de 364 803 euros en paiement du coût des licenciements supportés,

Condamner la Société LPE à payer à M. Y, ès qualités, la somme de 50 000 euros en réparation du préjudice moral,

À titre subsidiaire :

Condamner solidairement la société Distribution Leader Price Exploitation SNC et la société Leader Price Exploitation à payer à M. Y, ès qualités, la somme de 1 570 307 euros en réparation du préjudice subi par cette dernière avec intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 29 février 2016,

Condamner solidairement la société Distribution Leader Price Exploitation SNC et la société Leader Price Exploitation à payer à M. Y, ès qualités, la somme de 364 803 euros en paiement du coût des licenciements supportés,

Condamner solidairement la société Distribution Leader Price Exploitation SNC et la société Leader Price Exploitation à payer à M. Y, ès qualités, la somme de 50 000 euros en réparation du préjudice moral,

Condamner solidairement la société Distribution Leader Price Exploitation SNC et la société Leader Price Exploitation, ou tout succombant à payer à M. Y, ès qualités, la somme de 12 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile outre les entiers dépens de première instance et d'appel.

Vu sur les dernières conclusions de la société Leader Price Exploitation notifiées et déposées le

6 janvier 2020, il est demandé à la Cour d'appel de Paris de :

Vu les articles L. 442-6 I 5° et suivants du Code de commerce,

Vu les articles 9 et suivants du Code de procédure civile,

- Confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;

- Condamner le liquidateur judiciaire de la société Esnault Eurofruit Méditerranée à payer à la société Leader Price Exploitation la somme de 10 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- Condamner le liquidateur judiciaire de la société Esnault Eurofruit Méditerranée aux dépens.

Vu les dernières conclusions de la SNC Distribution leader price déposées et notifiées le 19 août 2020, sollicitant de :

- Vu les articles L442-6, I, 5° et suivants du code de commerce,

Vu les articles 9 et suivants et l'article 555 du code de procédure civile,

- à titre principal :

- dire que l'appel en cause est irrecevable ;

- subsidiairement :

- débouter le liquidateur de la société Esnault de toutes ses demandes ;

- confirmer le jugement entrepris ;

- condamner le liquidateur ès qualités à lui payer : 10 000 euros de dommages-intérêts pour procédure abusive et 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, dépens en sus.

SUR CE

LA COUR

- Sur la recevabilité de l'appel en intervention forcée de la SNC DLP

Si, aux termes de l'article 555 du code de procédure civile, une partie n'est recevable en appel à attraire en intervention forcée un tiers au jugement entrepris que si l'évolution du litige implique sa mise en cause, cette condition n'est caractérisée que par la révélation d'une circonstance de fait ou de droit, née du jugement ou postérieure à celui-ci, modifiant les données juridiques du litige.

Or, en l'espèce et pour justifier le présent appel en intervention forcée de la SNC DLP en cause d'appel, le liquidateur ès qualités allègue que ce n'est que par une communication de pièces du 6 janvier 2020, effectuée la veille de la clôture et plus d'une année et demi après sommation que, par une pièce adverse n°11 constituée d'exemples des premières pages des contrats de licence de marques et par un extrait du document d'information précontractuelle type des concessions Leader price, il ressortait qu'une autre société du groupe, la société DLP dont la société LPE détient 12,5% des parts et dont celle-ci était la gérante en 2015, selon les statuts de la société DLP et une publication au BODACC du 18 janvier 2015 afférente à celle-ci, concède des contrats de licence de marque et d'approvisionnement. Le liquidateur ès qualités fait ainsi valoir que la SNC DLP a notamment concédé un tel contrat à la société Leader distribution d'Ambazac, à la société Leader distribution Bel Air et la société Malemortoise de distribution.

Toutefois, la Cour retient que les documents produits par l'intimée en pièce n°11 s'ils établissent que le concédant est bien la SNC DLP, celle-ci existe depuis 1992 avec pour objet social, notamment, la distribution auprès des ménages, alors que les contrats de licence de marque pour les SARL Leader distribution Ambazac, Leader distribution Bel Air et société malemortoise de distribution, qui ont bien été consentis par la société DLP, l'ont été, selon les pages de signature de ces contrats produits par l'appelée en intervention forcée, en février 2010 ou mars 2010, soit antérieurement au jugement entrepris.

Par ailleurs, la société LPE est devenue gérant associé de la SNC DLC date de 2014, ce qui résulte de l'extrait Kbis produit.

Or, le jugement entrepris est de 2018.

Les faits allégués à l'appui de la demande en intervention forcée ne sont donc pas la révélation d'une circonstance de fait ou de droit, née du jugement ou postérieure à celui-ci, modifiant les données juridiques du litige.

Il s'ensuit que les demandes formées pour la première fois en appel contre la société DLC sont irrecevables.

- Sur la demande en dommages-intérêts de la société DLC pour procédure abusive

En dépit de l'erreur commise par le liquidateur quant à l'étendue des droits de la société Esnault contre la société DLP, cette erreur n'a pas dégénéré en abus de droit et, par conséquent, la demande en dommages-intérêts de l'appelée en intervention forcée sera rejetée.

- Sur l'existence d'une relation commerciale établie entre la société Esnault et la société LPE aux dates de la rupture alléguée

A l'appui du bien-fondé de sa demande contre la société LPE, le liquidateur ès qualités soutient que :

- la société Esnault a fourni 43 magasins sous l'enseigne Leader price, notamment entre 2000 et 2015 ;

- en 2011 puis à compter de juin 2015, la société LPE exploitant les magasins Leader price en France a rompu sans préavis toute relation commerciale avec elle ;

- un tableau dressé par ses soins démontre que 43 établissements exploités sous l'enseigne Leader price sont concernés ;

- les relations commerciales ont commencé le 1er février 1997, avec une commande de la société LPE pour un point de vente à Angoulême ;

- le flux d'affaire avec les 43 établissements a atteint plus de 26 millions d'euros entre 2000 et 2015, en raison du référencement dont elle bénéficiait au sein du groupe Leader price auquel auraient appartenu toutes les sociétés figurant sur le tableau déjà mentionné ;

- il s'en déduit que la durée des relations commerciales ne peut se comprendre établissement par établissement ou franchisé par franchisé, les commandes et leur arrêt devant s'analyser globalement ;

- les relations commerciales établies avec la société LPE ont donc duré 17 années ;

- qu'il s'agisse d'établissements secondaires ou de magasins franchisés Leader price, la société LPE serait responsable de la rupture brutale des relations commerciales en sa qualité de franchiseur ou en raison des relations entretenues par ses établissements secondaires ;

- l'extrait Kbis de la société LPE démontre l'existence de 7 établissements secondaires qui ont tous fait l'objet d'une rupture brutale des relations commerciales établies avec la société Esnault au plus tard en 2011, puisque nulle commande n'a été passée en 2012 pour aucun d'eux ;

- les établissements secondaires n'ont pas d'autonomie juridique à l'égard de l'établissement principal qui est donc responsable de la rupture brutale des relations commerciales établies ;

- la circonstance que la société LPE ne détient ces établissements secondaires que depuis 2013, 2016 ou 2017, soit après la rupture brutale litigieuse n'est pas de nature à l'exonérer dès lors que ces magasins sont devenus établissements secondaires par transmission universelle de patrimoine ou apport partiel d'actif, de sorte que la société LPE serait responsable de leurs agissements antérieurs ;

- les relations commerciales doivent s'analyser pour ces 7 établissements secondaires sans les distinguer des 36 autres sociétés franchisées ou concessionnaires ;

- la société LPE qui est une société holding du groupe Leader price ne démontre pas qu'elle n'est pas le franchiseur de ces 36 sociétés ou qu'elle n'a aucun lien avec elles, alors que dès lors qu'est démontré le fait de l'exploitation sous l'enseigne Leader price, seule la société LPE peut justifier des contrats ou du cadre juridique permettant à ces sociétés d'utiliser la marque ou l'enseigne Leader price.

Toutefois, dès lors qu'un groupe de sociétés, dépourvu de la personnalité morale, qui ne peut s'engager par contrat, ne peut constituer un partenaire commercial au sens de l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce, dans sa rédaction applicable à la cause, il appartient en l'espèce au liquidateur ès qualités de justifier de ce que la société LPE a entretenu elle-même des relations commerciales avec chacun des 43 magasins en cause, alors que selon les propres conclusions de l'appelante, ces 43 magasins étaient en réalité, au moment de la rupture alléguée, exploités par 36 sociétés différentes pourvues de personnalités juridiques autonomes et distinctes de la société LPE.

Or, s'agissant des établissements secondaires de la société LPE de Niort, Champniers, Angoulême, Lagord, Fontenay-Le-Comte, Saint Benoît et Angoulins, il est allégué que les relations commerciales ont cessé avec la société Esnault au plus tard en 2011, alors que la société LPE, selon l'extrait Kbis, ne les détenait pas avant 2013 ou 2016 ou 2017, soit à des dates postérieures à la rupture alléguée.

Cependant, si ces établissements secondaires ont été acquis par la société LPE soit par transmission universelle de patrimoine, soit par apport partiel d'actif, alors que nul élément n'est donné par l'intimée sur le traité d'apport, il n'y a pas lieu de retenir que la société LPE est responsable de plein droit des éventuelles ruptures brutales des relations commerciales établies qui se seraient produites avant la date d'acquisition de l'établissement secondaire. En effet, il doit être retenu que la société LPE ne peut pas être l'auteur de la rupture brutale des relations commerciales avec un partenaire commercial qu'elle n'avait pas choisi et qui n'était plus le fournisseur de l'établissement secondaire au moment où elle a acquis celui-ci.

Le jugement entrepris sera donc confirmé en ce qu'il a dit que la demande contre la société LPE est mal fondée du chef de ces établissement secondaires, qui sont au nombre de 7 et non 6 comme indiqué par erreur par ce jugement.

S'agissant de la rupture brutale alléguée concernant l'approvisionnement des 36 autres établissements à l'enseigne Leader price, tels qu'énumérés au pièces n° 1 et 1bis du liquidateur ès qualités, il apparaît que les magasins en cause sont seulement désignés par une référence géographique, sans identification de la personne morale ayant acquis les marchandises auprès de la société Esnault, alors que la société LPE explique valablement que dans une même localité, plusieurs sociétés sont susceptibles d'exploiter des magasins à l'enseigne Leader price.

En outre, alors qu'il incombe au liquidateur d'établir les conditions de la responsabilité de la société LPE, celui-ci produit un grand nombre de factures émises à l'adresse de multiples établissements à l'enseigne Leader price sans alléguer ni établir qu'aucune n'aurait été adressée par la société Esnault à la société LPE qui, selon ce liquidateur, serait responsable globalement des magasins concernés en vertu des contrats de franchise ou de concession qui rattachent ces magasins au réseau Leader price.

Or, non seulement la preuve n'est pas rapportée de l'existence d'un contrat de franchise entre, d'une part, l'une quelconque des sociétés ayant acquis les marchandises objets des factures produites et, d'autre part, la société Esnault, mais encore est-il établi par les extraits de contrat produits par la société LPE que plusieurs sociétés exploitant les magasins Leader price en cause sont des concessionnaires indépendants, par conséquent personnellement responsables de toute rupture brutale de relations commerciales établies commise au préjudice de la société Esnault.

Il n'est pas justifié en l'espèce de relations commerciales uniques nouées entre un réseau de magasins Leader price sous la responsabilité de la société LPE par l'intermédiaire des différentes sociétés exploitant les magasins livrés par la société Esnault.

Par conséquent, nonobstant l'ensemble des factures produites datant d'une période allant de 1997 à 2015, il convient de confirmer le jugement entrepris qui a exactement retenu que le liquidateur ès qualités ne rapporte pas la preuve qui lui incombe de l'existence de relations commerciales établies entre la société Esnault et la société LPE.

Le jugement entrepris sera entièrement confirmé.

Le liquidateur ès qualités sera condamné aux dépens d'appel.

En équité, il incombe de dire n'y avoir lieu à indemnité de procédure en vertu de l'article 700 du code de procédure civile au bénéfice des sociétés LPE et DLP.

PAR CES MOTIFS

Dit que l'appel en intervention forcée de la SNC DLP est irrecevable,

Déboute la SNC DLP de sa demande en dommages-intérêts pour procédure abusive,

Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions,

Y ajoutant,

Condamne la SCP X ès qualités aux dépens d'appel,

Déboute les parties de leurs demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile en appel.