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Décisions

Cass. com., 27 janvier 2021, n° 18-22.551

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

PARTIES

Demandeur :

Aquaged (SAS)

Défendeur :

M. Gut, Aquapap Distribution (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Darbois

Rapporteur :

Mme Boisselet

Avocats :

SCP L. Poulet-Odent, SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret, SCP Boulloche

Grenoble, ch. com., du 21 juin 2018

21 juin 2018

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Grenoble, 21 juin 2018) rendu en référé, la société Solustep a pour activité la fabrication et la vente de nutriments destinés aux stations d'épuration d'eaux industrielles. Le 27 février 2009, M. Gut a été nommé en qualité de membre de son conseil d'administration et a été embauché, le 1er avril 2009, en qualité de directeur salarié. Il a démissionné et mis un terme à ses fonctions le 15 septembre 2014 et a quitté l'entreprise à l'issue de son préavis, le 31 octobre 2014.

2. Durant l'exercice de ses fonctions, M. Gut a pris une participation de 50 %, ultérieurement ramenée à 25 %, dans le capital de la société Aquapap distribution (la société Aquapap), créée en septembre 2010, avec pour objet l'achat, la vente, la représentation, le conseil afférent à tous produits consommables et matériels à destination des industriels, des professionnels, des collectivités et, éventuellement, des particuliers.  

3. Le 7 novembre 2016, la société Solustep, soutenant être la victime d'actes de concurrence déloyale imputables à M. Gut et à la société Aquapap, les a assignés en référé afin de voir ordonner une mesure d'expertise sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

4. La société Aquaged, venant aux droits de la société Solustep, fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes tendant à l'organisation d'une mesure d'expertise in futurum, alors : « 1°) que le requérant à une mesure d'instruction avant tout procès ne peut se voir reprocher de ne pas avoir rapporté la preuve des faits que la mesure d'expertise projetée a pour objet d'établir ; qu'en ayant débouté la société Solustep de sa demande visant à l'organisation d'une mesure d'expertise destinée à établir les actes de concurrence déloyale que la société Aquapap et M. Gut lui avaient faits, au motif que la société Solustep n'établissaient pas ces actes de concurrence déloyale, la cour d'appel a violé l'article 145 du code de procédure civile ; 2°) que de simples indices de concurrence déloyale justifient l'organisation d'une mesure d'expertise avant tout procès ; qu'ayant relevé que les sociétés Aquapap et Solustep fournissaient toutes deux des nutriments de bactéries de station d'épuration à la société Cascades, que celle-ci avait cessé toute relation d'affaires avec l'exposante juste après la démission de M. Gut en octobre 2014, lequel était, entre 2010 et 2014, à la fois salarié et administrateur de la société Solustep, sans en déduire une suspicion de concurrence déloyale de nature à justifier l'organisation d'une mesure d'expertise avant tout procès, la cour d'appel a violé l'article 145 du code de procédure civile ; 3°) que le cadre dirigeant d'une société, titulaire en sus d'un mandat social, est tenu d'un devoir de loyauté absolu qui lui interdit de travailler ou de développer une activité concurrente dans une autre société ; qu'en ayant écarté tout acte de concurrence déloyale imputable à M. Gut entre 2010 et 2014, après avoir constaté qu'il cumulait les fonctions d'administrateur et de salarié de la société Solustep pendant cette période et qu'il avait pourtant, pendant le même temps, développé et travaillé pour la société Aquapap, la cour d'appel a violé l'article 145 du code de procédure civile ; 4°) que l'interruption de toute activité commerciale avec un ancien client, juste après le départ d'un salarié de l'entreprise, constitue un indice de concurrence déloyale ; qu'en ayant écarté tout fait de concurrence déloyale à la charge de M. Gut, au motif que l'arrêt des relations commerciales entre les sociétés Solustep et Cascades s'était produit en décembre 2014, soit juste avant la démission de M. Gut, la cour d'appel a violé l'article 145 du code de procédure civile ; 5°) que le secret des affaires ne constitue pas un obstacle à l'organisation d'une mesure d'instruction in futurum ; qu'en ayant, par adoption des motifs du premier juge, jugé que la mesure d'expertise sollicitée portait atteinte au secret des affaires et était insuffisamment limitée, quand, en appel, la société Solustep avait sollicité la communication de documents strictement nécessaires à la preuve des actes de concurrence déloyale imputés à la société Aquapap et à M. Gut, la cour d'appel a violé l'article 145 du code de procédure civile ; 6°) que le risque de dépérissement des preuves ne constitue pas une condition du jeu de l'article 145 du code de procédure civile ; qu'en ayant retenu à la charge de l'exposante, par adoption des motifs du premier juge, le fait de ne pas avoir allégué un risque de dépérissement des preuves à l'appui de sa demande de mesure d'instruction avant tout procès, la cour d'appel a violé l'article 145 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

5. Après avoir énoncé qu'il n'incombait pas à la société Solustep de rapporter la preuve d'actes de concurrence déloyale effectivement commis entre le mois de septembre 2010 et le mois d'octobre 2014 mais d'établir l'existence de circonstances fondant légitimement des soupçons de concurrence déloyale, l'arrêt retient que cette société n'apporte pas la preuve, notamment comptable, de ce que, pendant la période considérée, son activité aurait connu des vicissitudes pouvant être reliées, non seulement à l'activité imputée à M. Gut, au mépris de l'obligation de loyauté à laquelle il était tenu, mais surtout à l'exploitation fautive qu'en aurait faite la société Aquapap. Il relève également que la société Solustep n'apporte pas d'élément au soutien de ses allégations selon lesquelles la société Aquapap aurait noué des relations commerciales concurrentes avec dix de ses clients, l'expert comptable de la société Aquapap indiquant n'avoir relevé aucune transaction de cette société avec ces entreprises. Il retient ensuite, s'agissant plus particulièrement des relations entretenues avec la société Cascades, que le dirigeant de la société Aquapap était, avant la société Solustep, en relations d'affaires avec ce client et que celui-ci n'a donc pas été détourné par la société Aquapap dans le cadre d'une concurrence déloyale. L'arrêt retient encore que si, pendant le temps de sa relation de travail salarié, en qualité de cadre dirigeant, avec la société Solustep, M. Gut est devenu associé de la société Aquapap dans le courant du dernier trimestre 2010 et lui a aussi fourni des prestations de travail entre 2011 et 2015, il n'est pas établi, compte tenu du large domaine d'activité de la société Aquapap, que cette activité parallèle de M. Gut ait été exercée dans un domaine directement concurrent de la société Solustep.

6. Ayant ainsi procédé à une analyse détaillée des faits de la cause, c'est dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation des éléments de nature à étayer des soupçons sérieux de concurrence déloyale imputable à la société Aquapap et à M. Gut, que la cour d'appel, abstraction faite des motifs surabondants critiqués par les cinquième et sixième branches, a retenu que, faute d'éléments suffisants, il n'existait pas de motif légitime justifiant que soit ordonnée la mesure d'instruction demandée.

7. Le moyen, pour partie inopérant, n'est donc pas fondé pour le surplus.

PAR CES MOTIFS,  La Cour : REJETTE le pourvoi.