Livv
Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 20 janvier 2021, n° 18/22076

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Sodicob 2000 (SARL)

Défendeur :

Haribo Ricqlès Zan (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Dallery

Conseillers :

M. Gilles, Mme Depelley

T. mixte com. Fort-de-France, du 24 juil…

24 juillet 2018

FAITS ET PROCÉDURE

La société Haribo Ricqlès Zan (ci-après « Haribo ») a pour activité la fabrication de produits de confiserie.

La société Sodicob 2000 (ci-après « Sodicob ») a pour activité le commerce de gros de sucre, chocolat et confiseries à destination des entreprises. Elle distribue depuis sa création les produits de la marque Haribo sur le territoire de la Guadeloupe.

Suivant lettre d'engagement du 23 juin 2000, la société Haribo a consenti à la société Sodicob l'exclusivité de la distribution de ses produits sur le territoire de la Guadeloupe. Cet accord de distribution était consenti pour l'année 2000 et prévoyait une reconduction pour l'année 2001. À l'issue de l'année 2001, les parties ont poursuivi leurs relations commerciales en dehors de tout accord écrit.

Par lettre recommandée avec accusé de réception du 16 février 2015, la société Haribo a notifié à la société Sodicob sa décision de mettre un terme à leurs relations à compter du 28 février 2017.

Le 4 février 2016, la société Sodicob a assigné la société Haribo, en invoquant notamment la rupture brutale des relations commerciales étables par cette dernière.

Par jugement du 24 juillet 2018, le tribunal de commerce de Fort-de-France a :

- Rejeté le moyen tiré de la nullité de l'assignation ;

- Débouté les parties de leurs demandes respectives ;

- Condamné la SARL Sodicob 2000 aux dépens ;

- Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du Code de procédure civile et à exécution provisoire du présent jugement.

Par déclaration du 11 octobre 2018, la société Sodicob a interjeté appel de ce jugement.

Vu les dernières conclusions déposées et notifiées le 19 octobre 2020 par la société Sodicob 2000, par lesquelles il est demandé à la Cour de :

Vu l'article 56 du Code de procédure civile,

Vu l'article L. 442-6-I du Code de commerce,

Vu l'article L. 420-2-1 du Code de commerce,

- Déclarer recevable et fondé l'appel interjeté par la société Sodicob 2000.

Y faisant droit,

- Infirmer la décision entreprise en toutes ses dispositions et, statuant à nouveau,

- Dire et juger que les manquements de la société Haribo ont eu pour conséquence directe les retards de paiement de la société Sodicob 2000 ;

- Dire et juger les pratiques déloyales et discriminatoires de la société Haribo ont entraîné un déséquilibre significatif dans les relations commerciales existantes entre les parties ;

- Dire et juger brutale la rupture des relations commerciales notifiée par la société Haribo à la société Sodicob 2000.

En conséquence,

- Condamner la société Haribo à payer à la société Sodicob 2000 la somme de 1 625 653,50 euros en réparation de la violation d'un délai de préavis suffisant ;

- Condamner la société Haribo à payer à la société Sodicob 2000 la somme de 1 115 049,20 euros en réparation de son préjudice économique ;

- Ordonner l'exécution provisoire de l'arrêt à intervenir ;

- Condamner la société Haribo à payer à la société Sodicob 2000 la somme de 10 000,00 euros au titre des frais irrépétibles outres les entiers dépens de l'instance ;

- Condamner la même aux entiers dépens ;

Vu les dernières conclusions signifiée le 30 octobre 2020 par la société Haribo Ricqles Zan, par lesquelles il est demandé à la Cour de :

Vu les articles L. 232-22, L. 420-2-1 et L. 442-6 du Code de commerce,

Vu les articles 9, 32-1,56, 696 et 700 du Code de procédure civile,

Vu la jurisprudence,

Il est demandé à la Cour de céans de :

- Constater l'absence de rupture brutale des relations commerciales établies ;

- Constater que la société Haribo n'a commis aucun manquement de nature à engager sa responsabilité contractuelle ;

- Constater que la société Haribo n'a commis aucun manquement de nature à engager sa responsabilité délictuelle.

En conséquence :

- Dire et juger que la société Haribo n'a commis aucune faute dans l'exécution de ses obligations ;

- Dire et juger que la société Haribo n'a commis aucune faute dans la cessation des relations commerciales avec la société Sodicob 2000 ;

- Confirmer le jugement déféré en ce qu'il déboute la société Sodicob 2000 de l'intégralité de ses demandes, fins et prétentions, sauf sur la demande reconventionnelle de la société Haribo

Statuant de nouveau de ce chef :

- Condamner la société Sodicob 2000 au paiement de la somme de 4 042,71 € au titre des pénalités de retard de paiement et de l'indemnité forfaitaire pour frais de recouvrement ;

- Condamner la société Sodicob 2000 au paiement de la somme de 10 000 € au titre des dommages-intérêts pour procédure abusive.

En tout état de cause :

- Condamner la société Sodicob au paiement de la somme de 20 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Condamner la société Sodicob 2000 aux entiers dépens d'appel, distraits au profit de Maître Florence G. conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

SUR CE, LA COUR

Sur la rupture des relations commerciales

L'appelante soutient qu'un préavis supérieur à 24 mois devait lui être accordé au regard des caractéristiques particulières de la relation tenant à :

- sa dépendance économique à l'égard de Haribo, du fait de l'exclusivité qui lui a été consentie,

- l'importance financière de la relation commerciale,

- l'importance des investissements qu'elle a réalisés,

- la particularité des produits fournis par Haribo et les possibilités inexistantes de reconversion.

L'intimée soutient que le préavis de 24 mois accordé est parfaitement justifié, et plus important que les délais habituels au regard de la jurisprudence en la matière, sans qu'aucune autre circonstance particulière ne justifie d'allonger ce délai.

Elle fait valoir que :

- il n'existait pas d'exclusivité, ni de fourniture ni d'approvisionnement, au moment de la notification de la rupture des relations commerciales, contrairement à ce que fait valoir l'appelante,

- celle-ci ne prouve pas de façon sérieuse l'importance de la relation commerciale des parties, et partant rendent extravagantes les demandes d'indemnisation,

- les produits qu'elle fournit ne présentent aucun caractère particulier,

- l'appelante ne se prévaut d'aucun investissement stratégique de nature à justifier l'allongement de la durée du préavis,

- celle-ci disposait de possibilités de reconversion en l'absence d'obligation de non-concurrence ou d'exclusivité d'approvisionnement.

L'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019 applicable au litige, dispose qu'engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers, de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels

En l'espèce, le caractère établi des relations commerciales qui se sont poursuivies pendant 15 ans et huit mois au jour de la lettre de rupture adressée par Haribo n'est pas contesté.

Seul est en débat le délai de préavis dont Sodicob estime qu'il devait être de 84 mois au lieu du délai de 24 mois accordé.

Le délai de préavis doit s'entendre du temps nécessaire à l'entreprise délaissée pour préparer le redéploiement de son activité ou de trouver un autre partenaire ou une solution de remplacement. Les principaux critères à prendre en compte sont la dépendance économique, l'ancienneté des relations, le volume d'affaires et la progression du chiffre d'affaires, les investissements spécifiques effectués et non amortis, les relations d'exclusivité et la spécificité des produits et services en cause, sans qu'il y ait lieu de tenir compte de circonstances postérieures à la rupture.

S'agissant de l'importance financière de la relation commerciale, Sodicob soutient qu'en moyenne 67,66 % de son chiffre d'affaires était réalisé avec la société Haribo sur les exercices 2014 à 2016 et produit notamment, en cause d'appel une lettre de son expert-comptable du 22 novembre 2018 (sa pièce 44) comportant un tableau de synthèse des chiffres d'affaires et marges commerciales réalisées par la vente de marchandises achetées chez Haribo sur les exercices du 30 septembre 2014 au 30 septembre 2017 et disant qu'il en ressort que « le chiffre d'affaires représentait respectivement du 30-09-2014 au 30-09-2016, dernière date de clôture avant l'arrêt définitif des livraisons de marchandises Haribo, en date du 28 février 2017, une part prépondérante de l'activité de SODICOB 2000, soit 65 %, 68 %, et 70 %. »

M. X ajoute :

« De même, la valeur de la marge réalisée en euros par les ventes de marchandises Haribo représentait respectivement 67 %, 72 %, et 74 %.

L'exercice clos le 30-09-2017 met en évidence la forte dégradation des chiffres d'affaires et marges Haribo suite à l'arrêt des livraisons ».

L'appelante produit également un tableau retraçant le chiffre d'affaires HT par fournisseur du 30-09-2014 au 30-09-2017 (ses pièces 45 et 49) certifié conforme aux états et statistiques globales issues du logiciel par son expert-comptable, duquel elle déduit que la valeur de la marge réalisée pour les ventes de marchandises Haribo représentait entre 67 et 74 % sur les années 2014 à 2017.

Si Haribo fait état d'erreurs de calcul manifestes et de données fausses par rapport aux documents fiscaux et comptables produits, il apparaît que les parties s'opposent sur la pertinence des comparaisons faites.

Ainsi le pourcentage de la marge Haribo est calculé par l'appelante sur la marge totale, alors que l'intimée estime que le calcul doit être fait sur les ventes Haribo, soit un pourcentage de 67,45 % au 30 septembre 2014 dans le premier cas et de 41,31 % dans le second cas.

En outre, le montant des ventes de marchandises retenu par l'appelante ne prend en compte que les seules ventes de marchandises proprement dites et non pas le chiffre d'affaires global.

De même, l'appelante calcule le ratio des ventes Haribo sur les seules ventes de marchandises, à l'exclusion des refacturations publicitaires alors que l'intimée estime que le calcul doit être effectué sur le total du chiffre d'affaires, ce qui aboutit dans le premier cas à 64,87 % au 30 septembre 2014 et à 63,74 % dans le second cas.

En tout état de cause, la Cour retient au vu des pièces produites, l'importance du chiffre d'affaires réalisé par Sodicob avec Haribo supérieur à 50 % entre le 30 septembre 2014 et le 30 septembre 2017 et en progression jusqu'au 30 septembre 2016 (plus de 69 %).

S'agissant des investissements spécifiques effectués et non amortis, l'appelante fait état de deux à trois opérations commerciales organisées et financées par elle tous les ans, outre les opérations commerciales chez les grossistes et les opérations de sponsoring (ses pièces 17 à 20, 43, 21 à 26). Elle ajoute que Haribo a supprimé en 2011 sa participation publicitaire (pièce 27 ).

Mais, outre que la majorité des pièces produites datent de plus de cinq ans avant la cessation des relations commerciales entre les parties ou ne sont pas datées, les prestations dont s'est acquittée Sodicob à l'égard de tiers, notamment de publicité, sont impropres à caractériser un investissement spécifique réalisé par elle à la demande de la société Haribo, de nature à justifier un allongement du délai de préavis.

S'agissant des relations d'exclusivité, si une exclusivité de fourniture des produits Haribo a été consentie à la Sodicob ainsi qu'il résulte de la lettre d'engagement du 23 juin 2000, celle-ci a cessé en 2012 avec l'entrée en vigueur de la loi Hurel mettant un terme à une telle exclusivité sur le territoire de la Guadeloupe, de sorte que Sodicob n'est pas fondée à s'en prévaloir au jour de la rupture.

Et il n'est justifié d'aucune exclusivité d'approvisionnement de sorte que Sodicob était en droit de commercialiser des produits concurrents.

Il est d'ailleurs établi par les pièces produites qu'elle avait d'autres sources d'approvisionnement.

S'agissant de la spécificité des produits en cause ainsi que le fait valoir l'intimée, les produits fournis pas Haribo ne correspondent pas aux deux types d'opérations à savoir : la vente de produits sous marque de distributeur ou des enchères inversées, de nature à justifier un allongement du délai de préavis.

Il résulte de l'ensemble de ces éléments que le délai de préavis de 24 mois accordé par la société Haribo prend en compte la relation commerciale établie qui a duré près de 16 ans, l'importance de la part du chiffre d'affaires réalisée par la société Sodicob avec la société Haribo ainsi que le temps nécessaire à la réorganisation de son activité en l'absence d'exclusivité d'approvisionnement.

La cour, confirmant le jugement entrepris, dira le délai de préavis accordé suffisant et déboutera en conséquence la société Sodicob de sa demande d'indemnisation au titre de la brutalité alléguée de la rupture.

Sur les pratiques déloyales

L'appelante soutient que la lettre de rupture du 16 février 2015 n'a été notifiée que pour couvrir des pratiques déloyales créant un déséquilibre significatif entre les partenaires commerciaux, engageant la responsabilité de la société Haribo sur le fondement des articles 1134 ancien du code civil et L. 442-6, I du code de commerce

Elle fait valoir à cet égard que la modification unilatérale et sans préavis par la société Haribo du délai contractuel de paiement de 90 jours fin de mois (sa pièce 3), pour le ramener à 60 jours, est constitutive d'un déséquilibre significatif ayant accru ses difficultés alors même que l'intimée avait supprimé les budgets publicitaires contrairement à son homologue en Martinique et que Haribo ne peut lui reprocher le non-respect des délais au regard de ses propres manquements contractuels : erreurs de facturation, mauvaise qualité des produits livrés, absence de livraison.

Enfin, elle lui reproche de ne pas avoir conclu une convention écrite avec elle conformément à l'article 441-7 du code de commerce issu de la loi LME du 4 août 2008 et d'avoir augmenté les prix pratiqués avec elle, créant une différence par rapport aux prix pratiqués avec ses concurrents ainsi que d'avoir mis un terme à la relation après avoir mis fin aux délais de paiement et avant la mise en œuvre du plan de développement.

Elle soutient qu'au regard de la déloyauté de la société Haribo le délai de préavis accordé était insuffisant.

Mais il convient de relever que la société Haribo a rompu ses relations contractuelles avec son partenaire commercial, comme elle en avait parfaitement le droit, sans se prévaloir d'une faute de la société Sodicob à laquelle elle a accordé un préavis de 24 mois dont il résulte des développements ci-dessus qu'il était suffisant.

Dès lors, la société Sodicob ne peut se prévaloir d'une rupture en réalité fautive (et non brutale) du contrat par la société Haribo, en invoquant des manquements contractuels au soutien de sa demande d'indemnisation de son préjudice économique.

S'agissant du déséquilibre significatif dans les relations commerciales entre les parties, elle se prévaut de pratiques déloyales et discriminatoires créant un déséquilibre significatif entre les partenaires commerciaux, engageant la responsabilité de la société Haribo sur le fondement de l’article, L 442-6, I du code de commerce.

Selon l'article L. 442-6, I, 2° ancien du code de commerce, applicable à la cause : « Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers : (...) 2° De soumettre ou de tenter de soumettre un partenaire commercial à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties ».

Les deux éléments constitutifs de cette pratique restrictive de concurrence sont, en premier lieu, la soumission ou la tentative de soumission et, en second lieu, l'existence d'obligations créant un déséquilibre significatif.

En l'espèce, même à admettre l'existence d'une soumission constituée par la réduction des délais de paiement imposée par la société Haribo à la société Sodicob qui en avait été avertie (pièces 6-3 et 7-1 adverses), cette dernière ne démontre pas en quoi il en résulterait un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties, étant observé que le passage des délais de paiement de 90 jours à 60 jours avait été pris en raison des retards répétés de paiement des factures depuis plusieurs années et que le plan de développement 2014-2015 prévoyait de revenir au délai de 90 jours initial moyennant une parfaite exécution des conditions de paiement (pièce 3 de l'appelante).

Dès lors, sa demande fondée sur l'existence d'un déséquilibre significatif est rejetée et par suite sa demande d'indemnisation de son préjudice économique.

Sur la demande reconventionnelle au titre des intérêts de retard

L'intimée sollicite, à titre reconventionnel, la condamnation de l'appelante à lui payer la somme de 4 042,71 euros, au titre des intérêts de retard et de l'indemnité forfaitaire pour frais de recouvrement.

Mais, c'est par des motifs justes et pertinents que la Cour adopte que le tribunal a rejeté cette demande.

En effet, la société Haribo ne justifie pas de sa demande par la seule production des factures et un tableau (sa pièce 13) réalisé par elle-même.

Sur le caractère abusif de la procédure

L'intimée soutient que l'intention de nuire et la mauvaise foi de l'appelante sont patentes, caractérisant une faute justifiant sa condamnation au paiement de dommages et intérêts pour procédure abusive sur le fondement de l'article 32-1 du code de procédure civile.

Mais, la cour estime n'y avoir lieu à condamnation à une amende civile et l'intention malicieuse de la société Sodicob dans son droit d'agir en justice n'est pas établie à l'appui de la demande de dommages-intérêts.

Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile

Sodicob qui succombe, est condamnée aux dépens d'appel et déboutée de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Elle est en revanche condamnée en cause d'appel à payer à la société Haribo la somme de 8 000 euros sur ce fondement.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

Statuant publiquement, par décision contradictoire,

Statuant dans les limites de l'appel,

CONFIRME le jugement ;

Y ajoutant,

CONDAMNE la société Sodicob 2000 aux dépens avec droit de recouvrement direct dans les termes de l'article 699 du code de procédure civile ainsi qu'à payer à la société Haribo Ricqles Zan la somme de 8 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

REJETTE toute autre demande.