CA Paris, Pôle 5 ch. 7, 21 janvier 2021, n° 19/15537
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Société de Participation pour la Distribution (Sté), Société d’Achat et de Gestion (SARL), Société d’Etude et de Gestion Commerciale (SAS), Société Commerciale de Tahiti ITI (Sté), Société Commerciale de Auae (SARL), Société Commerciale de Mahina (SAS), Société Commerciale de Paofai (SARL), Société Commerciale de Heiri (SARL), Commerciale de Taravao (SARL), Société Commerciale de Raiatea (SARL), Société Toa Moorea (SAS), Société Easy Market FAA’A (SAS), Société Commerciale de Prince Hinoi (SARL), Société Brasserie du Pacifique (SA), Société de Distribution de Polynésie (SAS), Société Kim FA (SAS)
Défendeur :
Autorité polynésienne de la concurrence, Commissaire du Gouvernement auprès de l’Autorité polynésienne de la concurrence
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Maitrepierre
Conseillers :
Mme Schmidt, Mme Brun-Lallemand
Avocats :
Me Baechlin, Me Vogel, Me Boccon-Gibod, Me Saint-Esteben, Me Marotte
Vu la décision n° 2019-PAC-01 de l’Autorité polynésienne de la concurrence du 22 août 2019 relative à des pratiques du groupe Wane mises en œuvre e dans la commercialisation de boissons ;
Vu la déclaration de recours contre cette décision déposée au greffe de la Cour le 5 septembre 2019 par la société de participation pour la distribution (SPD), la société d’achat et de gestion, la société d’étude et de gestion commerciale, la société commerciale de Tahiti Iti, la société commerciale de Auae, la société commerciale de Mahina, la société commerciale de Paofai, la société commerciale de Heiri, la société commerciale de Taravao, la société commerciale de Raiatea, la société Toa Moorea, la société Easy market Faa’a, la société commerciale de Prince Hinoi, désignées comme étant les « sociétés du groupe Wane » ;
Vu l’exposé des moyens déposé au greffe de la Cour le 22 octobre 2019 par les sociétés du Groupe Wane ;
Vu la déclaration d’intervention volontaire des sociétés Brasserie du Pacifique, Distribution de Polynésie et Kim Fa déposée au greffe de la Cour le 21 octobre 2019 ;
Vu le désistement d’intervention volontaire de la société Kim Fa déposée au greffe de la Cour le 19 décembre 2019 ;
Vu le mémoire des sociétés Brasserie du Pacifique et Distribution de Polynésie déposé au greffe de la Cour le 19 décembre 2019 ;
Vu les observations du commissaire du gouvernement déposées au greffe de la cour le 18 février 2020 ;
Vu les conclusions déposées au greffe de la Cour le 3 mars 2020 par les sociétés du Groupe Wane ;
Vu les observations de l’Autorité polynésienne de la concurrence déposées au greffe de la Cour le 15 juin 2020 ;
Vu les conclusions des sociétés du Groupe Wane déposées au greffe de la Cour le 17 septembre 2020 ;
Vu la note en délibéré adressée par les sociétés Brasserie du Pacifique et Sodispo le 30 novembre 2020 ;
Vu la note en réponse des sociétés du Groupe Wane du 23 décembre 2020 ;
Vu la note en réponse de l’Autorité polynésienne de la concurrence du 12 janvier 2021 ;
Vu la note en réponse des sociétés du Groupe Wane du 18 janvier 2021 ;
L’entier dossier ayant été transmis au ministère public.
FAITS ET PROCÉDURE
1. Par une lettre du 28 avril 2016, enregistrée sous le numéro 16/0009 F, l’Union des importateurs de Polynésie française et les sociétés Brapac distribution, Kim Fa, Morgan Vernex et Société de distribution de Polynésie (Sodispo) ont saisi l’Autorité polynésienne de la concurrence (ci-après l’APC), sur le fondement de l’article LP 620-5 du code de la concurrence, de pratiques mises en oeuvre par la société Société d’achat et de gestion en qualité de mandataire des sociétés du groupe Louis Wane (magasins aux enseignes Carrefour, Champion et Easy Market), dans le secteur de l’approvisionnement en boissons de la grande distribution.
2. Le 15 juin 2018, deux griefs ont été notifiés aux sociétés du groupe Wane suivantes :
– en tant que société mère, la Société de Participation pour la Distribution (SPD) ;
– en tant qu’auteurs des pratiques : la Société d’achat et de gestion, la Société d’Étude et de Gestion Commerciale, la Société Commerciale de Tahiti Iti, la Société Commerciale de Auae, la Société Commerciale de Mahina, la Société Commerciale de Paofai, la Société Commerciale de Heiri, la Société Commerciale de Taravao et les Sociétés commerciales de Raiatea, Toa Moorea, Easy Market Faa’a et Prince Hinoi.
3. Le rapport a été notifié aux parties le 19 décembre 2018.
La procédure de renvoi pour cause de suspicion légitime
4. Le 1er février 2019, les sociétés destinataires des griefs ont saisi le premier président de la cour d’appel de Paris d’une requête tendant au renvoi de l’affaire pour cause de suspicion légitime à l’encontre de l’APC.
5. Cette requête a été jugée irrecevable par une ordonnance du 1er mars 2019 à l’encontre de laquelle les sociétés du groupe Wane ont formé un pourvoi en cassation.
6. La procédure n°16/0009F s’est poursuivie devant l’APC.
7. Par un arrêt du 4 juin 2020, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, statuant sur le pourvoi n° R19-13.775 formé contre l’ordonnance du premier président du 1er mars 2019 ayant déclaré irrecevable la requête aux fins de renvoi pour cause de suspicion légitime, a cassé cette décision et renvoyé l’affaire devant la juridiction du premier président de la cour d’appel de Paris autrement composée.
8. Par une ordonnance du 29 juillet 2020, le délégué du premier président de la cour d’appel de Paris, statuant sur renvoi, a déclaré la requête recevable, désigné l’Autorité de la concurrence siégeant à Paris (ci-après « l’ADLC ») aux fins de statuer sur la procédure n°16/0009F pendante devant l’APC et a ordonné à cette autorité de transmettre le dossier à l’ADLC.
La poursuite de la procédure au fond
9. Par une décision n° 2019-PAC-01 du 22 août 2019 (ci-après la « décision attaquée ») l’APC a dit que les sociétés du Groupe Wane avaient enfreint les dispositions de l’article LP 200-2 du code de la concurrence en mettant en œuvre une pratique de discrimination tarifaire en 2015 et une pratique de tarifs excessifs entre 2016 et 2018 sur les marchés de l’approvisionnement en boissons des commerces organisés sous enseignes et infligé à ces sociétés des sanctions pécuniaires.
10. Ces dernières ont formé un recours contre cette décision le 5 septembre 2019.
11. Aux termes de leurs conclusions récapitulatives déposées le 17 septembre 2020, les sociétés du groupe Wane demandent à la Cour de constater que leur recours porte sur une décision nulle et non avenue par suite de la décision de la Cour de cassation du 4 juin 2020 et celle du premier président de la cour d’appel de Paris du 29 juillet 2020, de sorte que le recours est sans objet.
12. Elles font valoir que la cassation de la décision du 1er mars 2019 a entraîné par voie de conséquence l’annulation de la décision attaquée en application de l’article 625 du code de procédure civile.
13. Les parties n’ont pas formulé d’observations sur ces dernières écritures.
14. L’affaire a été appelée à l’audience de plaidoirie du 12 novembre 2020, à laquelle les parties ont été dispensées de se présenter, et la décision a été mise en délibéré au 21 janvier 2021.
15. Au cours du délibéré, le conseil des sociétés Brasserie du Pacifique (Brapac) et Sodispo a, par une lettre du 30 novembre 2020, transmis à la Cour la décision de l’ADLC n° 20-D-18 du 18 novembre 2020 relative à des pratiques mises en œuvre sur le territoire de la Polynésie française par laquelle cette autorité a clôturé le dossier qui lui avait été transmis en exécution de l’ordonnance du premier président de la cour d’appel de Paris du 29 juillet 2020.
16. Par cette même lettre, il a demandé la réouverture les débats afin que les parties puissent s’expliquer sur les conséquences à tirer de cette décision contre laquelle il indique qu’il formera un recours.
17. Par notes en délibéré, le conseil des sociétés du Groupe Wane a indiqué que ces dernières s’opposaient à la réouverture des débats et maintenaient leur demande tendant à voir constater que la décision de l’Autorité polynésienne de la concurrence n° 2019-PAC-01 du 22 août 2019 était nulle et non avenue en application de l’article 625 du code de procédure civile, et par voie de conséquence, que leur recours contre cette décision était devenu sans objet, en faisant valoir que la décision adoptée par l’ADLC le 18 novembre 2020 n’affectait en rien ce constat de la nullité de la décision.
18. Par note en délibéré, le conseil de l’APC a demandé à la Cour de constater qu’elle demeure saisie du recours formé par les sociétés du groupe Wane et en conséquence, de prononcer la réouverture des débats afin que la Cour puisse statuer dans la présente instance encore pendante devant elle, en application des articles 561 et 562 du code de procédure civile.
19. Il indique que la cassation prononcée le 4 juin 2020 n’a pas entraîné l’annulation de la décision attaquée dès lors que par la décision cassée, le délégué du premier président s’était borné à déclarer irrecevable la requête en suspicion légitime sans se prononcer sur le bien fondé de cette requête.
20. Il ajoute que, par application de l’article 347, alinéa 3, du code de procédure civile, le caractère non avenu de la décision rendue par la juridiction initialement saisie résulte non seulement de la constatation d’une cause de suspicion légitime mais aussi de l’exécution du renvoi ordonné pour cause de suspicion légitime, et qu’en l’espèce, l’ADLC, en se déclarant incompétence, a refusé de statuer et donc d’exécuter le renvoi ordonné le 29 juillet 2020 par le délégué du premier président, statuant sur renvoi après cassation. Il en déduit qu’en l’absence d’exécution du renvoi, la Cour demeure saisie du recours formé contre la décision de l’APC.
Sur quoi, la Cour,
21. Aux termes des alinéas 1 et 2 de l’article 625 du code de procédure civile, la cassation d’une décision replace, sur les points qu’elle atteint, les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ladite décision et entraîne, sans qu’il y ait lieu à une nouvelle décision, l’annulation par voie de conséquence de toute décision qui est la suite, l’application ou l’exécution du jugement cassé ou qui s’y rattache par un lien de dépendance nécessaire.
22. En l’espèce, la cassation totale de l’ordonnance du délégué du premier président du 1er mars 2019 qui avait déclaré irrecevable la requête des sociétés du groupe Wane tendant au renvoi de l’affaire pour cause de suspicion légitime à l’encontre de l’APC, a replacé les parties dans l’état où elles se trouvaient avant cette décision du 1er mars 2019, c’est-à-dire en l’état de leur requête du 1er février 2019.
23. Elle a donc a entraîné, par voie de conséquence, l’annulation de la décision n° 2019-PAC-01 du 22 août 2019 adoptée par l’APC postérieurement à cette requête et à l’ordonnance cassée, la décision de l’APC s’y rattachant par un lien de dépendance nécessaire, peu important que par cette ordonnance, le délégué du premier président ne se soit pas prononcé sur le bien fondé de la requête.
24. La décision attaquée par le présent recours a donc été annulée par le seul effet de la cassation précitée, sans que la Cour n’ait à la prononcer. Il s’en déduit que ce recours est devenu sans objet.
25. Le délégué du premier président, statuant sur renvoi, a accueilli la requête en suspicion légitime et désigné l’ADLC aux fins de statuer sur la procédure suivie devant l’APC, et en exécution de cette décision, la saisine et l’entière procédure (actes d’instruction, notification des griefs et rapport) ont été transmises à l’ADLC ainsi désignée de sorte que la Cour ne peut exercer son pouvoir d’évocation et statuer sur la régularité de cette procédure et le bien fondé des griefs notifiés dans le cadre du présent recours.
26. La circonstance que l’ADLC a, par la décision n° 20-D-18 du 18 novembre 2020, estimé que les pratiques dénoncées n’entraient pas dans le champ de ses compétences et clôturé la procédure qu’elle a ouverte sous le n° 20/0091 F n’est pas de nature à remettre en cause l’annulation, intervenue par voie de conséquence, de la décision de l’APC. Il n’y a donc pas lieu d’ordonner la réouverture des débats.
27. Il appartiendra à la Cour, saisie du recours annoncé contre cette décision d’incompétence, d’apprécier, si elle devait juger le recours fondé, la nécessité d’exercer son pouvoir d’évocation pour statuer sur la procédure n° 16/0009F.
PAR CES MOTIFS
CONSTATE que par l’effet de la cassation totale de la décision du délégué du premier président du 1er mars 2019, la décision de l’Autorité polynésienne de la concurrence n° 2019-PAC-01 du 22 août 2019 est annulée en application de l’article 625 du code de procédure civile ;
DIT, en conséquence, sans objet le recours formé contre cette décision ;
DIT n’y avoir lieu à l’application de l’article 700 du code de procédure civile ;
DIT que chacune des parties conservera la charge de ses dépens.