CAA Nantes, 4e ch., 22 janvier 2021, n° 19NT05057
NANTES
Arrêt
Rejet
PARTIES
Demandeur :
Prezioso Linjebygg (Sté)
Défendeur :
Philippe Lassarat (SA), Département de la Loire-Atlantique
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président de chambre :
M. Lainé
Rapporteur public :
M. Besse
Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Le département de la Loire-Atlantique a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Nantes de condamner solidairement les sociétés Philippe Lassarat SA et Prezioso Linjebygg à lui verser, à titre de provision, la somme de 300 000 euros, majorée des intérêts au taux légal avec capitalisation, en réparation de son préjudice économique né de pratiques anticoncurrentielles commises par ces entreprises, ainsi que la somme de 15 982 euros, majorée des intérêts au taux légal avec capitalisation, au titre des frais d’expertise exposés.
Par une ordonnance n° 1903756 du 19 décembre 2019, le juge des référés du tribunal administratif de Nantes a condamné solidairement les sociétés Philippe Lassarat et Prezioso Linjebygg à payer, à titre de provision, au département de la Loire-Atlantique les sommes de 200 000 euros au titre de son préjudice économique, de 15 982 euros au titre des frais d’expertise et de 1 200 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative, et a condamné ces deux sociétés à se garantir respectivement à hauteur de 50 % chacune de ces condamnations.
Procédures devant la cour :
I. Sous le n° 19NT05057, par une requête et un mémoire, enregistrés les 31 décembre 2019 et 16 octobre 2020, la société Prezioso Linjebygg, représentée par Me X, demande à la cour :
1°) d’annuler cette ordonnance du 19 décembre 2019 du juge des référés du tribunal administratif de Nantes en tant qu’elle la condamne ;
2°) de rejeter toute demande de provision du département de la Loire-Atlantique ;
3°) subsidiairement, de rejeter toute demande de garantie présentée à son encontre par la société Philippe Lassarat et, en cas de condamnation la concernant, de condamner la société Philippe Lassarat à la garantir intégralement ;
4°) de mettre à la charge du département de la Loire-Atlantique la somme de 5 000 euros en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la requête du département était irrecevable : le département de la Loire-Atlantique ne pouvait saisir le juge de sa demande provisionnelle alors que la créance ne trouve pas son origine dans un contrat dès lors qu’aucune relation contractuelle ne la liait à cette collectivité ;
- subsidiairement, la demande du département est sérieusement contestable :
. la seule décision de l’Autorité de la concurrence ne suffit pas à fonder sa responsabilité quasi-délictuelle ; l’existence d’agissements dolosifs de la société à l’égard du département n’est pas établie eu égard notamment à la date et à la teneur de l’échange d’informations entre entreprises relevé par l’Autorité de la concurrence et à l’absence de manœuvres dolosives en vue de conduire le département à conclure à un prix désavantageux ;
. il n’existe pas de lien de causalité entre la faute supposée et le préjudice allégué ; les conclusions de l’expert sont erronées au regard des explications techniques qu’elle a fournies relatives à la variation de ses prix entre les deux offres et elles n’établissent pas que le prix du marché signé n’était pas « juste » ; les modes d’évaluation du préjudice sont erronés ; le lien entre l’échange d’informations du 14 mars 2006 et un éventuel surprix n’est pas établi ;
- il n’y a pas lieu de la condamner à garantir la société Philippe Lassarat à hauteur de 50 % des condamnations alors qu’elle n’a aucun lien contractuel avec le département et que son offre n’était pas surévaluée artificiellement ; inversement cette société la garantira de toute éventuelle condamnation ;
- les conclusions d’appel incident du département sont infondées.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 30 septembre et 22 octobre 2020, le département de la Loire-Atlantique, représenté par Me Y, conclut au rejet de la requête, demande la réformation de l’ordonnance du 19 décembre 2019 en tant seulement qu’elle limite à 200 000 euros le montant de la provision destinée à réparer son préjudice économique pour le porter à 300 000 euros, avec intérêts au taux légal et anatocisme, et de mettre à la charge des sociétés Prezioso Linjebygg et Philippe Lassarat une somme de 3 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que les moyens soulevés par la société Prezioso Linjebygg ne sont pas fondés et que son préjudice est au minimum de 300 000 euros, ainsi qu’il résulte du rapport d’expertise.
II. Sous le n° 20NT00005, par une requête et des mémoires, enregistrés les 2 janvier, 17 août et 21 octobre 2020, la société Entreprise Philippe Lassarat, représentée par Me Z, demande à la cour :
1°) d’annuler cette ordonnance du 19 décembre 2019 du juge des référés du tribunal administratif de Nantes en tant qu’elle la condamne ;
2°) de rejeter toute demande de provision du département de la Loire-Atlantique ;
3°) subsidiairement, de réformer l’ordonnance en ce qu’elle l’a condamnée à garantir la société Prezioso Linjebygg à hauteur de 50 % des condamnations prononcées et, en cas de condamnation la concernant, de condamner la société Prezioso Linjebygg à la garantir intégralement de toute condamnation ;
4°) de mettre à la charge du département de la Loire-Atlantique la somme de 8 000 euros en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le département n’établit pas l’existence d’agissements dolosifs de sa part : il existe une contestation sérieuse de l’intention qu’elle aurait eu de fausser le jeu de la concurrence ;
- il n’existe pas de lien de causalité entre sa faute supposée et le préjudice allégué par le département ;
- l’évaluation du préjudice du département est erronée ; l’expert n’a pas pris en compte ses observations techniques et n’a pas eu recours à un sapiteur économiste de la construction ; il n’a pas procédé à une analyse de la structure des offres prenant en compte l’existence de groupements d’entreprises comprenant des sociétés appartenant d’une part au secteur de la métallerie et de l’autre à celui de la peinture d’infrastructures métalliques alors que l’entente alléguée ne concerne que les entreprises de peinture.
- subsidiairement, elle sera garantie de toute éventuelle condamnation par la société Prezioso Linjebygg dès lors que seule la responsabilité de cette dernière au titre de l’offre qu’elle a faite lors du second appel d’offre est susceptible d’être engagée ;
- la demande de garantie présentée par la société Prezioso Linjebygg sera écartée faute d’établir l’existence d’un fait qui lui aurait été préjudiciable ;
- les conclusions d’appel incident du département seront écartées faute d’établir son préjudice.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 30 septembre et 22 octobre 2020, le département de la Loire-Atlantique, représenté par Me Y, conclut au rejet de la requête, demande, par la voie de l’appel incident, de réformer l’ordonnance du 19 décembre 2019 en tant seulement qu’elle limite à 200 000 euros le montant de la provision destinée à réparer son préjudice économique pour le porter à 300 000 euros, avec intérêts au taux légal et anatocisme, et de mettre à la charge des sociétés Prezioso Linjebygg et Philippe Lassarat une somme de 3 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que les moyens soulevés par la société Philippe Lassarat ne sont pas fondés et que son préjudice est au minimum de 300 000 euros, ainsi qu’il résulte du rapport d’expertise.
Par des mémoires, enregistrés les 3 août et 16 octobre 2020, la société Prezioso Linjebygg, représentée par Me X, demande à la cour :
1°) d’annuler cette ordonnance du 19 décembre 2019 du juge des référés du tribunal administratif de Nantes en tant qu’elle la condamne ;
2°) de rejeter toute demande de provision du département de la Loire-Atlantique ;
3°) subsidiairement, de rejeter toute demande de garantie présentée à son encontre par la société Philippe Lassarat et, en cas de condamnation la concernant, de condamner la société Philippe Lassarat à la garantir intégralement ;
4°) de mettre à la charge du département de la Loire-Atlantique la somme de 5 000 euros en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la requête du département était irrecevable : le département de la Loire-Atlantique ne pouvait saisir le juge de sa demande provisionnelle alors que la créance ne trouve pas son origine dans un contrat dès lors qu’aucune relation contractuelle ne la liait à cette collectivité ;
- subsidiairement, la demande du département est sérieusement contestable :
. la seule décision de l’Autorité de la concurrence ne suffit pas à fonder sa responsabilité quasi-délictuelle ; l’existence d’agissements dolosifs de la société à l’égard du département n’est pas établie eu égard notamment à la date et à la teneur de l’échange d’informations entre entreprises relevé par l’Autorité de la concurrence, à l’absence de manœuvres dolosives en vue de conduire le département à conclure à un prix désavantageux ;
. il n’existe pas de lien de causalité entre la faute supposée et le préjudice allégué ; les conclusions de l’expert sont erronées au regard des explications techniques qu’elle a fournies relatives à la variation de ses prix entre les deux offres et n’établissent pas que le prix du marché signé n’était pas « juste » ; les modes d’évaluation du préjudice sont erronés ; le lien entre l’échange d’informations du 14 mars 2016 et un éventuel surprix n’est pas établi ;
- il n’y a pas lieu de la condamner à garantir la société Philippe Lassarat à hauteur de 50 % des condamnations alors qu’elle n’a aucun lien contractuel avec le département et que son offre n’était pas surévaluée artificiellement ; inversement cette société la garantira de toute éventuelle condamnation ;
- les conclusions d’appel incident du département sont infondées.
Vu les autres pièces des dossiers.
Vu :
- le code de commerce ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience. Ont été entendus au cours de l’audience publique :
- le rapport de M. C,
- les conclusions de M. Besse, rapporteur public,
- et les observations de Me X, représentant la société Prezioso Linjebygg, et de Me Y, représentant le département de la Loire-Atlantique.
Considérant ce qui suit :
1. En 2005, le département de la Loire-Atlantique a lancé un appel d’offres pour la réparation et la remise en peinture du pont de Varades, avec une date limite de réception des offres fixée au 10 février 2006. Bien que trois groupements, dont le groupement Lassarat-Baudin et le groupement Prezioso-Freyssinet, aient émis des offres, cet appel d’offres a été déclaré infructueux. Un second appel d’offres a été lancé par recours à la procédure d’appel d’offres négocié auquel ont répondu les deux groupements Lassarat-Baudin et Prezioso-Freyssinet. Le marché a été attribué au groupement Lassarat-Baudin, qui était le moins disant après négociation avec un montant de 2 384 464,50 euros tandis que l’offre du groupement Prezioso-Freyssinet s’élevait à 2 396 712,35 euros. Par ailleurs, par une décision du 24 février 2011 devenue définitive, l’Autorité de la concurrence a condamné les sociétés Philippe Lassarat SA et société Prezioso Linjebygg SAS à des sanctions pécuniaires pour des pratiques anticoncurrentielles commises notamment lors de l’appel d’offres pour le marché de réparation et d’entretien du pont de Varades. L’expert désigné par le juge des référés du tribunal administratif de Nantes le 25 mars 2016 afin de déterminer l’existence et le montant du préjudice économique subi par le département dans le cadre de la procédure de passation du marché litigieux a conclu, dans son rapport rendu le 17 octobre 2017, à ce que le montant de ce préjudice était compris entre 287 000 et 310 000 euros. Par une ordonnance du 19 décembre 2019, le juge des référés du tribunal administratif de Nantes a, d’une part, condamné solidairement les sociétés Philippe Lassarat et Prezioso Linjebygg à verser au département de la Loire-Atlantique, à titre de provision, la somme de 200 000 euros en réparation de son préjudice, la somme de 15 982 euros en remboursement des frais d’expertise ainsi que la somme de 1 200 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative et, d’autre part, jugé que ces deux sociétés se garantiront respectivement à titre provisionnel à hauteur de 50 % chacune de ces condamnations. Par les requêtes n° 19NT05057 et n° 20NT00005 les sociétés Prezioso Linjebygg et Philippe Lassarat demandent respectivement, à titre principal, l’annulation de cette ordonnance et le rejet de la demande du département de la Loire-Atlantique et, subsidiairement, de rejeter toute demande de garantie présentée par l’autre société et d’être garantie par celle-ci. Le département de la Loire-Atlantique pour sa part conclut au rejet des deux requêtes et demande, au titre de conclusions d’appel incident présentées dans chacune des instances, que la provision accordée au titre de son préjudice économique soit portée à 300 000 euros.
2. Les requêtes n° 19NT05057 et n° 20NT00005 présentent à juger des questions connexes, sont dirigées contre la même ordonnance et ont fait l’objet d’une instruction commune. Il y a lieu de les joindre pour statuer par un mêMe Xrrêt.
Sur le bien-fondé de l’ordonnance attaquée :
En ce qui concerne la fin de non-recevoir opposée à la demande de première instance par la société Prezioso Linjebygg :
3. Si une personne publique est, en principe, irrecevable à demander au juge administratif de prononcer une mesure qu’elle a le pouvoir de prendre, la faculté d’émettre un titre exécutoire dont elle dispose ne fait pas obstacle, lorsque la créance trouve son origine dans un contrat, à ce qu’elle saisisse le juge d’administratif d’une demande tendant à son recouvrement. L’action tendant à l’engagement de la responsabilité quasi-délictuelle de sociétés en raison d’agissements dolosifs susceptibles d’avoir conduit une personne publique à contracter avec l’une d’entre elles, à des conditions de prix désavantageuses, qui tend à la réparation d’un préjudice né du contrat lui-même et résultant de la différence éventuelle entre les termes du marché effectivement conclu et ceux auxquels il aurait dû l’être dans des conditions normales de concurrence, doit être regardée, pour l’application de ces principes, comme trouvant son origine dans le contrat, y compris lorsqu’est recherchée la responsabilité d’une société ayant participé à ces agissements dolosifs sans conclure ensuite avec la personne publique.
4. L’action introduite par le département de la Loire-Atlantique devant le juge administratif est fondée sur la responsabilité quasi délictuelle des sociétés Philippe Lassarat et Prezioso Linjebygg en raison des agissements dolosifs de celles-ci, consistant en une entente sur les prix et la présentation d’une offre de couverture, lors de la passation et la conclusion d’un marché public, conclu en 2006 au terme d’une procédure négociée, avec un groupement d’entreprises solidaires constitué des sociétés Philippe Lassarat et Baudin Chateauneuf en vue de la réparation et de la remise en peinture du pont de Varades. Il est constant que la société Prezioso Linjebygg a présenté une offre à cette occasion, qui été rejetée. Par suite, pour les motifs exposés au point précédent, cette société n’est pas fondée à soutenir que la demande provisionnelle présentée à son encontre par le département de la Loire-Atlantique devant le juge des référés du tribunal administratif de Nantes, qui trouve son fondement dans sa participation aux agissements dolosifs ayant conduit à la conclusion en 2006 du contrat avec les sociétés Philippe Lassarat et Baudin Chateauneuf, était irrecevable.
En ce qui concerne le caractère non sérieusement contestable des provisions demandées :
5. Selon l’article R. 541-1 du code de justice administrative : « Le juge des référés peut, même en l’absence d’une demande au fond, accorder une provision au créancier qui l’a saisi lorsque l’existence de l’obligation n’est pas sérieusement contestable. (...) ». Il résulte de ces dispositions que pour regarder une obligation comme non sérieusement contestable, il appartient au juge des référés de s’assurer que les éléments qui lui sont soumis par les parties sont de nature à en établir l’existence avec un degré suffisant de certitude. Dans ce cas, le montant de la provision que peut allouer le juge des référés n’a d’autre limite que celle résultant du caractère non sérieusement contestable de l’obligation dont les parties font état. Dans l’hypothèse où l’évaluation du montant de la provision résultant de cette obligation est incertaine, le juge des référés ne doit allouer de provision, le cas échéant assortie d’une garantie, que pour la fraction de ce montant qui lui paraît revêtir un caractère de certitude suffisant.
S’agissant des conclusions d’appel principal de la société Prezioso Linjebygg :
6. En premier lieu, les sociétés Philippe Lassarat et Prezioso Linjebygg ont été respectivement condamnées par une décision de l’Autorité de la concurrence du 24 février 2011 à des amendes de 1 008 000 euros et 120 000 euros en raison de leur participation, avec deux autres entreprises, à une entente dans le secteur des travaux de peinture d’infrastructures métalliques. Plus particulièrement, s’agissant du marché de réfection du pont de Varades, cette décision retient que « L’échange d’informations tel que décrit aux points 80 à 87 de la décision, s’il n’a pas eu d’influence sur le premier appel d’offres, a permis lors du second à Prezioso d’aligner son offre sur celle de Lassarat. / Cet échange d’informations sur les prix a, lors du second appel d’offres, limité l’indépendance des offres, condition normale du jeu de la concurrence lors du deuxièMe Xppel d’offres. La concurrence a ainsi été faussée. ». La même décision précise ensuite le dommage à l’économie ainsi commis du fait de cette « tromperie sur la réalité de la concurrence » pour la collectivité publique concernée et prend en compte cette situation dans le calcul de l’amende infligée à la société Prezioso Linjebygg. Compte tenu des éléments précis sur lesquels est fondée la constatation par l’Autorité de la concurrence de l’existence d’une entente sur les prix associée à la présentation par la partie non contractante d’une offre dite « de couverture », les requérantes ne contestent pas sérieusement la réalité d’une pratique anticoncurrentielle constitutive de leur part d’agissements dolosifs. Le lien entre la faute commise et le préjudice économique subi par le département de la Loire-Atlantique n’apparaît pas davantage sérieusement contestable au regard notamment de la différence, établie par le rapport d’expertise, entre le prix négocié du marché, s’élevant à 2 384 464,50 euros, et l’estimation préalable pertinente, s’élevant à 2 097 494 euros, qui en avait été faite par le maître d’œuvre de l’opération dans le cadre de sa mission d’assistance à la passation du marché.
7. En deuxième lieu, il résulte de l’instruction, en particulier du rapport d’expertise remis par l’expert-comptable désigné par le président du tribunal administratif de Nantes, que le préjudice financier du département de la Loire-Atlantique né de la pratique anticoncurrentielle organisée par les sociétés Prezioso Linjebygg et Philippe Lassarat est au cas d’espèce « de l’ordre de 300 000 euros », ou plus précisément compris entre 287 000 et 310 000 euros. Pour ce faire l’expert a procédé à deux analyses distinctes, la première résultant d’une comparaison entre le prix estimé avant le lancement de l’appel d’offre par le maitre d’œuvre, dont il estiMe Xprès analyse des arguments des parties qu’il est raisonnable, et le prix auquel le marché a été finalement conclu après négociation, soit 287 000 euros. Au terme de sa seconde analyse l’expert examine les motifs de l’accroissement substantiel du montant de l’offre de la société Prezioso Linjebygg entre le premier marché auquel elle a soumissionné en février 2006 et le second d’avril 2006, où elle savait qu’il devait avoisiner 2 400 000 euros afin de concurrencer la société Philippe Lassarat à un prix comparable, et prend alors en compte les données objectives pouvant l’expliquer, au regard notamment des changements techniques proposés dans la nouvelle offre, pour en déduire l’existence d’un surcoût né de la seule entente entre les sociétés requérantes de l’ordre de 310 000 euros. La société Prezioso Linjebygg, qui persiste à nier même l’existence d’un « surprix » alors qu’elle a été condamnée par l’Autorité de la concurrence et que nombre de ses critiques ont déjà été examinées par l’expert, ne remet pas sérieusement en cause cette méthode et l’évaluation en résultant. Par suite, elle n’est pas fondée à soutenir que le premier juge aurait fait une évaluation infondée de la provision accordée au département de la Loire-Atlantique en fixant le montant non sérieusement contestable de celle-ci à 200 000 euros.
8. En troisième lieu, la société requérante soutient que le juge des référés ne pouvait la condamner à garantir à hauteur de la moitié de cette somme de 200 000 euros la société Philippe Lassarat, mais qu’elle devrait être garantie intégralement par cette dernière de toute condamnation. Il résulte cependant de ce qui été exposé précédemment, notamment de la décision de l’Autorité de la concurrence qui établit l’existence d’une entente généralisée entre ces deux sociétés pour fausser les règles de la concurrence, dont le marché conclu entre le département de la Loire-Atlantique et la société Philippe Lassarat n’est qu’un volet, que les deux sociétés citées doivent se garantir mutuellement à hauteur de la moitié de la somme.
S’agissant des conclusions d’appel principal de la société Philippe Lassarat :
9. En premier lieu, ainsi qu’il a été exposé au point 6 du présent arrêt, la décision de l’Autorité de la concurrence du 24 février 2011 établit l’entente ayant existé entre les sociétés Philippe Lassarat et Prezioso Linjebygg pour fausser le jeu de la concurrence à l’occasion de divers appels d’offre, dont celui relatif à la réparation et la remise en peinture du pont de Varades, et imposer à cette occasion un surcoût au département de la Loire-Atlantique lors de la conclusion du marché. Par suite, la société Philippe Lassarat n’est pas fondée à soutenir que sa responsabilité à l’égard du département de la Loire-Atlantique et le lien entre la faute ainsi commise et le préjudice économique subi par ce dernier seraient sérieusement contestables.
10. En deuxième lieu, la société Philippe Lassarat soutient que l’évaluation du préjudice financier subi par le département de la Loire-Atlantique effectuée par l’expert est erronée dès lors, d’une part, qu’il n’avait pas la compétence nécessaire, en l’absence de recours à un sapiteur économiste de la construction, pour connaitre des prix des travaux de métallerie, de peinture et d’infrastructure métallique avant de calculer tout surcoût de prix, et d’autre part, en l’absence de décomposition des prix selon que ceux-ci concernaient des travaux de peinture, ou des travaux de métallerie confiés à des entreprises tierces non concernées par le mécanisme d’entente. Toutefois, il ne résulte pas de l’instruction, eu égard aux offres faites par les sociétés requérantes lors des deux appels d’offre, que le prix figurant au devis du maitre d’œuvre servant de référence à l’expert pour identifier l’hypothèse basse du préjudice financier du département, soit 287 000 euros, serait erronée. Par suite, alors au surplus que la provision de 200 000 euros accordée par le premier juge au département est bien inférieure à ce montant, la société Philippe Lassarat n’est pas fondée à soutenir que le montant de l’indemnité provisionnelle mise à sa charge n’aurait pas un caractère de certitude suffisant.
11. En troisième lieu, la décision de l’Autorité de la concurrence condamne clairement les deux sociétés requérantes à des amendes en raison de leur collusion afin de fausser les règles de la concurrence lors de plusieurs appels d’offre sur le territoire national, en augmentant artificiellement les prix payés par les divers pouvoirs adjudicateurs, et précise explicitement que, s’agissant du pont de Varades, ces sociétés se sont entendues pour définir un prix minimal lors du second appel d’offre. Par suite, la société Philippe Lassarat n’est pas fondée à soutenir qu’elle ne devrait pas être condamnée à garantir la société Prezioso Linjebygg à hauteur de la moitié de la provision due au département de la Loire-Atlantique et qu’elle devrait être garantie totalement par cette dernière de toute condamnation au même titre.
12. Il résulte de tout ce qui précède que la société Prezioso Linjebygg et la société Philippe Lassarat ne sont pas fondées à soutenir que c’est à tort que, par l’ordonnance attaquée, le juge des référés du tribunal administratif de Nantes les a condamnées solidairement à verser des sommes provisionnelles au département de la Loire-Atlantique et à se garantir mutuellement à hauteur de cinquante pour cent du montant de ces sommes.
S’agissant des conclusions d’appel incident présentées par le département de la Loire-Atlantique :
13. Le département de la Loire-Atlantique demande, par la voie de l’appel incident, que le montant de la provision mise à la charge des sociétés Prezioso Linjebygg et Philippe Lassarat par le premier juge soit portée à 300 000 euros. Eu égard aux conclusions de l’expertise citée, et aux calculs effectués qui retiennent un montant minimum d’indemnisation du département de 287 000 euros au terme d’une analyse reposant sur des éléments objectifs, il y a lieu de faire partiellement droit à cette demande en fixant la provision mise à la charge des deux sociétés au montant non sérieusement contestable de 280 000 euros tous intérêts compris.
Sur les frais d’instance :
14. Les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à l’octroi d’une somMe Xu titre des frais exposés et non compris dans les dépens à la partie perdante. Il y a lieu, dès lors, de rejeter les conclusions présentées à ce titre par les sociétés Prezioso Linjebygg et Philippe Lassarat. En revanche, il convient, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge solidaire de ces deux sociétés, sur le fondement des mêmes dispositions, la somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par le département de la Loire-Atlantique.
DECIDE :
Article 1er : Les requêtes n° 19NT05057 de la société Prezioso Linjebygg et n° 20NT00005 de la société Philippe Lassarat sont rejetées.
Article 2 : L’indemnité provisionnelle de 200 000 euros que les sociétés Prezioso Linjebygg et Philippe Lassarat ont été condamnées à verser solidairement au département de la Loire-Atlantique par l’article 1er de l’ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Nantes du 19 décembre 2019 est portée à 280 000 euros.
Article 3 : L’ordonnance n° 1903756 du 19 décembre 2019 du juge des référés du tribunal administratif de Nantes est réformée en ce qu’elle a de contraire à l’article 2 du présent arrêt.
Article 4 : Les sociétés Prezioso Linjebygg et Philippe Lassarat verseront solidairement au département de la Loire-Atlantique une somme de 1 500 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le surplus des conclusions d’appel incident du département de la Loire-Atlantique est rejeté.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à la société Prezioso Linjebygg, à la société Philippe Lassarat et au département de la Loire-Atlantique.