CA Aix-en-Provence, ch. 4-3, 22 janvier 2021, n° 17/23103
AIX-EN-PROVENCE
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Défendeur :
Torréfaction Noailles (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Dubois
Conseillers :
Mme Poirine, Mme Beaussart
Avocats :
Me Bréa, Me Nassi-Duffo
FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
Madame X a saisi le conseil de prud'hommes de Marseille aux fins de voir obtenir la requalification de son contrat de franchise conclu avec la société TORRÉFACTION NOAILLES le 4 mars 2010, contrat résilié par jugement du tribunal de commerce du 6 mars 2012 pour inexécution des obligations contractuelles par Madame X, en contrat de travail, et obtenir paiement de salaires, d'indemnité pour travail dissimulé, pour licenciement sans cause réelle et sérieuse notamment.
Par jugement du 10 juin 2014, le conseil de prud'hommes a déclaré son action irrecevable et l'a déboutée de toutes ses demandes.
Madame X a interjeté appel de cette décision le 7 juillet 2012.
Dans ses dernières conclusions en date du 19 décembre 2017, soutenues oralement à l'audience, elle demande à la cour de :
- infirmer le jugement du Conseil de Prud'hommes de Marseille en toutes ses dispositions
- décider de la recevabilité de l'action de Mme X à titre personnel et individuel
- constater la réunion des conditions d'application des articles L. 7321-1 et suivants du code du travail.
- en conséquence, condamner la SA TORRÉFACTION NOAILLES à régler à Mme X, les sommes de :
Rappel de salaires : 35 677,73 euros brut
Congés payés sur rappel de salaires : 3 567,70 euros brut
- décider de la requalification de la rupture prononcée par le Tribunal de Commerce le 21 mars 2012 en une rupture du contrat aux torts exclusifs de la SA TORRÉFACTION NOAILLES et comme produisant les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
- en conséquence, condamner la SA TORRÉFACTION NOAILLES à régler à Mme X les sommes de :
Indemnité compensatrice de préavis : 3 066,77 euros brut
Congés payés y afférents : 306,68 euros brut
Indemnité de licenciement : 613 euros nets
Dommages et intérêts pour licenciement abusif : 30 000 euros nets
Dommages et intérêts pour non-respect de l'obligation de non-concurrence : 6 000 euros nets
Article 700 du CPC : 3 000 euros nets.
Dans ses dernières conclusions en date du 1er décembre 2020, soutenues oralement à l'audience, la société TORRÉFACTION NOAILLES demande à la cour de :
- confirmer le jugement rendu par le Conseil de Prud'hommes de Marseille le 10 juin 2014,
En conséquence,
- débouter Madame X de toutes ses demandes, fins et conclusions,
- condamner Madame X à payer à la société TORRÉFACTION NOAILLES la somme de 3 000,00 au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile.
Madame X expose que son action est recevable car elle bénéficie du droit de faire reconnaître sa qualité de salarié en application de l'article L. 7321-2 du code du travail.
En outre le tribunal de commerce n'a pas statué sur sa qualité de salariée.
La juridiction prud'homale est donc compétente pour connaître de la demande.
Elle réclame en conséquence l'application des articles L. 7321-1 et suivants du code du travail :
L'article L. 7321-1 du Code du Travail énonce « que les dispositions du présent code sont applicables aux gérants de succursales, dans la mesure de ce qui est prévu au présent titre. »
En outre, l'article L. 7321-2 alinéa 2 du Code du Travail s'applique: « Aux personnes dont la profession consiste essentiellement, soit à vendre des marchandises ou denrées de toute nature, des titres, des volumes, publications, billets de toute sorte qui leur sont fournis exclusivement ou presque exclusivement par une seule entreprise industrielle ou commerciale, soit à recueillir des commandes ou à recevoir des objets à traiter, manutentionner ou transporter, pour le compte d'une seule entreprise industrielle ou commerciale, lorsque ces personnes exercent leur profession dans un local fourni ou agréé par cette entreprise et aux conditions et prix imposés par la dite entreprise ».
Enfin, l'article L. 7321-3 du Code du Travail dispose : « Le chef d'entreprise qui fournit les marchandises ou pour le compte duquel sont recueillies les commandes ou sont reçues les marchandises à traiter, manutentionner ou transporter n'est responsable de l'application aux gérants salariés de succursales des dispositions du livre 1er de la troisième partie relatives à la durée du travail, aux repos et aux congés et de celles de la quatrième partie relatives à la santé et à la sécurité au travail que s'il a fixé les conditions de travail, de santé et de sécurité au travail dans l'établissement ou si celles-ci ont été soumises à son accord.
Dans le cas contraire, ces gérants sont assimilés à des chefs d'établissement.
Leur sont applicables, dans la mesure où elles s'appliquent aux chefs d'établissement, directeurs ou gérants salariés, les dispositions relatives :
1° Aux relations individuelles de travail prévues à la première partie ;
2° A la négociation collective et aux conventions et accords collectifs de travail prévues au livre /I de la deuxième partie ;
3° A la durée du travail, aux repos et aux congés prévus au livre 1er de la troisième partie ;
4° Aux salaires prévus au livre 1er de la troisième partie ;
5° A la santé et à la sécurité au travail prévues à la quatrième partie. »
En application des articles précités, les dispositions du code du travail peuvent s'appliquer entre franchiseur et franchisé.
Elle fait valoir qu'en application du contrat de franchise, l'activité essentielle était la vente de marchandises fournies exclusivement par la société TORRÉFACTION NOAILLES et elle réalisait 80 % de son chiffre d'affaires avec des produits de cette enseigne.
Le 8 mars 2020, la société TORRÉFACTION NOAILLES lui a cédé son fonds de commerce et elle n'a eu aucun choix ni décision sur le local cédé qui faisait l'objet, en application du contrat de franchise, d'un agrément très strict du franchiseur quant au matériel et au mobilier.
Quant aux conditions d'exploitation, l'enseigne était fournie, le savoir-faire était transmis et la formation assurée ainsi l'adaptation à la vente, l'assistance informatique obligatoire sur un logiciel choisi par le franchiseur.
Le contrat prévoyait également un contrôle de conformité, un respect des normes du franchiseur, de la zone d'exclusivité, une obligation de non-concurrence et de confidentialité, un respect de la marque et de l'image du réseau, une obligation d'information, d'assurance et d'approvisionnement, les conditions de prix étaient imposées.
Madame X soutient qu'elle était donc salariée de la société TORRÉFACTION NOAILLES et sollicite des rappels de salaires et les indemnités de rupture, exposant que son préjudice est important.
Madame X prétend ensuite que la clause de non concurrence ainsi rédigée : « Pendant la durée du présent contrat, le FRANCHISE s'engage à ne pas exploiter directement ou indirectement une entreprise dont l'activité serait concurrente de celle faisant l'objet des présentes dans le TERRITOIRE défini à l'article des présentes ainsi que dans un rayon de quarante (40) kilomètres à vol d'oiseau des limites de celui-ci, sauf autorisation préalable et écrite du FRANCHISEUR. Il devra consacrer tout le temps nécessaire à l'exploitation de son magasin TORRÉFACTION NOAILLES » est illicite car elle ne comporte pas de contrepartie financière et sollicite des dommages et intérêts à ce titre.
La société TORRÉFACTION NOAILLES soutient que l'action de Madame X est irrecevable car le litige relève de la compétence du tribunal de commerce.
Le tribunal de commerce de Marseille a, dans sa décision du 6 mars 2012, exclu l'existence d'un contrat de travail et condamné Madame X, en qualité de commerçante, à payer à la société TORRÉFACTION NOAILLES la somme de 20 333,45 .
Cette décision est définitive et a donc autorité de chose jugée.
Madame X n'a pas la qualité de gérant de succursale comme elle le prétend et les critères posés à l'article L. 7321-2 du code du travail font défaut.
En outre, subsidiairement si la fin de non-recevoir n'était pas accueillie, la société TORRÉFACTION NOAILLES expose que Madame X a renoncé valablement à se prévaloir du statut de salarié et qu'elle ne rapporte pas la preuve de la réunion des conditions fixées à l'article L. 7321-2, 2° du code du travail, à savoir :
La vente de marchandises de toute nature qui sont fournies exclusivement ou presque exclusivement par une seule entreprise,
Fourniture ou agrément d'un local,
Conditions et prix imposés par l'entreprise.
Elle soutient en conséquence que Madame X doit être déboutée de toutes ses demandes indemnitaires et salariales.
SUR CE
- Sur la recevabilité de l'action
L'article L. 7321-2 du Code du travail dont se prévaut Madame X dispose que :
« Est gérant de succursale toute personne :
1° Chargée, par le chef d'entreprise ou avec son accord, de se mettre à la disposition des clients durant le séjour de ceux-ci dans les locaux ou dépendances de l'entreprise, en vue de recevoir d'eux des dépôts de vêtements ou d'autres objets ou de leur rendre des services de toute nature ;
2° Dont la profession consiste essentiellement :
a) Soit à vendre des marchandises de toute nature qui leur sont fournies exclusivement ou presque exclusivement par une seule entreprise, lorsque ces personnes exercent leur profession dans un local fourni ou agréé par cette entreprise et aux conditions et prix imposés par cette entreprise ;
b) Soit à recueillir les commandes ou à recevoir des marchandises à traiter, manutentionner ou transporter, pour le compte d'une seule entreprise, lorsque ces personnes exercent leur profession dans un local fourni ou agréé par cette entreprise et aux conditions et prix imposés par cette entreprise »,
De principe, le conseil de prud'hommes est seul compétent pour reconnaître la qualité de gérant de succursale à Madame X pour autant qu'elle remplisse les conditions pour ce faire, et non le tribunal de commerce qui ne connaît que des engagements entre commerçants.
En effet, le recours par les parties à la dénomination « contrat de franchise » ne peut interdire au juge de requalifier la relation contractuelle lorsque les conditions de l'article L. 7321-2 sont remplies.
Le tribunal de commerce de Marseille, saisi par la société TORRÉFACTION NOAILLES d'une demande en inexécution par Madame X des obligations mises à sa charge par le contrat de franchise, dans sa décision du 6 mars 2012, dont seul le dispositif revêt l'autorité de la chose jugée a statué ainsi :
- constate l'inexécution par Madame X des obligations mises à sa charge par le contrat de franchise,
- juge que cette inexécution constitue une violation manifeste des obligations découlant du contrat de franchise,
- condamne Madame X à payer à la société TORREFACTION NOAILLES la somme de 17 233,45 au titre des factures impayées, avec intérêt contractuel à compter du 15 février 2011,
- prononce la résiliation judiciaire du contrat de franchise aux torts exclusifs de Madame X,
- déboute Madame X de toutes ses prétentions,
- condamne Madame X, sous astreinte de 10 % par jour de retard passé le 15e jour suivant la signification du jugement, à restituer l'enseigne et les matériels visés par le contrat de franchise,
- condamne Madame X à la somme de 1 000,00 à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice distinct causé par les termes particulièrement graves et désobligeants de sa correspondance du 3 mars 2011,
- condamne Madame X à la somme de 2 000,00 au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens,
- ordonne l'exécution provisoire.
Il s'en suit que cette décision n'a pas l'autorité de la chose jugée quant à la qualité de gérant de succursale revendiquée par Madame X et que l'action est recevable en la forme, la question de savoir si Madame X réunit les conditions de l'article L. 7321-1 du code du travail constituant une question de fond qui sera donc abordée.
- Sur la qualité de gérant de succursale de Madame X
Etant rappelé qu'« Est gérant de succursale toute personne ...
2° Dont la profession consiste essentiellement :
a) Soit à vendre des marchandises de toute nature qui leur sont fournies exclusivement ou presque exclusivement par une seule entreprise, lorsque ces personnes exercent leur profession dans un local fourni ou agréé par cette entreprise et aux conditions et prix imposés par cette entreprise ;
b) Soit à recueillir les commandes ou à recevoir des marchandises à traiter, manutentionner ou transporter, pour le compte d'une seule entreprise, lorsque ces personnes exercent leur profession dans un local fourni ou agréé par cette entreprise et aux conditions et prix imposés par cette entreprise »,
Il appartient au juge d'apprécier concrètement l'exercice effectif de l'activité professionnelle dans les conditions posées par l'article L. 7321-2, 2° du code du travail.
En l'espèce,
- s'il résulte de l'acte de cession de fonds de commerce du 8 mars 2010 et du contrat de franchise que Madame X s'est vue fournir par la société TORRÉFACTION NOAILLES un droit au bail sans qu'elle ait eu le choix de ce local et qu'est imposé le matériel, le mobilier, l'aménagement du local jusque dans les détails, que par conséquent Madame X exerce bien sa profession dans un local fourni et agréé par la société TORRÉFACTION NOAILLES,
- s'il ressort du contrat de franchise que l'enseigne est imposée et fournie par le franchiseur, de même que le savoir-faire, une formation d'une journée imposée ainsi que des formations régulières aux techniques de préparation des produits et de vente, que des contrôles de conformité peuvent être effectués, que le franchisé se doit de respecter les normes du franchiseur et la zone d'exclusivité et est tenu à une obligation de non-concurrence et de confidentialité, de respecter la marque et l'image réseau, de s'assurer et d'avoir un approvisionnement minimum, obligations qui relèvent d'un contrat de franchisé, s'agissant par contre de la vente de marchandises à emporter ou à déguster sur place, le contrat de franchise impose à Madame X de commercialiser des produits de la société TORRÉFACTION NOAILLES à hauteur de 80 % et celle-ci reconnaît dans ses écritures qu'elle réalisait son chiffre d'affaires à hauteur de 80 % avec des produits de l'enseigne.
Il s'en suit que Madame X avait la possibilité de commercialiser des produits autres que ceux de l'enseigne, auprès des fournisseurs de son choix, dans la mesure toutefois où les dits produits n'étaient pas concurrents de ceux de la société TORRÉFACTION NOAILLES.
Elle se devait dans ce cas simplement d'informer le franchiseur des produits commercialisés autres et de l'identité des fournisseurs sans que soit imposé un agrément préalable de commercialisation.
Quant aux conditions et prix imposés des marchandises, il ne résulte pas du contrat de franchise que, si les prix d'achat des marchandises TORRÉFACTION NOAILLES sont fixés par le franchiseur, les prix de vente de ces mêmes marchandises soient imposés.
Ils sont simplement conseillés au vu du document d'information précontractuel versé aux débats.
Il n'est pas non plus imposé de volume de vente minimum.
Et Madame X ne démontre pas le contraire.
En sus, la société TORRÉFACTION NOAILLES fait utilement remarquer que Madame X était libre de recruter son personnel, d'organiser le travail de celui-ci, de fixer les horaires d'ouverture et de fermeture de son commerce.
Il s'en suit que Madame X, qui se fonde uniquement sur le contrat de franchise et son annexe, sans verser au demeurant aux débats la moindre pièce sur l'exercice concret de son activité, ne démontre pas que les conditions de l'article L. 7321-2, 2° du code du travail sont réunies.
Il y a donc lieu de la débouter de ses demandes de rappels de salaires et de ses demandes au titre du licenciement, Madame X n'étant pas gérante de succursale.
- Sur les autres demandes
Madame X qui succombe sera condamnée aux entiers dépens ainsi qu'à payer à la société TORRÉFACTION NOAILLES la somme de 1 000 au titre des frais irrépétibles.
PAR CES MOTIFS
La Cour,
Statuant par arrêt contradictoire, par mise à disposition au greffe, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 du code de procédure civile, en matière prud'homale,
Infirme le jugement déféré en ce qu'il a dit que l'action introduite par Madame X devant le conseil de prud'hommes de Marseille était irrecevable.
Statuant à nouveau, y ajoutant,
Déclare recevable en la forme l'action de Madame X,
Au fond, dit que Madame X ne remplit pas les conditions de l'article L. 7321-2, 2° pour être gérante de succursale et la déboute de toutes ses demandes de rappels de salaires et au titre de la rupture des relations contractuelles.
Condamne Madame X à payer à la société TORRÉFACTION NOAILLES la somme de 1 000 au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Condamne Madame X aux entiers dépens.