Livv
Décisions

Cass. com., 27 janvier 2021, n° 18-14.774

COUR DE CASSATION

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Optical Center (SAS)

Défendeur :

Atol (SCCV), Europtic Alsace (Sarlu), Optique du lac (Sasu), Optique Moderne (SAS), Optique 2G (Sarlu)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Darbois

Rapporteur :

Mme Michel-Amsellem

Avocat général :

M. Douvreleur

Avocats :

SCP Boullez, SCP Bernard Hémery, Carole Thomas-Raquin, Martin Le Guerer

T. com Nanterre, 3ème ch. , du 20 oct. 2…

20 octobre 2016

Désistement partiel  

1. Il est donné acte à la société Optical center du désistement de son pourvoi en ce qu'il est dirigé contre les sociétés Europtic Alsace, Optique moderne et Optique 2G.

Faits et procédure

2. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 6 mars 2018), la société Optical center exerce directement ou sous forme de franchise une activité de vente au détail d'équipements d'optique dans près de huit cents magasins. La société coopérative à forme anonyme à capital variable Atol, qui rassemble près de cinq cent cinquante opticiens adhérents sur le territoire national, exerce une activité identique. La société Optique du lac exploite sous l'enseigne « Atol, les opticiens », un magasin de vente au détail d'équipements d'optique.

3. La société Optical center, reprochant à la société Atol, à la société Vitasol, sa centrale d'achat, ainsi qu'à quatre sociétés exerçant sous l'enseigne « Atol, les opticiens », des pratiques constitutives de concurrence déloyale, les a assignées en cessation, sous astreinte, des agissements dénoncés et en paiement de dommages-intérêts.

4. La société Atol, alléguant des actes de dénigrement, a formé une demande reconventionnelle en paiement de dommages-intérêts.

Examen des moyens

Sur le premier moyen du pourvoi principal

Enoncé du moyen

5. La société Optical center fait grief à l'arrêt d'écarter l'action en responsabilité qu'elle a formée contre la société Atol, alors : « 1°) qu'une infraction pénale peut constituer un acte de concurrence déloyale ; qu'en considérant, pour écarter la responsabilité de la société Atol, que l'établissement de factures insincères par les membres de son réseau était constitutif d'une infraction pénale engageant seulement la responsabilité pénale de son auteur, sous réserve d'une éventuelle complicité de la société Atol, quand la pratique de factures insincères, visant à une prise en charge faussée par l'assurance-maladie ou par les mutuelles du coût des verres et des montures de lunettes, constituait également une faute civile pour rupture d'égalité dans les moyens de la concurrence, la cour d'appel a violé l'article 1382 du code civil dans leur rédaction applicable en l'espèce ; 2°) que le mécanisme de la responsabilité du fait d'autrui permet de condamner à réparation une personne autre que celle dont la faute a causé le dommage, dès lors que ces personnes sont unies par un lien d'autorité reconnu par le droit positif ; que les sociétés coopératives de commerçants détaillants tiennent de l'article L. 124-1, 3° bis du code commerce, le pouvoir "d'organiser entre les associés une coopération financière, notamment à travers la constitution de sociétés, exerçants sous leur contrôle direct ou indirect et ayant pour finalité d'apporter par tous moyens un soutien à l'achat, à la création et au développement du commerce, dans le respect des dispositions propres aux établissements de crédit" ; qu'il s'ensuit qu'elles sont responsables de plein droit, au sens de l'article 1384, alinéa 1er, du code civil, dans sa rédaction applicable en l'espèce, des dommages que leurs adhérents causent à cette occasion aux tiers par des actes de concurrence déloyale ; qu'en affirmant que la société Atol, en sa qualité coopérative, ne peut être tenue responsable a priori des agissements des membres de son réseau et qu'il appartient donc à la société Optical center, au soutien de son action en concurrence déloyale, de rapporter la preuve d'une faute personnellement imputable à la société coopérative Atol, après avoir rappelé, par des motifs adoptés du jugement entrepris, que les adhérents sont propriétaires de leurs verres et montures et qu'ils en assurent la vente en toute indépendance, sans rechercher, ainsi qu'elle y était invitée, si la société Atol ne devait pas répondre des actes de concurrence déloyale accomplis par ses adhérents dont elle contrôlait les pratiques commerciales de jure, aux termes de l'article L. 124-1, 3° bis du code de commerce, et de facto, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1384, alinéa 1er, du code civil, dans sa rédaction applicable en l'espèce, et de la disposition précitée ; 3°) que la société Optical center a soutenu que "la mainmise d'Atol sur l'élaboration d'un logiciel du point de vente optique et la soumission des adhérents-associés à différentes chartes qualités démontrent bien que la société animatrice du réseau se reconnaît le contrôle de ses pratiques commerciales de ses adhérents" ; qu'en s'abstenant de répondre au moyen par lequel la société Optical center a soutenu que les associées adhérentes n'étaient pas à même de définir leur propre stratégie commerciale, financière et technique et sont incapables de s'affranchir du contrôle hiérarchique du siège social, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ; 4°) que les personnes tenues de répondre du fait d'autrui au sens de l'article 1384, alinéa 1er, du code civil, dans sa rédaction applicable en l'espèce, ne peuvent s'exonérer de la responsabilité de plein droit résultant de ce texte en démontrant qu'elles n'ont commis aucune faute ; qu'en retenant, pour dégager la société Atol de toute responsabilité, qu'elle a offert de rapporter la preuve qu'elle avait mis en place des actions de prévention et de sanction afin de prévenir, et au besoin de faire cesser, toute pratique illégale de surfacturation des verres et qu'ainsi, aucune complicité ou complaisance fautive à l'égard de tels actes ne sauraient lui être reprochées, la cour d'appel a violé la disposition précitée ; 5°) que tous ceux qui contribuent par une faute collective à la réalisation d'un acte de concurrence déloyale, sont tenus in solidum d'en réparer l'entier dommage, quand bien même il n'est pas permis de déterminer le rôle causal de chacun d'entre eux ; qu'il s'ensuit que la société coopérative de commerçants détaillants répond in solidum à l'égard des tiers des actes de concurrence déloyale commis par ses associés-adhérents au préjudice des concurrents dans l'exercice des activités énumérées par l'article L. 124-1 du code de commerce, sans qu'elle puisse s'exonérer de la responsabilité qu'elle encourt par la preuve que son implication positive dans la réalisation du dommage n'est pas établi ; qu'en considérant, par des motifs adoptés du jugement entrepris, que la notion d'entité économique unique était inapplicable en matière de responsabilité civile délictuelle, que la société Atol est une société coopérative constituée de commerçants indépendants, et que la notion d'entité économique unique est inapplicable en matière de responsabilité civile délictuelle, sans rechercher, ainsi qu'elle y était invitée par la société Optical center, si l'existence d'un acte de concurrence déloyale ne devait pas être imputée à toutes les sociétés coopératives du réseau, sur le fondement d'une faute collective, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du code civil dans sa rédaction applicable en l'espèce. »

Réponse de la Cour

6. L'arrêt, par motifs adoptés, relève que la société Atol n'exploite elle-même aucun magasin et que, constituée sous la forme d'une société coopérative de commerçants détaillants à capital variable, elle est régie par les articles L. 124-1 à L. 124-16 du Code de commerce et par ses statuts, desquels il résulte que les opticiens de l'enseigne Atol disposent d'une autonomie certaine par rapport à la société Atol, en sont juridiquement indépendants et que toute subordination ainsi que tout contrôle, au sens juridique, des commerçants indépendants exerçant sous cette enseigne, est exclue. Il souligne que l'appartenance à un réseau est insuffisante pour justifier la responsabilité de la coopérative et énonce que cette responsabilité ne peut résulter que d'un fait personnel, la notion d'entité économique unique, propre au droit de la concurrence, ne trouvant pas application en matière de responsabilité civile délictuelle de droit commun fondée sur les dispositions des articles 1382 et 1383, devenus 1240 et 1241, du code civil, dont relève la concurrence déloyale. L'arrêt retient ensuite que la société Optical center ne justifie pas par quel moyen la société Atol s'immiscerait dans la gestion des sociétés exploitées par les opticiens adhérents qui sont propriétaires de leurs verres et de leurs montures, les commercialisent et en fixent le prix de vente, gèrent leurs stocks et n'ont pas d'obligation d'approvisionnement exclusif auprès de la centrale d'achat. Il relève encore que les documents versés aux débats établissent que la société Atol a mis en place, antérieurement à l'assignation de la société Optical center, des actions de prévention visant à informer ses adhérents de la réglementation applicable et du caractère illégal des pratiques d'arrangement de factures, au moyen du magazine interne du réseau, d'affiches et affichettes anti-fraude destinées à être posées dans les magasins, ainsi que de divers courriers et d'un avenant type aux contrats de travail.

7. En l'état de ces constatations et appréciations, faisant ressortir que ni la loi ni les statuts de la société Atol n'instituaient une subordination juridique entre la société coopérative et ses adhérents mais seulement une faculté d'organiser une coopération financière, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de répondre aux conclusions, dès lors inopérantes, invoquées par la quatrième branche, a pu retenir que les agissements de certains des membres du réseau Atol, pénalement répréhensibles, ne pouvaient relever que de leur fait personnel et que la société Atol, qui n'était responsable d'aucune négligence ou passivité fautive, n'avait commis aucun acte de concurrence déloyale.

8. Le moyen n'est donc pas fondé.

Sur le second moyen de ce pourvoi

Enoncé du moyen

9. La société Optical center fait grief à l'arrêt d'écarter son action en responsabilité contre la société Optique du lac, alors : « 1°) que les faits de concurrence déloyale générateurs d'un trouble commercial impliquent l'existence d'un préjudice ; qu'il ressort des constatations auxquelles les juges du fond ont procédé que l'existence d'actes de concurrence déloyale ressort de deux attestations de clients mystères établissant une pratique frauduleuse courante consistant en de fausses facturations ; qu'en décidant que la société Optical center n'établissait pas la perte éventuelle de clientèle que ces agissements avaient pu générer, quand un tel préjudice s'inférait nécessairement des actes de concurrence, générateur d'un trouble commercial, dont l'arrêt constate l'existence, la cour d'appel a violé l'article 1382 du code civil dans sa rédaction applicable en l'espèce ; 2°) que les juges du fond ne peuvent refuser d'évaluer un préjudice dont l'existence est établie en son principe sans commettre un déni de justice ; qu'en reprochant à la société Optical center de ne fournir aucune méthode de calcul de son préjudice, quand il appartenait à la juridiction du second degré d'évaluer le montant du préjudice dont l'existence s'inférait des actes de concurrence déloyale commis par l'EURL Optique du lac au préjudice de la société Optical center, la cour d'appel a violé l'article 4 du code civil, ensemble l'article 1382 du code civil dans sa rédaction applicable en l'espèce.  3°) que l'auteur d'un acte de concurrence déloyale doit réparer le préjudice causé à la victime, peu important que des tiers subissent également un préjudice à raison de ce fait ; qu'en relevant que d'autres opticiens de réseau ou indépendants ont pu se trouver dans le périmètre de chalandise et souffrir également des actes de concurrence déloyale que la société Optical center impute à la société Optique du lac, la cour d'appel a déduit un motif inopérant, en violation de l'article 1382 du code civil, dans sa rédaction applicable en l'espèce. »

Réponse de la Cour  

10. L'arrêt retient que, si les agissements de la société Optique du lac, membre du réseau Atol, intervenus à plus de deux ans d'intervalle dans le même point de vente, laissent envisager qu'ils ne sont pas isolés mais constituent une pratique frauduleuse courante, la société Optical center ne fournit aucune méthode de calcul de son préjudice, ne vise pas les sociétés de son groupe implantées en proximité de la boutique exploitée par la société Optique du lac, ni leurs comptes, et n'établit pas que la perte éventuelle de clientèle que ces agissements ont pu générer lui ait directement préjudicié.

11. Ayant ainsi procédé à l'appréciation souveraine de la valeur et de la portée des éléments de preuve qui lui étaient soumis, la cour d'appel, abstraction faite des motifs inopérants mais surabondants critiqués par la troisième branche, a pu déduire que la société Optical center ne démontrait pas avoir subi personnellement une perte de clientèle, seul préjudice au titre duquel elle demandait des dommages-intérêts, ni le lien de causalité entre les agissements de la société Optique du lac et le préjudice allégué, dont elle n'était, dès lors, pas tenue d'évaluer le montant.

12. Le moyen, pour partie inopérant, n'est donc pas fondé pour le surplus. Mais sur le moyen unique du pourvoi incident

Enoncé du moyen

13. La société Atol fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande reconventionnelle en paiement de dommages-intérêts, alors « que la divulgation à la clientèle d'une action en justice n'ayant pas donné lieu à une décision de justice, dépourvue de base factuelle suffisante en ce qu'elle ne repose que sur le seul acte de poursuite, constitue un acte de dénigrement ; qu'en retenant, en l'espèce, que l'annonce par la société Optical center, dans un article du magazine l'Opticien daté du 30 mai 2008, d'une "offensive judiciaire pour la rentrée", avec l'indication que "plusieurs dizaines de procès-verbaux établis par huissiers chez des opticiens partout en France. Douze grosses enseignes ont été visitées ainsi que de nombreux indépendants. Les résultats sont consternants : 95 % des visites ont démontré des fraudes avérées" ne constituait pas un dénigrement fautif, dès lors que la société Atol n'était pas expressément nommée ni spécifiquement visée, sans rechercher, comme l'y invitait la société Atol, si en faisant référence à "douze grosses enseignes", c'est-à-dire à l'intégralité ou presque des enseignes présentes sur le marché français de l'optique, Optical center n'a pas implicitement mais nécessairement visé l'enseigne Atol, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard l'article 1382, devenu 1240, du code civil. »

Réponse de la Cour  

Vu l'article 1382, devenu 1240, du code civil :

14. Selon ce texte, tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.

15. Pour rejeter la demande de dommages-intérêts formée par la société Atol sur le fondement du dénigrement, l'arrêt retient qu'il est écrit dans l'article du magazine l'Opticien, du 30 mai 2008, qu'elle invoque que la société Optical center annonce une offensive judiciaire contre douze enseignes et de nombreux indépendants, sans que les déclarations de son président, qu'il reproduit, désignent expressément la société Atol, laquelle n'est donc pas visée directement et spécifiquement.  16. En se déterminant ainsi, sans rechercher, comme elle y était invitée, si la référence à « douze grosses enseignes » visée par l'action en justice dont la société Optical center annonçait l'introduction n'emportait pas désignation nécessaire de la société Atol, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il rejette la demande reconventionnelle formée par la société Atol au titre de la concurrence déloyale, l'arrêt rendu le 6 mars 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ;

Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Versailles autrement composée ;

Condamne la société Optical center aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile,  

Rejette la demande formée par la société Optical center et la condamne à payer à la société Atol la somme de 3 000 euros.