Cass. com., 27 janvier 2021, n° 18-16.279
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
PARTIES
Demandeur :
Barrettara, EMC2 (SARL)
Défendeur :
Signaux Girod (SA), Franche Comté Signaux (SAS), Signalisation France (SA), Aximum (SAS), Lacroix Signalisation (SAS), Société de Diffusion Lorraine (SAS), Nadia Signalisation (Sasu), 3M France (Sasu)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Darbois
Rapporteur :
Mme Champalaune
Avocat général :
M. Douvreleur
Avocats :
SCP Waquet, Farge et Hazan, SCP Hémery, Thomas-Raquin, Le Guerer, SCP Célice, Texidor, Périer, SCP Gouz-Fitoussi, Me Galy, Me Le Prado, SCP Ortscheidt, SCP Rocheteau et Uzan-Sarano
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 28 février 2018), la société Equipements et Matériels pour Chantiers et Collectivités (la société EMC2), a été créée en 1993 par M. Barrettara, lequel a occupé jusqu'en 1995 des fonctions de direction dans des sociétés du groupe Lacroix opérant dans le secteur de la signalisation routière. En 1997, elle a acquis une unité de production de produits de signalisation routière verticale, devenant fabricant-revendeur de ces matériels, qu'elle a revendue en 2001. En 1999, elle a repris une activité de production de balises plastiques.
2. L'Autorité de la concurrence (l'Autorité) a, par décision n° 10-D-39 du 22 décembre 2010 ne pouvant plus faire l'objet d'une voie de recours, sanctionné les huit principaux fabricants de panneaux de signalisation routière verticale, parmi lesquels les sociétés Lacroix signalisation, Signaux Girod, Franche Comté signaux, Nadia signalisation, Signalisation France et Aximum, pour avoir mis en place, entre 1997 et le 14 mars 2006, un cartel s'étant concrétisé par des répartitions de marchés publics selon des prix et des quotas fixés en commun, des pratiques d'exclusion de sociétés concurrentes jugées indésirables, figurant sur une « liste noire », et des remises décidées en commun vis à vis des acheteurs.
3. Par la même décision, l'Autorité a également sanctionné la Société de Diffusion Lorraine-Sodilor (la société Sodilor) pour un abus de position dominante commis de 2001 à 2007 sur le marché de fournitures d'équipements de sécurité et de balisage en matière plastique, pour avoir refusé d'approvisionner une société tierce en balises, ainsi que la société 3M France, active sur le marché des films plastiques rétroréfléchissants utilisés dans la fabrication de panneaux, pour un abus de position dominante commis entre 2003 et 2005, consistant dans la mise en place d'un système d'accréditations et de remises discriminatoires visant à avantager les membres du cartel.
4. Les 13, 14, 15, 16 mars, 16 avril 2012 et 15 janvier 2013, la société EMC2 et M. Barrettara, agissant à titre personnel, ont assigné, notamment, les sociétés Lacroix signalisation, Signaux Girod, Franche Comté signaux, Nadia signalisation, Signalisation France, Aximum, Sodilor et 3M France, en indemnisation du préjudice causé par les pratiques anticoncurrentielles sanctionnées par l'Autorité.
Examen des moyens
Sur le quatrième moyen du pourvoi principal, pris en ses deuxième et troisième branches
5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le premier moyen du pourvoi incident de la société Franche Comté signaux, qui est préalable
Enoncé du moyen
6. La société France Comté signaux fait grief à l'arrêt de dire que l'action en responsabilité intentée par la société EMC2 et M. Barrettara n'est pas prescrite, alors :
« 1°) qu'aux termes de l'article 2270-1 ancien du code civil applicable avant l'entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008, le délai de prescription d'une action en responsabilité civile extracontractuelle, d'une durée de dix ans, commençait à courir à compter de la réalisation du dommage ou de la date à laquelle il était révélé à la victime si celle-ci établissait qu'elle n'en avait pas eu précédemment connaissance ; qu'en l'espèce, les juges du fond ont constaté que M. Barrettara connaissait l'existence d'ententes dans le secteur de la signalisation verticale depuis 1987 et que l'administrateur judiciaire de la société EMC2 avait indiqué que cette société avait dès 1999 adapté sa politique commerciale pour contrevenir à l'entente litigieuse ; qu'en retenant que seule la décision de l'Autorité de la concurrence du 22 décembre 2010 décrivant le fonctionnement des pratiques anticoncurrentielles, leur durée et la participation respective de chacun des membres était de nature à permettre à la société EMC2 et à M. Barrettara d'agir utilement en réparation, quand il s'évinçait de ses propres constatations que la première manifestation du dommage, point de départ de la prescription décennale à l'époque des faits, avait eu lieu en 1999 et que la société EMC2 et M. Barrettara étaient dès cette date en mesure d'agir, peu important qu'ils n'aient pas eu une connaissance détaillée du fonctionnement du cartel, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
2°) qu'en toute hypothèse, aux termes de l'article 2224 du code civil issu de la loi du 17 juin 2008, les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer ; qu'en l'espèce, les juges du fond ont constaté que M. Barrettara connaissait l'existence d'ententes dans le secteur de la signalisation verticale depuis 1987 et que l'administrateur judiciaire de la société EMC2 avait indiqué que cette société avait dès 1999 adapté sa politique commerciale pour contrevenir à l'entente litigieuse ; qu'en retenant que seule la décision de l'Autorité de la concurrence du 22 décembre 2010 décrivant le fonctionnement des pratiques anticoncurrentielles, leur durée et la participation respective de chacun des membres était de nature à permettre à la société EMC2 et à M. Barrettara d'agir utilement en réparation, quand il s'évinçait de ses propres constatations que le dommage s'était déjà manifesté en 1999 à la société EMC2 et M. Barrettara, de sorte que la prescription avait commencé à courir à cette date, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
3°) que subsidiairement, la société EMC2 et M. Barrettara soutenaient dans leurs conclusions d'appel qu'ayant racheté en septembre 1997 une unité de production de produits de signalisation verticale, cette société était devenue « un concurrent à éliminer », et qu'elle avait été contrainte par les agissements du cartel de revendre à perte cette unité de production en juin 2001, reconnaissant ainsi qu'elle connaissait, au plus tard à cette date, l'existence du cartel litigieux et ses effets dommageables ; que la cour d'appel a constaté elle-même que le préjudice de la société EMC2 avait cessé en juin 2001 ; qu'il en résulte que le préjudice était entièrement réalisé à cette date et que M. Barrettara et la société EMC2 avaient connaissance des faits leur permettant de l'exercer, de sorte que l'action en réparation intentée en mars 2012 était prescrite ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a violé les articles 2270-1 ancien et 2224 du code civil. »
Réponse de la Cour
7. L'arrêt retient d'abord, par motifs propres, qu'il ne peut s'inférer des fonctions assumées, antérieurement à 1995, par M. Barrettara au sein de deux sociétés « pivots de l'entente », qu'il avait une connaissance de l'existence et du périmètre du cartel, organisé entre 1997 et le 14 mars 2006, entre les leaders du secteur et condamné par décision de l'Autorité du 22 décembre 2010 au titre duquel la réparation du préjudice est poursuivie, dès lors qu'aucune continuité ne peut être établie entre ce cartel et les pratiques antérieures ayant affecté le secteur entre 1994 et 1996 et condamnées par décision du Conseil de la concurrence du 4 février 2003. Il retient également, par motifs adoptés, que si M. Barrettara ne pouvait pas ignorer l'existence d'un cartel pendant toute sa période d'activité, il a occupé pendant seulement trois mois les fonctions de directeur commercial régional d'une filiale de la société Signaux Girod, de sorte qu'il ne connaissait pas avec exactitude, le fonctionnement et tous les membres composant le cartel.
8. L'arrêt retient ensuite que la circonstance, relevée dans le rapport de l'administrateur judiciaire de la société EMC2, selon laquelle cette société avait, dès 1999, adapté sa politique commerciale pour résister à l'entente, n'établit pas qu'elle avait, à cette époque, une connaissance exacte des modalités du cartel et de ses membres, dépassant la simple rumeur.
9. L'arrêt retient enfin que seule la décision de l'Autorité du 22 décembre 2010 décrit le fonctionnement précis du cartel et des abus de position dominante en cause, leur durée et la participation de chacun de ses membres.
10. En l'état de ces constatations et appréciations, faisant ressortir que la connaissance d'ententes préexistantes et distinctes ou celle, imprécise, du cartel en cause, ne permettait pas à M. Barrettara et à la société EMC2 de déterminer si un préjudice leur avait bien été causé, et par quels opérateurs, et que seule la décision de l'Autorité avait révélé le dommage aux victimes et leur avait permis d'agir en réparation contre les auteurs identifiés de pratiques mises au jour, la cour d'appel a pu fixer le point de départ de la prescription à la date de la décision de l'Autorité, peu important que le dommage ait cessé avant cette date.
11. Le moyen, pour partie inopérant, n'est pas fondé pour le surplus.
Sur le second moyen de ce pourvoi
Enoncé du moyen
12. La société Franche Comté signaux fait grief à l'arrêt de la condamner, in solidum avec les sociétés Signaux Girod, Lacroix signalisation, Aximum et Signalisation France, à payer à la société EMC2 la somme de 100 000 euros en réparation de son préjudice de 1997 à juin 2001, alors « que l'action en responsabilité suppose un lien de causalité entre la faute et le préjudice ; qu'en l'espèce, la société Franche Comté signaux faisait valoir qu'elle n'avait participé au cartel qu'à compter de 2002, soit postérieurement à la sortie du marché de la société EMC2 en juin 2001 ; qu'en retenant néanmoins, pour retenir sa responsabilité, qu'elle avait, avant 2002, bénéficié de « compensations » pour certains marchés et avait bénéficié de certains marchés à commande, comme le marché du Doubs (1999-2001), sans rechercher en quoi ces faits avaient contribué au préjudice à la société EMC2, et si cette dernière avait elle-même soumissionné à l'attribution du marché du Doubs, la cour d'appel, qui n'a pas caractérisé le lien de causalité entre la faute imputée à la société Franche Comté signaux et le préjudice subi par la société EMC2, a violé l'article 1382 devenu 1240 du code civil. »
Réponse de la Cour
13. L'arrêt relève que les entreprises membres du cartel ont pratiqué, en réponse aux appels d'offres des collectivités, des prix d'éviction lorsque des entreprises non-membres de l'entente soumissionnaient en concurrence avec elles.
14. L'arrêt constate ensuite que les opérateurs non-membres de l'entente n'ont pu déposer d'offres compétitives, dans les cas où ils choisissaient de répondre à des appels d'offres ou à des consultations hors appels d'offres, puisque les membres de l'entente proposaient alors des prix très bas, et que le prix étant un facteur prédominant de sélection, ils ont perdu un certain nombre de marchés.
15. L'arrêt retient que la société EMC2, active sur le marché concerné par le cartel de 1997 à 2001 et placée en tête d'une liste noire, a nécessairement subi les effets du cartel.
16. L'arrêt relève enfin que si l'Autorité ne date pas précisément l'entrée de la société France Comté signaux dans la collusion, il résulte de sa décision que cette société était bénéficiaire de l'entente, avant 2002 et au moins dès 1999, par le biais de « compensations » sur certains marchés, même si sa participation a été plus intermittente que celle des meneurs de l'entente.
17. En l'état de ces constatations et appréciations, faisant ressortir la participation, dès 1999, de la société France Comté signaux, à l'entente dont elle a établi la portée dommageable, la cour d'appel, qui en a déduit que cette société était également responsable du préjudice subi, de 1999 à juin 2001, par la société EMC2, avant sa sortie du marché, a, sans avoir à faire la recherche inopérante invoquée, légalement justifié sa décision.
18. Le moyen n'est donc pas fondé.
Sur le premier moyen du pourvoi principal
Enoncé du moyen
19. M. Barrettara et la société EMC2 font grief à l'arrêt de dire que la société EMC2 a seulement été active sur le marché de septembre 1997 à juin 2001, de limiter à la somme de 100 000 euros l'indemnisation de son préjudice sur cette seule période, de les débouter de leurs demandes à l'encontre des sociétés Sodilor, 3M France et Nadia signalisation et de débouter la société EMC2 de sa demande de publication de l'arrêt, alors :
« 1°) que le bien-fondé de l'action en indemnisation de pratiques anticoncurrentielles exige seulement l'existence de faits fautifs générateurs d'un préjudice et n'est pas subordonné à la présence active sur le marché concerné de l'opérateur économique qui en est victime ; que les ententes et abus de position dominante qui ont pour objet ou pour effet d'évincer des opérateurs économiques d'un marché affectent son fonctionnement et causent nécessairement un préjudice aux opérateurs qui en sont la cible ; qu'en excluant par principe que la société EMC2 ait pu être victime entre 2001 et 2006 des pratiques anticoncurrentielles constatées par l'Autorité au motif inopérant que la société EMC2 ne démontrait pas avoir eu une présence « active » dans le secteur du négoce de produits de signalisation routière verticale après la cession de son unité de production en juin 2001, la cour d'appel a violé l'article 1382 devenu 1240 du code civil ;
2°) qu'il résulte des constatations de l'arrêt attaqué que le cartel avait développé une entente anticoncurrentielle visant à exclure du marché de la signalisation routière verticale les sociétés inscrites sur une « liste noire », que la société EMC2 avait continué à figurer en tête de cette liste, régulièrement réactualisée par les membres de l'entente, après la cession de son unité de production, qu'elle justifiait avoir soumissionné, sans succès, au marché public de signalisation routière du Val-d'Oise en février 2006 et qu'elle produisait une attestation d'une ancienne salariée faisant référence à des appels d'offres auxquels elle avait répondu dans le « domaine de la signalisation routière » après 2001 ; qu'en ne recherchant pas si, pris dans leur ensemble, ces éléments n'établissaient pas qu'après 2001, la société EMC2 avait continué à subir les pratiques anticoncurrentielles affectant le marché de la signalisation routière verticale, la cour d'appel a privé son arrêt de base légale au regard de l'article 1382 devenu 1240 du code civil ;
3°) que dans l'attestation produite par la société EMC2 sous la pièce n° 25, Mme Racine, employée par la société EMC2 de 1993 à 2005 en qualité d'assistante commerciale, a témoigné avoir eu durant cette période « comme mission principale la réponse aux appels d'offre et la préparation des mémoires techniques dans le domaine de la signalisation routière notamment des panneaux » ; qu'en affirmant que cette attestation ne précisait pas si les appels d'offre auxquels la société EMC2 avait répondu « dans le domaine de la signalisation routière » concernait la signalisation routière verticale quand son auteur a expressément spécifié qu'il s'agissait de « panneaux », la cour d'appel a dénaturé cette attestation et a violé l'obligation faite au juge de ne pas dénaturer les documents de la cause. »
Réponse de la Cour
20. L'arrêt relève d'abord que les pratiques anticoncurrentielles d'entente sanctionnées par l'Autorité ont présenté deux formes distinctes, l'une, consistant, pour les entreprises membres du cartel, à pratiquer, en réponse aux appels d'offres des collectivités portant sur des panneaux, des prix d'éviction lorsque des entreprises non membres de l'entente soumissionnaient en concurrence avec elles, l'autre, consistant à vendre aux entreprises, non productrices de panneaux de signalisation routière verticale, des produits à des prix non compétitifs, interdisant à celles-ci, tributaires des fournitures des membres de l'entente, de pouvoir soumissionner avec quelque chance de succès en concurrence avec elles.
21. L'arrêt constate ensuite que la société EMC2 était présente sur le marché des produits de signalisation routière verticale en tant que producteur de panneaux et possible soumissionnaire aux marchés lancés par les collectivités, dès l'acquisition de son unité de production, soit en septembre 1997, et jusqu'à la vente de celle-ci en juin 2001, et qu'elle a exercé ultérieurement une activité de négociant-revendeur des produits concernés jusqu'en mars 2006.
22. L'arrêt relève également que l'offre relative au marché public de signalisation routière du Val-d'Oise présentée en février 2006 par la société EMC2 a été éliminée à cause du défaut de certification Afnor au titre de la signalisation routière verticale et en déduit que ce fait ne corrobore pas la présence de la société EMC2 comme revendeur, sur le marché de la signalisation verticale.
23. L'arrêt retient que la figuration de la société EMC2 en tête de « liste noire » du 10 mai 2005 des entreprises à éliminer par l'entente ainsi que dans d'autres listes noires antérieures ne suffit pas à démontrer qu'elle était encore en activité sur le marché pertinent après 2001, la mention de la société pouvant résulter de l'incertitude des membres de l'entente sur le comportement à venir de la société EMC2 ou d'une mauvaise actualisation des données.
24. S'agissant enfin de l'attestation visée par la troisième branche, dont l'interprétation était rendue nécessaire par son ambiguïté, que ne levait pas l'emploi du terme panneau dès lors qu'était recherchée la preuve de la présence de la société EMC2 sur le seul marché de la signalisation routière verticale, l'arrêt retient, sans la dénaturer, que cette attestation, invoquée au soutien de l'existence de réponses, par la société EMC2, à des appels d'offres dans le domaine de la signalisation routière ne précise pas s'il s'agissait de la signalisation routière verticale ou de la signalisation lumineuse.
25. En l'état de ces constatations et appréciations, c'est dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation des éléments de preuve qui lui étaient soumis, relatifs à la nature exacte de l'activité exercée, après 2001, par la société EMC2, vainement critiqué, sous couvert de manque de base légale, par la deuxième branche, que la cour d'appel a, sans subordonner par principe la réparation d'un préjudice à la preuve de l'exercice d'une activité effective sur le marché affecté par les pratiques, retenu qu'à compter de la vente de son unité de production en juin 2001, la société EMC2 n'avait pu être affectée par les pratiques incriminées dans l'activité qu'elle avait exercée à partir de cette date, cependant qu'elle l'avait été pour la période antérieure dans son activité de producteur soumissionnaire aux appels d'offres, et a exclu, en conséquence, tout lien de causalité, durant une partie de la période du cartel, entre les pratiques anticoncurrentielles établies et le dommage invoqué par la société EMC2.
26. Par conséquent, le moyen n'est fondé en aucune de ses branches.
Sur le deuxième moyen de ce pourvoi
Enoncé du moyen
27. La société EMC2 et M. Barrettara font grief à l'arrêt de dire que la société EMC2 a seulement été active sur le marché de septembre 1997 à juin 2001, de limiter à la somme de 100 000 euros l'indemnisation de son préjudice sur cette seule période, de les débouter de leurs demandes à l'encontre de la société Sodilor et de débouter la société EMC2 de sa demande de publication de l'arrêt, alors :
« 1°) que l'Autorité a relevé, concernant les pratiques mises en œuvre par la société Sodilor sur le marché de la signalisation plastique, que celle-ci « a, d'une part, refusé de vendre à un fabricant de produits de signalisation routière verticale et d'équipements de sécurité et de balisage (Signal Concept) les délinéateurs de type J6 qu'elle était seule à fabriquer avec la société SAAM et de lui délivrer les « autorisations de négoce » exigées par les acheteurs publics. Elle a, d'autre part, exercé des pressions sur certains maîtres d'ouvrage publics pour les convaincre d'introduire dans leurs cahiers des charges des caractéristiques techniques correspondant précisément à celles des délinéateurs de type J6, alors que cet équipement ne représentait qu'une part infime des achats des collectivités concernées. L'ensemble de ces pratiques, qui sont le fait d'une entreprise en position dominante, ont eu notamment pour effet de limiter la concurrence dans le cadre de l'organisation de plusieurs appels d'offres en empêchant une société concurrente de soumissionner aux marchés publics de signalisation plastique lorsque la fourniture d'équipements correspondant aux délinéateurs de type J6 était requise. Elles constituent donc un abus de position dominante au sens de l'article L. 420-2 du code de commerce et de l'article 82 CE » ; que concernant la gravité de ces pratiques, l'Autorité a constaté qu'elles « ont eu un effet perturbateur sur le marché dans son ensemble et non pas seulement sur la fraction de marché correspondant aux produits qu'elle fabriquait. En excluant certains opérateurs de sa clientèle, Sodilor a en effet pu décourager de potentiels clients qui n'ont pas établi de commandes par anticipation d'un refus de sa part. De manière plus générale, la coordination des principaux producteurs de panneaux de signalisation verticale en France cumulée avec les pratiques de refus de vente de Sodilor concernant des produits indispensables à certains appels d'offres ont indéniablement contribué à l'atonicité du marché par l'exclusion et le découragement de la concurrence mais aussi des entrants potentiels » ; qu'en affirmant, pour débouter la société EMC2 de son action à l'encontre de la société Sodilor, que cette dernière avait exclusivement été sanctionnée pour avoir entravé l'approvisionnement de la société Signal Concept en un modèle de balise en plastique de type J6 entre 2001 et 2007, la cour d'appel a dénaturé la décision n° 10-D-39 du 22 décembre 2010 de l'Autorité et a violé l'obligation faite au juge de ne pas dénaturer les documents de la cause ;
2°) qu'en s'abstenant de rechercher, ainsi qu'elle était invitée à le faire, si, en restreignant la concurrence sur le marché des équipements de signalisation plastique homologués inclus dans de nombreux marchés publics, par l'exclusion de certains opérateurs de sa clientèle et par les pressions exercées par les maîtres d'ouvrages publics pour introduire, dans leurs cahiers des charges, les caractéristiques techniques des délinéateurs qu'elle commercialisait, la société Sodilor n'avait pas commis des faits de nature à engager sa responsabilité à l'égard de la société EMC2 et de M. Barrettara, la cour d'appel a privé son arrêt de base légale au regard de l'article 1382 devenu 1240 du code civil. »
Réponse de la Cour
28. L'arrêt constate que l'abus de position dominante imputé à la société Sodilor a été commis sur le marché des équipements de sécurité et de balisage en matière plastique de 2001 à 2007 et qu'à partir de 2001, la société EMC2 a cédé son activité de producteur de panneaux de signalisation verticale, n'agissant plus que comme négociant-revendeur de tels produits.
29. L'arrêt retient que la société EMC2 et M. Barrettara n'apportent aucun commencement de preuve d'un refus de vente qui leur aurait été opposé par la société Sodilor et qui aurait empêché la société EMC2 de concourir à un appel d'offres.
30. En l'état de ces constatations et appréciations, faisant ressortir que la pratique, invoquée par la première branche et relevée par l'Autorité à la charge de la société Sodilor, ayant consisté, entre 2001 et 2007, à opérer des pressions sur les maîtres d'ouvrage pour que les appels d'offres contiennent des spécifications techniques auxquelles seuls les produits fabriqués par la société Sodilor répondaient, se distinguant du refus de vente également retenu à la charge de la société Sodilor, ne pouvait avoir causé un dommage à la société EMC2 à la suite de son changement d'activité après 2001, la cour d'appel, qui n'avait pas à faire la recherche invoquée par la deuxième branche, que ses constatations relatives au refus de vente mis à la charge de la société Sodilor par l'Autorité mais non établi au préjudice de la société EMC2 rendaient inopérante, a légalement justifié sa décision.
31. Le moyen n'est donc pas fondé.
Sur le troisième moyen de ce pourvoi
Enoncé du moyen
32. La société EMC2 et M. Barretara font grief à l'arrêt de dire que la société EMC2 a seulement été active sur le marché de septembre 1997 à juin 2001, de limiter la condamnation des sociétés Signaux Girod, Lacroix signalisation et Aximum à 100 000 euros et de débouter la société EMC2 de sa demande de publication de l'arrêt, alors :
« 1°) que le juge ne peut pas refuser d'évaluer le montant des préjudices résultant de pratiques anticoncurrentielles dont il constate l'existence en leur principe au prétexte que les éléments fournis sont insuffisants pour procéder à cette évaluation ; qu'en l'espèce, il résulte des constatations de l'arrêt attaqué que l'Autorité avait souligné que « de l'aveu même de certains participants à l'entente, celle-ci avait tendu à rendre plus difficile, sinon impossible, l'activité des petits opérateurs qui n'y participaient pas », que les opérateurs non membres de l'entente avaient perdu un certain nombre de marchés puisqu'ils n'avaient pas pu déposer d'offres compétitives compte tenu des prix très bas proposés par les membres du cartel, que la société EMC2, active sur le marché de 1997 à 2001 et placée en tête de la liste noire des entreprises concurrentes à évincer établie par les membres de l'entente, avait nécessairement subi les effets du cartel et que sur la période où elle avait été « active » sur le marché de la signalisation routière, la société EMC2 avait subi une baisse constante de son chiffre d'affaires ; qu'en refusant d'évaluer le préjudice commercial de la société EMC2, dont elle a pourtant constaté l'existence en son principe, au motif que la société ne fournissait aucun élément matériel sur les appels d'offre perdus, la cour d'appel a violé l'article 4 du code civil ;
2°) qu'en retenant qu'il ne pouvait être tenu pour acquis que l'intégralité de la baisse du chiffre d'affaires de la société EMC2 à compter de 2000 était la résultante de l'entente illicite pour refuser de l'indemniser à ce titre, sans rechercher si les pratiques et manœuvres anti-concurrentielles du cartel, lesquelles avaient pour objet et pour effet d'évincer les opérateurs non membres au profit des membres qui se partageaient 90 % du marché de la signalisation routière verticale, n'avaient pas contribué à la baisse du chiffre d'affaires de la société EMC2 qui était donc fondée à être indemnisée, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 devenu 1240 du code civil ;
3°) que l'Autorité a établi l'existence d'une entente anticoncurrentielle ayant eu pour objet et pour effet, de 1997 à 2006, d'exclure du marché de la signalisation routière verticale les entreprises concurrentes qui figuraient sur une liste noire établie par ses membres ; qu'il résulte des constatations de l'Autorité, visées par l'arrêt attaqué, que le cartel avait affecté la totalité du territoire national puisqu'il concernait « la quasi-totalité des marchés passés par l'État, les collectivités territoriales et les services chargés de la gestion des autoroutes dans le secteur de la signalisation routière verticale », étant « visés tant les marchés à bons de commande, c'est-à-dire les marchés triennaux ou quadriennaux, par départements ou par villes de plus de 10 000 habitants, que les consultations formalisées et les consultations hors appels d'offres émanant de différents demandeurs (collectivités territoriales et clients privés de toute nature) » et que la part des membres du cartel dans le marché de la signalisation routière verticale, estimé à l'époque à environ 300 millions d'euros par an, oscillait autour de 90 % ; que l'arrêt constate également que l'Autorité avait souligné l'entrave à l'accès au marché de petites et moyennes entreprises non membres du cartel et que, « de l'aveu même de certains des participants à l'entente, celle-ci a tendu à rendre plus difficile, sinon impossible, l'activité des petits opérateurs qui n'y participaient pas » ; que l'arrêt relève encore que la société EMC2, active sur le marché de 1997 à 2001, et placée en tête de la liste noire établie par les membres de l'entente, avait nécessairement subi les effets du cartel ; qu'en retenant néanmoins, pour limiter l'indemnisation de la société EMC2, qu'aucun élément ne venait corroborer l'existence d'un lien de causalité entre les pratiques anticoncurrentielles du cartel et la sortie de la société EMC2 du marché par la vente de son unité de production de produits de signalisation routière en juin 2001, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations et a violé l'article 1382 devenu 1240 du code civil ;
4°) que la réparation d'une perte de chance ne peut être forfaitaire mais doit être mesurée à la chance perdue ; qu'en fixant à la somme forfaitaire de 100 000 euros l'indemnisation du préjudice résultant de la perte de chance pour la société EMC2 de se développer du fait des pratiques anticoncurrentielles du cartel, la cour d'appel a violé l'article 1382 devenu 1240 du code civil, ensemble le principe de la réparation intégrale du préjudice. »
Réponse de la Cour
33. Se fondant sur la décision de l'Autorité, l'arrêt retient que l'entente a tendu à rendre plus difficile, sinon impossible, l'activité des petits opérateurs qui n'y participaient pas et que ces derniers n'ont pu déposer d'offres compétitives dans les cas où ils choisissaient de répondre à des appels d'offres ou à des consultations hors appels d'offres, puisque les membres de l'entente proposaient alors des prix très bas.
34. L'arrêt retient que la société EMC2 ne fournit aucun élément matériel portant sur les appels d'offres qu'elle aurait perdus durant la période litigieuse et qu'elle ne peut soutenir que l'intégralité de la baisse de son chiffre d'affaires, à partir de 2000 par rapport à 1999, résulte de l'entente, sans en rapporter la preuve, ajoutant que la société EMC2 ne peut, en réalité, qu'alléguer une perte de chance de remporter des marchés puisque, même à supposer les marchés non faussés par le cartel, elle n'était pas sûre de les remporter, le prix, bien qu'étant un critère d'attribution important, n'étant pas le seul élément d'évaluation et le succès de soumission à un marché étant par définition affecté d'un aléa.
35. L'arrêt relève enfin que la société EMC2 est volontairement sortie du marché des panneaux de signalisation routière verticale en 2001 et qu'aucun élément ne vient corroborer ses allégations selon lesquelles les pratiques du cartel l'auraient conduite à vendre cette unité de fabrication.
36. En l'état de ces constatations et appréciations, dont elle a exactement déduit que le préjudice causé à la société EMC2 était constitué seulement par une perte de chance, dont elle a souverainement évalué le montant, la cour d'appel, qui n'a pas refusé d'évaluer un chef de préjudice dont elle aurait admis le principe, n'a pas méconnu les textes visés au moyen et a légalement justifié sa décision.
Sur le quatrième moyen de ce pourvoi, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
37. M. Barrettara fait grief à l'arrêt de confirmer le jugement en ce qu'il dit qu'il est irrecevable en ses demandes à l'exception du préjudice moral et en ce qu'il le déboute de sa demande de dommages-intérêts au titre de son préjudice moral, alors « que dans les motifs de son arrêt, la cour d'appel a déclaré M. Barrettara recevable à agir en réparation de ses préjudices personnels et distincts de la société EMC2 sans préjudice de l'examen du bien-fondé de ses demandes ; qu'en confirmant néanmoins le jugement en ce qu'il a déclaré M. Barrettara irrecevable en ses demandes à l'exception de son préjudice moral, la cour d'appel a entaché sa décision d'une contradiction entre ses motifs et son dispositif et a violé l'article 455 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
38. La contradiction existant entre les motifs et le dispositif du jugement confirmé par la cour d'appel procède d'une erreur purement matérielle qui peut, selon l'article 462 du code de procédure civile, être réparée par la Cour de cassation.
39. Le moyen ne peut donc être accueilli.
Sur le désistement conditionnel formée par la société Aximum
40. Le rejet du pourvoi principal conduit à donner acte à la société Aximum de son désistement du pourvoi incident.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les pourvois incidents des sociétés Signalisation France, Société de Diffusion Lorraine-Sodilor, Signaux Girod, 3M France et Lacroix signalisation, qui ne sont qu'éventuels, la Cour :
Réparant l'erreur matérielle affectant l'arrêt attaqué, dit que dans son dispositif, au lieu de lire :
« Confirme le jugement entrepris, sauf sur la période d'indemnisation de la société EMC2, sur la mise hors de cause de la société Aximum, sur le quantum des dommages-intérêts alloués la société EMC2, sur le partage des responsabilités et sur la condamnation à publication du jugement, »,
il faut lire :
« Confirme le jugement entrepris, sauf sur la période d'indemnisation de la société EMC2, sur la mise hors de cause de la société Aximum, sur le quantum des dommages-intérêts alloués à la société EMC2, sur le partage des responsabilités et sur la condamnation à publication du jugement et en ce qu'il dit que M. Jean-Jacques Barrettara est irrecevable en ses demandes à l'exception de son préjudice moral, » ;
REJETTE le pourvoi principal ;
REJETTE le pourvoi incident formé par la société France Comté signaux.