Cass. com., 27 janvier 2021, n° 18-20.702
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
PARTIES
Demandeur :
France Quick (SAS), Quick restaurants (SA)
Défendeur :
Bougro Sodebo (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Rapporteur :
M. Mollard
Avocat :
SCP Bernard Hémery, Carole Thomas-Raquin, Martin Le Guerer
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 3 juillet 2018), rendu sur renvoi après cassation (chambre commerciale, financière et économique, 8 juin 2017, pourvoi n° 15-20.966), la société de droit belge Quick restaurants, société mère du groupe Quick, est titulaire de la marque internationale couvrant la France « Giant », enregistrée auprès de l'Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (l'OMPI) le 14 juin 2006, sous le no 892 802, pour désigner divers produits alimentaires et services de restauration figurant dans les classes 29, 30 et 43, notamment, en classes 29 et 30, les « aliments, mets et plats préparés, non compris dans d'autres classes, en particulier articles de fast food ». La société France Quick, filiale de la société Quick restaurants, gère la chaîne de restauration à l'enseigne « Quick » sur le territoire français, pour lequel elle détient la licence de la marque « Giant. »
2. La société Etablissements Bougro Sodebo (la société Sodebo) a, le 3 février 2011, déposé auprès de l'Institut national de la propriété industrielle (l'INPI), sous le n° 11 3 803 212, la marque « Pizza Giant Sodebo » pour désigner divers produits en classe 29 et 30 et a, à compter du printemps 2011, commercialisé dans les supermarchés une gamme de pizzas conditionnées en parts individuelles, sous la dénomination « Pizza Giant. »
3. Les sociétés Quick restaurants et France Quick (les sociétés Quick) ont assigné la société Sodebo en annulation de la marque « Pizza Giant Sodebo », en contrefaçon de la marque « Giant » et en concurrence déloyale et parasitaire.
4. La société Sodebo a demandé reconventionnellement l'annulation de la partie française de la marque « Giant » pour défaut de distinctivité.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, pris en sa sixième branche, ci-après annexée
5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen, qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le moyen, pris en ses première et deuxième branches
Enoncé du moyen
6. Les sociétés Quick font grief à l'arrêt de prononcer la nullité de la partie française de la marque internationale « Giant » n° 892 802, de dire que la partie la plus diligente ferait parvenir à l'INPI cette décision lorsque celle-ci serait définitive et, en conséquence, de déclarer irrecevables les demandes en contrefaçon de la marque « Giant » no 892 802, de nullité de la marque française « Pizza Giant Sodebo » n° 11 3 803 212 et pour atteinte à la marque renommée « Giant » n° 892 802, formées par la société Quick restaurants, alors : « 1°) que la distinctivité intrinsèque de la marque s'apprécie au regard des caractéristiques du produit tel que désigné dans l'enregistrement ; qu'en considérant que le terme « Giant » était, à la date du dépôt de la marque, dépourvu de toute distinctivité intrinsèque, au motif que ce terme, appliqué aux hamburgers commercialisés par les sociétés Quick, avait "vocation à désigner la dimension importante de l'aliment", sans examiner la distinctivité intrinsèque de la marque au regard des caractéristiques des produits tels que désignés dans l'enregistrement, lequel ne définissait pas ces produits avec mention d'une dimension particulière, la cour d'appel a violé l'article L. 711-2 du code de la propriété intellectuelle ; 2°) que, pour apprécier le caractère intrinsèquement distinctif d'un signe lors de son dépôt à titre de marque, le juge peut, sans erreur de droit, prendre en considération des éléments qui, bien que postérieurs à la date de ce dépôt, permettent de tirer des conclusions sur la situation telle qu'elle se présentait à cette date ; qu'en tenant le sondage réalisé du 17 au 18 septembre 2004 [lire 2014], d'où il résultait que 44 % des français interrogés associaient le mot « Giant » à une marque ou un produit, c'est-à-dire percevaient ce mot comme étant apte à remplir la fonction de la marque d'identification d'une origine commerciale, pour indifférent à son appréciation du caractère intrinsèquement distinctif du signe pour la raison que ce sondage était postérieur de huit ans à son dépôt à titre de marque, la cour d'appel a violé l'article L. 711-2 du code de la propriété intellectuelle. »
Réponse de la Cour
7. D'une part, après avoir relevé que, dans le domaine des produits alimentaires, il est courant d'utiliser des adjectifs qui décrivent la caractéristique mise en avant, notamment s'agissant des quantités importantes ou réduites, et que, dans le domaine des hamburgers, les quantités importantes sont souvent mises en avant dans la dénomination même du produit, qui est systématiquement anglaise, l'arrêt retient que la banalité de l'usage des termes « long », « big », « double » ou tous autres exprimant la quantité dans le secteur du « fast food » impose que ces signes usuels restent à la disposition de toutes les personnes qui y exercent leur activité et qu'aucun concurrent ne puisse les monopoliser et priver les autres de leur libre usage dans leur profession. Il retient également que l'adjectif anglais « Giant », était, à la date du dépôt de la marque « Giant », nécessairement compris par le consommateur francophone de produits alimentaires et de restauration, en particulier d'articles de « fast food », comme signifiant géant et, par extension, énorme et qu'il désignait ainsi une caractéristique des produits désignés par la marque, en l'occurrence leur quantité.
8. Ayant, par ces motifs, apprécié le caractère distinctif du signe « Giant » à l'égard des produits ou services désignés dans la demande de marque, la cour d'appel a pu retenir qu'à la date du dépôt de celle-ci, le signe « Giant » était dépourvu de toute distinctivité.
9. D'autre part, en retenant qu'il est indifférent que, selon un sondage réalisé les 17 et 18 septembre 2014, 44 % des Français associent le mot « Giant » à une marque ou un produit, la cour d'appel n'a pas considéré qu'un élément postérieur à la date du dépôt ne puisse pas être pris en considération, mais a estimé, dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation du caractère probant des éléments produits devant elle, que ce sondage ne permettait pas de tirer des conclusions sur la situation telle qu'elle se présentait au moment de l'enregistrement de la marque « Giant » auprès de l'OMPI, le 14 juin 2006.
10. Le moyen n'est donc pas fondé.
Sur le moyen, pris en ses troisième, quatrième et cinquième branches
Enoncé du moyen
11. Les sociétés Quick font le même grief à l'arrêt, alors : « 3°) que le caractère distinctif d'une marque peut être acquis en conséquence de l'usage de cette marque ; que pour déterminer si une marque a acquis un caractère distinctif par l'usage, il convient d'apprécier globalement les éléments qui peuvent démontrer que la marque est devenue apte à identifier le service concerné comme provenant d'une entreprise déterminée et donc à distinguer ce produit de ceux d'autres entreprises ; qu'en considérant que la marque « Giant » n'était pas devenue distinctive par l'usage, tout en constatant que les sociétés Quick Restaurants et France Quick justifiaient, pour les années pertinentes, "d'un usage continu, intense et de longue durée des signes de la gamme Giant ainsi que de l'importance des investissements publicitaires qui y sont consacrés" d'où il résultait nécessairement qu'en conséquence de cet usage "continu, intense et de longue durée", le signe « Giant » était devenu apte, dans l'esprit du consommateur moyen, à identifier le produit désigné dans l'enregistrement comme provenant des sociétés Quick, de sorte que se trouvait établi le caractère distinctif de la marque, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations et a violé l'article L. 711-2 du code de la propriété intellectuelle ; 4°) que le caractère distinctif d'une marque peut être acquis en conséquence de l'usage de cette marque ; que pour déterminer si une marque a acquis un caractère distinctif par l'usage, il convient d'apprécier globalement les éléments qui peuvent démontrer que la marque est devenue apte à identifier le produit ou le service concerné comme provenant d'une entreprise déterminée et donc à distinguer ce produit ou ce service de ceux d'autres entreprises ; qu'en considérant que la marque « Giant » n'était pas devenue distinctive par l'usage, au motif que la preuve n'était pas rapportée de ce que le consommateur aurait perçu le signe « Giant » en tant que "marque et non comme une caractéristique quantitative des produits vendus" sans rechercher si, en conséquence de l'usage du signe « Giant », qu'elle a précisément qualifié de "continu, intense et de longue durée", la marque « Giant » no 892 802 n'était pas devenue apte, dans l'esprit du consommateur moyen, à identifier les produits et services désignés à son enregistrement comme provenant de la société Quick, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 711-2 du code de la propriété intellectuelle ; 5°) que le caractère distinctif d'une marque peut être acquis en conséquence de l'usage de cette marque ; qu'en considérant que le sondage réalisé du 17 au 18 septembre 2014, qui révélait que 44 % des français associaient le mot « Giant » à une marque ou un produit, n'avait pas à être pris en considération dès lors qu'il était "postérieur de plus de huit ans au dépôt de la marque" et qu'il se rapportait à une période "postérieure au 3 février 2011", date à laquelle la marque "Pizza Giant Sodebo" avait été déposée, tout en constatant que les sociétés Quick justifiaient de "l'importance des investissements publicitaires" au titre des années 2009 et 2010 d'où il résultait nécessairement qu'un sondage réalisé en 2014, permettant de mesurer les effets de l'investissement publicitaire consenti, était parfaitement pertinent, peu important qu'il ait été réalisé plus de huit ans après le dépôt de la marque « Giant » et après le dépôt de la marque "Pizza Giant Sodebo", la cour d'appel s'est déterminée par une motivation inopérante et a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 711-2 du code de la propriété intellectuelle. »
Réponse de la Cour
12. En premier lieu, l'usage en tant que marque d'un signe dépourvu de caractère distinctif intrinsèque, fût-il continu, intense et de longue durée, ne rend pas nécessairement ce signe apte à identifier les produits et services désignés dans l'enregistrement comme provenant du titulaire de la marque.
13. Le grief de la première branche procède donc d'un postulat erroné.
14. En second lieu, après avoir énoncé que, pour apprécier si le signe « Giant » a acquis un caractère distinctif par l'usage qui en a été fait, il convient de se placer au 3 février 2011, date à laquelle la marque « Pizza Giant Sodebo » a été déposée, l'arrêt retient que si les sociétés Quick justifient, pour les années 2009 à 2011, d'un usage continu, intense et de longue durée des signes de la gamme Giant, ainsi que de l'importance des investissements publicitaires qui y sont consacrés, il n'est pas pour autant établi que le signe « Giant » ait été connu et identifié par le public pertinent en tant que marque et non comme une caractéristique quantitative des produits vendus, l'enquête d'opinion sur la perception du signe étant inopérante puisque réalisée du 17 au 18 septembre 2014, soit plus de deux ans après la date de la contrefaçon alléguée du 3 février 2011.
15. En l'état de ces constatations et appréciations, la cour d'appel, qui a procédé à la recherche prétendument omise et a souverainement considéré que le sondage réalisé du 17 au 18 septembre 2014 ne rapportait pas la preuve de ce qu'au 3 février 2011, le signe « Giant » avait déjà acquis un caractère distinctif, a légalement justifié sa décision.
16. Le moyen n'est donc pas fondé.
Sur le second moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
17. Les sociétés Quick font grief à l'arrêt de rejeter les demandes de la société France Quick dirigées contre la société Sodebo sur le fondement de la concurrence déloyale et des agissements parasitaires, alors « que constitue un acte de concurrence déloyale le fait d'utiliser un signe créant un risque de confusion dans l'esprit du consommateur avec les produits et les services d'un tiers ; que s'il n'est pas une condition du bien-fondé de l'action en concurrence déloyale, le caractère original ou distinctif des éléments dont la reprise est incriminée constitue néanmoins un facteur pertinent pour l'examen du risque de confusion ; qu'en considérant que n'était pas démontré un risque de confusion entre le hamburger « Giant » commercialisé par l'enseigne Quick et la pizza "Giant Sodebo", tout en constatant que les sociétés Quick justifiaient "pour les années 2009 à 2011, d'un usage continu, intense et de longue durée des signes de la gamme Giant ainsi que de l'importance des investissements publicitaires qui y sont consacrés", la cour d'appel, qui n'a pas recherché si la notoriété et l'usage intensif du signe « Giant » par les sociétés Quick ne constituaient pas un facteur pertinent pour l'examen du risque de confusion, a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1240 (ancien article 1382) du code civil. »
Réponse de la Cour
18. L'arrêt retient que, nonobstant l'usage continu, intense et de longue durée du signe « Giant » et l'importance des investissements publicitaires entre 2009 et 2011, les sociétés Quick ne rapportent pas la preuve qu'à la date de l'enregistrement de la marque « Pizza Giant Sodebo », le 3 février 2011, enregistrement n'ayant précédé que de quelques mois l'exploitation, à compter du printemps 2011, de cette marque, le signe « Giant » était perçu autrement que comme la description d'une caractéristique des produits et services commercialisés sous ce signe, ce dont il résulte qu'il n'est pas établi que l'usage du signe « Giant » lui avait permis d'acquérir une quelconque notoriété ni qu'il existait un risque de confusion entre les produits commercialisés sous ce signe par les sociétés Quick et Sodebo.
19. Dès lors, la cour d'appel, qui a procédé à la recherche prétendument omise, a légalement justifié sa décision.
20. Le moyen n'est donc pas fondé.
Mais sur le second moyen, pris en sa seconde branche
Enoncé du moyen
21. Les sociétés Quick font le même grief à l'arrêt, alors « que le succès de l'action en responsabilité pour agissements parasitaires ne suppose pas la démonstration d'un risque de confusion ; que dans leurs conclusions d'appel, les sociétés Quick soutenaient que la société Sodebo avait "manifestement cherché à tirer indûment profit de la notoriété attachée à la marque ‘Giant' d'une part, et des efforts publicitaires et investissements financiers réalisés par la société France Quick d'autre part" ; qu'en se bornant, pour écarter l'existence d'agissements parasitaires imputables à la société Sodebo, à énoncer qu'il n'était pas démontré de risque de confusion entre le hamburger « Giant » commercialisé par l'enseigne Quick et la pizza "Giant Sodebo", la cour d'appel s'est déterminée par une motivation inopérante et a privé sa décision de base légale au regard des dispositions de l'article 1240 (ancien article 1382) du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 1382, devenu 1240, du code civil :
22. En vertu de ce texte, le succès de l'action en responsabilité pour agissements parasitaires, qui est ouverte à celui qui ne peut se prévaloir de droits privatifs, n'est pas subordonné à l'existence d'un risque de confusion.
23. Pour rejeter la demande des sociétés Quick au titre des agissements parasitaires, l'arrêt retient qu'il n'est pas démontré de risque de confusion entre le hamburger « Giant » commercialisé par l'enseigne Quick et la pizza « Giant Sodebo » vendue en moyennes et grandes surfaces.
24. En se déterminant ainsi, par des motifs impropres à exclure la responsabilité de la société Sodebo pour agissements parasitaires au détriment des sociétés Quick, la cour d'appel a privé sa décision de base légale.
PAR CES MOTIFS, la Cour : CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce que, confirmant le jugement, il déboute la société Quick France de sa demande formée sur le fondement des agissements parasitaires, l'arrêt rendu le 3 juillet 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée.