CJUE, 8e ch., 28 janvier 2021, n° C-466/19 P
COUR DE JUSTICE DE L’UNION EUROPEENNE
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Qualcomm Inc., Qualcomm Europe Inc.
Défendeur :
Commission européenne
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président de chambre :
M. Wahl
Juges :
M. Biltgen, Mme Rossi (rapporteure)
Avocat général :
M. Bobek
Avocats :
Me Pinto de Lemos Fermiano Rato, Me Davilla
LA COUR (huitième chambre),
1 Par leur pourvoi, Qualcomm Inc. et Qualcomm Europe Inc. demandent l’annulation de l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 9 avril 2019, Qualcomm et Qualcomm Europe/Commission (T‑371/17, non publié, ci-après l’« arrêt attaqué », EU:T:2019:232), par lequel celui-ci a rejeté leur recours tendant à l’annulation de la décision C(2017) 2258 final de la Commission, du 31 mars 2017, relative à une procédure d’application de l’article 18, paragraphe 3, et de l’article 24, paragraphe 1, sous d), du règlement (CE) n° 1/2003 du Conseil [affaire AT.39711 – Qualcomm (prix d’éviction)] (ci-après la « décision litigieuse »).
Le cadre juridique
2 Aux termes des considérants 23 et 37 du règlement (CE) n° 1/2003 du Conseil, du 16 décembre 2002, relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles [101] et [102 TFUE] (JO 2003, L 1, p. 1) :
« (23) La Commission [européenne] doit disposer dans toute [l’Union européenne] du pouvoir d’exiger les renseignements qui sont nécessaires pour déceler les accords, décisions et pratiques concertées interdits par l’article [101 TFUE] ainsi que l’exploitation abusive d’une position dominante interdite par l’article [102 TFUE]. Lorsqu’elles se conforment à une décision de la Commission, les entreprises ne peuvent être contraintes d’admettre qu’elles ont commis une infraction, mais elles sont en tout cas obligées de répondre à des questions factuelles et de produire des documents, même si ces informations peuvent servir à établir à leur encontre ou à l’encontre d’une autre entreprise l’existence d’une infraction.
[...]
(37) Le présent règlement respecte les droits fondamentaux et les principes reconnus en particulier par la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. En conséquence, il doit être interprété et appliqué dans le respect de ces droits et principes. »
3 L’article 18 de ce règlement, intitulé « Demandes de renseignements », dispose, à ses paragraphes 1 à 3 :
« 1. Pour l’accomplissement des tâches qui lui sont assignées par le présent règlement, la Commission peut, par simple demande ou par voie de décision, demander aux entreprises et associations d’entreprises de fournir tous les renseignements nécessaires.
2. Lorsqu’elle envoie une simple demande de renseignements à une entreprise ou à une association d’entreprises, la Commission indique la base juridique et le but de la demande, précise les renseignements demandés et fixe le délai dans lequel ils doivent être fournis. Elle indique aussi les sanctions prévues à l’article 23 au cas où un renseignement inexact ou dénaturé serait fourni.
3. Lorsque la Commission demande par décision aux entreprises et associations d’entreprises de fournir des renseignements, elle indique la base juridique et le but de la demande, précise les renseignements demandés et fixe le délai dans lequel ils doivent être fournis. Elle indique également les sanctions prévues à l’article 23 et indique ou inflige les sanctions prévues à l’article 24. Elle indique encore le droit de recours ouvert devant la Cour de justice [de l’Union européenne] contre la décision. »
4 L’article 24 dudit règlement, intitulé « Astreintes », prévoit :
« 1. La Commission peut, par voie de décision, infliger aux entreprises et associations d’entreprises des astreintes jusqu’à concurrence de 5 % du chiffre d’affaires journalier moyen réalisé au cours de l’exercice social précédent par jour de retard à compter de la date qu’elle fixe dans sa décision, pour les contraindre :
[...]
d) à fournir de manière complète et exacte un renseignement qu’elle a demandé par voie de décision prise en application de l’article 17 ou de l’article 18, paragraphe 3 ;
[...]
2. Lorsque les entreprises ou les associations d’entreprises ont satisfait à l’obligation pour l’exécution de laquelle l’astreinte a été infligée, la Commission peut fixer le montant définitif de celle-ci à un chiffre inférieur à celui qui résulte de la décision initiale. [...] »
Les antécédents du litige et la décision litigieuse
5 Les antécédents du litige sont exposés aux points 1 à 18 de l’arrêt attaqué. Pour les besoins de la présente procédure, ils peuvent être résumés comme suit.
6 Qualcomm et Qualcomm Europe sont des sociétés établies aux États-Unis et actives dans le secteur de la conception et de la commercialisation des chipsets de bande de base.
7 À la suite d’une plainte déposée le 8 avril 2010 par Icera Inc., une autre société active dans ce secteur, la Commission a ouvert une enquête concernant un prétendu abus de position dominante, au sens de l’article 102 TFUE, des requérantes, consistant en l’application de prix prédateurs sur le marché des chipsets de bande de base UMTS (Universal Mobile Telecommunications System). Dans ce contexte, entre le 7 juin 2010 et le 14 janvier 2015, la Commission a adressé aux requérantes plusieurs demandes de renseignements sur le fondement de l’article 18 du règlement n° 1/2003.
8 Le 8 décembre 2015, la Commission a adressé aux requérantes une communication des griefs, faisant suite à l’ouverture d’une procédure formelle à leur égard, le 16 juillet 2015. Dans cette communication des griefs, elle est parvenue à la conclusion préliminaire selon laquelle les requérantes avaient abusé de leur position dominante sur le marché des chipsets de bande de base UMTS en ayant, au cours de la période allant du 3 février 2009 au 16 décembre 2011, fourni certaines quantités de trois de ces chipsets à deux de leurs principaux clients, Huawei et ZTE, à des prix inférieurs aux coûts, dans le but d’évincer Icera, seule concurrente des requérantes sur ce marché au cours de cette période. Le 15 août 2016, les requérantes ont présenté leurs observations sur ladite communication des griefs.
9 Le 30 janvier 2017, la Commission a adressé aux requérantes une demande de renseignements sur le fondement de l’article 18, paragraphes 1 et 2, du règlement n° 1/2003. En l’absence de réponse à cette demande de renseignements, le 31 mars 2017, la Commission a, sur le fondement de l’article 18, paragraphe 3, de ce règlement, adopté la décision litigieuse.
10 Aux termes de l’article 1er de cette décision, les requérantes devaient fournir, dans certains délais, les renseignements spécifiés à l’annexe I de celle-ci, faute de quoi elles se verraient infliger, en vertu de l’article 2 de ladite décision, une astreinte de 580 000 euros par jour de retard. Les requérantes ont transmis leur réponse aux questions posées dans les délais impartis, qui avaient entre-temps été prorogés par la Commission.
Le recours devant le Tribunal et l’arrêt attaqué
11 Par requête déposée au greffe du Tribunal le 13 juin 2017, les requérantes ont introduit un recours tendant à l’annulation de la décision litigieuse, au soutien duquel elles ont soulevé six moyens.
12 À titre liminaire, le Tribunal a, aux points 29 à 33 de l’arrêt attaqué, écarté comme étant inopérant le grief tiré du caractère excessif de la durée de la procédure administrative, observant qu’un tel grief était sans pertinence dans le cadre de l’examen d’un recours ayant pour objet, non pas une décision de constatation d’une violation de l’article 102 TFUE, mais une décision de demande de renseignements.
13 Cela ayant été relevé, le Tribunal a, en premier lieu, écarté le troisième moyen, tiré d’un défaut de motivation de la décision litigieuse. À cet égard, le Tribunal a considéré, aux points 47 à 54 de l’arrêt attaqué, que, dans la mesure où la décision litigieuse faisait apparaître de manière claire et non équivoque les présomptions d’infraction que la Commission entendait vérifier ainsi que la nécessité des renseignements demandés pour évaluer les éléments de preuve en sa possession à la lumière des arguments invoqués par les requérantes après que la communication des griefs leur avait été adressée, cette décision était motivée à suffisance de droit, la Commission n’étant pas tenue de fournir une motivation plus détaillée sur le point de savoir comment elle entendait utiliser ces renseignements pour examiner ces arguments.
14 En deuxième lieu, le Tribunal a examiné les deux premières branches du premier moyen, tiré d’une violation du principe de nécessité. Dans un premier temps, le Tribunal a écarté, aux points 69 à 91 de l’arrêt attaqué, la première branche du premier moyen, tendant à faire censurer la décision litigieuse en ce que celle-ci allait au-delà du cadre de l’enquête diligentée tel qu’il avait été défini dans la communication des griefs, en demandant des informations relatives aux puces composant les chipsets sur lesquels portait cette enquête et concernant des périodes adjacentes à la période infractionnelle définie dans cette communication des griefs. À cette fin, le Tribunal a, d’une part, considéré que la Commission était en droit, afin notamment de prendre en compte des arguments invoqués par les entreprises concernées, de poursuivre son enquête après l’adoption de ladite communication des griefs, y compris au moyen de demandes de renseignements supplémentaires, sans que cela rende ces demandes illégales ou remette en cause, en soi, le caractère nécessaire des renseignements ainsi demandés. Le Tribunal a, d’autre part, jugé que les prérogatives de la Commission ne sauraient être limitées quant aux questions qu’elle entend soulever, pour autant que celles-ci permettent d’obtenir des renseignements nécessaires à l’enquête diligentée et que la Commission donne aux entreprises concernées la possibilité d’être entendues. Le Tribunal a ajouté que, en tout état de cause, c’était sans élargir le cadre de cette enquête que la Commission avait demandé les informations requises, celles-ci étant, non seulement, pertinentes en tant qu’éléments de compréhension du contexte dans lequel s’inscrivait un éventuel comportement infractionnel, mais aussi, nécessaires à l’application d’un critère « prix-coût » adéquat.
15 Dans un second temps, le Tribunal a écarté, aux points 98 à 110 de l’arrêt attaqué, la deuxième branche du premier moyen, tendant à remettre en cause le caractère nécessaire des renseignements demandés au vu des présomptions que la Commission entendait vérifier. Pour ce faire, le Tribunal a en substance relevé que, par la décision litigieuse, la Commission avait cherché à obtenir des informations permettant d’établir le critère « prix-coût » sur la base des données reflétant fidèlement la situation durant la période infractionnelle, dès lors que, au vu notamment des observations formulées par les requérantes sur la communication des griefs, elle avait considéré que les données sur lesquelles elle s’était appuyée à cette fin dans cette communication des griefs ne reflétaient pas le prix effectivement payé par les clients des requérantes et que cet élément était déterminant pour vérifier si l’infraction avait été commise. Les renseignements demandés présentaient, par conséquent, un rapport de corrélation avec les présomptions d’infraction en cause et devaient être considérés comme étant nécessaires, et cela quand bien même la Commission aurait cherché à modifier ou à adapter sa méthodologie après l’envoi de ladite communication des griefs.
16 En troisième lieu, le Tribunal a examiné le deuxième moyen, par lequel les requérantes contestaient le caractère proportionné de la décision litigieuse. Tout d’abord, le Tribunal a écarté, aux points 118 à 148 de l’arrêt attaqué, la première branche de ce moyen, qui se confondait avec la troisième branche du premier moyen et tendait à remettre en cause le caractère proportionné de cette décision au regard de la charge de travail que celle-ci impliquait. À cet égard, le Tribunal a considéré que cette charge de travail, pour importante qu’elle fût, ne revêtait pas un caractère démesuré au vu des nécessités de l’enquête tenant aux présomptions d’infraction que la Commission entendait vérifier, et ce notamment compte tenu des observations formulées par les requérantes sur la communication des griefs. Selon le Tribunal, le fait que les requérantes ne conservaient pas les informations demandées sous le format de réponse proposé par la Commission et que leurs archives n’avaient pas été organisées de manière systématique étaient sans pertinence à cet égard. Ensuite, le Tribunal a écarté comme étant irrecevable la deuxième branche du deuxième moyen, tirée du caractère disproportionné du montant de l’astreinte prévue à l’article 2 de la décision litigieuse. Après avoir relevé que, par cette branche, les requérantes demandaient implicitement l’annulation de cet article, le Tribunal a considéré, aux points 153 à 159 de l’arrêt attaqué, que la décision litigieuse avait un caractère préliminaire par rapport à l’éventuelle décision fixant définitivement le montant total d’une astreinte et, partant, ne constituait pas un acte attaquable. Enfin, le Tribunal a écarté, aux points 164 à 166 de cet arrêt, la troisième branche de ce moyen, tendant à remettre en cause le caractère suffisant des délais de réponse accordés par la décision litigieuse.
17 En quatrième lieu, le Tribunal a écarté le quatrième moyen, par lequel les requérantes reprochaient à la Commission d’avoir indûment renversé la charge de la preuve en ayant exigé d’elles d’accomplir des actes relevant de la constitution d’un dossier et, par conséquent, relevant de la compétence de cette institution, observant, aux points 172 à 175 de l’arrêt attaqué, que ce moyen procédait d’une lecture erronée de la décision litigieuse. D’une part, le Tribunal a considéré que la Commission n’avait pas cherché à auditer les comptes des requérantes, mais à disposer d’éléments nécessaires afin d’adapter la méthodologie du critère « prix-coût » de manière à tenir compte des critiques qu’elles avaient formulées dans leurs observations sur la communication des griefs. D’autre part, le Tribunal a considéré que la Commission n’avait pas non plus demandé aux requérantes de démontrer qu’elles s’étaient conformées à la loi, mais de fournir des documents internes corroborant leur propre affirmation selon laquelle, lors de la prise des décisions en matière de prix, elles s’étaient fondées sur la jurisprudence pertinente ainsi que sur les orientations de la Commission.
18 En cinquième lieu, le Tribunal a examiné puis écarté, aux points 186 à 195 de l’arrêt attaqué, le cinquième moyen, tendant à remettre en cause la décision litigieuse en ce que celle-ci violait le droit des requérantes de ne pas contribuer à leur propre incrimination, en leur imposant de répondre à des questions excédant le cadre de la fourniture d’éléments de nature factuelle ou de démontrer qu’elles s’étaient conformées aux règles de concurrence de l’Union. À cet égard, le Tribunal a notamment relevé, premièrement, que les renseignements demandés revêtaient un caractère purement factuel, deuxièmement, que ces renseignements concernaient des données auxquelles seules les requérantes pouvaient avoir accès et que, partant, ces dernières étaient tenues de les fournir même si lesdits renseignements pouvaient servir à établir l’existence d’un comportement anticoncurrentiel et, troisièmement, que les requérantes n’avaient pas démontré que le fait que, pour répondre aux questions posées, elles étaient amenées à formaliser les données factuelles demandées dans un document visant à faciliter leur compréhension par la Commission, était susceptible de constituer, à leur égard, une violation de ce droit.
19 En sixième lieu, le Tribunal a écarté, aux points 201 à 203 de l’arrêt attaqué, le sixième moyen, tiré d’une violation du principe de bonne administration, relevant qu’il ressortait de l’examen des premier à cinquième moyens, avec lesquels les griefs invoqués dans le cadre du sixième moyen se confondaient, que c’était précisément pour se conformer aux obligations découlant de ce principe que la Commission avait adopté la décision litigieuse.
Les conclusions des parties au pourvoi
20 Qualcomm et Qualcomm Europe demandent à la Cour :
– d’annuler l’arrêt attaqué ;
– d’annuler la décision litigieuse ;
– à titre subsidiaire, de renvoyer l’affaire au Tribunal afin qu’il statue conformément aux points de droit tranchés par la Cour ; et
– de condamner la Commission aux dépens exposés par elles devant le Tribunal et la Cour.
21 La Commission demande à la Cour :
– de rejeter le pourvoi ;
– de condamner les requérantes aux dépens.
Sur le pourvoi
22 À l’appui de leur pourvoi, les requérantes soulèvent six moyens.
Sur le premier moyen, tiré d’une omission à statuer
Argumentation des parties
23 Par leur premier moyen de pourvoi, les requérantes reprochent au Tribunal d’avoir omis de statuer sur l’ensemble de leurs moyens et arguments.
24 En premier lieu, les requérantes font valoir que le Tribunal a à tort, aux points 29 à 33, 101, 102, 110, 147 et 202 de l’arrêt attaqué, omis d’examiner sur le fond leur argumentation selon laquelle la durée excessive de la procédure administrative avait porté atteinte à leurs droits de la défense, en l’écartant comme étant sans pertinence en ce qu’elle n’était pas relative à une décision de constatation d’une violation de l’article 102 TFUE. Pour ce faire, le Tribunal aurait commis une erreur de droit dans l’interprétation et dans l’application par analogie au cas d’espèce de la jurisprudence issue de l’arrêt du Tribunal du 18 juin 2008, Hoechst/Commission (T‑410/03, EU:T:2008:211, point 227). Cette jurisprudence n’opèrerait aucune distinction selon que la décision en cause constate l’existence d’une infraction ou que celle-ci constitue un autre type de décision finale et, partant, ladite jurisprudence permettrait de contester le caractère raisonnable de la durée d’une enquête dans le cadre d’un recours dirigé contre des décisions finales de la Commission qui infligent, ou menacent d’infliger, des amendes ou des astreintes à l’entreprise concernée.
25 Ce serait dès lors également à tort que le Tribunal aurait considéré, au point 110 de l’arrêt attaqué, avoir analysé l’argumentation tirée de la durée excessive de la procédure administrative invoquée dans le cadre de la première branche du deuxième moyen. En effet, le Tribunal se serait limité, au point 147 de cet arrêt, à examiner l’argumentation relative aux difficultés rencontrées par les requérantes pour communiquer des renseignements afférents à des faits remontant à plusieurs années et n’aurait pas examiné l’argumentation selon laquelle la durée excessive de l’enquête diligentée aurait affecté leur capacité à se défendre de manière effective.
26 En second lieu, les requérantes font valoir que le Tribunal s’est à tort abstenu d’examiner le sixième moyen, tiré de la violation du principe de bonne administration, au motif que les autres moyens avaient été écartés. En ce qu’il aurait omis, en violation du considérant 37 du règlement n° 1/2003 et de l’article 41, paragraphe 1, de la charte des droits fondamentaux, d’apprécier ce moyen et notamment l’argumentation des requérantes selon laquelle la décision litigieuse était le résultat d’une enquête partiale, écartant cette argumentation sans explication adéquate ni motivation suffisante, le Tribunal aurait commis une erreur de droit.
27 La Commission conteste cette argumentation.
Appréciation de la Cour
28 Le premier moyen de pourvoi est tiré d’une omission du Tribunal de statuer, d’une part, sur l’argumentation des requérantes tirée d’une violation de leurs droits de la défense en raison de la durée excessive de la procédure administrative et, d’autre part, sur le sixième moyen, tiré d’une violation du principe de bonne administration. En outre, le premier moyen de pourvoi est également tiré d’une erreur de droit, prétendument commise par le Tribunal dans le cadre de l’examen de cette argumentation, dans l’interprétation et l’application de la jurisprudence issue de l’arrêt du Tribunal du 18 juin 2008, Hoechst/Commission (T‑410/03, EU:T:2008:211).
29 S’agissant, en premier lieu, de la prétendue omission de statuer sur ladite argumentation et le sixième moyen, il convient de relever, tout d’abord, que, ainsi que les requérantes elles-mêmes l’admettent implicitement, le Tribunal a examiné, respectivement aux points 29 à 33 et aux points 198 à 203 de l’arrêt attaqué, la même argumentation et ce moyen, avant de les écarter comme étant, respectivement, inopérante et non fondé.
30 Ensuite, en ce qui concerne, plus particulièrement, la prétendue omission de statuer sur l’argumentation tirée d’une violation des droits de la défense des requérantes en raison de la durée excessive de la procédure administrative, il y a lieu de relever que, dès lors que le Tribunal a, à titre liminaire, examiné celle-ci avant de l’écarter comme étant inopérante, il ne saurait être reproché à celui-ci de ne pas l’avoir examinée à nouveau dans le cadre de l’examen de la deuxième branche du premier moyen. Par ailleurs, il convient de relever que le Tribunal a, au point 110 de l’arrêt attaqué, non pas mentionné avoir analysé cette argumentation dans le cadre de l’examen de la première branche du deuxième moyen, mais a considéré que l’argumentation des requérantes, tirée d’une violation de leurs droits de la défense en raison des difficultés que celles-ci auraient eu à communiquer, compte tenu du niveau de détail exigé, des renseignements relatifs à des faits remontant à plusieurs années, se confondait avec certains griefs soulevés dans cette branche et examinés sur le fond au point 147 de l’arrêt attaqué.
31 Enfin, quant à la prétendue omission de statuer sur le sixième moyen, tiré d’une violation du principe de bonne administration, il y a lieu d’ajouter que le Tribunal a suffisamment motivé en quoi ce moyen devait être écarté. En effet, d’une part, le Tribunal a, au point 201 de l’arrêt attaqué, relevé que l’argumentation des requérantes invoquée dans le cadre dudit moyen se confondait avec celle qui avait été invoquée au soutien des premier à cinquième moyens et qui avait été écartée dans le cadre de l’examen de ces moyens. D’autre part, à ce point 201, le Tribunal a considéré qu’il ressortait de l’analyse desdits moyens que c’était précisément pour satisfaire à son obligation d’examiner avec soin et impartialité, conformément à la jurisprudence relative au principe de bonne administration rappelée au point 200 de l’arrêt attaqué, l’argumentation invoquée par les requérantes, notamment dans le cadre de leurs observations sur la communication des griefs, afin de préparer sa décision finale relative à l’existence éventuelle d’une infraction à l’article 102 TFUE avec toute la diligence requise et sur la base de toutes les données pouvant avoir une incidence sur celle-ci, que la Commission avait adopté la décision litigieuse. Le Tribunal a ainsi pu à juste titre conclure, au point 202 de l’arrêt attaqué, que les requérantes n’étaient pas parvenues à démontrer la prétendue violation du principe de bonne administration en raison d’un comportement partial de la Commission.
32 S’agissant, en second lieu, de l’erreur de droit dans l’interprétation et l’application de la jurisprudence issue de l’arrêt du Tribunal du 18 juin 2008, Hoechst/Commission (T‑410/03, EU:T:2008:211, point 227), il suffit de relever qu’il ressort d’une jurisprudence constante de la Cour que la violation du principe du respect du délai raisonnable n’est susceptible de justifier l’annulation que d’une décision constatant des infractions prise à l’issue d’une procédure administrative fondée sur l’article 101 ou 102 TFUE, dès lors qu’il a été établi que cette violation avait porté atteinte aux droits de la défense des entreprises concernées (voir, en ce sens, arrêts du 21 septembre 2006, Nederlandse Federatieve Vereniging voor de Groothandel op Elektrotechnisch Gebied/Commission, C‑105/04 P, EU:C:2006:592, points 42 et 43 ainsi que du 9 juin 2016, CEPSA/Commission, C‑608/13 P, EU:C:2016:414, point 61, et du 9 juin 2016, PROAS/Commission, C‑616/13 P, EU:C:2016:415, point 74).
33 C’est, partant, sans commettre d’erreur de droit que le Tribunal a, au point 31 de l’arrêt attaqué, rappelé les enseignements découlant de cette jurisprudence, tels qu’ils ont été repris par le Tribunal dans l’arrêt du 18 juin 2008, Hoechst/Commission (T‑410/03, EU:T:2008:211). C’est également à bon droit que le Tribunal a, ensuite, aux points 32 et 33 de l’arrêt attaqué, appliqué ladite jurisprudence au cas d’espèce, considérant que, en ce que le recours dont il était saisi avait pour objet non pas une décision de constatation d’une violation de l’article 102 TFUE, mais une décision de demande de renseignements adoptée dans le cadre d’une procédure administrative pouvant le cas échéant aboutir à une telle décision de constatation d’une infraction, l’argumentation tirée du caractère excessif de la durée de la procédure administrative était sans pertinence dans le cadre de l’examen de ce recours et devait dès lors être écartée comme étant inopérante.
34 Dans ces conditions, il y a lieu d’écarter le premier moyen de pourvoi comme étant non fondé.
Sur le deuxième moyen, relatif à l’appréciation du caractère suffisamment motivé de la décision litigieuse
Argumentation des parties
35 Par leur deuxième moyen de pourvoi, les requérantes font valoir que le Tribunal a commis des erreurs de fait et de droit, ainsi qu’une dénaturation des éléments de preuve qui y sont relatifs, et un défaut de motivation dans le cadre de l’appréciation, aux points 35 à 56 de l’arrêt attaqué, du caractère suffisamment motivé de la décision litigieuse.
36 En premier lieu, les requérantes reprochent au Tribunal d’avoir, notamment aux points 81, 82, 85, 127, 132, 136, 137, 139 et 145 de l’arrêt attaqué, relatifs à l’appréciation des premier et deuxième moyens, tirés d’une violation des principes de nécessité et de proportionnalité, commis des erreurs de fait ainsi qu’une dénaturation des éléments de preuve produits par elles.
37 En deuxième lieu, les requérantes font valoir une dénaturation de ces éléments de preuve, en ce que le Tribunal aurait, aux points 48 à 53 de cet arrêt, omis de prendre en compte la correspondance qu’elles avaient échangée avec la Commission, avant et après l’adoption de la décision litigieuse, afin de demander la clarification de certaines questions et du cadre de l’enquête diligentée.
38 En troisième lieu, les requérantes contestent les considérations du Tribunal, formulées au point 52 dudit arrêt, selon lesquelles le caractère suffisamment motivé de la décision litigieuse n’était pas remis en cause par leurs allégations selon lesquelles la Commission n’avait pas expliqué comment les renseignements demandés lui permettraient de répondre aux arguments qu’elles ont invoqués dans le cadre de leurs observations sur la communication des griefs ou d’évaluer leur pertinence pour son enquête. Ces considérations seraient non seulement insuffisantes, mais aussi manifestement dénuées de fondement, en raison d’erreurs commises par le Tribunal aux points 53 à 55 de l’arrêt attaqué et examinées dans le cadre de l’examen du troisième moyen de pourvoi.
39 La Commission estime que le deuxième moyen de pourvoi doit être écarté comme étant irrecevable, faute pour les requérantes d’indiquer de façon précise les éléments critiqués de l’arrêt attaqué et d’étayer de manière détaillée leur argumentation. Elle fait également valoir que, en tout état de cause, ce moyen est dénué de fondement.
40 Dans leur mémoire en réplique, les requérantes rétorquent avoir, dans leur requête en première instance, exposé de manière détaillée les raisons pour lesquelles la décision litigieuse n’était pas suffisamment motivée et, pour cette raison, avoir démontré, de façon précise et détaillée, dans leur pourvoi, les erreurs que le Tribunal aurait commises en concluant autrement.
Appréciation de la Cour
41 Le deuxième moyen de pourvoi est tiré d’erreurs de fait et de droit, ainsi que d’une dénaturation des éléments de preuve qui y sont relatifs, et d’un défaut de motivation prétendument commis par le Tribunal dans le cadre de l’appréciation, aux points 35 à 56 de l’arrêt attaqué, du caractère suffisamment motivé de la décision litigieuse.
42 Or, il convient de rappeler, à titre liminaire, qu’il ressort d’une jurisprudence constante que, tout d’abord, lorsque le Tribunal a constaté ou apprécié les faits, la Cour est seulement compétente pour exercer, en vertu de l’article 256 TFUE, un contrôle sur la qualification juridique de ceux–ci et les conséquences de droit qui en ont été tirées. L’appréciation des faits ne constitue donc pas, sous réserve du cas de la dénaturation des éléments de preuve produits devant le Tribunal, une question de droit soumise, comme telle, au contrôle de la Cour (arrêt du 20 septembre 2018, Espagne/Commission, C‑114/17 P, EU:C:2018:753, point 75 et jurisprudence citée).
43 Ensuite, lorsqu’il allègue une dénaturation d’éléments de preuve par le Tribunal, un requérant doit, en application de l’article 256 TFUE, de l’article 58, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, ainsi que de l’article 168, paragraphe 1, sous d), du règlement de procédure de la Cour, indiquer de façon précise les éléments qui auraient été dénaturés par celui-ci et démontrer les erreurs d’analyse qui, dans son appréciation, auraient conduit le Tribunal à cette dénaturation. En outre, une dénaturation doit apparaître de façon manifeste des pièces du dossier, sans qu’il soit nécessaire de procéder à une nouvelle appréciation des faits et des preuves (arrêt du 25 juin 2020, CSUE/KF, C‑14/19 P, EU:C:2020:492, point 105).
44 Par ailleurs, si une dénaturation des éléments de preuve peut consister dans une interprétation d’un document contraire au contenu de celui-ci, elle doit ressortir de façon manifeste du dossier soumis à la Cour et elle suppose que le Tribunal ait manifestement outrepassé les limites d’une appréciation raisonnable de ces éléments de preuve. À cet égard, il ne suffit pas de montrer qu’un document pourrait faire l’objet d’une interprétation différente de celle retenue par le Tribunal (arrêt du 30 janvier 2020, České dráhy/Commission, C‑538/18 P et C‑539/18 P, non publié, EU:C:2020:53, point 60 et jurisprudence citée).
45 Enfin, en vertu des dispositions mentionnées au point 43 du présent arrêt, un pourvoi doit indiquer de façon précise les éléments critiqués de l’arrêt dont l’annulation est demandée ainsi que les arguments juridiques qui soutiennent de manière spécifique cette demande. Ne répond pas aux exigences résultant de ces dispositions un pourvoi qui, sans même comporter une argumentation visant spécifiquement à identifier l’erreur de droit dont serait entaché l’arrêt attaqué, se limite à répéter ou à reproduire textuellement les moyens et les arguments qui ont été présentés devant le Tribunal, y compris ceux qui étaient fondés sur des faits expressément écartés par cette juridiction. En effet, un tel pourvoi constitue en réalité une demande visant à obtenir un simple réexamen de la requête présentée devant le Tribunal, ce qui échappe à la compétence de la Cour (arrêt du 20 décembre 2017, Comunidad Autónoma de Galicia et Retegal/Commission, C‑70/16 P, EU:C:2017:1002, point 48 ainsi que jurisprudence citée).
46 En l’espèce, s’agissant, en premier lieu, du deuxième argument invoqué par les requérantes, rappelé au point 37 du présent arrêt, qu’il convient d’examiner d’abord, il y a lieu de relever que celles-ci se limitent à énoncer cet argument, en renvoyant à l’argumentation qu’elles avaient invoquées devant le Tribunal, sans aucunement démontrer les erreurs d’analyse qui, selon elles, ont conduit celui-ci à la dénaturation alléguée et, plus particulièrement, sans démontrer en quoi la prétendue omission du Tribunal de prendre en compte la correspondance qu’elles avaient échangée avec la Commission dans le cadre de son appréciation du caractère suffisamment motivé de la décision litigieuse est constitutive d’une dénaturation de cet élément de preuve. Il s’ensuit que ledit argument ne répond manifestement pas aux exigences mentionnées aux points 42 à 45 du présent arrêt.
47 S’agissant, en second lieu, des premier et troisième arguments invoqués par les requérantes, rappelés aux points 36 et 38 du présent arrêt, il y a lieu de relever que ces arguments visent à contester des constatations factuelles et des considérations opérées par le Tribunal dans le cadre de son appréciation du caractère nécessaire et proportionné des renseignements demandés. Lesdits arguments se confondent dès lors avec certains arguments soulevés dans le cadre des troisième et quatrième moyens et seront partant analysés dans le cadre de l’examen de ceux-ci.
48 Compte tenu de ce qui précède, le deuxième moyen de pourvoi doit être écarté comme étant manifestement irrecevable.
Sur le troisième moyen, concernant l’appréciation du caractère nécessaire des renseignements demandés par la décision litigieuse
49 Par leur troisième moyen de pourvoi, les requérantes reprochent au Tribunal d’avoir commis des erreurs de droit, méconnu son obligation de motivation et dénaturé des éléments de preuve dans le cadre de son appréciation du caractère nécessaire des renseignements demandés par la décision litigieuse. Ce moyen de pourvoi est composé de cinq branches.
Sur les première à troisième branches
– Argumentation des parties
50 Par les première à troisième branches du troisième moyen de pourvoi, les requérantes font valoir que les conclusions du Tribunal selon lesquelles, premièrement, la décision litigieuse n’avait pas modifié le cadre de l’enquête, deuxièmement, la Commission était légalement habilitée à demander des renseignements relevant de périodes situées en dehors du cadre de l’enquête, tel que défini par la communication des griefs, et, troisièmement, les renseignements demandés par cette décision étaient nécessaires, sont entachées d’erreurs de droit et de fait, ainsi que d’une dénaturation des éléments de preuve qui y sont relatifs, et d’un défaut de motivation.
51 Par la première branche, les requérantes allèguent que le Tribunal a à tort conclu, aux points 81, 82 et 91 de l’arrêt attaqué, que la décision litigieuse n’avait pas modifié le cadre de l’enquête. En effet, tout d’abord, le Tribunal aurait méconnu la correspondance échangée entre les requérantes et la Commission dans laquelle celles-ci demandait à cette dernière de confirmer ce cadre afin de comprendre la portée de l’enquête diligentée. Ensuite, le Tribunal n’aurait pas relevé que, par la décision litigieuse, la Commission avait élargi ledit cadre en doublant sa durée et demandant de nombreux renseignements concernant sept composants de chipsets au lieu de trois chipsets, sans que cela ait été nécessaire pour permettre à la Commission d’examiner les arguments invoqués par les requérantes. Enfin, le Tribunal n’aurait pas relevé que l’élargissement du cadre de cette enquête était corroboré par la communication des griefs complémentaire qui, se fondant sur des données obtenues grâce à la décision litigieuse, aurait participé de l’élaboration d’un dossier entièrement nouveau à la charge des requérantes, fondé notamment sur un nouveau critère « prix-coût », « en conservant uniquement la « coquille » du dossier présenté dans la communication des griefs ».
52 Ce faisant, le Tribunal aurait, au point 62 de l’arrêt attaqué ainsi qu’aux points 69 et suivants de celui-ci, violé une jurisprudence établie qui imposerait d’évaluer le dossier à la lumière de l’ensemble des faits et du contexte dans lequel ceux-ci s’inscrivent, et notamment du fait que la décision litigieuse avait été adoptée à un stade très avancé d’une procédure administrative extrêmement longue et deux ans après l’émission de la communication des griefs. En revanche, en invoquant le large pouvoir d’investigation de la Commission, le Tribunal aurait avalisé le point de vue de celle-ci, sans vérifier si cette dernière avait expliqué la pondération et l’évaluation des éléments pris en considération.
53 Dans ce contexte, le Tribunal aurait également commis, au point 73 de cet arrêt, une erreur de droit, en se fondant par analogie sur la jurisprudence issue de l’arrêt du Tribunal du 30 septembre 2003, Atlantic Container Line e.a./Commission, (T‑191/98 et T‑212/98 à T‑214/98, EU:T:2003:245), afin de conclure que l’article 18, paragraphes 2 et 3, du règlement n° 1/2003 n’impose à la Commission aucune obligation en ce qui concerne la date à laquelle elle peut procéder à l’envoi de demandes de renseignements, ce qui reviendrait, de fait, à laisser la Commission libre de mener ses enquêtes sur les entreprises comme elle l’entend et aussi longtemps qu’elle le désire, en violation des principes de nécessité, de proportionnalité et de bonne administration, de la lettre ou de l’esprit du considérant 23 et de l’article 18 de ce règlement, ainsi que de l’arrêt du 10 mars 2016, HeidelbergCement/Commission (C‑247/14 P, EU:C:2016:149).
54 Par la deuxième branche, les requérantes font valoir que le Tribunal a dénaturé, aux points 85, 88 et 127 de l’arrêt attaqué, les éléments de preuve en ce qu’il a fait une lecture erronée, d’une part, du type de données qui étaient enregistrées dans leur système comptable interne et de celles sur lesquelles la Commission s’était fondée pour effectuer l’analyse du rapport « prix-coût » dans la communication des griefs et, d’autre part, des critiques formulées à l’égard de la méthode adoptée dans cette communication des griefs.
55 En outre, les requérantes critiquent les considérations du Tribunal relatives à la nécessité pour la Commission de demander des informations relatives à des périodes antérieures et postérieures à la période infractionnelle. À cet égard, les requérantes, d’une part, reprochent au Tribunal d’avoir commis, au point 86 de l’arrêt attaqué, une erreur de droit en appliquant par analogie au cas d’espèce l’arrêt du Tribunal du 22 mars 2012, Slovak Telekom/Commission (T‑458/09 et T‑171/10, EU:T:2012:145, point 51), en vue de reconnaître la nécessité pour la Commission de demander des informations relatives à une période antérieure à la période infractionnelle aux fins de préciser le contexte dans lequel un comportement s’était inscrit au cours de cette dernière période. En effet, selon les requérantes, les faits en cause dans ce dernier arrêt ainsi que dans la jurisprudence qui y est citée, qui concernaient des décisions adoptées avant la communication des griefs et visant à déterminer le contexte dans lequel s’inscrivait le comportement infractionnel, étaient différents de ceux qui prévalent dans le cas d’espèce.
56 D’autre part, les requérantes contestent les constatations, effectuées par le Tribunal aux points 87 et 90 de l’arrêt attaqué, selon lesquelles la Commission était en droit de demander des données relatives à l’année 2008 ainsi qu’à leur exercice comptable 2013. Pour ce faire, elles allèguent un prétendu défaut de motivation de l’arrêt attaqué en ce qui concerne ces constatations, en ce que le Tribunal aurait omis d’établir la pertinence de ces données pour apprécier l’infraction alléguée.
57 Par la troisième branche, les requérantes reprochent, tout d’abord, au Tribunal de n’avoir pas motivé à suffisance de droit, aux points 99 à 111 de l’arrêt attaqué, en quoi les renseignements demandés par la décision litigieuse étaient nécessaires pour permettre à la Commission d’établir les griefs formulés dans la communication des griefs.
58 Ensuite, les requérantes considèrent que le Tribunal a commis, notamment aux points 98, 99 et 188 de l’arrêt attaqué, une erreur de fait et a dénaturé les éléments de preuve en considérant que la Commission demandait des données complémentaires afin de reconstituer les prix effectivement payés par leurs clients pour répondre aux critiques formulées dans leur réponse à la communication des griefs. En effet, au vu des explications fournies par les requérantes dans cette réponse, ces données n’auraient été ni nécessaires, ni utiles à cette fin.
59 Enfin, les requérantes contestent les constatations factuelles du Tribunal, effectuées aux points 105 à 107 de l’arrêt attaqué, selon lesquelles la référence faite dans la décision litigieuse à une annexe de la réponse à une demande de renseignements antérieure devait être comprise comme les invitant à produire des données de même nature, en réaffirmant que, par cette référence, la Commission leur avait demandé de réitérer le travail comptable afin d’auditer une nouvelle fois leurs comptes. Le Tribunal aurait dès lors également commis une erreur de droit en considérant que les renseignements demandés présentaient une corrélation avec l’infraction alléguée, ce qui serait du reste corroboré par la communication des griefs complémentaire.
60 La Commission estime que les première à troisième branches du troisième moyen de pourvoi doivent être écartées comme étant irrecevables. En effet, les requérantes n’auraient pas indiqué de façon suffisamment précise les éléments qui auraient été dénaturés, ni démontré les erreurs d’appréciation qui auraient conduit à une telle dénaturation, ni étayé leurs allégations tirées d’un prétendu défaut de motivation de l’arrêt attaqué. En revanche, elles se seraient bornées à réitérer les arguments invoqués devant le Tribunal, aux fins d’obtenir un réexamen de ceux-ci. Au demeurant, la Commission fait valoir que ces branches sont, en tout état de cause, non fondées.
61 Dans leur mémoire en réplique, les requérantes réitèrent en substance les arguments invoqués dans leur pourvoi et font valoir qu’elles ont démontré les erreurs commises par le Tribunal dans le cadre de l’appréciation soit de leurs arguments invoqués en première instance, soit des faits de l’espèce.
– Appréciation de la Cour
62 Les première à troisième branches du troisième moyen de pourvoi, qu’il y a lieu d’examiner ensemble, tendent à établir que le Tribunal a commis des erreurs de droit et de fait, ainsi qu’une dénaturation des éléments de preuve qui y sont relatifs, et qu’il n’a pas suffisamment motivé l’arrêt attaqué en concluant, premièrement, que la décision litigieuse n’avait pas modifié le cadre de l’enquête diligentée, tel que celui-ci avait été défini dans la communication des griefs, deuxièmement, que la Commission était légalement habilitée à demander des renseignements relevant de périodes situées en dehors de ce cadre et, troisièmement, que les renseignements demandés dans cette décision étaient nécessaires.
63 Or, s’agissant, en premier lieu, des prétendues erreurs de fait et dénaturations des éléments de preuve commises par le Tribunal et rappelées aux points 51, 54, 58 et 59 du présent arrêt, il convient de relever que les requérantes se limitent à indiquer ces faits et ces éléments de preuve prétendument dénaturés par le Tribunal, en réitérant en substance l’appréciation de ceux-ci qu’elles avaient formulée en première instance, sans pour autant apporter aucun élément qui fait ressortir de manière manifeste les erreurs d’analyse qui auraient conduit le Tribunal à une telle dénaturation, ni démontrer que ce dernier aurait manifestement outrepassé les limites d’une appréciation raisonnable desdits éléments de preuve.
64 Par conséquent, conformément à la jurisprudence rappelée aux points 42 à 45 du présent arrêt, dans la mesure où les première à troisième branches du troisième moyen de pourvoi tendent à démontrer que le Tribunal a commis des erreurs de fait et dénaturé les éléments de preuve qui y sont relatifs, ces branches doivent être écartées comme étant manifestement irrecevables.
65 S’agissant, en second lieu, du bien-fondé de la partie de ces branches qui est recevable, il y a lieu de relever que celle-ci vise en substance à remettre en cause l’appréciation par le Tribunal du caractère nécessaire des renseignements demandés par la décision litigieuse du point de vue de la portée matérielle et temporelle de ceux-ci, en lui reprochant des erreurs de droit ainsi qu’un défaut de motivation de l’arrêt attaqué.
66 À cet égard, il y a lieu de rappeler, à titre liminaire, que, d’une part, la Cour a jugé que la communication des griefs est un document de caractère procédural et préparatoire qui, en vue d’assurer l’exercice efficace des droits de la défense, circonscrit l’objet de la procédure administrative engagée par la Commission, empêchant ainsi cette dernière de retenir d’autres griefs dans sa décision mettant fin à la procédure concernée. Il est donc inhérent à la nature de cette communication d’être provisoire et susceptible de modifications lors de l’évaluation à laquelle la Commission procède ultérieurement sur la base des observations qui lui ont été présentées en réponse par les parties ainsi que d’autres constatations factuelles. En effet, la Commission doit tenir compte des éléments résultant de l’intégralité de la procédure administrative soit pour abandonner des griefs qui seraient non fondés, soit pour aménager et compléter tant en fait qu’en droit son argumentation à l’appui des griefs qu’elle retient (arrêt du 24 septembre 2009, Erste Group Bank e.a./Commission, C‑125/07 P, C‑133/07 P et C‑137/07 P, EU:C:2009:576, points 310 et 311).
67 Il s’ensuit que la Commission n’est pas liée par les appréciations de fait ou de droit portées dans la communication des griefs. Au contraire, elle doit motiver sa décision finale par ses appréciations définitives fondées sur les résultats de l’intégralité de son enquête tels qu’ils se présentent à la date de la clôture de la procédure formelle, sans être tenue d’expliquer les différences éventuelles existant par rapport à ses appréciations provisoires figurant dans la communication des griefs (voir, en ce sens, ordonnance du 18 juin 1986, British American Tobacco et Reynolds Industries/Commission, 142/84, non publiée, EU:C:1986:250, point 15, et arrêt du 17 novembre 1987, British American Tobacco et Reynolds Industries/Commission, 142/84 et 156/84, EU:C:1987:490, point 70).
68 D’autre part, la Cour a précisé que seule peut être requise par la Commission la communication de renseignements susceptibles de lui permettre de vérifier les présomptions d’infraction qui justifient la conduite de l’enquête et qui sont indiquées dans la demande de renseignements (arrêt du 10 mars 2016, HeidelbergCement/Commission, C‑247/14 P, EU:C:2016:149, point 23).
69 Eu égard au large pouvoir d’investigation conféré à la Commission par le règlement n° 1/2003, il appartient à celle-ci d’apprécier si un renseignement est nécessaire en vue de pouvoir déceler une infraction aux règles de concurrence. Même si elle dispose déjà d’indices, voire d’éléments de preuve relatifs à l’existence d’une infraction, la Commission peut légitimement estimer nécessaire de demander des renseignements supplémentaires lui permettant de mieux cerner l’étendue de l’infraction, la détermination de sa durée ou du cercle des entreprises impliquées (voir, en ce sens, arrêts du 18 octobre 1989, Orkem/Commission, 374/87, EU:C:1989:387, point 15, et du 22 octobre 2002, Roquette Frères, C‑94/00, EU:C:2002:603, point 78).
70 En ce qui concerne le contrôle exercé par le juge de l’Union sur l’appréciation de la Commission concernant le caractère nécessaire d’un renseignement, la Cour a jugé que ce caractère doit être apprécié par rapport au but mentionné dans la demande de renseignements, à savoir les soupçons d’infraction que la Commission entend vérifier (voir, en ce sens, arrêt du 10 mars 2016, HeidelbergCement/Commission, C‑247/14 P, EU:C:2016:149, points 24 et 25). L’exigence d’une corrélation entre la demande de renseignements et l’infraction soupçonnée est satisfaite si la Commission peut raisonnablement supposer, à la date de la demande, que ce renseignement est de nature à l’aider à déterminer l’existence de cette infraction (voir, en ce sens, arrêt du 19 mai 1994, SEP/Commission, C‑36/92 P, EU:C:1994:205, point 21).
71 En l’espèce, il convient de relever, tout d’abord, que le Tribunal n’a commis, au point 62 de l’arrêt attaqué, aucune erreur de droit en rappelant, à titre liminaire, la jurisprudence de la Cour citée aux points 69 et 70 du présent arrêt.
72 Ensuite, le Tribunal n’a commis aucune erreur de droit, en considérant en substance, aux points 69 à 76 de l’arrêt attaqué, que, pour autant que les renseignements demandés sont nécessaires et que la demande de renseignements indique les éléments essentiels définis à l’article 18, paragraphes 2 et 3, du règlement n° 1/2003, cette disposition ne limite pas le pouvoir de la Commission d’envoyer des demandes de renseignements après l’envoi de la communication des griefs, la Commission étant en droit de poursuivre son enquête après l’adoption de celle-ci, notamment au vue d’obtenir tout éclaircissement nécessaire au sujet des arguments et des éléments invoqués par les entreprises concernées dans leur réponse à cette communication, sans que cela rende ces demandes illégales ou remette en cause, en soi, le caractère nécessaire des renseignements demandés.
73 En effet, il ressort de la jurisprudence citée aux points 66, 67 et 69 du présent arrêt que, la communication des griefs étant un acte provisoire et susceptible de modification, la Commission n’est pas liée par les appréciations de fait portées dans celle-ci. Au contraire, elle est tenue de procéder à une évaluation de ces appréciations sur la base des éléments résultant de l’intégralité de son enquête et, en particulier, des observations présentées par les parties, en vue d’adapter et de compléter son argumentation à l’appui des griefs qu’elle retient. La Commission est dès lors en droit de demander des renseignements supplémentaires à cet effet, notamment afin de mieux cerner l’étendue de l’infraction, pour autant que ceux-ci sont nécessaires, au sens de la jurisprudence mentionnée aux points 68 à 70 du présent arrêt.
74 Enfin, s’agissant de la nécessité des renseignements demandés par la décision litigieuse, il y a lieu de relever que le caractère nécessaire de ces renseignements découle de deux séries de constatations factuelles, effectuées par le Tribunal aux points 85, 88 à 90, 98 et 99 de l’arrêt attaqué, que, ainsi qu’il a été jugé aux points 63 et 64 du présent arrêt, les requérantes ne sont pas parvenues à remettre en cause.
75 D’une part, le Tribunal a relevé que, à la suite notamment des observations des requérantes sur la communication des griefs, la Commission avait estimé que les données sur lesquelles elle s’était appuyée pour établir le critère « prix-coût » dans cette communication des griefs ne reflétaient pas les prix effectivement payés par les clients des requérantes pendant la période infractionnelle, en raison des principes de comptabilisation des revenus appliqués par les requérantes, tels qu’ils ont été rappelés par celles-ci dans ces observations, et du fait que les chipsets en cause avaient été vendus sous des configurations différentes. D’autre part, le Tribunal a considéré que les renseignements demandés, y compris ceux relatifs à des périodes adjacentes à la période infractionnelle, visaient précisément à remédier à une telle divergence, en obtenant des données reflétant fidèlement la situation durant cette période afin d’établir un critère « prix-coût » adéquat, dans la mesure où ce dernier était déterminant pour vérifier les soupçons d’infraction pesant sur les requérantes.
76 Dans ces conditions, il ne saurait être reproché au Tribunal d’avoir commis une erreur de droit, ni d’avoir méconnu son obligation de motivation, en concluant, aux points 86, 87, 91, 100 et 103 de l’arrêt attaqué, que, quand bien même la Commission avait cherché, en s’appuyant sur les renseignements demandés, à modifier ou à adapter sa méthodologie eu égard notamment aux observations des requérantes, ces renseignements étaient nécessaires, au sens de la jurisprudence rappelée aux points 68 à 70 du présent arrêt, en ce sens que la Commission pouvait raisonnablement supposer que lesdits renseignements l’auraient aidée à déterminer l’existence de l’infraction alléguée.
77 Eu égard à tout ce qui précède, il convient d’écarter les première à troisième branches du troisième moyen de pourvoi comme étant, en partie, manifestement irrecevables et, en partie, non fondées.
Sur la quatrième branche
– Argumentation des parties
78 Par la quatrième branche du troisième moyen de pourvoi, les requérantes reprochent au Tribunal d’avoir commis une erreur de droit et une erreur manifeste d’appréciation en ayant écarté comme étant inopérant, aux points 108 et 109 de l’arrêt attaqué, sur le fondement notamment de l’arrêt du Tribunal du 22 mars 2012, Slovak Telekom/Commission (T‑458/09 et T‑171/10, EU:T:2012:145), leur argument selon lequel la communication des griefs complémentaire, adoptée postérieurement à la décision litigieuse, confirmait le défaut de nécessité de celle-ci.
79 En effet, contrairement aux demandes de renseignements qui ont fait l’objet de cet arrêt, cette communication des griefs ne ferait que confirmer et développer les arguments qu’elles avaient invoqués dans leur requête. Ladite communication des griefs aurait dès lors constitué un élément de preuve supplémentaire du caractère non nécessaire de la décision litigieuse, qui, s’il avait été pris en considération par le Tribunal, aurait conduit ce dernier à une conclusion différente.
80 La Commission conteste cette argumentation.
– Appréciation de la Cour
81 La quatrième branche du troisième moyen de pourvoi porte sur une prétendue erreur de droit et d’appréciation manifeste commise par le Tribunal, aux points 108 et 109 de l’arrêt attaqué, en écartant comme étant inopérant l’argument des requérantes selon lequel la communication des griefs complémentaire établirait que la décision litigieuse n’était pas limitée à ce qui était nécessaire à la poursuite de son but affiché, en ce que cette communication avait été adoptée postérieurement à la décision litigieuse.
82 À cet égard, il suffit, d’une part, de relever, en ce qui concerne la prétendue erreur d’appréciation manifeste, que les requérantes se limitent à mentionner cette erreur sans aucunement la démontrer. D’autre part, s’agissant de la prétendue erreur de droit, il convient de rappeler qu’il ressort d’une jurisprudence constante que la légalité d’un acte de l’Union doit être appréciée en fonction des éléments de fait et de droit existant à la date où cet acte a été adopté, de telle sorte que des actes postérieurs à l’adoption d’une décision ne peuvent affecter la validité de celle-ci (arrêt du 17 octobre 2019, Alcogroup et Alcodis/Commission, C‑403/18 P, EU:C:2019:870, point 45 et jurisprudence citée).
83 Il convient dès lors de conclure que le Tribunal n’a pas commis d’erreur de droit en écartant comme inopérant, au point 109 de l’arrêt attaqué, l’argumentation des requérantes visant à remettre en cause la légalité de la décision litigieuse sur le fondement d’un acte postérieur à son adoption, tel que la communication des griefs complémentaire.
84 La quatrième branche du troisième moyen de pourvoi doit, partant, être écartée comme étant non fondée.
Sur la cinquième branche
– Argumentation des parties
85 Par la cinquième branche du troisième moyen de pourvoi, les requérantes font valoir que le Tribunal n’a pas tenu compte de l’ensemble des éléments de preuve pertinents, en ce qu’il a refusé de verser au dossier leur réponse à la communication des griefs complémentaire.
86 En particulier, les requérantes reprochent au Tribunal d’avoir commis une erreur de droit en ayant considéré qu’un tel élément de preuve complémentaire avait été produit après la clôture de la phase orale de la procédure et d’avoir adopté un « raisonnement manifestement vicié et inadéquat » pour l’écarter. En effet, les requérantes soutiennent qu’elles ont communiqué leur réponse à la communication des griefs complémentaire dès que celle-ci a été soumise à la Commission et que le Tribunal n’a pas justifié son refus de rouvrir cette phase orale.
87 La Commission conteste cette argumentation.
– Appréciation de la Cour
88 La cinquième branche du troisième moyen de pourvoi porte sur une erreur de droit et un défaut de motivation prétendument commis par le Tribunal en ce que ce dernier a refusé que la réponse des requérantes à la communication des griefs complémentaire soit versée au dossier en tant qu’élément de preuve.
89 À cet égard, il y a lieu de relever que le Tribunal n’a commis aucune erreur de droit et a dûment motivé son refus de verser au dossier en tant qu’élément de preuve la réponse des requérantes à la communication des griefs complémentaire. En effet, le Tribunal a à juste titre relevé, au point 24 de l’arrêt attaqué, que le dépôt de cette réponse était intervenu après la clôture de la phase orale de la procédure, avant de considérer, sans que les requérantes contestent cette appréciation devant la Cour, qu’aucune des conditions prévues par le règlement de procédure du Tribunal pour la réouverture de la phase orale de la procédure devant ce dernier n’était remplie.
90 Il convient dès lors d’écarter la cinquième branche du troisième moyen de pourvoi comme étant non fondée et, partant, le troisième moyen de pourvoi dans son intégralité.
Sur le quatrième moyen, relatif à l’appréciation du caractère proportionné de la décision litigieuse
91 Par leur quatrième moyen de pourvoi, les requérantes invoquent plusieurs erreurs de fait et de droit, ainsi qu’une dénaturation des éléments de preuve qui y sont relatifs, que le Tribunal aurait commis dans le cadre de l’appréciation du caractère proportionné de la décision litigieuse. Ce moyen de pourvoi est composé de quatre branches.
Sur les première à troisième branches
– Argumentation des parties
92 Par les première à troisième branches du quatrième moyen de pourvoi, les requérantes contestent l’appréciation du Tribunal du caractère proportionné des renseignements demandés par la décision litigieuse.
93 Par la première branche, les requérantes reprochent au Tribunal de n’avoir pas su appréhender, voire d’avoir méconnu, certains faits essentiels de l’affaire et dénaturé des éléments de preuve qui y sont relatifs. D’une part, le Tribunal n’aurait pas relevé, aux points 85 et 127 de l’arrêt attaqué, que la Commission n’avait, à aucun stade de l’enquête ayant abouti à la communication des griefs, sollicité les données comptables pour chacun des composants des trois chipsets faisant l’objet de cette enquête, et cela bien que le Tribunal ait, au point 85 de cet arrêt, admis qu’elle aurait pu obtenir à tout moment ces données.
94 D’autre part, le Tribunal aurait méconnu le fait que, afin de récupérer les données requises, les requérantes ont été obligées d’identifier, de retrouver et d’analyser environ 25 000 pages de documents conservés dans des locaux de stockage externes et qu’elles n’avaient pas l’obligation de conserver.
95 Par la deuxième branche, les requérantes contestent la conclusion du Tribunal selon laquelle le format proposé par la Commission pour répondre à certaines questions n’était pas contraignant. À cet égard, tout d’abord, elles reprochent au Tribunal d’avoir, au point 131 de l’arrêt attaqué, commis une erreur de droit dans l’interprétation de la jurisprudence relative à la notion de « renseignements ». En effet, il ressortirait des conclusions de l’avocat général Wahl dans l’affaire HeidelbergCement/Commission (C‑247/14 P, EU:C:2015:694, points 106 et 107) que l’entreprise ne peut se voir imposer que l’obligation de fournir des renseignements, et non celle d’accomplir des tâches relevant de la compétence de la Commission lorsque celle-ci constitue un dossier, et que la Commission n’est en principe pas autorisée à imposer au destinataire d’une décision de demande de renseignements l’obligation de présenter en toutes circonstances ces renseignements selon un format spécifique.
96 Les requérantes font valoir en outre que, dans le cas d’espèce, le Tribunal a dénaturé les éléments de preuve en qualifiant les renseignements qui leur étaient demandés de faits ou de documents, alors que ceux-ci consistaient plutôt en des calculs, en des détails, en des codes et en des prix hypothétiques pour des produits non constitutifs d’une incitation financière particulière convenue avec le client ainsi qu’en des analyses et en des interprétations de suppositions faites il y a plusieurs années par d’anciens salariés.
97 Ensuite, les requérantes contestent les constatations du Tribunal, figurant respectivement aux points 132 et 133 de l’arrêt attaqué, selon lesquelles les formats proposés par la décision litigieuse pour répondre à certaines questions posées étaient non contraignants et de nature à faciliter leur tâche. En particulier, s’agissant de la première constatation, elles font valoir qu’elles ont été contraintes de remplir une feuille de calcul annexée à cette décision, laquelle n’était pas établie dans le cadre normal de leurs activités, ce qui leur a causé des difficultés qui ont fait l’objet des discussions avec la Commission.
98 Enfin, les requérantes font valoir que le Tribunal a considéré de manière erronée, au point 135 de l’arrêt attaqué, que le fait que la Commission a dû fournir des orientations sur la manière dont il convenait de répondre à la décision litigieuse n’était pas de nature à démontrer le caractère disproportionné de la charge de travail qui leur était ainsi imposée pour répondre aux questions posées par la décision litigieuse.
99 Par la troisième branche, les requérantes contestent les considérations du Tribunal relatives à leur obligation de conserver les données et documents demandés. Tout d’abord, les requérantes reprochent en substance au Tribunal d’avoir, aux points 87, 136, 137 et 139 de l’arrêt attaqué, commis une erreur de droit et une erreur manifeste d’appréciation en considérant, premièrement, qu’elles étaient obligées de conserver des données précises sur les prix et sur les coûts depuis l’année 2008, deuxièmement, que leurs dossiers d’archives étaient « désorganisés » et, troisièmement, que la Commission n’avait pas demandé des informations autres que celles auxquelles seules les requérantes avaient accès.
100 À cet égard, premièrement, les requérantes font observer, d’une part, qu’elles n’étaient pas juridiquement obligées de conserver les types de données exigés par la décision litigieuse et, d’autre part, qu’elles n’avaient pris connaissance de la plainte qui avait donné lieu à l’ouverture de l’enquête, dont l’infraction alléguée représentait une partie négligeable, qu’à partir de l’année 2010. Elles ajoutent que la Commission leur a demandé pour la première fois des renseignements sur les prix et les coûts en juillet 2013 et que ce n’est qu’à partir du mois de juillet 2014 que cette institution les a informées que l’enquête diligentée était désormais axée sur les prix d’éviction allégués. Deuxièmement, les requérantes soutiennent que leurs dossiers d’archives n’étaient pas « désorganisés » et qu’elles ont pu fournir les renseignements demandés uniquement grâce au fait qu’elles conservaient des documents qu’elles n’étaient pas obligées de conserver. Troisièmement, les requérantes font observer en substance qu’il ressort de la communication des griefs et du point 145 de l’arrêt attaqué que les données demandées par la décision litigieuse leur ont été communiquées par leurs clients, de telle sorte que la Commission aurait pu les demander à ces derniers.
101 Ensuite, les requérantes estiment que, en ayant considéré, au point 136 et suivants de l’arrêt attaqué, que les renseignements demandés étaient proportionnés au regard de la charge de travail impliquée pour elles, alors que les faits de l’affaire apportaient de manière flagrante la preuve du contraire, le Tribunal a lui-même violé le principe de proportionnalité.
102 Enfin, les requérantes font valoir que le point 147 de l’arrêt attaqué, auquel le Tribunal a examiné leur allégation selon laquelle il serait difficile de communiquer des renseignements relatifs à des faits remontant à plusieurs années, ainsi que le refus de verser au dossier leur réponse à la communication des griefs complémentaire, est entaché d’erreurs de droit et de fait, erreurs examinées dans le cadre de l’examen du premier moyen de pourvoi et de la quatrième branche du troisième moyen de pourvoi.
103 La Commission fait valoir que la première branche ainsi que certains des arguments invoqués dans le cadre des deuxième et troisième branches et présentés, respectivement, aux points 96, 98 et 101 du présent arrêt doivent être écartés comme étant irrecevables. En effet, les requérantes se seraient contentées de réitérer leurs arguments invoqués en première instance et n’auraient pas déterminé les éléments qui auraient été dénaturés, ni démontré les erreurs prétendument commises par le Tribunal. Pour le reste, la Commission conteste le bien-fondé de l’argumentation des requérantes.
104 Dans leur mémoire en réplique, les requérantes rétorquent avoir clairement établi, dans leur pourvoi, les faits et éléments de preuve qui ont été dénaturés par le Tribunal, ainsi que leur incidence sur l’appréciation du caractère proportionné de la décision litigieuse.
– Appréciation de la Cour
105 Les première à troisième branches du quatrième moyen de pourvoi, qu’il y a lieu d’examiner ensemble, tendent à démontrer que le Tribunal a commis des erreurs de fait, des dénaturations des éléments de preuve qui y sont relatifs ainsi qu’un défaut de motivation de l’arrêt attaqué dans le cadre de l’appréciation du caractère proportionné des renseignements demandés par la décision litigieuse.
106 S’agissant, en premier lieu, de la recevabilité de ces branches, il convient de relever que, dans la mesure où, par celles-ci, les requérantes reprochent au Tribunal d’avoir eu une lecture erronée de certains faits et d’avoir commis des erreurs manifestes d’appréciation, des erreurs de droit et une dénaturation des éléments de preuve qui y sont relatifs, lesdites branches doivent être écartées comme étant manifestement irrecevables, conformément à la jurisprudence rappelée aux points 42 à 45 du présent arrêt.
107 En effet, d’une part, en ce qui concerne les erreurs d’appréciation et les dénaturations des éléments de preuve visées aux points 93 et 96 du présent arrêt, les requérantes se limitent à mentionner ces prétendues erreurs de fait et dénaturations, sans aucunement les démontrer. D’autre part, quant aux erreurs d’appréciation et de droit visées aux points 98 et 101 du présent arrêt, les requérantes se limitent à, respectivement, réitérer des arguments invoqués devant le Tribunal et fondés sur des faits expressément écartés par celui-ci ainsi qu’à, en substance, remettre en question l’appréciation du Tribunal des faits de l’affaire sans pour autant invoquer leur dénaturation.
108 S’agissant, en second lieu, du bien-fondé de la partie recevable des première à troisième branches, il convient, tout d’abord, de considérer que la première de ces branches doit être regardée comme visant à remettre en cause l’absence de prise en compte par le Tribunal, dans le cadre de son appréciation du caractère proportionné des renseignements demandés par la décision litigieuse, de la charge de travail requise afin de retrouver et d’analyser les documents de nature à fournir ces renseignements.
109 Or, il ressort du point 122 de l’arrêt attaqué que le Tribunal a expressément reconnu l’importance de cette charge de travail. Cependant, le Tribunal a également rappelé, au point 121 de cet arrêt, que, conformément à la jurisprudence, que les requérantes ne contestent pas, le caractère proportionné d’une demande des renseignements doit être apprécié par rapport aux nécessités de l’enquête, sans que le fait qu’une telle demande impose à l’entreprise une charge de travail importante suffise en soi à démontrer qu’elle revêt un caractère disproportionné. À cet égard, le Tribunal a, aux points 124 à 128 dudit arrêt, d’une part, relevé que la pratique alléguée faisant l’objet de l’enquête diligentée était de nature à justifier la fourniture d’un nombre important de renseignements et, d’autre part, rappelé que ceux-ci étaient nécessaires au vu de l’objectif de cette enquête. Le Tribunal a dès lors, au point 123 du même arrêt, à juste titre conclu que la charge de travail requise pour fournir les renseignements demandés ne revêtait pas un caractère disproportionné au vu des nécessités de l’enquête liées aux présomptions d’infraction alléguées, et ce notamment compte tenu des réponses des requérantes à la communication des griefs.
110 Ensuite, en ce qui concerne la deuxième branche, par laquelle les requérantes contestent l’appréciation du Tribunal du caractère non contraignant du format proposé par la Commission pour répondre à certaines questions posées par la décision litigieuse, il y a lieu de considérer que, eu égard au libellé de ces questions ainsi qu’aux observations introductives pour répondre à celles-ci, annexées à cette décision, les requérantes ne sont pas parvenues à démontrer que le Tribunal avait manifestement outrepassé les limites d’une appréciation raisonnable de ladite décision, au sens de la jurisprudence rappelée au point 44 du présent arrêt, en estimant, aux points 132 et 133 de l’arrêt attaqué, d’une part, qu’il ne ressortait nullement de la même décision que le format proposé par la Commission pour répondre auxdites questions était contraignant et que les requérantes n’avaient pas la possibilité de l’adapter si cela s’avérait plus approprié et, d’autre part, que ce format était plutôt de nature à faciliter la tâche des requérantes.
111 Par conséquent, étant donné que les constatations du Tribunal rappelées au point 110 du présent arrêt étaient suffisantes pour écarter l’argumentation des requérantes selon laquelle le fait d’imposer un format contraignant de réponse à la décision litigieuse était de nature à démontrer que les renseignements demandés par celle-ci allait au-delà de ce qui était nécessaire au vu de l’objectif de l’enquête, l’erreur de droit dans l’interprétation de la jurisprudence relative à la notion de « renseignements » dont pourrait être entaché le point 131 de l’arrêt attaqué, à la supposer établie, ne serait, en tout état de cause, pas susceptible d’entraîner l’annulation de l’arrêt attaqué. Les critiques des requérantes émises à cet égard sont, dès lors, inopérantes et, partant, doivent être écartées (voir, en ce sens, arrêts du 14 juin 2018, Makhlouf/Conseil, C‑458/17 P, non publié, EU:C:2018:441, point 96 et jurisprudence citée, ainsi que du 14 mars 2019, Meta Group/Commission, C‑428/17 P, non publié, EU:C:2019:201, point 44).
112 Enfin, quant à la troisième branche, il convient de relever, d’une part, que, en tant qu’elle vise le point 147 de l’arrêt attaqué, les arguments invoqués à l’appui de celle-ci se confondent notamment avec ceux invoqués dans le cadre de la quatrième branche du troisième moyen de pourvoi et doivent dès lors être écartés pour les mêmes motifs que ceux développés aux points 82 à 84 du présent arrêt. D’autre part, en tant que la troisième branche fait grief au Tribunal d’avoir commis des erreurs de droit et des erreurs manifestes d’appréciation dans la détermination de la portée du devoir des requérantes de conserver les données et documents demandés par la décision litigieuse ainsi que de la portée des données dont elles disposent, il y a lieu de relever que cette branche procède d’une lecture erronée de l’arrêt attaqué et doit, dès lors, être écartée comme étant non fondée.
113 En effet, il y a lieu de relever que les considérations du Tribunal critiquées par les requérantes ont été développées dans le cadre de l’appréciation, figurant aux points 136 à 141 de l’arrêt attaqué, du bien-fondé de deux arguments invoqués pour remettre en cause le caractère proportionné des renseignements demandés. Ces arguments sont tirés, respectivement, des difficultés pratiques que les requérantes auraient rencontrées pour collecter certains de ces renseignements et du fait qu’elles auraient été contraintes d’entreprendre un travail pour le compte de la Commission afin de réexaminer des documents déjà en sa possession pour déterminer notamment lesquels parmi lesdits renseignements n’avaient pas été déjà fournis.
114 Dans ce contexte, d’une part, le Tribunal ne s’est pas livré, aux points 136 et 137 de l’arrêt attaqué, à des appréciations sur une éventuelle obligation des requérantes de conserver des données ou documents. Au contraire, le Tribunal a reconnu que des entreprises ne pouvaient, en principe, se voir imposer l’obligation de fournir à la Commission des documents qui ne sont plus en leur possession et qu’elles n’étaient plus légalement tenues de conserver, tout en estimant qu’il appartenait néanmoins aux requérantes, à tout le moins à compter des premières demandes de renseignements adressées par la Commission au mois de juin 2010, d’agir avec une diligence accrue et de prendre toutes les mesures utiles afin de préserver les preuves dont elles pouvaient raisonnablement disposer. Le Tribunal a en outre considéré, sans que les requérantes le contestent, non pas que leurs dossiers d’archives étaient « désorganisés », mais que leurs modalités de conservation n’étaient pas pertinentes pour apprécier la proportionnalité de la décision litigieuse.
115 D’autre part, la constatation du Tribunal, effectuée au point 139 de l’arrêt attaqué, selon laquelle il ne ressort pas de cette décision que la Commission demande des informations autres que celles auxquelles seules les requérantes ont accès, doit être regardée comme visant, non pas à affirmer que les informations demandées ne pouvaient être fournies par les clients des requérantes, mais à exclure que ces informations étaient dans leur intégralité en la possession de la Commission, de telle sorte qu’elle n’était pas en mesure de réaliser elle-même ce travail d’analyse.
116 Eu égard à tout ce qui précède, les première à troisième branches du quatrième moyen de pourvoi doivent être écartées comme étant, en partie, manifestement irrecevables, en partie, inopérantes et, en partie, non fondées.
Sur la quatrième branche
– Argumentation des parties
117 Par la quatrième branche du quatrième moyen de pourvoi, les requérantes reprochent au Tribunal d’avoir, aux points 150 à 159 de l’arrêt attaqué, commis une erreur de droit en concluant que le montant de l’astreinte prévue à l’article 2 de la décision litigieuse était proportionné.
118 Les requérantes font valoir qu’elles étaient en réalité contraintes de répondre à cette décision sous peine de devoir verser une astreinte d’un montant extrêmement élevé et que, au vu des difficultés rencontrées pour satisfaire aux demandes importantes figurant dans ladite décision, il existait un risque concret de voir cette menace se concrétiser, de telle sorte que leur demande d’annulation de cette disposition pour violation du principe de proportionnalité n’était pas prématurée.
119 La Commission conteste cette argumentation.
– Appréciation de la Cour
120 La quatrième branche du quatrième moyen de pourvoi porte sur une erreur de droit que le Tribunal aurait prétendument commise en écartant comme étant irrecevable l’argumentation tirée du caractère disproportionné du montant de l’astreinte journalière prévue à l’article 2 de la décision litigieuse.
121 Or, ainsi que la Cour l’a jugé, la fixation d’astreintes en vertu de l’article 24 du règlement n° 1/2003 comporte nécessairement deux phases. Par une première décision, adoptée sur le fondement de l’article 24, paragraphe 1, de ce règlement, la Commission inflige une astreinte. Faute de déterminer le montant total de l’astreinte, cette décision ne peut recevoir exécution. Ce montant ne peut être définitivement fixé que par une nouvelle décision, adoptée ultérieurement sur la base de l’article 24, paragraphe 2, dudit règlement (voir, en ce sens, arrêt du 21 septembre 1989, Hoechst/Commission, 46/87 et 227/88, EU:C:1989:337, point 55).
122 C’est partant sans commettre d’erreur de droit que le Tribunal a, tout d’abord, considéré, aux points 155 et 156 de l’arrêt attaqué, que, en ce qu’elle ne constitue qu’une phase de la procédure au terme de laquelle la Commission adopte éventuellement une décision fixant définitivement le montant total de l’astreinte et formant ainsi titre exécutoire, la décision visée à l’article 24, paragraphe 1, du règlement n° 1/2003 a un caractère préliminaire dans cette procédure et ne produit, par conséquent, pas d’effets juridiques obligatoires. Ensuite, après avoir relevé que la décision litigieuse était celle infligeant une astreinte, au sens de cette disposition, ce qui d’ailleurs n’est pas contesté par les requérantes, le Tribunal a pu à bon droit en conclure, aux points 157 et 158 de cet arrêt, que l’article 2 de cette décision ne produisait pas d’effets juridiques obligatoires.
123 C’est dès lors également à bon droit que le Tribunal a, enfin, au point 159 dudit arrêt, conclu que l’argumentation des requérantes tirée du caractère disproportionné du montant de l’astreinte prévue à cet article ne visait pas un acte attaquable et, partant, était irrecevable. En effet, il ressort d’une jurisprudence constante de la Cour que constituent en principe des actes attaquables les mesures qui fixent définitivement la position d’une institution, d’un organe ou d’un organisme de l’Union au terme d’une procédure administrative et qui visent à produire des effets de droit obligatoires de nature à affecter les intérêts du requérant, à l’exclusion notamment des mesures intermédiaires dont l’objectif est de préparer la décision finale, qui n’ont pas de tels effets (arrêt du 25 juin 2020, CSUE/KF, C‑14/19 P, EU:C:2020:492, point 70 et jurisprudence citée).
124 Dans ces conditions, il y a lieu d’écarter la quatrième branche du quatrième moyen de pourvoi comme étant non fondée et, partant, le quatrième moyen de pourvoi dans son intégralité.
Sur le cinquième moyen, tiré d’une application erronée des règles relatives à la charge de la preuve
Argumentation des parties
125 Par leur cinquième moyen de pourvoi, les requérantes reprochent au Tribunal d’avoir appliqué de manière erronée les règles régissant la charge de la preuve concernant des infractions à l’article 102 TFUE, en ayant écarté leur moyen tiré d’un reversement indu de cette charge.
126 D’une part, les requérantes contestent les conclusions du Tribunal, figurant aux points 173 et 174 de l’arrêt attaqué, selon lesquelles la Commission ne cherchait pas à auditer leurs comptes, mais à disposer d’éléments nécessaires afin de tenir compte des critiques qu’elles avaient formulées dans leur réponse à la communication des griefs, et que, ce faisant, la Commission ne demandait pas aux requérantes d’effectuer des tâches pour son compte. À cet égard, les requérantes font valoir que les renseignements demandés n’étaient ni pertinents ni nécessaires et que le Tribunal n’a pas répondu à la question de savoir si, par la décision litigieuse, la Commission exigeait d’elles d’accomplir des tâches relevant de la constitution d’un dossier et, partant, de la compétence de cette institution. En effet, les requérantes soutiennent que, en leur demandant de vérifier l’ensemble de leurs écritures comptables, cette décision aurait « externalisé » de fait, auprès d’elles, la constitution d’un nouveau dossier, sans que cela ait été nécessaire pour permettre à la Commission de répondre à leurs arguments.
127 D’autre part, les requérantes estiment que la constatation du Tribunal, effectuée au point 175 de l’arrêt attaqué, que, par ladite décision, la Commission s’était limitée à leur demander de fournir des documents corroborant leur propre affirmation selon laquelle elles s’étaient fondées sur la jurisprudence pertinente et sur les orientations de cette institution, n’est pas suffisamment motivée et réitèrent que, par la même décision, ladite institution leur demandait de prouver qu’elles avaient agi d’une manière conforme à la loi, ce qui constituerait un renversement « intolérable » de la charge de la preuve.
128 La Commission conteste cette argumentation.
Appréciation de la Cour
129 Par le cinquième moyen de pourvoi, les requérantes font grief au Tribunal d’avoir écarté à tort le quatrième moyen, tiré d’un renversement de la charge de la preuve, en ce que la Commission aurait exigé d’elles d’accomplir des tâches relevant de sa compétence.
130 S’agissant, en premier lieu, des arguments invoqués pour contester les points 173 et 174 de l’arrêt attaqué, il y a lieu de souligner, d’une part, que ces points renvoient à l’analyse effectuée par le Tribunal, respectivement aux points 106 et 107 de l’arrêt attaqué ainsi qu’aux points 138 à 140 de celui-ci, dans le cadre de l’examen des premier et deuxième moyens portant respectivement sur le caractère nécessaire et proportionné des renseignements demandés par la décision litigieuse, analyse que les requérantes ne sont pas parvenues à remettre en cause par leurs troisième et quatrième moyens de pourvoi. D’autre part, il convient de relever que ces arguments sont fondés en substance sur les mêmes considérations que celles qui ont été formulées et écartées dans le cadre de l’examen de la troisième branche du troisième moyen de pourvoi et de la troisième branche du quatrième moyen de celui-ci. Lesdits arguments doivent, dès lors, être également écartés comme étant non fondés.
131 S’agissant, en second lieu, de l’argumentation tirée d’un prétendu défaut de motivation de la conclusion, figurant au point 175 de l’arrêt attaqué, selon laquelle la Commission n’avait pas demandé aux requérantes de démontrer qu’elles s’étaient conformées à la loi, il y a lieu de relever que, par cette argumentation, les requérantes visent en réalité à remettre en cause l’appréciation du Tribunal en ce qui concerne le contenu de la décision litigieuse, sans pour autant alléguer une dénaturation de celle-ci. Elles se contentent en revanche de réitérer l’argumentation invoquée dans le cadre de leur quatrième moyen en première instance et fondée sur une interprétation de cette décision qui a été expressément écartée par le Tribunal. Par conséquent, conformément à la jurisprudence rappelée aux points 42 à 45 du présent arrêt, cette argumentation doit être écartée comme étant manifestement irrecevable.
132 Dans ces conditions, le cinquième moyen de pourvoi doit être écarté comme étant, en partie, manifestement irrecevable et, en partie, non fondé.
Sur le sixième moyen, relatif à l’appréciation d’une violation du droit de ne pas contribuer à sa propre incrimination
Argumentation des parties
133 Par leur sixième moyen de pourvoi, les requérantes reprochent au Tribunal d’avoir commis des erreurs de droit et de fait, ainsi qu’une dénaturation des éléments de preuve qui y sont relatifs, et un défaut de motivation dans son appréciation du cinquième moyen, tiré d’une violation du droit de ne pas contribuer à sa propre incrimination.
134 Tout d’abord, les requérantes font valoir que le point 186 de l’arrêt attaqué, auquel le Tribunal a relevé à titre liminaire que les requérantes se contentaient d’invoquer de manière abstraite cette violation, est entaché d’erreurs, ainsi qu’il ressort des arguments qu’elles avaient invoqués en première instance.
135 Ensuite, les requérantes soutiennent que, pour les mêmes motifs que ceux exposés à l’égard du point 175 de cet arrêt, la constatation du Tribunal figurant au point 190 dudit arrêt, en vertu de laquelle la décision litigieuse n’imposait pas aux requérantes de se livrer à des appréciations de nature à les amener à avouer avoir agi en violation de l’article 102 TFUE, n’est pas suffisamment motivée.
136 Enfin, les requérantes font valoir que la conclusion du Tribunal, figurant au point 192 de l’arrêt attaqué, écartant leur argumentation selon laquelle la décision litigieuse constitue une violation du droit de ne pas contribuer à sa propre incrimination dès lors qu’elle les contraint à fournir des documents qui ne peuvent être qualifiés de « préexistants », est entachée d’erreurs de droit et de fait.
137 En particulier, d’une part, le Tribunal aurait commis une erreur de droit dans l’interprétation de l’arrêt du 28 avril 2010, Amann & Söhne et Cousin Filterie/Commission (T‑446/05, EU:T:2010:165, point 328), en concluant qu’une demande de production d’un document qui ne peut être qualifié de « préexistant » ne violerait pas nécessairement le droit de ne pas contribuer à sa propre incrimination, alors que cet arrêt se limiterait à indiquer que la simple obligation de répondre à des questions purement factuelles n’est pas susceptible de violer les droits de la défense ou le droit à un procès équitable.
138 D’autre part, le point 192 de l’arrêt attaqué reposerait sur une erreur de fait, dans la mesure où, par la décision litigieuse, la Commission aurait demandé aux requérantes de fournir des renseignements qui ne pourraient être qualifiés de faits ou de documents, ainsi que d’apporter la démonstration qu’elles ont pris des mesures proactives pour satisfaire aux exigences des règles de la concurrence de l’Union, l’absence d’une telle démonstration laissant croire qu’elles n’ont pas respecté leur obligation.
139 La Commission fait valoir que, les requérantes s’étant contentées de renvoyer la Cour aux arguments qu’elles avaient exposés devant le Tribunal, les arguments invoqués à l’encontre des points 186 et 192 de l’arrêt attaqué et exposés aux points 134 et 138 du présent arrêt doivent être écartés comme étant irrecevables et que le sixième moyen de pourvoi doit être écarté comme étant non fondé pour le surplus. Dans leur mémoire en réplique, les requérantes rétorquent que c’est précisément ce renvoi qui fait que ces arguments sont recevables.
Appréciation de la Cour
140 Par le sixième moyen de pourvoi, les requérantes font valoir que le Tribunal a commis des erreurs de fait et de droit, ainsi qu’une dénaturation des éléments de preuve qui y sont relatifs, et un défaut de motivation dans le cadre de son appréciation de la prétendue violation, par la Commission dans la décision litigieuse, du droit de ne pas contribuer à sa propre incrimination.
141 S’agissant de la recevabilité de ce moyen de pourvoi, il ressort de la jurisprudence rappelée aux points 42 à 45 du présent arrêt que, dans la mesure où l’argumentation visant le point 186 de l’arrêt attaqué n’est fondée que sur des arguments invoqués en première instance, auxquels les requérantes se limitent à renvoyer, cette argumentation doit être écartée comme étant manifestement irrecevable. Il en va de même pour l’argumentation tirée d’une erreur de fait commise par le Tribunal au point 192 de l’arrêt attaqué, étant donné, d’une part, que cette argumentation repose sur les mêmes considérations que celles qui sont exposées au point 96 du présent arrêt et qui sont écartées comme étant irrecevables au point 107 de celui-ci et, d’autre part, que les requérantes contestent l’appréciation du Tribunal relative au contenu de la décision litigieuse sans pour autant invoquer une dénaturation de celle-ci.
142 S’agissant du bien-fondé de la partie recevable dudit moyen de pourvoi, il convient de rappeler, à titre liminaire, que, en vertu du considérant 23 du règlement n° 1/2003, lorsqu’elles se conforment à une décision de demande de renseignements de la Commission, les entreprises ne peuvent être contraintes d’admettre qu’elles ont commis une infraction, mais elles sont en tout cas obligées de répondre à des questions factuelles et de produire des documents, même si ces informations peuvent servir à établir à leur égard ou à l’encontre d’une autre entreprise l’existence d’une infraction.
143 Cette disposition reprend, en substance, une jurisprudence bien établie de la Cour, selon laquelle la Commission est en droit d’obliger une entreprise à fournir tous les renseignements nécessaires portant sur des faits dont elle peut avoir connaissance et à lui communiquer, au besoin, les documents en sa possession qui y sont afférents, même si ceux-ci peuvent servir à établir, à son égard ou à l’encontre d’une autre entreprise, l’existence d’un comportement anticoncurrentiel. Si la Commission ne saurait imposer à cette entreprise l’obligation de fournir des réponses par lesquelles celle-ci serait amenée à admettre l’existence de l’infraction dont il appartient à la Commission d’établir la preuve, ladite entreprise ne peut toutefois se soustraire à des demandes de production de documents au motif que, en y donnant suite, elle serait contrainte de témoigner contre elle-même (voir, en ce sens, arrêts du 18 octobre 1989, Orkem/Commission, 374/87, EU:C:1989:387, points 27, 34 et 35, ainsi que du 29 juin 2006, Commission/SGL Carbon, C‑301/04 P, EU:C:2006:432, points 41 à 44 et 48).
144 Or, en ce qui concerne, en premier lieu, l’argumentation tirée d’un prétendu défaut de motivation de la conclusion tirée au point 190 de l’arrêt attaqué, selon laquelle, en demandant aux requérantes de fournir des documents corroborant leur propre affirmation qu’elles s’étaient fondées sur la jurisprudence pertinente et sur les orientations de la Commission, celle-ci n’avait pas imposé aux requérantes de se livrer à des appréciations de nature à les amener à reconnaître avoir agi en violation de l’article 102 TFUE, il y a lieu de relever que cette argumentation est fondée sur les mêmes griefs que ceux soulevés à l’égard du point 175 de cet arrêt et doit, partant, pour les mêmes motifs que ceux énoncés au point 131 du présent arrêt, être écartée.
145 En tout état de cause, il convient de relever que le Tribunal a motivé à suffisance de droit la conclusion tirée au point 190 de l’arrêt attaqué. En effet, tout d’abord, le Tribunal a rappelé, aux points 180, 182 et 183 de cet arrêt, la jurisprudence citée au point 143 du présent arrêt. Ensuite, s’appuyant notamment sur sa propre jurisprudence, le Tribunal en a tiré la conséquence, aux points 184 et 185 de l’arrêt attaqué, que, d’une part, il appartient au juge de l’Union de vérifier, en cas de contestation de la portée d’une question posée par une demande de renseignements, si une réponse du destinataire équivaudrait effectivement à reconnaître la commission d’une infraction et, d’autre part, les réponses d’ordre purement factuel ne sauraient, en principe, être regardées comme étant susceptibles de contraindre le destinataire à admettre la commission de cette infraction. C’est partant sur le fondement de la jurisprudence susmentionnée, laquelle n’est d’ailleurs pas contestée par les requérantes, que le Tribunal a pu conclure, aux points 187 et 190 de l’arrêt attaqué, que, dans la mesure où les renseignements demandés par la décision litigieuse revêtent un caractère purement factuel, consistant notamment dans la demande de production de documents internes, la fourniture de ces renseignements n’imposait pas aux requérantes de se livrer à des appréciations de nature à les amener à reconnaître avoir agi en violation de l’article 102 TFUE.
146 S’agissant, en second lieu, de l’argumentation tirée de l’erreur de droit prétendument commise par le Tribunal au point 192 de l’arrêt attaqué, il y a lieu de relever que le Tribunal a correctement interprété la jurisprudence issue de l’arrêt du 28 avril 2010, Amann & Söhne et Cousin Filterie/Commission (T‑446/05, EU:T:2010:165, point 328), en ce sens que, en tant qu’elle exclut que le fait d’être obligé de produire des documents préexistants est susceptible de violer les droits de la défense, cette jurisprudence ne saurait être interprétée, a contrario, comme signifiant que toute demande de production d’un document qui ne peut être qualifié de « préexistant » méconnaît nécessairement ces droits, en particulier le droit de ne pas contribuer à sa propre incrimination.
147 En effet, il ressort de la jurisprudence rappelée au point 143 du présent arrêt que ce n’est que dans le cas où une entreprise serait obligée de fournir des réponses par lesquelles celle-ci serait amenée à admettre l’existence de l’infraction que cette entreprise peut se soustraire à l’obligation de communiquer tous les renseignements nécessaires, au sens de la jurisprudence citée aux points 68 à 70 du présent arrêt. En l’espèce, le Tribunal a estimé, sans que les requérantes contestent cette conclusion, que tel n’était pas le cas, dans la mesure où celles-ci n’avaient invoqué aucun argument concret susceptible de démontrer que le fait d’être amenées, afin de répondre aux questions de la Commission, à formaliser les données factuelles demandées dans un document visant à faciliter leur compréhension par celle-ci, était en soi susceptible de constituer une violation du droit de ne contribuer à sa propre incrimination.
148 Dans ces conditions, le sixième moyen de pourvoi doit être écarté comme étant, en partie, manifestement irrecevable et, en partie, non fondé.
149 L’ensemble des moyens ayant été écartés, il y a lieu de rejeter le pourvoi dans son intégralité.
Sur les dépens
150 En vertu de l’article 184, paragraphe 2, du règlement de procédure, lorsque le pourvoi n’est pas fondé, la Cour statue sur les dépens. Aux termes de l’article 138, paragraphe 1, de ce règlement de procédure, applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, de celui-ci, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.
151 La Commission ayant conclu à la condamnation de Qualcomm et de Qualcomm Europe aux dépens et celles-ci ayant succombées en leurs moyens, il y a lieu de condamner ces dernières aux dépens dans la procédure de pourvoi.
Par ces motifs, la Cour (huitième chambre) déclare et arrête :
1) Le pourvoi est rejeté.
2) Qualcomm Inc. et Qualcomm Europe Inc. sont condamnées aux dépens.