CA Montpellier, 4e ch. civ., 20 janvier 2021, n° 18/00685
MONTPELLIER
Arrêt
Confirmation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Soubeyran
Conseillers :
M. Denjean, Mme Youl-Pailhes
FAITS ET PROCEDURE :
Le 24 janvier 2016, M. Lucien B. a acquis auprès de M.Florent P. un véhicule de marque Mitsubishi immatriculé DX-227-B5, pour la somme de 3 700 euros.
Cette automobile mise en circulation le 31 octobre 1997 affichait 281 500 kilomètres au compteur au moment de la transaction. Le certificat de contrôle technique délivré par la société CONTROL AUTO F. le 24 octobre 2015 ne mentionnait aucun défaut à corriger avec contre-visite mais mentionnait plusieurs défauts pouvant être corrigés sans contre-visite obligatoire, notamment un défaut d'étanchéité au niveau du moteur.
C'est en voulant palier à cette dernière anomalie que M. Lucien B. amenait son nouveau véhicule chez un garagiste, lequel l'alertait sur la présence de points d'oxydation perforante touchant certains organes importants, notamment le châssis.
Estimant qu'il avait été victime de la vente d'une automobile dont les vices lui avaient été dissimulés, M. Lucien B. organisait une mesure d'expertise amiable contradictoire. Le vendeur du véhicule, M. Florent P., ne participait pas tandis que la société CONTROL AUTO F., prise en la personne de son gérant, M. Christian F., se rendait aux opérations d'expertise.
Le 25 avril 2016, le cabinet d'expertise rendait son rapport faisant état de l'existence de plusieurs points d'oxydation perforante notamment au niveau du châssis, du plancher et de plusieurs éléments mécaniques, ajoutant qu'il avait constaté la présence de mastic sur de nombreuses parties perforées, cachant partiellement les zones d'oxydation.
Pour l'expert, les dommages liés à l'oxydation du châssis étaient présents et visibles au moment du contrôle technique réalisé par la société CONTROL AUTO F., laquelle aurait commis une faute en n'en signalant pas la présence. Cette oxydation, dont l'acheteur profane n'aurait pas pu se rendre compte, puisque située pour sa plus grande part en dessous du véhicule et dissimulée par certains points par du mastic ou de la peinture, rendant impropre le véhicule à sa destination en raison du risque de rupture du châssis.
Faute d'accord entre les parties, M. Lucien B. a fait assigner, par acte d'huissier du 4 août 2016, M. Florent P. et la société CONTROL AUTO F., devant le tribunal d'instance de NARBONNE aux fins notamment de les voir condamner solidairement à restituer le prix de vente.
Par jugement du 6 novembre 2017, le tribunal d'instance de NARBONNE a :
Retenu l'existence d'un vice caché antérieur à la cession et rendant le véhicule impropre à sa destination,
Prononcé la résolution de la vente,
Ordonné à M. Lucien B. de restituer le véhicule à M.Florent P. et condamné M. Florent P. à rembourser la somme de 3 700 euros avec intérêts au taux légal à compter de la signification de la décision,
Condamné M. Florent P. à payer à M. Lucien B. la somme de 248,76 euros au titre des frais inhérents à la vente annulée,
Débouté M. Lucien B. de ses demandes complémentaires de dommages et intérêts,
Débouté M. Lucien B. de sa demande de condamnation in solidum de la société CONTROL AUTO F.,
Retenu que la société CONTROL AUTO F. prise en la personne de son représentant légal avait commis une faute engageant sa responsabilité civile,
Condamné la société CONTROL AUTO F. à relever et garantir M. Florent P. des sommes mises à sa charge en application du présent jugement tant au titre du remboursement du prix de cession qu'à celui du remboursement des frais,
Condamné la société CONTROL AUTO F. à payer à M.Lucien B. et M. Florent P. chacun la somme de 750 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile
Ordonné l'exécution provisoire.
Par déclaration du 7 février 2018, M. Lucien B. a interjeté appel de ce jugement uniquement en ce qu'il l'a débouté de ses demandes de remboursement des frais de gardiennage et d'assurance.
PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Par ses dernières conclusions en date du 16 juillet 2019, M. Lucien B. demande :
- de réformer le jugement en ce qu'il a débouté de ses demandes complémentaires,
- de rejeter l'appel incident de M. Christian F.,
- de condamner M. Florent P. à payer l'ensemble des dommages et intérêts afférents à la vente annulée et rendus nécessaires pour la conservation en l'état du véhicule vendu, à savoir la somme de 325,30 euros au titre de l'assurance, somme à parfaire au jour de la restitution du véhicule, la somme de 5 348 euros arrêté au jour de la restitution du véhicule le 14 juin 2019 au titre des frais de gardiennage,
- de condamner la société CONTROL AUTO F. et à M. Florent P. chacun à lui payer la somme de 750 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens outre constat d'huissier du 14 juin 2019 à hauteur de 249,99 euros.
Au visa de l'article 1645 du code civil, M. Lucien B. estime que le vendeur était tenu à des dommages et intérêts visant à dédommager les frais engagés pour la conservation du véhicule jusqu'à la parfaite restitution comme les frais d'assurance ou de gardiennage.
Le requérant explique que les véhicules immobilisés doivent être assurés au regard de l'article L. 211-1 du code des assurances. S'agissant des frais de gardiennage, il produit diverses quittances de loyer pour un montant total de 5 348 euros (soit quatre euros par jour).
Aux termes de ses dernières conclusions en date du 27 novembre 2019, M. Florent P. demande :
- à titre principal : de débouter M. Lucien B. de l'ensemble de ses demandes, et reconventionnellement de le condamner à la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 code de procédure civile outre les entiers dépens.
- à titre subsidiaire : de condamner M. Christian F. à le relever et le garantir de l'ensemble des condamnations qui pourraient être prononcées à son encontre et reconventionnellement de le condamner à la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 code de procédure civile outre les entiers dépens.
Sur l'existence du vice caché, par appel incident, M. Florent P. conteste l'existence d'un vice caché rendant le véhicule impropre à sa destination. Il estime que M. Lucien B. ne prouve pas que les vices allégués étaient préexistants à la vente et qu'ils n'étaient pas visibles au moment de la vente. Il explique que le véhicule présentait plus de 280 000 kilomètres au compteur, que cet état aurait dû le pousser à être vigilant sur l'état du véhicule, qu'il n'a procédé à aucune vérification, qu'il ne justifie pas de la gravité du vice le rendant impropre à sa destination et, qu'en conséquence, il ne démontre en rien l'existence d'un vice.
Sur sa connaissance du vice, M. Florent P. estime que M. Lucien B. n'apporte pas la preuve qu'il avait connaissance du vice. En sa qualité de profane, simple étudiant en BTS au moment des faits, il explique qu'il ne pouvait déceler le problème d'oxydation, caché sous du mastic, d'autant plus que M. Christian F. ne lui a pas donné cette information lors du contrôle technique.
Sur les conséquences de la résolution, M. Florent P. affirme qu'étant vendeur de bonne foi, la garantie des vices cachés conduit simplement à la résolution de la vente et non à sa nullité, que la résolution n'a pas pour effet de remédier à tous les effets du contrat et qu'en conséquence le vendeur ne peut pas solliciter le remboursement des frais de conservation qui sont la contrepartie de la jouissance du bien. Il ne saurait pas plus être condamné au remboursement des frais de gardiennage dans la mesure où le véhicule aurait pu être garé sur la propriété de M. Lucien B. ou sur la voie publique plutôt que d'être laissé en gardiennage.
Dans l'hypothèse où il serait fait droit aux demandes de M. Lucien B., il soutient que le garagiste se doit de le relever et garantir de ses condamnations en raison de la faute qu'il a commise en ne vérifiant pas l'état du châssis.
Au vu de ses conclusions en date du 29 mai 2018, M. Christian F. demande :
- de rejeter l'appel principal de M. Lucien B.,
- d'accueillir son appel incident,
- de rejeter toutes les prétentions dirigées à son encontre et de condamner la partie succombant à lui payer la somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article 700 code de procédure civile outre les entiers dépens
S'agissant des demandes formulées à son encontre par M. Lucien B., M. Christian F. estime qu'il ne démontre pas l'existence d'une faute, d'un préjudice et d'un lien de causalité, qu'il ne démontre pas non plus l'existence d'un préjudice au moment du contrôle technique et qu'aucun élément ne permet d'établir le montant des préjudices invoqués.
S'agissant des demandes formulées à son encontre par M. Florent P., il développe les mêmes arguments que ceux dirigés à l'encontre de M. Lucien B..
Pour un plus ample exposé des éléments de la cause, moyens et prétentions des parties, il est fait renvoi aux écritures susvisées, conformément à l'article 455 du Code de Procédure Civile.
Vu l'ordonnance de clôture en date du 12 novembre 2020.
MOTIFS
Sur l'annulation de la vente :
En application de l'article 1641 du code civil, « Le vendeur est tenu de la garantie à raison des défauts cachés de la chose vendue qui la rendent impropre à l'usage auquel on la destine, ou qui diminuent tellement cet usage que l'acheteur ne l'aurait pas acquise, ou n'en aurait donné qu'un moindre prix, s'il les avait connus. »
L'article 1642 du même code ajoute que « Le vendeur n'est pas tenu des vices apparents et dont l'acheteur a pu se convaincre lui-même. »
L'article 1643 du même code précise que « Le vendeur est tenu des vices cachés quand bien même il ne les aurait pas connus, à moins que dans ce cas, il n'ait stipulé qu'il ne sera obligé à aucune garantie. »
Enfin, l'article 1644 du même code indique que « L'acheteur a le choix de rendre la chose et de se faire restituer le prix, ou de garder la chose et de se faire rendre une partie du prix. »
La cour retient que :
- une expertise amiable a été effectuée le 14 avril 2016 par la société AUDE AUTO EXPERTISE SARL à la demande de BPCE ASSURANCES,
- M. Florent P., dûment convoqué, ne s'est pas présenté aux opérations d'expertise,
- le châssis, le bas de caisse et le plancher de caisse du véhicule litige présentaient de multiples points d'oxydation perforante et de fissurations,
- certains points perforés avaient été partiellement cachés avec du mastic,
- ces anomalies, avec un risque de rupture du châssis au moindre effort et donc un risque pour la sécurité des passagers, rendaient le véhicule impropre à sa destination,
- ces anomalies étaient visibles lors du contrôle technique effectué par les ÉTABLISSEMENTS CONTROL AUTO F., qui ne les ont pas signalés, mais ne pouvaient pas être décelées par un acheteur profane.
Il est donc établi que le véhicule vendu était affecté d'un vice caché antérieur à la vente.
Il convient de rappeler que la loi protège l'acheteur profane et non le vendeur, même profane. Ainsi, le caractère caché du vice ne s'apprécie qu'au regard de l'acheteur et non à celui du vendeur. Procéder à l'inverse, reviendrait à priver tout acheteur de son droit à garantie face à un vendeur profane. M. Florent P. est en conséquence tenu de garantir l'acquéreur des vices dont était affecté le véhicule vendu.
La responsabilité de la société CONTROL AUTO F., prise en la personne de M. Christian F., son gérant, est également formellement établie. En effet, ce dernier ne pouvait pas ne pas faire les mêmes constats que ceux faits par l'expert et ne pas signaler à M. Florent P. l'état du véhicule, étant rappelé que la sécurité des passagers était en jeu. Il lui suffisait manifestement de mettre le véhicule sur un pont et, sans plus d'investigations, de constater son état fortement dégradé. Il ne peut que s'en déduire que soit il n'a pas effectué du tout le contrôle technique soit il ne l'a pas effectué dans les règles de l'art. En tout état de cause, la responsabilité de la société de contrôle technique, en sa qualité de professionnelle, est engagée.
La décision dont appel sera en conséquence confirmée en ce qu'elle a considéré, qu'en l'absence de stipulation inverse, M. Florent P. était tenu de garantir les vices cachés dont était affecté le véhicule qu'il a vendu, même s'ils ne les connaissaient pas et que la responsabilité du contrôleur technique était également engagée.
Sur les demandes indemnitaires :
M. Lucien B. soutient sa demande de dommages-intérêts au visa des dispositions de l'article 1645 du code civil qui édicte « Si le vendeur connaissait les vices de la chose, il est tenu, outre la restitution du prix qu'il en a reçu, de tous les dommages et intérêts envers l'acheteur. » Ainsi, il sollicite le remboursement des frais d'assurance du véhicule soit 325,30 euros ainsi que les frais de gardiennage entre le 1er mars 2016 et le 14 juin 2019, date de restitution, soit la somme de 5 348 euros.
M. Florent P., au visa de l'article 1646 du même code dispose que « Si le vendeur ignorait les vices de la chose, il ne sera tenu qu'à la restitution du prix et à rembourser à l'acquéreur les frais occasionnés par la vente. », demande le rejet des demandes faites par l'appelant.
Il est établi que M. Florent P. a lui-même acheté le véhicule le 3 novembre 2015 pour le revendre le 24 janvier 2016. Il a manifestement fait procéder au contrôle technique en vue de cette vente. Il se dit de bonne foi mais la cour ne peut que constater qu'il a opposé une fin de recevoir à son acheteur lorsque ce dernier l'a informé des difficultés qu'il rencontrait avec le véhicule et ne s'est pas présenté aux opérations d'expertise. Ce désintérêt manifeste n'est pas conforme avec l'attitude d'un vendeur de bonne foi.
En outre, la présence de mastic destiné à cacher certains points de corrosion, démontre la volonté de masquer les défauts du véhicule. Or, si M. Florent P. était de bonne foi, découvrant cette anomalie, que n'a-t-il attrait son vendeur à la procédure afin qu'il en réponde.
Enfin, M. Florent P. qui cherche à se dédouaner de toute responsabilité sur le contrôleur technique ne démontre pas, sauf à ce qu'une entente frauduleuse soit intervenue entre lui et M. Christian F., quel aurait été l'intérêt du contrôleur à présenter, pour le seul bénéfice du vendeur, le véhicule sous son meilleur jour. La responsabilité de la société de contrôle technique, pour ne pas avoir indiqué sur la fiche de contrôle technique, l'état exact du véhicule implique qu'elle devra également relever et garantir M. Florent P. des condamnations prononcés à ce titre contre lui.
M. Lucien B. a dû continuer à assurer le véhicule, même immobilisé, comme la loi l'y oblige. Il démontre par ailleurs qu'il n'avait pas la possibilité de le faire entreposer sur sa propriété pas plus que sur la voie publique, avec les risques de dégradations supplémentaires que cela aurait pu entraîner, pour éviter des frais de gardiennage.
En conséquence, il y a bien lieu de faire application des dispositions de l'article 1645 du code civil et de condamner M. Florent P. à indemniser M. Lucien B. de ses frais de gardiennage et d'assurance. La société CONTROL AUTO F. sera tenue de relever et garantir M. Florent P. de ces condamnations à hauteur de 50 %.
Sur les demandes accessoires :
Succombant à l'action, M. Lucien B. sera condamné à payer les entiers dépens d'appel.
PAR CES MOTIFS
LA COUR statuant contradictoirement, par arrêt mis à disposition
CONFIRME le jugement entrepris en toutes ses dispositions, sauf en ce qu'il a débouté M. Lucien B. de ses demandes indemnitaires complémentaires,
Le REFORME sur ces seules dispositions,
Et statuant à nouveau :
CONDAMNE M. Florent P. à payer à M. Lucien B. la somme de
CINQ MILLE TROIS CENT QUARANTE HUIT euros (5 348 €) au titre des frais de gardiennage,
CONDAMNE M. Florent P. à payer à M. Lucien B. la somme de TROIS CENT VINGT CINQ euros et 30 centimes (325,30 €) au titre des frais d'assurance,
CONDAMNE la société CONTROL AUTO F. à relever et garantir M. Florent P. de ces condamnations à hauteur de 50 %,
CONDAMNE M. Florent P. et la société CONTROL AUTO F., chacun, à payer à M. Florent P. la somme de SEPT CENT CINQUANTE euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;
CONDAMNE in solidum M. Florent P. et la société CONTROL AUTO F. aux entiers dépens d'appel, outre constat d'huissier en date du 14 juin 2019 pour un montant de DEUX CENT QUARANTE NEUF euros et 99 centimes (249,99 €)