CA Aix-en-Provence, ch. 3-1, 28 janvier 2021, n° 17/07768
AIX-EN-PROVENCE
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
BM Développement (EURL), BM Tech 1 (EURL)
Défendeur :
Dépil Tech (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Calloch
Conseillers :
M. Folhen, Mme Berquet
FAITS ET PROCÉDURE
Par acte en date du 10 janvier 2014, l'EURL BM DEVELOPPEMENT représentée par son gérant, Monsieur X, a signé avec la société CENTRE DEPILATION COTE D'AZUR DEPIL TECH, ci-après société DEPIL TECH, un contrat de franchise pour l'exploitation du concept et de la marque DEPIL TECH par un fonds de commerce situé à ANGERS.
L'EURL BM DEVELOPPEMENT a signé avec la société DEPIL TECH un second contrat de franchise concernant l'exploitation d'un fonds de commerce situé à CHOLLET le 13 mars 2014 puis un troisième le 25 août 2014 concernant l'exploitation d'un fonds de commerce situé à LA ROCHE-SUR-YON.
La société BM DEVELOPPEMENT a versé un droit d'entrée de 20 000 € HT pour les fonds de commerce situés à ANGERS et CHOLLET, et un droit d'entrée de 22 000 € pour le fonds de commerce situé à LA ROCHE-SUR-YON.
Seul le contrat de franchise du fonds de commerce d'ANGERS a été exploité. Selon avenant en date du 11 septembre 2014, il a été transféré au profit de la société BM TECH 1.
La société BM TECH 1 a été placée en liquidation judiciaire par jugement du tribunal de commerce d'ANGERS en date du 24 février 2016.
Par acte en date du 21 avril 2016, L'EURL BM DEVELOPPEMENT et L'EURL BM TECH 1 ont fait assigner devant le tribunal de commerce de NICE la société DEPIL TECH afin de faire prononcer la nullité des trois contrats de franchise et obtenir la condamnation de la défenderesse à verser à la société BM DEVELOPPEMENT les sommes de 64 000 € et 15 000 € de dommages intérêts et à la société BM TECH 1 représentée par maître M. les sommes de 1 372 748 € 55 et 15 000 € de dommages intérêts, outre 10 000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Suivant jugement en date du 22 mars 2017, le tribunal a débouté les sociétés BM DEVELOPPEMENT et BM TECH 1 de l'intégralité de leurs demandes, a constaté que les droits d'entrées versés n'étaient pas récupérables et les a condamnées à verser à la société DEPIL TECH une somme de 500 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.
La société BM DEVELOPPEMENT et la société BM TECH 1 représentée par Maître Y, liquidateur, ont interjeté appel par déclaration enregistrée au greffe le 21 avril 2017.
Par jugement du tribunal de commerce de NICE en date du 24 mai 2018, la société DEPIL TECH a été placée sous sauvegarde. Un plan de sauvegarde a été adopté par jugement en date du 27 décembre 2019 et la SELARL BG & ASSOCIES a été désignée en qualité de commissaire à l'exécution.
Suivant ordonnance en date du 6 mars 2018, le conseiller de la mise en état a déclaré irrecevables les conclusions déposées par la société DEPIL TECH, intimée, le 13 septembre 2017. Cette ordonnance a été confirmée par arrêt de la cour en date du 28 mars 2019.
Le conseiller de la mise en état a prononcé la clôture de l'instruction par ordonnance en date du 20 décembre 2019 et a renvoyé l'affaire à l'audience du 23 janvier 2020. A cette date, l'affaire a été renvoyée à la demande des avocats, suite à un mouvement de grève du barreau, à l'audience du 22 juin 2020. Les avocats ayant refusé que l'affaire soit évoquée à cette date sans audience en application de l'article 8 de l'ordonnance 2020-304 du 25 mars 2020, celle-ci a été à nouveau renvoyée à l'audience du 7 décembre 2020.
A l'appui de leur appel, par conclusions déposées au greffe le 6 décembre 2019, les sociétés BM DEVELOPPEMENT et BM TECH 1 soulèvent la nullité des contrats de franchise pour illicéité de l'objet et de la cause, rappelant qu'en application de l'article 2-5 de l'arrêté du 6 janvier 1962 toujours en vigueur, l'épilation par laser, objet de leur activité, ne peut être effectuée que par un médecin. Ils se fondent pour ce faire sur des décisions judiciaires, tant pénales que civiles, ainsi que sur une réponse ministérielle. Elles soulèvent ensuite, sur le même fondement factuel, la nullité de ces mêmes contrats pour défaut d'objet et de cause et sur le dol, leur cocontractant leur ayant fourni des indications volontairement erronées sur les conditions d'exercice de l'activité d'épilation par laser. Elles excipent en outre du caractère erroné et mensonger des éléments comptables fournis lors des pourparlers transactionnels et de la Documentation d'Information Précontractuelle (DIP), non conforme aux dispositions de l'article L. 330-3 du Code de commerce. Enfin, les sociétés excipent des dispositions de l'article L. 442-5 du Code de commerce en rappelant que les prix des prestations étaient imposés par le franchiseur. Elles invoquent les différents investissements par elles consenties pour commencer l'exploitation du fonds pour chiffrer leur préjudice, notamment les salaires et indemnités prud'homales versées, les loyers et le préjudice financier. Elles invoquent par ailleurs un préjudice moral, ainsi que le caractère non fondé du droit d'entrée versé pour la zone de NIORT. Au terme de leurs conclusions, elles demandent à la cour d'infirmer la décision entreprise et de :
Prononcer la nullité des trois contrats de franchises conclus le 10 janvier 2014, le 13 mars 2014 et le 25 août 2014 ;
Constater en conséquence la nullité de l'avenant conclu le 10 septembre 2014 ;
Fixer la créance de 64 000€ HT de la société BM DEVELOPPEMENT, au passif de la société DEPIL TECH ;
Fixer la créance de 1 312 248,55 € HT, sauf à parfaire, de la société BM TECH 1 et Me Y es qualité, au passif de la société DEPIL TECH ;
Fixer la créance de 15 000 € HT de la société BM DEVELOPPEMENT à titre de dommages et intérêts, au passif de la société DEPIL TECH ;
Fixer la créance de 15 000 € HT, sauf à parfaire, de la société BM TECH 1 et Me Y es qualité, à titre de dommages et intérêts, au passif de la société DEPIL TECH
Dire que ces sommes porteront intérêt au taux légal à compter de la signification de l'assignation introductive d'instance ;
Fixer la créance de 10 000 € de la société BM DEVELOPPEMENT au titre de l'indemnité de procédure prévue à l'article 700 du Code de Procédure Civile, au passif de la société DEPIL TECH ;
Fixer la créance de 10 000 € de la société BM TECH 1 et Me Y au titre de l'indemnité de procédure prévue à l'article 700 du Code de Procédure Civile, au passif de la société DEPIL TECH ;
Condamner la société DEPIL TECH aux entiers dépens de l'instance.
Suivant conclusions déposées au greffe le 22 janvier 2020, la SELARL BG & ASSOCIES est intervenue volontairement à la cause en qualité de commissaire à l'exécution du plan. Sur le fond, elle conclut à la confirmation de la décision déférée en affirmant que l'objet du contrat de franchise est parfaitement licite, la technique de l'activité de dépilation à la lumière pulsée n'étant pas réglementairement réservée aux seuls médecins. L'arrêté du 6 janvier 1962 invoqué par la partie appelante aurait été déclaré illégal par arrêt du Conseil d'Etat en date du 8 novembre 2019 et aucune disposition réglementaire ne régissant à ce jour la technique dépilatoire considérée, comme l'aurait au demeurant reconnu l'agence nationale de sécurité sanitaire (ANSES), tandis que le règlement UE 2017/745 rendrait cet acte à visée esthétique parfaitement licite.
Sur l'existence d'un dol, elle affirme que le franchisé était parfaitement informé du contexte juridique entourant la technique de dépilation et que les informations données dans le DIP sur l'aspect comptable n'avaient aucun caractère trompeur. Elle rappelle au demeurant qu'il existe 120 centres franchisés sur le territoire national, ce qui démontrerait la rentabilité de l'activité, et elle se réfère sur ce point à la jurisprudence de la présente cour. Enfin, elle indique que la pratique consistant à imposer des prix conseillés est parfaitement licite et sans rapport avec la prohibition édictée par l'article L. 442-5 du code de commerce.
Subsidiairement, la société BG & ASSOCIES affirme que la partie appelante ne démontre nullement les préjudices invoqués et le lien de causalité avec les griefs exposés. Elle conclut en conséquence à la confirmation de la décision, subsidiairement au débouté de toutes les demandes et en toute hypothèse à la condamnation des sociétés BM TECH 1 et BM DEVELOPPEMENT au paiement d'une somme de 3 000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur l'intervention volontaire de la SELARL BG & ASSOCIES
En application de l'article 802 du code de procédure civile, les demandes en interventions volontaires sont recevables même après le prononcé de l'ordonnance de clôture ; les conclusions d'interventions déposées par la SELARL BG & ASSOCIES le 22 janvier 2020, soit un jour après le prononcé de l'ordonnance de clôture, doivent en conséquence être accueillies en leur principe.
L'article L. 626-25 du Code de commerce dispose que les actions qui sont introduites avant le jugement arrêtant le plan et auxquelles l'administrateur ou le mandataire judiciaire sont poursuivies par le commissaire à l'exécution du plan ; en l'espèce, l'action a été introduite par L'EURL BM DEVELOPPEMENT et L'EURL BM TECH 1 antérieurement à l'adoption du plan de sauvegarde et à la désignation de la SELARL BG & ASSOCIES, et alors que la société DEPIL TECH n'avait pas été placée encore en sauvegarde ; l'intervention volontaire du commissaire à l'exécution du plan doit dès lors être jugée recevable.
Sur le fond
Les sociétés BM DEVELOPPEMENT et BM TECH invoquent l'illicéité de l'objet de la cause des contrats de franchise en excipant des dispositions de l'article 5 2° de l'arrêté du 6 janvier 1962 et de différentes décisions judiciaires pour affirmer que la technique de l'épilation par lumière pulsée doit être considérée comme un acte médical ; Force est de constater que par arrêt en date du 8 novembre 2019, le Conseil d'Etat a annulé la décision du ministre des Solidarités et de la Santé refusant d'abroger les dispositions de l'article 5 2° de l'arrête du 6 janvier 1962, se référant pour cela à la liberté d'établissement et à la libre prestation de services garantis par le droit de l'Union européenne ; au vu de cette décision, et en l'absence de tout texte réglementaire régissant actuellement la matière, il convient de constater que l'activité d'épilation par lumière pulsée ne peut être en l'état considérée comme illicite ; le moyen soulevé par les intimées de ce chef sera en conséquence rejeté, et ce quelles que soient les hésitations qui ont pu être créées par des jurisprudences discordantes sur cette question.
Les sociétés franchisées reconnaissent elles-mêmes que le franchiseur est propriétaire de la marque figurative DEPIL TECH ; elle a pu de ce fait utiliser conformément aux contrats non seulement le terme DEPIL TECH, mais aussi le logo et l'enseigne ; elle ne peut soutenir dès lors que les contrats sont nuls pour défaut de cause ou d'objet.
Les documents d'Informations Précontractuelles versés aux débats indiquent de manière claire les aléas juridiques liés à la pratique de l'épilation par lumière pulsée, et leur analyse selon laquelle cette pratique doit être considérée comme licite même sans recours à un docteur en médecine ne peut être qualifiée de trompeuse au vu des éléments rappelés au paragraphe précédent ; par ailleurs, les sociétés appelantes n'apportent aucun élément permettant de considérer que les informations comptables ou provisionnelles contenues dans ces documents seraient erronées ou revêtiraient un caractère trompeur, fut-ce par réticence, et tout particulièrement que les chiffres prévisionnels étaient exagérément optimistes, le seul fait que certains franchisés n'ont pu atteindre les résultats escomptés ne suffisant pas à démontrer le caractère trompeur des éléments fournis.
Enfin, l'échange de courriels invoqué par les appelantes et relatif à la possibilité de proposer à la clientèle des offres et remises ne peut s'analyser comme démontrant la volonté pour le franchiseur d'imposer à ses franchisés un tarif déterminé et obligatoire ; là encore, il ne peut être fait droit à la demande en nullité.
Au vu de l'ensemble de ces éléments, il apparaît que c'est à bon droit que les premiers juges ont rejeté l'intégralité des demandes formées par les sociétés BM DEVELOPPEMENT et BM TECH 1 ; la décision sera en conséquence confirmée.
Les sociétés BM DEVELOPPEMENT et BM TECH 1 succombant en leur appel, elles devront verser une somme de 2 000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS, LA COUR :
- REÇOIT la SELARL BG & ASSOCIES en son intervention volontaire.
- CONFIRME le jugement du tribunal de commerce de NICE en date du 22 mars 2017 dans l'intégralité de ses dispositions,
Ajoutant à la décision déférée,
- CONDAMNE les sociétés BM DEVELOPPEMENT et BM TECH 1 in solidum à verser à LA SELARL BG & ASSOCIES ès qualité la somme de 2 000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.
- MET les dépens in solidum à la charge des sociétés BM DEVELOPPEMENT et BM TECH 1.