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Décisions

CA Montpellier, 5e ch. civ., 19 janvier 2021, n° 18/06015

MONTPELLIER

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Marin'immo (SARLU)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Gaillard

Conseillers :

Mme Azouard, M. Garcia

TGI Montpellier, du 6 nov. 2018

6 novembre 2018

EXPOSÉ DU LITIGE

Jean-Marc P. est gérant de la société Marin'Immo, qui exploite notamment un restaurant sur la commune de Vic-la-Gardiole (34), lequel est répertorié sur le site Tripadvisor. Un avis a été déposé sur ce site le 18 avril 2015, sous le pseudonyme « Vinceben », qui critiquait les tarifs pratiqués, la nourriture servie et conseillait d'autres restaurants des environs, avant d'accorder une note de 1/5 à chacun des critères d'appréciation.

Après avoir identifié son auteur comme étant Vincent B., le beau-frère du propriétaire de la parcelle voisine de leur restaurant, par acte d'huissier délivré le 18 mai 2017, les époux P. ainsi que la société Marin'Immo l'ont fait assigner devant le tribunal de grande instance de Montpellier afin d'obtenir réparation de leur préjudice et la suppression du message considéré comme diffamatoire et dénigrant.

Le jugement rendu le 6 novembre 2018 par le tribunal de grande instance de Montpellier énonce dans son dispositif :

- déclare irrecevable comme prescrite l'action engagée par les époux P. et la société Marin'Immo sur le fondement de la loi du 29 juillet 1881 ;

- rejette les demandes formées par les époux P. et la société Marin'Immo ;

- rejette la demande en dommages et intérêts formée par Vincent B. pour procédure abusive ;

- condamne in solidum les époux P. et la société Marin'Immo à payer 2 000 € à Vincent B. au titre de l'article 700 du Code procédure civile, ainsi qu'aux dépens ;

- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire.

Le jugement expose que l'action des époux P., fondée sur la loi du 29 juillet 1881, est prescrite et par suite irrecevable pour avoir été engagée le 18 mai 2017, soit plus de trois mois après la mise en ligne du propos litigieux, déposé sur le site internet Tripadvisor le 18 avril 2015.

S'agissant de l'action fondée sur les dispositions de l'article 1382 ancien du Code civil, le Tribunal retient que l'avis laissé par Vincent B. ne relève pas au cas d'espèce du dénigrement mais de la liberté d'expression et d'appréciation du consommateur, ce qui est l'objet même du site Tripadvisor et, qu'au surplus, aucune preuve d'un quelconque préjudice n'est rapportée par les demandeurs.

Sur la demande reconventionnelle de dommages-intérêts formée par Vincent B., le Tribunal l'a rejetée au motif que l'exercice d'une action en justice ne devient abusif que si le demandeur a agi avec intention de nuire, légèreté blâmable ou a commis une erreur équivalente au dol, ce qui n'était pas démontré en l'espèce.

Jean-Marc P., Linda K. épouse P. et la société Marin'Immo ont relevé appel du jugement par déclaration au greffe du 3 décembre 2018.

La clôture de la procédure a été prononcée par ordonnance du 16 novembre 2020.

Les dernières écritures pour les époux P. et la société Marin'Immo ont été déposées le 9 janvier 2019.

Les dernières écritures pour Vincent B. ont été déposées le 23 mai 2019.

Cependant, en application des dispositions de l'article 909 du Code de procédure civile, les écritures déposées les 21 mai 2019 et 23 mai 2019 ont été déclarées irrecevables par ordonnance du magistrat chargé de la mise en état en date du 6 juin 2019, au motif que Vincent B. ne les avait pas remises au greffe dans le délai de 3 mois à compter de la signification des écritures des époux P., faite le 17 janvier 2017, soit au plus tard le 17 avril 2019.

Pour statuer sur l'appel, la Cour, qui n'est donc pas saisie des écritures de l'intimé, examinera par conséquent les motifs du jugement ayant accueilli les prétentions de cette partie en première instance et il ne sera fait éventuellement droit aux prétentions et moyens des appelants que dans la mesure où elle les estimera réguliers, recevables et bien fondés.

Le dispositif des écritures pour les époux P. et la société Marin'Immo énonce :

- condamner Vincent B. à verser à Jean-Marc P., à Linda P. et à la société Marin'Immo, à chacun la somme 10 000 € à titre de dommages et intérêts, outre la somme de 1 000€ pour résistance abusive ;

- à titre subsidiaire, si la prescription devait être retenue sur le fondement de la diffamation, condamner Vincent B. à payer à chacun des époux P. et à la société Marin'Immo la somme de 10 000 € à titre de dommages et intérêts pour dénigrement ;

- condamner Vincent B. à intervenir pour supprimer son avis sur le site Tripadvisor, sous astreinte de 100 € par jour de retard ;

- condamner Vincent B. à verser à chacun des demandeurs la somme de 3 000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, outre les dépens.

Sur la prescription de leur action au visa de la loi du 29 juillet 1881, ils soutiennent que Vincent B. ne démontre pas la date à laquelle la publication est intervenue, ce qui rend nulle toute contestation relative à la prescription.

Sur le fond, les appelants tiennent à indiquer au préalable que les époux R., propriétaires de la parcelle voisine, ont engagé à leur encontre de nombreuses procédures visant à détruire leur activité et qu'ils n'ont pas hésité à cette fin à faire publier par le frère de l'épouse R. un avis sur le site Tripadvisor.

Ils estiment que les propos portés par Vincent B. étaient totalement mensongers, qu'il ne saurait s'agir en l'espèce d'une quelconque liberté d'expression légitime mais bel et bien de dénigrement.

Ils soutiennent que l'avis litigieux porte atteinte à leur honneur en affirmant que les tarifs sont délirants, que la nourriture est surgelée et que la qualité du restaurant est très inférieure aux autres établissements. Il s'agit selon eux d'une diffamation publique qui leur a causé un préjudice d'une extrême gravité, qui justifie l'allocation de dommages-intérêts, ainsi que la publication du jugement sur le site en question.

MOTIFS

Sur la prescription de l'action fondée sur la loi du 29 juillet 1881

L'article 122 du Code de procédure civile dispose que constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d'agir, tel le défaut de qualité, le défaut d'intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée.

L'article 65 de la loi du 29 juillet 1881 prévoit que l'action civile résultant des délits prévus par la présente loi se prescriront après trois mois révolus, à compter du jour où ils auront été commis ou du jour du dernier acte d'instruction ou de poursuite s'il en a été fait.

En matière numérique, il est constant que le point de départ du délai de prescription est la date de première mise en ligne du propos litigieux sur Internet.

Comme l'ont relevé les premiers juges, il résulte de la copie d'écran versée aux débats par les époux P. et la société Marin'Immo que l'avis litigieux a été mis en ligne le 18 avril 2015. Ceux-ci demandent néanmoins en cause d'appel que soit écartée la prescription au motif qu'il ne peut être établi avec certitude, à partir de ce seul document, que l'avis a bien été mis en ligne à cette date.

La Cour relève toutefois que les époux P. et la société Marin'Immo n'hésitent pas par ailleurs à tenir pour certains, de ce même document, les propos diffamatoires et dénigrants portés sur le site Tripadvisor par Vincent B.. Ce document versé par les appelants sera donc considéré comme faisant preuve.

Par conséquent, la décision des premiers juges sera confirmée en ce qu'ils ont retenu le 18 avril 2015 comme étant la date de mise en ligne et déclarée irrecevable pour cause de prescription l'action fondée sur la loi du 29 juillet 1881.

Sur l'action fondée sur les dispositions de l'article 1382 ancien du Code civil

Les époux P. et la société Marin'Immo fondent au surplus leur action sur la notion de dénigrement.

Cette notion doit être distinguée de la notion de diffamation.

Les propos portant atteinte à l'honneur ou à la considération d'une personne physique ou morale relèvent de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse. La diffamation est définie par son article 29, alinéa 1er, comme toute allégation ou imputation d'un fait qui porte atteinte à l'honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé.

Le dénigrement, susceptible de caractériser un acte fautif au sens de l'article 1382 ancien du Code civil, devenu l'article 1240 du Code civil, qui constitue une catégorie d'acte de concurrence déloyale, consiste à jeter publiquement le discrédit sur les produits, l'entreprise ou la personnalité d'un concurrent pour en tirer un profit. Il en résulte que les allégations qui n'ont pour objet que de mettre en cause la qualité des prestations fournies par une société, même si elles visent une société nommément désignée ou son dirigeant, relèvent du dénigrement que dans la mesure où elles émanent d'une société concurrente de la même spécialité exerçant dans le même secteur et sont proférées dans le but manifeste d'en détourner la clientèle.

En l'espèce, les propos rapportés par les époux P. et la société Marin'Immo, qu'ils jugent totalement mensongers, consistent en réalité en une critique par Vincent B., personne physique, des prestations fournies par le restaurant, sans volonté de détourner ses clients, et doivent ainsi être poursuivis sur le terrain de la diffamation et non sur celui de la concurrence déloyale pour dénigrement.

De plus, comme l'ont très justement relevé les premiers juges, outre le fait que les époux P. et la société Marin'Immo échouent à démontrer une attitude dénigrante dans l'expression de Vincent B., ils se contentent d'affirmer que le préjudice subi par eux est d'une extrême gravité sans rapporter la preuve d'un préjudice qui serait en lien de causalité direct et certain avec la publication de l'avis sur le site Internet Tripadvisor.

Le jugement entrepris sera donc confirmé en ce qu'il a rejeté la demande des époux P. et la société Marin'Immo sur ce fondement.

Sur les dépens et les frais non remboursables

Le jugement sera également confirmé en ce qui concerne les dépens et l'application de l'article 700 du Code de procédure civile.

Les époux P. et la société Marin'Immo seront condamnés aux dépens de l'appel.

En l'espèce, l'équité commande de ne pas faire application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant par arrêt contradictoire et mis à disposition au greffe ;

CONFIRME le jugement rendu le 6 novembre 2018 par le tribunal de grande instance de Montpellier, en toutes ses dispositions ;

DIT n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile au titre des frais non remboursables exposés en appel ;

CONDAMNE Jean-Marc P., Linda K. épouse P. et la société Marin'Immo aux dépens de l'appel.