CJUE, 2e ch., 27 janvier 2021, n° C-595/18 P
COUR DE JUSTICE DE L’UNION EUROPEENNE
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
The Goldman Sachs Group Inc., Prysmian SpA, Prysmian Cavi e Sistemi Srl
Défendeur :
Commission européenne
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président de chambre :
M. Arabadjiev
Juges :
M. Kumin, M. von Danwitz, M. Xuereb (rapporteur), Mme Ziemele
Avocat général :
Mme Kokott
Avocats :
Me Mangiaracina, Me Koponen, Me Tesauro, Me Armati
LA COUR (deuxième chambre),
1 Par son pourvoi, The Goldman Sachs Group Inc. demande l’annulation de l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 12 juillet 2018, The Goldman Sachs Group/Commission (T‑419/14, ci-après l’« arrêt attaqué », EU:T:2018:445), par lequel celui-ci a rejeté son recours tendant, d’une part, à l’annulation de la décision C(2014) 2139 final de la Commission, du 2 avril 2014, relative à une procédure d’application de l’article 101 [TFUE] et de l’article 53 de l’accord EEE (affaire AT.39610 – Câbles électriques) (ci‑après la « décision litigieuse »), en tant qu’elle la concerne, et, d’autre part, à la réduction du montant de l’amende qui lui a été infligée.
Le cadre juridique
2 Aux termes de l’article 23, paragraphe 2, du règlement (CE) no 1/2003 du Conseil, du 16 décembre 2002, relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles [101 et 102 TFUE] (JO 2003, L 1, p. 1) :
« La Commission peut, par voie de décision, infliger des amendes aux entreprises et associations d’entreprises lorsque, de propos délibéré ou par négligence :
a) elles commettent une infraction aux dispositions de l’article [101] ou [102 TFUE] [...]
[...] »
Les antécédents du litige et la décision litigieuse
3 Les antécédents du litige, qui figurent aux points 1 à 22 et 47 de l’arrêt attaqué, peuvent, pour les besoins de la présente procédure, être résumés de la manière suivante.
4 La requérante, The Goldman Sachs Group, est une société établie aux États-Unis qui agit en tant que banque d’affaires et société de placement dans les principales places financières mondiales. Du 29 juillet 2005 au 28 janvier 2009, elle a été la société mère (indirecte), par l’intermédiaire des fonds GS Capital Partners V (ci-après les « fonds GSCP V ») et d’autres sociétés intermédiaires, de Prysmian SpA ainsi que de la filiale à part entière de celle-ci, Prysmian Cavi e Sistemi Srl (ci-après « PrysmianCS »), anciennement Pirelli Cavi e Sistemi Energia SpA, puis Prysmian Cavi e Sistemi Energia Srl. Prysmian et PrysmianCS, deux sociétés établies en Italie, constituent ensemble le groupe Prysmian, un acteur mondial du secteur des câbles électriques sous‑marins et souterrains.
5 Alors que la participation de la requérante dans le capital de Prysmian était initialement de 100 % des parts, le niveau de cette participation a diminué, à la suite de deux cessions de parts effectuées les 7 septembre 2005 et 21 juillet 2006 pour s’élever, dans un premier temps, à 91,1 % puis, dans un second temps, à 84,4 % jusqu’au 3 mai 2007, date à laquelle une partie des parts de Prysmian a été introduite à la Bourse de Milan (Italie) par une offre publique initiale (ci-après l’« OPI »).
6 À l’issue d’une procédure d’application de l’article 101 TFUE et de l’article 53 de l’accord sur l’Espace économique européen, du 2 mai 1992 (JO 1994, L 1, p. 3), la Commission a adopté, le 2 avril 2014, la décision litigieuse.
7 À l’article 1er de cette décision, la Commission a constaté que la requérante et 25 autres sociétés, y compris Prysmian et PrysmianCS, avaient participé à une entente, constitutive d’une infraction unique et continue à l’article 101 TFUE et à l’article 53 de l’accord EEE dans le secteur des câbles électriques à (très) haute tension souterrains et/ou sous-marins (ci-après l’« infraction en cause »).
8 La requérante a été reconnue responsable de l’infraction en cause, à l’article 1er, paragraphe 5, sous c), de la décision litigieuse, en tant que société mère de Prysmian et de Prysmian Cavi e Sistemi Energia pendant la période allant du 29 juillet 2005 au 28 janvier 2009 (ci-après la « période infractionnelle »).
9 À cet égard, la Commission a présumé, d’une part, que Prysmian avait exercé une influence déterminante sur le comportement de Prysmian Cavi e Sistemi Energia sur le marché pendant cette période, et, d’autre part, que la requérante avait exercé, entre le 29 juillet 2005 et le 3 mai 2007, une influence déterminante sur le comportement de Prysmian et, par conséquent, de Prysmian Cavi e Sistemi Energia sur le marché.
10 En outre, la Commission a conclu, sur le fondement d’une analyse des liens économiques, organisationnels et juridiques de la requérante avec ces sociétés, que celle-ci avait effectivement exercé une influence déterminante sur le comportement de Prysmian sur le marché et, par conséquent, de Prysmian Cavi e Sistemi Energia pendant la période infractionnelle.
11 Dans ces conditions, ainsi qu’il ressort de l’article 2, sous f), de la décision litigieuse, la Commission a infligé à la requérante une amende d’un montant de 37 303 000 euros, conjointement et solidairement avec Prysmian et PrysmianCS.
La procédure devant le Tribunal et l’arrêt attaqué
12 Par requête déposée au greffe du Tribunal le 17 juin 2014, la requérante a introduit un recours tendant, d’une part, à l’annulation de la décision litigieuse, en tant qu’elle la concernait, et, d’autre part, à la réduction du montant de l’amende qui lui avait été infligée.
13 Au soutien de ses conclusions en annulation de la décision litigieuse, la requérante a soulevé, devant le Tribunal, cinq moyens, dont notamment le premier tiré d’une violation de l’article 101 TFUE et de l’article 23, paragraphe 2, du règlement no 1/2003, ainsi que d’une erreur de droit et d’une erreur manifeste d’appréciation.
14 Par ordonnance du 25 juin 2015, le Tribunal a autorisé l’intervention de Prysmian et de PrysmianCS au soutien des conclusions de la Commission.
15 Par l’arrêt attaqué, le Tribunal a rejeté le recours dans son intégralité.
16 Le Tribunal a considéré, en substance, que c’était à bon droit que la Commission s’était fondée, en ce qui concerne la période allant du 29 juillet 2005 au 3 mai 2007, sur une présomption de l’exercice effectif d’une influence déterminante par la requérante sur le comportement de Prysmian et de Prysmian Cavi e Sistemi Energia sur le marché.
17 Selon le Tribunal, lorsqu’une société mère détient l’ensemble des droits de vote associés aux actions de sa filiale, notamment en combinaison avec une participation hautement majoritaire dans le capital de ladite filiale, comme en l’espèce, ladite société mère se trouve dans une situation analogue à celle du propriétaire exclusif de cette filiale, de sorte que la société mère est en mesure de déterminer la stratégie économique et commerciale de la filiale, quand bien même elle ne détiendrait pas la totalité ou la quasi-totalité du capital social de cette dernière.
18 Le Tribunal a, en outre, jugé que la Commission avait pu considérer, sans commettre d’erreur, que la requérante avait exercé une influence déterminante sur le comportement de Prysmian et de Prysmian Cavi e Sistemi Energia sur le marché pendant toute la période infractionnelle, en se fondant, premièrement, sur le pouvoir de nomination des membres des divers conseils d’administration de Prysmian, détenu par la requérante, deuxièmement, sur le pouvoir de la requérante de convoquer les actionnaires de Prysmian aux assemblées et de proposer la révocation des administrateurs ou de l’ensemble des conseils d’administration de cette dernière, troisièmement, sur les pouvoirs délégués des administrateurs de la branche d’investissement direct de la division « Merchant Banking » (« Principal Investment Area », ci-après la « PIA ») de la requérante au sein des conseils d’administration de Prysmian et leur participation au comité stratégique de cette dernière, quatrièmement, sur le fait que la requérante recevait des mises à jour régulières et des rapports mensuels de la part de Prysmian, cinquièmement, sur les mesures énumérées par la Commission dans la décision litigieuse visant à assurer la poursuite d’un contrôle décisif par la requérante après l’OPI et, sixièmement, sur la preuve de ce que la requérante s’était comportée comme un propriétaire industriel.
Les conclusions des parties devant la Cour
19 La requérante demande à la Cour :
– d’annuler l’arrêt attaqué ;
– d’annuler, en tout ou en partie (par exemple à partir du mois de mai ou du mois de novembre 2007, lorsque la requérante et ses filiales ne détenaient, respectivement, qu’environ 45 % et 26 % des actions de Prysmian) les articles 1er à 4 de la décision litigieuse dans la mesure où ils la concernent, et/ou
– de réduire l’amende infligée à la requérante en vertu de l’article 2 de la décision litigieuse, ainsi que
– de condamner la Commission aux dépens de la procédure en première instance et du pourvoi.
20 La Commission demande à la Cour :
– de rejeter le pourvoi et
– de condamner la requérante aux dépens.
21 Prysmian et de PrysmianCS demandent à la Cour :
– de rejeter le pourvoi et
– de condamner la requérante aux dépens, y compris ceux liés à leur intervention au soutien des conclusions de la Commission.
Sur le pourvoi
22 Au soutien de son pourvoi, la requérante invoque deux moyens. Le premier moyen est tiré d’une violation de l’article 101 TFUE et de l’article 23, paragraphe 2, du règlement no 1/2003, dans la mesure où la requérante a été tenue pour responsable d’une infraction au droit de la concurrence de l’Union commise par Prysmian et par PrysmianCS au cours de la période comprise entre le 29 juillet 2005 et le 3 mai 2007 (ci-après la « période antérieure à l’OPI »). Le second moyen est pris d’une violation de l’article 101 TFUE et de l’article 23, paragraphe 2, du règlement no 1/2003, dans la mesure où la requérante a été tenue pour responsable de cette même infraction pour la période allant du 3 mai 2007 au 28 janvier 2009 (ci-après la « période postérieure à l’OPI »). La requérante demande, en outre, à la Cour de lui accorder le bénéfice de toute réduction d’amende accordée à Prysmian et à PrysmianCS, en réduisant le montant de l’amende qui lui a été infligée solidairement avec ces dernières, pour le cas où la Cour ferait droit au pourvoi formé par lesdites société contre l’arrêt du Tribunal du 12 juillet 2018, Prysmian et Prysmian Cavi e Sistemi/Commission (T‑475/14, EU:T:2018:448).
Sur le premier moyen
23 Le premier moyen est divisé en trois branches.
Sur la première branche du premier moyen
– Argumentation des parties
24 Par la première branche de son premier moyen, qui vise les points 49, 50 et 52 de l’arrêt attaqué, la requérante fait valoir que le Tribunal a considéré à tort que la Commission n’avait pas commis d’erreur dans la mesure où elle avait tenu la requérante pour responsable de l’infraction en cause, pour la période antérieure à l’OPI, en s’appuyant sur une présomption de l’exercice effectif d’une influence déterminante par la requérante sur Prysmian et PrysmianCS.
25 À cet égard, la requérante soutient que sa participation dans les fonds GSCP V était d’environ 33 % seulement, le reste du capital étant détenu par des investisseurs tiers indépendants. De plus, la participation de ces fonds au capital de Prysmian se serait élevée, pendant la période antérieure à l’OPI, et à l’exception des 41 premiers jours, tout d’abord, à environ 91 %, puis à environ 84 %. Il ressortirait, toutefois, de la jurisprudence de la Cour que la présomption de l’exercice effectif d’une influence déterminante ne serait applicable que lorsque la société mère détient la totalité ou la quasi-totalité du capital de sa filiale. Le Tribunal aurait eu tort de considérer que, lorsqu’une société mère détient l’ensemble des droits de vote associés aux actions de sa filiale, notamment en combinaison avec une participation hautement majoritaire dans le capital de cette filiale, ladite société mère se trouve dans une situation analogue à celle du propriétaire exclusif de cette filiale.
26 Selon la requérante, la présomption de l’exercice effectif d’une influence déterminante ne peut s’appliquer dans de telles circonstances, conformément au principe fondamental selon lequel les présomptions doivent être appliquées de manière restrictive. À cet égard, l’approche du Tribunal ne serait pas conforme à l’arrêt du 10 septembre 2009, Akzo Nobel e.a./Commission (C‑97/08 P, EU:C:2009:536), dans lequel la Cour a reconnu l’existence d’une telle présomption. En outre, l’interprétation faite par le Tribunal serait erronée à la lumière de l’objectif de ladite présomption, étant donné qu’elle remplacerait la preuve aisée de l’existence d’une participation portant sur la totalité des parts, au moyen d’une consultation rapide du registre du commerce et des sociétés, qui serait porteuse de sécurité juridique et facilement applicable, par une démonstration approfondie de l’existence d’éléments propres au cas d’espèce qui permettraient à la société mère d’exercer effectivement une influence déterminante. Enfin, le Tribunal aurait adopté une interprétation diamétralement opposée concernant la même filiale et la même infraction dans son arrêt du 12 juillet 2018, Pirelli & C./Commission (T‑455/14, non publié, EU:T:2018:450).
27 La Commission, soutenue par Prysmian et PrysmianCS, conteste cette argumentation. Elle fait valoir que l’argument de la requérante selon lequel, dès lors qu’elle ne détenait que 33 % du capital des fonds GSCP V, la présomption de l’exercice effectif d’une influence déterminante ne pourrait s’appliquer en l’espèce, doit être rejeté comme étant irrecevable car il n’a pas été présenté devant le Tribunal. En tout état de cause, cet argument serait dénué de fondement, étant donné que la requérante contrôlait seule et totalement les décisions concernant les investissements des fonds GSCP V.
28 Dans son mémoire en réplique, la requérante soutient que, devant le Tribunal, elle aurait explicitement fait valoir que la propriété effective qu’elle détenait sur les fonds GSCP V était insuffisante pour permettre à la Commission de s’appuyer sur la présomption de l’exercice effectif d’une influence déterminante à cet égard.
– Appréciation de la Cour
29 S’agissant, en premier lieu, de l’argumentation de la requérante selon laquelle la présomption de l’exercice effectif d’une influence déterminante, reconnue par la jurisprudence, n’était pas applicable en l’espèce, étant donné que sa participation dans les fonds GSCP V était d’environ 33 % seulement, le reste du capital de ces fonds étant détenu par des investisseurs tiers indépendants, il convient de rappeler que, ainsi que le Tribunal l’a constaté aux points 48 et 64 de l’arrêt attaqué, dans la décision litigieuse, la Commission s’est appuyée sur une présomption de l’exercice effectif d’une influence déterminante de la requérante sur le comportement de Prysmian et, indirectement, de PrysmianCS, en se fondant non pas sur le niveau de participation indirecte de la requérante dans le capital de Prysmian, mais sur le constat selon lequel la requérante contrôlait l’ensemble des droits de vote associés aux actions de Prysmian.
30 Or, dans son pourvoi, la requérante ne conteste ni ce constat du Tribunal ni qu’elle continuait à contrôler 100 % desdits droits de vote, pendant toute la période antérieure à l’OPI, même après les cessions de parts de Prysmian effectuées les 7 septembre 2005 et 21 juillet 2006. Dans ces circonstances, l’argument de la requérante tiré du fait que sa participation dans les fonds GSCP V se serait située autour de 33 % seulement doit, en tout état de cause, être rejeté comme étant inopérant.
31 En ce qui concerne, en second lieu, l’argumentation de la requérante visant le constat du Tribunal selon lequel la Commission était en droit de se fonder sur une présomption de l’exercice effectif d’une influence déterminante de la société mère sur le comportement de sa filiale, il importe de rappeler qu’il résulte d’une jurisprudence constante que le comportement d’une filiale peut être imputé à la société mère notamment lorsque, bien qu’ayant une personnalité juridique distincte, cette filiale ne détermine pas de façon autonome son comportement sur le marché, mais applique pour l’essentiel les instructions qui lui sont données par la société mère, eu égard, en particulier, aux liens économiques, organisationnels et juridiques qui unissent ces deux entités juridiques (arrêt du 24 juin 2015, Fresh Del Monte Produce/Commission et Commission/Fresh Del Monte Produce, C‑293/13 P et C‑294/13 P, EU:C:2015:416, point 75 ainsi que jurisprudence citée).
32 Il ressort également d’une jurisprudence constante que, dans le cas particulier où une société mère détient directement ou indirectement la totalité ou la quasi-totalité du capital de sa filiale ayant commis une infraction aux règles de concurrence, d’une part, cette société mère peut exercer une influence déterminante sur le comportement de cette filiale et, d’autre part, il existe une présomption réfragable selon laquelle ladite société mère exerce effectivement une telle influence. Dans ces conditions, il suffit que la Commission prouve que la totalité ou la quasi-totalité du capital d’une filiale est détenue par sa société mère pour qu’il puisse être présumé que cette dernière exerce effectivement une influence déterminante sur la politique commerciale de cette filiale. La Commission sera en mesure, par la suite, de considérer la société mère comme étant tenue solidairement au paiement de l’amende infligée à sa filiale, à moins que cette société mère, à laquelle il incombe de renverser cette présomption, n’apporte des éléments de preuve suffisants de nature à démontrer que sa filiale se comporte de façon autonome sur le marché (arrêt du 28 octobre 2020, Pirelli & C./Commission, C‑611/18 P, non publié, EU:C:2020:868, point 68 ainsi que jurisprudence citée).
33 À moins qu’elle ne soit renversée, une telle présomption implique, dès lors, que l’exercice effectif d’une influence déterminante par la société mère sur sa filiale est considéré comme étant établi et fonde la Commission à tenir la première pour responsable du comportement de la seconde, sans avoir à produire une quelconque preuve additionnelle. La mise en œuvre de la présomption de l’exercice effectif d’une influence déterminante n’est ainsi pas subordonnée à la production d’indices supplémentaires relatifs à l’exercice effectif d’une influence de la société mère (arrêt du 26 octobre 2017, Global Steel Wire e.a./Commission, C‑457/16 P et C‑459/16 P à C‑461/16 P, non publié, EU:C:2017:819, points 85 et 86 ainsi que jurisprudence citée).
34 Certes, il est constant que la requérante ne détenait pas, pendant la période antérieure à l’OPI, la totalité du capital de Prysmian, la participation des fonds GSCP V au capital de Prysmian s’élevant, ainsi qu’il ressort du point 47 de l’arrêt attaqué, pendant cette période, et à l’exception des 41 premiers jours, tout d’abord, à environ 91 %, puis à environ 84 %. Il est également constant que, dans la décision litigieuse, la Commission n’a pas considéré que cette participation signifiait que la requérante avait détenu la presque totalité du capital de Prysmian.
35 Il ressort, toutefois, de la jurisprudence citée aux points 31 à 33 du présent arrêt que c’est non pas la simple détention de la totalité ou de la quasi-totalité du capital de la filiale en elle-même qui fonde la présomption de l’exercice effectif d’une influence déterminante, mais le degré de contrôle de la société mère sur sa filiale que cette détention implique. Par conséquent, le Tribunal a pu, sans commettre d’erreur de droit, considérer, en substance, au point 50 de l’arrêt attaqué, qu’une société mère qui détient l’ensemble des droits de vote associés aux actions de sa filiale se trouve, à cet égard, dans une situation analogue à celle d’une société détenant la totalité ou la quasi-totalité du capital de la filiale, de sorte que la société mère est en mesure de déterminer la stratégie économique et commerciale de la filiale. En effet, une société mère détenant l’ensemble des droits de vote associés aux actions de sa filiale peut, tout comme une société mère détenant la totalité ou la quasi-totalité du capital de sa filiale, exercer une influence déterminante sur le comportement de cette dernière.
36 Il s’ensuit que, contrairement à ce que la requérante fait valoir, le Tribunal n’a pas commis d’erreur de droit en considérant que, dès lors qu’une société mère détient l’ensemble des droits de vote associés aux actions de sa filiale, la Commission est en droit de se fonder sur une présomption de l’exercice effectif d’une influence déterminante de cette société mère sur le comportement de sa filiale sur le marché.
37 Cette conclusion n’est pas remise en cause par les autres arguments soulevés par la requérante.
38 En effet, premièrement, la présomption d’une influence déterminante exercée sur la filiale par sa société mère vise, notamment, à ménager un équilibre entre, d’une part, l’importance de l’objectif consistant à réprimer les comportements contraires aux règles de la concurrence, en particulier à l’article 101 TFUE, et d’en prévenir le renouvellement et, d’autre part, les exigences de certains principes généraux du droit de l’Union tels que, notamment, les principes de présomption d’innocence, de personnalité des peines et de la sécurité juridique ainsi que les droits de la défense, y compris le principe d’égalité des armes (voir, en ce sens, arrêt du 18 juillet 2013, Schindler Holding e.a./Commission, C‑501/11 P, EU:C:2013:522, point 108 ainsi que jurisprudence citée).
39 Certes, ainsi que la requérante le fait valoir, l’identification des personnes qui détiennent les votes associés aux actions d’une société peut, le cas échéant, s’avérer plus difficile que la détermination des personnes à qui appartiennent ces actions. Cependant, d’une part, rien n’indique que de telles difficultés puissent être susceptibles de porter atteinte à la sécurité juridique. En effet, une société mère qui, sans détenir la totalité ou la quasi-totalité des actions de sa filiale, s’est réservée ou a acquis l’ensemble des droits de vote associés à ces actions, ne peut, à l’évidence, ignorer que tel est le cas.
40 D’autre part, il convient de rappeler que la Commission n’est nullement tenue de se fonder exclusivement sur ladite présomption. En effet, rien n’empêche cette institution d’établir l’exercice effectif, par une société mère, d’une influence déterminante sur sa filiale par d’autres éléments de preuve ou par une combinaison de tels éléments avec ladite présomption (arrêt du 26 octobre 2017, Global Steel Wire e.a./Commission, C‑457/16 P et C‑459/16 P à C‑461/16 P, non publié, EU:C:2017:819, point 88 et jurisprudence citée).
41 Deuxièmement, non seulement la requérante n’explicite pas en quoi l’interprétation du Tribunal en l’espèce serait contradictoire avec celle qu’il a retenue dans un précédent arrêt, mais un tel argument est inopérant, le Tribunal ayant retenu à juste titre, ainsi qu’il ressort des points 31 à 36 du présent arrêt, que la Commission pouvait se fonder sur la présomption de l’exercice effectif d’une influence déterminante.
42 Il s’ensuit que la première branche du premier moyen doit être rejetée comme étant non fondée.
Sur la deuxième branche du premier moyen
– Argumentation des parties
43 Par la deuxième branche de son premier moyen, qui vise les points 71 à 78 de l’arrêt attaqué, la requérante reproche au Tribunal, d’une part, d’avoir considéré, à tort, qu’il appartenait à celle-ci de réfuter, en ce qui concerne la période antérieure à l’OPI, la présomption de l’exercice effectif d’une influence déterminante sur le comportement de sa filiale sur le marché, étant donné que celui-ci ne pouvait pas exiger d’elle qu’elle renversât une présomption qui ne s’appliquait pas.
44 D’autre part, et en tout état de cause, le Tribunal aurait, en faisant une interprétation erronée des exigences juridiques applicables en l’espèce, omis d’apprécier correctement les arguments avancés et les éléments de preuve produits par la requérante afin de renverser la présomption de l’exercice effectif d’une influence déterminante.
45 À cet égard, la requérante relève, premièrement, que les quelques éléments de preuve cités par le Tribunal ne seraient pas de nature à démontrer que les fonds GSCP V avaient un comportement différent de celui d’un simple investisseur financier. Deuxièmement, en rejetant l’argument de la requérante, selon lequel la politique commerciale de Prysmian était déterminée par son équipe de direction, au motif que la requérante n’avait pas fourni de courrier électronique ou de procès-verbal spécifique confirmant cet argument, le Tribunal lui aurait imposé une probatio diabolica. Troisièmement, le Tribunal aurait eu tort de n’accorder aucune importance à l’absence de toute référence aux fonds GSCP V ou à la requérante dans la réponse de Prysmian à une demande de renseignements de la Commission. Quatrièmement, le Tribunal aurait estimé, sans le justifier, que les déclarations publiques d’indépendance et d’absence de contrôle effectuées à l’époque par le conseil d’administration de Prysmian étaient mensongères et avaient été effectuées en violation du droit italien. Cinquièmement, le Tribunal aurait eu tort de rejeter son argument selon lequel les fonds GSCP V n’avaient pas donné d’instructions à Prysmian, au motif que cet argument aurait été présenté de manière incohérente.
46 La Commission, soutenue par Prysmian et PrysmianCS, s’oppose à ces arguments. Selon elle, l’argumentation de la requérante relative à l’examen des preuves que celle-ci a présentées pour renverser l’application de la présomption de l’exercice effectif d’une influence déterminante vise, en réalité, à ce que la Cour procède à une nouvelle appréciation de ces preuves et est donc irrecevable.
– Appréciation de la Cour
47 Il convient de relever, en premier lieu, que l’argument de la requérante visant le prétendu renversement, par le Tribunal, de la charge de la preuve repose sur la prémisse selon laquelle le Tribunal a commis une erreur de droit en considérant que la Commission pouvait se fonder, en l’espèce, sur une présomption de l’exercice effectif d’une influence déterminante afin de tenir la requérante pour responsable de l’infraction en cause en ce qui concerne la période antérieure à l’OPI. Or, étant donné que, ainsi qu’il ressort du point 36 du présent arrêt, l’arrêt attaqué n’est entaché d’aucune erreur de droit à cet égard, cet argument doit être rejeté.
48 En deuxième lieu, il convient de rappeler que, conformément à l’article 256, paragraphe 1, second alinéa, TFUE et à l’article 58, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, le pourvoi est limité aux questions de droit. Le Tribunal est seul compétent pour constater et apprécier les faits pertinents ainsi que pour apprécier les éléments de preuve. L’appréciation de ces faits et de ces éléments de preuve ne constitue donc pas, sous réserve du cas de leur dénaturation, une question de droit soumise, comme telle, au contrôle de la Cour dans le cadre d’un pourvoi (arrêt du 26 septembre 2018, Philips et Philips France/Commission, C‑98/17 P, non publié, EU:C:2018:774, point 40 ainsi que jurisprudence citée).
49 En revanche, le pouvoir de contrôle de la Cour sur les constatations de fait opérées par le Tribunal s’étend, notamment, à la question de savoir si les règles en matière de charge et d’administration de la preuve ont été respectées (arrêts du 18 janvier 2017, Toshiba/Commission, C‑623/15 P, non publié, EU:C:2017:21, point 39, et du 14 juin 2018, Makhlouf/Conseil, C‑458/17 P, non publié, EU:C:2018:441, point 57).
50 Étant donné que, en l’espèce, la requérante n’a invoqué aucune dénaturation des faits et des éléments de preuve par le Tribunal, les arguments de celle-ci visant l’examen des preuves invoquées pour renverser la présomption de l’exercice effectif d’une influence déterminante doivent être rejetés comme étant irrecevables.
51 En troisième lieu, dans la mesure où les arguments soulevés dans le cadre de la deuxième branche du premier moyen pourraient être considérés comme étant recevables en vertu de la jurisprudence rappelée aux points 48 et 49 du présent arrêt, il convient de relever, premièrement, contrairement à ce que la requérante fait valoir, que le Tribunal n’a pas, aux points 70 et 71 de l’arrêt attaqué, imposé une probatio diabolica à celle-ci, mais s’est, en substance, limité à rappeler que la charge de la preuve pour réfuter la présomption en cause incombait à la requérante.
52 Deuxièmement, le Tribunal n’a aucunement considéré, aux points 73 et 74 de l’arrêt attaqué, que les déclarations publiques d’indépendance effectuées par le conseil d’administration de Prysmian étaient mensongères et contraires au droit italien. En effet, le Tribunal a seulement constaté que ces déclarations n’étaient pas, en elles-mêmes, susceptibles d’établir la véracité de leur contenu et que l’exercice d’une influence déterminante devait être apprécié sur le fondement d’éléments de preuve concrets.
53 Troisièmement, si la requérante reproche au Tribunal d’avoir rejeté à tort son argument, visé au point 50 de la requête introductive d’instance, selon lequel les fonds GSCP V n’avaient pas donné d’instructions à Prysmian, il y a lieu de relever qu’elle n’explicite pas en quoi le Tribunal aurait pu en saisir la portée contrairement à ce qu’il a indiqué au point 76 de l’arrêt attaqué ni quels éléments ou preuves il aurait omis d’examiner à ce titre, étant observé qu’il a répondu à l’argumentation à laquelle la requérante renvoyait, à ce point de cette requête, dans le cadre de la deuxième branche du moyen en cause.
54 Il s’ensuit que la deuxième branche du premier moyen doit être rejetée comme étant, en partie, irrecevable et, en partie, non fondée.
Sur la troisième branche du premier moyen
– Argumentation des parties
55 Par la troisième branche de son premier moyen, la requérante fait valoir que le Tribunal a commis une erreur de droit en confirmant la conclusion à laquelle est parvenue la Commission, dans la décision litigieuse, selon laquelle elle avait effectivement exercé une influence déterminante sur Prysmian au cours de la période antérieure à l’OPI.
56 La Commission, Prysmian et PrysmianCS considèrent que cette branche est irrecevable, au motif qu’elle invite la Cour à procéder à une nouvelle appréciation des faits et des éléments de preuve examinés en première instance. En tout état de cause, cette branche serait non fondée.
– Appréciation de la Cour
57 Il convient de rappeler à cet égard que, dans la décision litigieuse, ainsi qu’il ressort des points 9 et 10 du présent arrêt, la Commission s’est appuyée sur un double fondement pour tenir la requérante pour responsable de l’infraction en cause pendant la période antérieure à l’OPI. D’une part, la Commission s’est fondée sur une présomption de l’exercice effectif d’une influence déterminante, au motif que la requérante détenait l’ensemble des droits de vote associés aux actions de Prysmian. D’autre part, elle a considéré que la requérante avait effectivement exercé une telle influence sur Prysmian.
58 Or, ainsi qu’il ressort de l’examen de la première branche de ce moyen, le Tribunal n’a pas commis d’erreur de droit en considérant que, en l’espèce, la Commission était en droit de se fonder sur une présomption de l’exercice effectif d’une influence déterminante pour établir la responsabilité de la requérante pour l’infraction en cause s’agissant de la période antérieure à l’OPI. En outre, il ressort de l’examen de la deuxième branche de ce moyen que le Tribunal n’a pas non plus commis d’erreur de droit en concluant, en l’espèce, que la requérante n’avait pas réussi à renverser cette présomption.
59 Dans ces circonstances, la troisième branche du premier moyen, qui vise les conclusions du Tribunal en ce qui concerne le deuxième fondement sur lequel la Commission s’est appuyée pour tenir la requérante pour responsable de l’infraction en cause dans la période antérieure à l’OPI, doit être rejetée comme étant inopérante.
60 Il y a lieu, dès lors, de rejeter le premier moyen comme étant, en partie, irrecevable et, en partie, non fondé.
Sur le second moyen
61 Le second moyen, qui vise les points 81 à 144 de l’arrêt attaqué, comporte trois branches.
Sur la première branche du second moyen
– Argumentation des parties
62 Par la première branche du second moyen, la requérante soutient que le Tribunal a commis une erreur de droit, premièrement, en s’appuyant, pour confirmer l’appréciation de la Commission selon laquelle la responsabilité de la requérante pouvait être retenue également pour la période postérieure à l’OPI, sur des éléments applicables à la période antérieure à l’OPI, deuxièmement, en affirmant seulement que l’OPI n’avait rien changé et, troisièmement, en renversant, en pratique, la charge de la preuve au détriment de la requérante. Or, l’OPI de Prysmian aurait constitué un tournant décisif pour cette société. À partir du 3 mai 2007, les fonds GSCP V n’auraient détenu plus que 46 % environ du capital de Prysmian et cette participation aurait atteint seulement 26 % environ le 12 novembre 2007. En outre, à compter du 3 mai 2007, Prysmian aurait été soumise à une obligation de transparence à l’égard du marché.
63 L’approche adoptée par le Tribunal serait également en contradiction avec les enseignements découlant, notamment, du point 34 de l’arrêt du 16 juin 2016, Evonik Degussa et AlzChem/Commission (C‑155/14 P, EU:C:2016:446), selon lesquels, d’une part, il appartient à cette juridiction, afin d’apprécier si une filiale détermine de manière autonome son comportement sur le marché ou applique pour l’essentiel les instructions qui lui sont données par sa société mère, d’effectuer une appréciation portant sur des faits contemporains de la période infractionnelle et, d’autre part, des éléments portant sur une autre période ne peuvent être pris en compte qu’à la condition que le Tribunal soit en mesure d’établir la pertinence de ces éléments pour la période concernée et qu’il ne transpose pas automatiquement à cette période les conclusions découlant de l’appréciation de ces éléments.
64 Selon la requérante, le Tribunal a fait une application erronée de cette jurisprudence en faisant référence, aux points 93, 94 et 133 de l’arrêt attaqué, d’une part, à la seule occasion, intervenue après la période infractionnelle, où les fonds GSCP V ont révoqué la nomination de membres du conseil d’administration de Prysmian et, d’autre part, au fait que le conseil d’administration nommé avant l’OPI s’est maintenu sans variations après l’OPI, aucun de ces deux éléments n’ayant d’incidence sur le prétendu exercice effectif d’une influence déterminante par la requérante sur Prysmian au cours de la période postérieure à l’OPI. De même, le Tribunal n’aurait pas dû s’appuyer, au point 92 de l’arrêt attaqué, sur un contrôle sur les droits de vote ou sur une participation majoritaire au sein de l’assemblée des actionnaires de Prysmian, car ceux-ci n’auraient plus existé au cours de la période postérieure à l’OPI. En outre, tout en admettant que, afin de pouvoir imputer le comportement d’une filiale à la société mère, la Commission ne saurait se contenter de constater que la société mère est en mesure d’exercer une influence déterminante sur le comportement de sa filiale, mais doit également vérifier si cette influence a effectivement été exercée, le Tribunal aurait fondé ses conclusions sur des éléments susceptibles, tout au plus, de révéler un pouvoir d’exercer une certaine influence et aurait validé les conclusions qui se fondent sur les communications partiales de Prysmian.
65 La Commission considère que le second moyen est irrecevable, au motif qu’il invite la Cour à procéder à une nouvelle appréciation des faits et des éléments de preuve examinés en première instance. En tout état de cause, ce moyen serait non fondé.
66 Prysmian et PrysmianCS soutiennent que la première branche du second moyen n’est pas fondée.
– Appréciation de la Cour
67 S’agissant de la recevabilité de la première branche du second moyen, il y a lieu de rappeler qu’il ressort d’une jurisprudence constante de la Cour que, aux fins de l’examen du point de savoir si la société mère peut exercer une influence déterminante sur le comportement de sa filiale sur le marché, il convient de prendre en considération l’ensemble des éléments pertinents relatifs aux liens économiques, organisationnels et juridiques qui unissent la filiale à sa société mère et, ainsi, de tenir compte de la réalité économique. Par ailleurs, l’exercice effectif d’une influence déterminante de la société mère sur le comportement de la filiale peut être déduit d’un faisceau d’éléments concordants, même si aucun de ces éléments, pris isolément, ne suffit pour établir l’existence d’une telle influence (arrêt du 18 janvier 2017, Toshiba/Commission, C‑623/15 P, non publié, EU:C:2017:21, points 46 et 47 ainsi que jurisprudence citée).
68 Il ressort également de la jurisprudence que, dans le cadre de cet exercice, il appartient au Tribunal d’effectuer une appréciation portant sur des faits contemporains de la période infractionnelle, sans préjudice toutefois de la possibilité de se fonder sur des éléments portant sur une période antérieure à celle-ci, pour autant qu’il est en mesure d’établir la pertinence de ces éléments pour la période infractionnelle et qu’il ne transpose pas automatiquement à cette période les conclusions découlant de l’appréciation d’éléments antérieurs à cette dernière (arrêt du 16 juin 2016, Evonik Degussa et AlzChem/Commission, C‑155/14 P, EU:C:2016:446, point 34).
69 Or, pour autant que, par ses arguments, dans le cadre de la première branche du second moyen, la requérante reproche, en substance, au Tribunal de s’être fondé, lors de cet examen, sur des éléments sans pertinence pour la période en cause et d’avoir renversé la charge de la preuve, ces arguments concernent des questions de droit qui peuvent être soulevées dans le cadre d’un pourvoi.
70 En revanche, les arguments visant à remettre en cause l’appréciation des éléments de preuve effectuée par le Tribunal dans le cadre de cet examen ne sont pas, compte tenu de la jurisprudence rappelée aux points 48 et 49 du présent arrêt, recevables dans le cadre d’un pourvoi, la requérante n’ayant allégué aucune dénaturation de ces éléments de preuve par ce dernier.
71 Sur le fond, il y a lieu de constater que, aux points 81 à 144 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a examiné la question de savoir si la requérante avait, d’une part, pendant la période antérieure à l’OPI et, d’autre part, pendant la période postérieure à l’OPI exercé une influence déterminante sur le comportement de Prysmian sur le marché. Dans ce cadre, il a examiné, en détail, les huit éléments sur lesquels la Commission s’était fondée à cet égard. Parmi les éléments se rapportant à toute la période infractionnelle, le Tribunal a notamment examiné le pouvoir de nomination des membres des divers conseils d’administration de Prysmian ainsi que le pouvoir de convoquer les actionnaires aux assemblées et de proposer la révocation des administrateurs ou de l’ensemble des conseils d’administration.
72 Il ne ressort aucunement de cet examen que, pour vérifier si la requérante avait exercé une influence déterminante sur le comportement de Prysmian sur le marché pendant la période postérieure à l’OPI, le Tribunal se serait fondé sur des éléments applicables à la période antérieure à l’OPI ou qu’il aurait renversé la charge de la preuve au détriment de la requérante. En effet, il ressort de cet examen et notamment des points 93, 94 et 133 de l’arrêt attaqué que, loin d’avoir considéré que l’OPI n’avait pas apporté de changements à cet égard, le Tribunal a soigneusement pris en compte les éléments invoqués par la Commission dans la décision litigieuse, en distinguant clairement les périodes antérieure et postérieure à l’OPI. Partant, l’argumentation de la requérante, mentionnée au point 62 du présent arrêt, procède d’une lecture erronée de l’arrêt attaqué et doit donc être rejetée comme étant non fondée.
73 Dans ces circonstances, la première branche du second moyen doit être rejetée comme étant, en partie, irrecevable et, en partie, non fondée.
Sur les deuxième et troisième branches du second moyen
– Argumentation des parties
74 Par la deuxième branche de son second moyen, la requérante fait valoir que c’est à tort que le Tribunal a constaté qu’elle disposait, au sein du conseil d’administration de Prysmian, du niveau de représentation nécessaire pour influencer le comportement de cette dernière sur le marché.
75 En premier lieu, l’affirmation du Tribunal selon laquelle le maintien de la même composition du conseil d’administration de Prysmian pendant la période postérieure à l’OPI constituerait un indice de ce qu’elle aurait continué à exercer un contrôle sur ce conseil après l’OPI serait totalement erronée. Ce conseil, nommé lors de l’assemblée des actionnaires du 28 février 2007, comprenait dix administrateurs, dont seuls trois étaient des administrateurs gérants de la PIA. L’adoption d’une résolution par ledit conseil requérant la réunion d’une majorité simple, les administrateurs gérants de la PIA, siégeant dans ce même conseil, n’auraient donc jamais été en mesure de contrôler effectivement l’ensemble du conseil d’administration de Prysmian. De plus, le Tribunal aurait fait une interprétation erronée des éléments de preuve du dossier en méconnaissant le fait qu’il était interdit à chacun des administrateurs gérants de la PIA, également membres du conseil d’administration de Prysmian, d’agir, au cours de la période postérieure à l’OPI, uniquement ou essentiellement au bénéfice d’autres parties, y compris de la requérante.
76 En deuxième lieu, le Tribunal aurait commis une erreur de droit s’agissant du rôle de deux administrateurs non exécutifs indépendants (ci-après les « administrateurs en cause »), siégeant au conseil d’administration de Prysmian.
77 À cet égard, la requérante invoque, premièrement, que, s’agissant de l’affirmation du Tribunal selon laquelle la requérante entretenait des liens avec au moins 50 % des membres du conseil d’administration de Prysmian, au regard des liens entretenus avec les administrateurs en cause, ces prétendus liens, notamment par l’intermédiaire de « services de conseil antérieurs » ou de « contrats de consultant », n’auraient fait l’objet d’aucun examen et n’auraient pas été décrits correctement dans l’arrêt attaqué. Le Tribunal n’aurait pas non plus démontré que ces prétendus liens auraient pu prévaloir ou ont prévalu sur l’obligation d’indépendance qui incombait aux administrateurs en cause à l’égard de tous les actionnaires.
78 Il ressortirait de la jurisprudence que seul un cumul de fonctions placerait nécessairement la société mère en situation d’influencer de manière déterminante le comportement de sa filiale sur le marché. Or, en l’espèce, les administrateurs en cause n’auraient été ni des membres du conseil d’administration de la requérante, ni des agents, ni même des cadres supérieurs de cette dernière. De plus, aucun d’entre eux n’aurait occupé un poste de direction au sein de la requérante.
79 En outre, en considérant que la requérante n’avait pas apporté la preuve de l’absence de lien avec les administrateurs en cause, le Tribunal aurait renversé la charge de la preuve.
80 Enfin, à supposer même que les administrateurs en cause soient pris en considération conjointement avec les administrateurs gérants de la PIA, ceux-ci auraient représenté, conjointement, non pas la majorité du conseil d’administration de Prysmian, mais seulement cinq sur dix des membres et donc la moitié de ce conseil, ce qui signifierait qu’ils ne pouvaient pas adopter seuls les résolutions du conseil d’administration.
81 Deuxièmement, le Tribunal aurait commis une erreur de droit, constitutive d’une dénaturation des éléments de preuve en cause, en rejetant la valeur probante des déclarations effectuées par le conseil d’administration de Prysmian confirmant l’indépendance de ses membres indépendants, renversant ainsi une nouvelle fois la charge de la preuve. Après l’OPI, Prysmian aurait été obligée de nommer un nombre donné d’administrateurs indépendants au sein de son conseil d’administration. À cet égard, toute forme de parenté ou de relation professionnelle entre un administrateur et la société, y compris les autres entreprises du groupe ou les actionnaires principaux, aurait été exclue. Or, le conseil d’administration de Prysmian aurait confirmé formellement, à plusieurs reprises, que les administrateurs indépendants étaient véritablement indépendants. Si Prysmian avait eu le moindre doute quant à l’exactitude de ces confirmations, elle aurait encouru, en les effectuant, des peines civiles, administratives et, éventuellement, pénales, en vertu du droit italien.
82 En troisième lieu, le Tribunal aurait fait une appréciation incohérente des éléments de preuve dans l’arrêt attaqué, en concluant, d’une part, au point 108 de l’arrêt attaqué, que le simple fait que le conseil d’administration de Prysmian ait évalué certains de ses administrateurs comme étant indépendants ne serait pas susceptible de démontrer l’absence de liens avec la requérante et, par conséquent, la véritable indépendance de ces administrateurs et, d’autre part, au point 136 de cet arrêt, que, s’agissant d’un procès-verbal d’une réunion de ce conseil qui reproduisait les remarques de participants, il incombait à la requérante de produire des éléments de preuve démontrant le contraire.
83 Par la troisième branche de son second moyen, la requérante fait valoir qu’aucun des autres éléments invoqués par le Tribunal ne suffit, à lui seul ou conjointement avec d’autres éléments, à démontrer l’exercice effectif d’une influence déterminante par la requérante sur Prysmian au cours de la période postérieure à l’OPI.
84 En premier lieu, le pouvoir détenu par les fonds GSCP V de nommer des membres du conseil d’administration de Prysmian et le pouvoir détenu par ces fonds de convoquer les actionnaires aux assemblées ainsi que de proposer la révocation des administrateurs ou de l’ensemble du conseil d’administration ne démontreraient pas que la requérante était en mesure, par l’intermédiaire des mêmes fonds, d’exercer une influence déterminante sur Prysmian. En effet, en ce qui concerne les droits de nomination, la jurisprudence du Tribunal exigerait de démontrer que les membres du conseil d’administration ainsi nommés disposent du pouvoir d’imposer un contrôle effectif à l’ensemble du conseil d’administration.
85 En deuxième lieu, s’agissant des pouvoirs délégués aux administrateurs gérants de la PIA avant l’OPI, de leur nomination au sein du comité stratégique de Prysmian après l’OPI, de la réception de mises à jour régulières et de rapports mensuels ainsi que des autres mesures adoptées à la suite de l’OPI et mentionnées au point 130 de l’arrêt attaqué, aucun d’entre eux, pris isolément ou conjointement, ne constituerait un élément de preuve de l’exercice effectif d’une influence déterminante sur Prysmian.
86 En troisième lieu, la constatation du Tribunal, aux points 140 à 142 de l’arrêt attaqué, selon laquelle la requérante a adopté à l’égard de Prysmian un comportement typique d’un propriétaire industriel, serait erronée. En outre, le Tribunal aurait commis une erreur de droit manifeste en méconnaissant la jurisprudence selon laquelle la responsabilité des infractions au droit de la concurrence ne saurait être imputée à un simple investisseur financier tel que la requérante.
87 La Commission soutient que les deuxième et troisième branches du second moyen sont irrecevables pour les raisons déjà exposées au point 65 du présent arrêt. La deuxième branche serait, en outre, inopérante. À titre subsidiaire, la Commission soutient que ces deux branches ne sont pas fondées.
88 Prysmian et PrysmianCS font valoir que ces deux branches sont irrecevables et, à titre subsidiaire, non fondées.
– Appréciation de la Cour
89 Premièrement, dans la mesure où la requérante reproche au Tribunal de ne pas avoir répondu à ses arguments visant l’existence et la pertinence de liens entre celle-ci et les membres du conseil d’administration de Prysmian, il y a lieu de relever que, en s’appuyant et en faisant référence, au point 106 de l’arrêt attaqué, aux considérants 761 et 762 de la décision litigieuse ainsi qu’à leurs notes en bas de page respectives, le Tribunal a suffisamment identifié les liens en cause. En outre, il ressort des points 106 à 108 de cet arrêt que le Tribunal a considéré que, en l’espèce, ces liens étaient tels qu’ils pouvaient être considérés comme constituant l’un des éléments sur lesquels la Commission pouvait se fonder afin de démontrer que la requérante avait exercé une influence déterminante sur le comportement de Prysmian.
90 Il convient de rappeler, à cet égard, qu’il ressort de la jurisprudence citée au point 67 du présent arrêt que l’exercice effectif d’une influence déterminante de la société mère sur le comportement de la filiale peut être déduit d’un faisceau d’éléments concordants, même si aucun de ces éléments, pris isolément, ne suffit à établir l’existence d’une telle influence.
91 Deuxièmement, s’agissant de la prétendue appréciation incohérente des éléments de preuve par le Tribunal, il convient de relever que l’argumentation de la requérante vise les points 108 et 136 de l’arrêt attaqué. Au point 108 de cet arrêt, le Tribunal a considéré que le simple fait que ce conseil d’administration ait évalué certains de ses administrateurs comme étant indépendants, voire qu’il ait publié une telle évaluation dans ses rapports de gouvernance d’entreprise, comme la requérante l’allègue, n’est pas, en soi, susceptible de remettre en cause la constatation de la Commission selon laquelle ces mêmes administrateurs n’ont effectivement pas cessé d’entretenir des liens avec la requérante. Ainsi, le Tribunal a en substance indiqué que les évaluations du conseil d’administration pouvaient être démenties par les constatations de la Commission. Or, cette appréciation n’est aucunement incohérente avec la considération, émise au point 136 de l’arrêt attaqué, et visant une remarque décrite dans un procès-verbal formel du conseil d’administration de Prysmian, selon laquelle un tel document était censé reproduire les remarques que les participants audit conseil avaient souhaité acter.
92 Troisièmement, s’agissant du prétendu renversement de la charge de la preuve, en ce qui concerne le rôle des administrateurs en cause, il suffit de relever que l’argumentation de la requérante repose sur une lecture erronée de l’arrêt attaqué. En effet, au point 106 de cet arrêt, le Tribunal, après avoir apprécié les preuves invoquées par la Commission et conclu que les liens personnels étayés par ces preuves constituaient un élément pertinent dans le cadre de l’examen de la question de savoir si la requérante exerçait un contrôle effectif sur Prysmian, s’est limité, en substance, à constater que la requérante n’avait pas réussi à remettre en cause cette conclusion.
93 Quatrièmement, s’agissant de l’argument de la requérante selon lequel il découle de la jurisprudence que seul un cumul de fonctions place nécessairement la société mère en situation d’influencer de manière déterminante le comportement de sa filiale sur le marché et qu’une telle situation fait défaut en l’espèce, il convient de rappeler qu’il ressort de la jurisprudence, ainsi que le Tribunal l’a relevé, au point 107 de l’arrêt attaqué, que l’existence d’une entité économique constituée de la société mère et de sa filiale peut naître non seulement des rapports formels entre les deux, mais également de manière informelle, notamment du fait de liens personnels existant entre les entités juridiques qui composent une telle unité économique (voir, en ce sens, arrêt du 11 juillet 2013, Commission/Stichting Administratiekantoor Portielje, C‑440/11 P, EU:C:2013:514, point 68).
94 Toutefois, il ne ressort pas de la jurisprudence de la Cour que des liens personnels entre deux sociétés ne pourraient être pertinents, à cet égard, que dans le cas d’un cumul de fonctions. En effet, la pertinence de tels liens personnels réside dans le fait qu’ils sont susceptibles de suggérer qu’une personne, bien qu’étant active pour une société donnée, poursuit effectivement, eu égard à ses liens avec une autre société, les intérêts de cette dernière. Or, tel peut également être le cas lorsqu’une personne, qui siège dans le conseil d’administration d’une société, est liée à une autre société au moyen de « services de conseil antérieurs » ou de « contrats de consultant », comme le Tribunal l’a relevé au point 106 de l’arrêt attaqué.
95 Il s’ensuit que le Tribunal n’a pas commis d’erreur de droit en considérant que de tels liens personnels peuvent, en principe, être pertinents afin d’établir si une société mère peut exercer une influence déterminante sur le comportement de sa filiale sur le marché.
96 Cinquièmement, en ce qui concerne les autres arguments invoqués par la requérante dans le cadre des deuxième et troisième branches du second moyen, il apparaît que, par l’ensemble de ces arguments, la requérante se borne en réalité à remettre en cause les appréciations de nature factuelle du Tribunal dans le cadre de son analyse des éléments de preuve pertinents en l’espèce et vise ainsi à obtenir de la Cour qu’elle substitue sa propre appréciation à celle du Tribunal.
97 Or, ainsi qu’il a été rappelé aux points 48 et 49 du présent arrêt, le Tribunal est seul compétent pour constater et apprécier les faits pertinents ainsi que pour apprécier les éléments de preuve et l’appréciation de ces faits et de ces éléments de preuve ne constitue donc pas, sous réserve du cas de leur dénaturation, une question de droit soumise, comme telle, au contrôle de la Cour dans le cadre d’un pourvoi.
98 La Cour a également précisé que, lorsqu’un requérant allègue une dénaturation d’éléments de preuve par le Tribunal, il doit indiquer de façon précise les éléments qui auraient été dénaturés par celui-ci et démontrer les erreurs d’analyse qui, dans son appréciation, auraient conduit le Tribunal à cette dénaturation (arrêt du 28 novembre 2019, Brugg Kabel et Kabelwerke Brugg/Commission, C‑591/18 P, non publié, EU:C:2019:1026, point 63 ainsi que jurisprudence citée).
99 Certes, la requérante fait valoir que le Tribunal a dénaturé le sens des déclarations effectuées par le conseil d’administration de Prysmian, confirmant que les administrateurs indépendants siégeant dans ce conseil étaient véritablement indépendants. Cependant, la requérante reste en défaut de démontrer de quelle manière le Tribunal aurait dénaturé les éléments de preuve en cause.
100 En effet, il convient de rappeler que, à cet égard, le Tribunal a considéré, au point 108 de l’arrêt attaqué, que le simple fait que ce conseil d’administration ait évalué certains de ses administrateurs comme étant indépendants, voire qu’il ait publié une telle évaluation dans ses rapports de gouvernance d’entreprise, n’était pas, en soi, susceptible de remettre en cause la constatation de la Commission selon laquelle ces mêmes administrateurs n’avaient effectivement pas cessé d’entretenir des liens avec la requérante.
101 Étant donné que, par conséquent, aucune dénaturation des faits ou des éléments de preuve n’a été établie par la requérante, son argumentation visant à remettre en cause l’appréciation de ces faits et de ces éléments de preuve par le Tribunal doit être rejetée comme étant irrecevable.
102 Il y a lieu, dès lors, de rejeter le second moyen comme étant, en partie, irrecevable et, en partie, non fondé.
103 S’agissant de la demande de la requérante de lui accorder le bénéfice de toute réduction d’amende accordée à Prysmian et à PrysmianCS, en réduisant le montant de l’amende qui lui a été infligée solidairement avec ces dernières, pour le cas où la Cour ferait droit au pourvoi formé par lesdites sociétés contre l’arrêt du Tribunal du 12 juillet 2018, Prysmian et Prysmian Cavi e Sistemi/Commission (T‑475/14, EU:T:2018:448), il suffit de relever que la Cour a rejeté ce pourvoi par l’arrêt du 24 septembre 2020, Prysmian et Prysmian Cavi e Sistemi/Commission (C‑601/18 P, EU:C:2020:751).
104 Par conséquent, aucun des moyens invoqués par la requérante au soutien de son pourvoi n’étant susceptible de prospérer, il y a lieu de rejeter celui-ci dans son ensemble.
Sur les dépens
105 Aux termes de l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure de la Cour, applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, du même règlement, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.
106 La requérante ayant succombé en ses moyens et la Commission ayant conclu à sa condamnation aux dépens, il y a lieu de la condamner à supporter, outre ses propres dépens, ceux exposés par la Commission.
107 En vertu de l’article 184, paragraphe 4, du règlement de procédure, lorsqu’elle n’a pas, elle-même, formé le pourvoi, une partie intervenante en première instance ne peut être condamnée aux dépens dans la procédure de pourvoi que si elle a participé à la phase écrite ou orale de la procédure devant la Cour. Lorsqu’une telle partie participe à la procédure, la Cour peut décider qu’elle supportera ses propres dépens.
108 Prysmian et PrysmianCS ayant participé à la procédure devant la Cour, il y a lieu de décider, dans les circonstances de l’espèce, qu’elles supporteront leurs propres dépens.
Par ces motifs, la Cour (deuxième chambre) déclare et arrête :
1) Le pourvoi est rejeté.
2) The Goldman Sachs Group Inc. est condamnée à supporter, outre ses propres dépens, ceux exposés par la Commission européenne.
3) Prysmian SpA et Prysmian Cavi e Sistemi Srl supportent leurs propres dépens.