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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 11, 29 janvier 2021, n° 20/06106

PARIS

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

Régals de Bretagne (SAS), Biscuiterie Pâtisserie Carrée (SAS), Atlantique Productions (SAS)

Défendeur :

Back Holding GmbH (Sté), Ibis Backwarenvertriebs GmbH (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Ardisson

Avocat :

T. com. Rennes, du 22 mars 2016

22 mars 2016

Les sociétés de droit allemand Back-Holding GmbH, venant aux droits des sociétés Pro Back Handelsgesellshaft et Ibis Backwarenvertrieb GmbH (les sociétés Ibis), ayant pour activité la distribution de produits de boulangerie et de pâtisserie, ont, à compter de la fin de l'année 2002, entretenu des relations commerciales suivies avec la société Régals de Bretagne (la société Régals) en vue de la distribution en Allemagne de produits de boulangerie industrielle, de viennoiserie, biscuiterie et pâtisserie fabriqués par les sociétés Atlantique productions et Biscuiterie pâtisserie carrée (BPC), appartenant au même groupe que la société Régals.

Ces relations ont été formalisées par la signature, à compter du 17 octobre 2008, de contrats successifs, le dernier, signé le 2 juillet 2013, portant sur une période contractuelle s'achevant le 28 février 2014 et stipulant l'engagement des parties à négocier avant le 30 novembre 2013 le prix des produits applicables à compter du 1er mars 2014.

Reprochant aux sociétés Ibis une baisse substantielle du volume des commandes à compter de mars 2014 dans une lettre du 9 septembre 2014, la société Régals les a assignées le 17 décembre 2014 devant le tribunal de commerce de Rennes, les sociétés Atlantique productions et BPC étant intervenues volontairement à l'instance par conclusions du 29 septembre 2015, pour demander la réparation de leur préjudice résultant de la rupture brutale totale de la relation établie entre la société Régals et les sociétés Ibis. Les sociétés Ibis ont pour leur part conclu à l'irrecevabilité des interventions des sociétés Atlantique productions et BPC, au rejet des demandes et prétendu, reconventionnellement, à la condamnation de la société Régals à leur verser un million d'euros de dommages et intérêts, à parfaire, en réparation du préjudice résultant de la rupture brutale totale de la relation établie.

Par jugement du 22 mars 2016, la juridiction civile a :

- donné acte aux sociétés Atlantique productions et BPC de leur intervention volontaire,

- déclaré recevables les interventions volontaires à l'instance des sociétés Atlantique productions et BPC et rejeté les demandes de ce chef des sociétés Ibis,

- constaté qu'il n'y a pas eu rupture brutale de relations commerciales établies au sens de l'article L. 442-6, I, 5 du code de commerce et rejeté les demandes formées de ce chef par les sociétés Régals de Bretagne, Atlantique productions et BPC,

- rejeté les demandes reconventionnelles des sociétés Ibis pour rupture partielle par la société Régals de Bretagne de la relation commerciale établie,

- condamné solidairement les sociétés Régals de Bretagne, Atlantique productions et BPC à payer, à chacune des sociétés Ibis la somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- dit qu'il n'y a pas lieu à exécution provisoire du jugement,

- condamné solidairement les sociétés Régals de Bretagne, Atlantique productions et BPC aux dépens.

Sur appel des sociétés Régals, Atlantique productions et BPC, la cour d'appel de Paris a, par arrêt du 30 mai 2018 :

- confirmé le jugement en ce qu'il a donné acte aux sociétés Atlantique productions et BPC de leur intervention volontaire, les a déclarées recevables en leur intervention volontaire et a rejeté leurs demandes,

- infirmé le jugement pour le surplus, et statuant à nouveau,

- condamné solidairement les sociétés Ibis à payer à la société Atlantique productions la somme de 1 575 030 euros à titre de dommages- intérêts en réparation du préjudice subi du fait de la rupture brutale de la relation commerciale entretenue avec la société Régals,

- condamné solidairement les sociétés Ibis à payer à la société BPC la somme de 1 550 491 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi du fait de la rupture brutale de la relation commerciale entretenue avec la société Régals,

- rejeté les autres demandes de dommages-intérêts formées par les sociétés Atlantique productions et BPC,

- condamné in solidum les sociétés Ibis aux entiers dépens,

- condamné in solidum les sociétés Ibis à payer à chacune des sociétés Régals, Atlantique productions et BPC la somme de 15 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Sur pourvoi des sociétés Back-Holding GmbH et Ibis Backwarenvertriebs GmbH, la chambre commerciale, financière et économique de la cour de cassation a, par arrêt du 18 mars 2019 n° 18-20.256, cassé et annulé l'arrêt de la cour d'appel de Paris sauf en ce qu'il a rejeté la demande de dommages-intérêts des sociétés Ibis pour rupture partielle de la relation commerciale établie, remis sur les autres points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant l'arrêt, condamné les sociétés Régals, Atlantique productions et BPC aux dépens ainsi qu'à payer aux sociétés Ibis la somme globale de 3 000 euros.

PROCÉDURE SUR RENVOI DE CASSATION :

Vu la déclaration des sociétés Régals de Bretagne, Atlantique productions et Biscuiterie pâtisserie carrée du 8 avril 2020 saisissant la cour d'appel de Paris désignée comme juridiction de renvoi en application des articles 1032 et suivants du code de procédure civile ;

Vu les conclusions transmises par le réseau privé virtuel des avocats le 20 novembre 2020 pour les sociétés Régals de Bretagne, Atlantique productions et Biscuiterie pâtisserie carrée, aux fins d'entendre, en application des articles 5.3 du Règlement (CE) n°44/2001 du 22 décembre 2000, L.442-6 I 5° du code de commerce (dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 24 avril 2019) et 1382 (devenu 1240) du code civil :

- dire les sociétés Régals, Atlantique productions et BPC recevables et fondées en leur appel,

- réformer le jugement en ce qu'il a

- constaté qu'il n'y a pas eu de rupture brutale de relation commerciale établie au sens de l'article L. 442-6-5 du code de commerce,

- débouté les sociétés Régals, Atlantique productions et BPC de leur demande formée à ce chef,

- condamné solidairement les sociétés Régals, Atlantique productions et BPC au paiement d'une indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens,

- condamner solidairement les sociétés Ibis à verser :

2 954 857 euros à la société Atlantique productions correspondant à la perte de marge brute subie par cette dernière pendant une période de 24 mois,

3 516 628 euros à la société BPC correspondant à la perte de marge brute subie par cette société pendant une période de 24 mois,

- condamner solidairement les sociétés Ibis à verser à chacune des sociétés la somme de 30 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner solidairement les sociétés Ibis aux entiers dépens d'instance, dont distraction au profit de la société d'avocats Lexavoue Paris-Versailles.

Vu les conclusions remises par le réseau privé virtuel des avocats le 30 novembre 2020 pour les sociétés Back-Holding GmbH et Ibis Backwarenvertriebs GmbH, afin d'entendre, en application des articles R. 311-3 du code de l'organisation judiciaire et D. 442-3 du code de commerce, 1382 ancien devenu 1240 du code civil :

- déclarer irrecevables les sociétés Atlantique productions et BPC en leur appel,

- déclarer subsidiairement les demandes des sociétés Atlantique productions et BPC irrecevables,

- débouter subsidiairement les sociétés Atlantique productions et BPC de leurs demandes,

- ramener subsidiairement le préjudice indemnisable à de plus justes proportions,

- constater en tout état de cause que la société Régals ne présente aucune demande,

- condamner in solidum les sociétés Régals, Atlantique productions et BPC à verser à chacune des sociétés la somme de 15 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile,

- condamner les sociétés Régals, Atlantique productions et BPC aux entiers dépens.

La clôture de l'instruction a été ordonnée par le président à l'audience du 11 décembre 2020.

SUR CE, LA COUR,

Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, la cour, conformément à l'article 455 du code de procédure civile, renvoie à leurs conclusions, au jugement ainsi qu'aux arrêts.

1. Sur l'irrecevabilité des demandes devant la cour

Il suit de l'article L. 442-6, I, 5°, du code de commerce dans sa rédaction issue de la loi n° 2010-874 du 27 juillet 2010 que « Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers, de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels. Lorsque la relation commerciale porte sur la fourniture de produits sous marque de distributeur, la durée minimale de préavis est double de celle qui serait applicable si le produit n'était pas fourni sous marque de distributeur. A défaut de tels accords, des arrêtés du ministre chargé de l'Economie peuvent, pour chaque catégorie de produits, fixer, en tenant compte des usages du commerce, un délai minimum de préavis et encadrer les conditions de rupture des relations commerciales, notamment en fonction de leur durée. Les dispositions qui précèdent ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure. Lorsque la rupture de la relation commerciale résulte d'une mise en concurrence par enchères à distance, la durée minimale de préavis est double de celle résultant de l'application des dispositions du présent alinéa dans les cas où la durée du préavis initial est de moins de six mois, et d'au moins un an dans les autres cas ».

Aux termes de l'article D. 442-3 du code de commerce, dans sa version issue du décret n° 2009-1384 du 11 novembre 2009, il est énoncé que « Pour l'application de l'article L. 442-6, le siège et le ressort des tribunaux de grande instance compétents en métropole et dans les départements d'outre-mer sont fixés conformément au tableau de l'annexe 4-2-2 du présent livre.

La cour d'appel compétente pour connaître des décisions rendues par ces juridictions est celle de Paris ».

Enfin, l'article 1382 du code civil, devenu 1240, dispose que « Tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer. »

Les sociétés Ibis opposent aux demandes des sociétés Atlantiques productions et BPC les fins de non-recevoir tirées de ce que la cour d'appel de Paris a perdu sa compétence fondée sur l'article D. 442-3 précité pour connaître du litige, ou subsidiairement, de l'interdiction de présenter des moyens nouveaux, en soutenant qu'en suite des motifs de l'arrêt de cassation, la responsabilité des sociétés Ibis, étrangères à toute relation commerciale avec les sociétés Atlantiques productions et BPC, ne peut plus être recherchée sur le fondement de l'article L. 442-6 du code de commerce, mais sur celui de l'article 1382 du code civil, et tandis que la société Régals, avec laquelle les sociétés Ibis entretenaient la relation commerciale établie, a abandonné toute prétention sur le fondement de l'article L. 442-6, il suit de l'article R. 311-3 du code de l'organisation judiciaire que seule la cour d'appel de Rennes est compétente pour connaître du jugement du tribunal de commerce de Rennes.

Au demeurant, la juridiction de renvoi n'est pas tenue par les motifs de l'arrêt de cassation mais par son dispositif qui « casse l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 30 mai 2018 en toutes ses dispositions, exceptée celle qui rejette les demandes de dommages-intérêts des sociétés Ibis pour rupture partielle de la relation commerciale établie, et remet sur les autres points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant l'arrêt cassé », ce dont il résulte qu'aucune autorité de la chose jugée n'est attachée au moyen dont l'arrêt de cassation est le soutien et doit à nouveau être apprécié en fait et en droit, et tandis, d'autre part qu'en vertu de l'article D. 442-3 du code de commerce, la cour d'appel de Paris est la seule juridiction nationale investie du pouvoir d'apprécier les preuves de la relation commerciale établie entre producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers, ainsi que celles de sa rupture brutale auxquelles est subordonné le lien de causalité avec le dommage dont une personne morale tiers peut revendiquer l'indemnisation sur le fondement de l'article 1382 du code civil, il convient de rejeter les fins de non-recevoir.

2. Sur la responsabilité des sociétés de distribution dans les dommages des sociétés de fabrication

2.1. D'après le lien entre fournisseur et producteur

Pour voir confirmer le jugement en ce qu'il a débouté les sociétés Atlantique productions et BPC de leurs demandes de dommages et intérêts, après avoir estimé que la rupture de la relation établie avec la société Régals était le résultat d'une « diminution des commandes des propres clients d'Ibis en Allemagne », les sociétés Ibis contestent, en premier lieu, le fait que la société Régals a délégué la fabrication de ses produits de boulangerie et de pâtisserie aux sociétés Atlantique productions et BPC, ou soutiennent subsidiairement que cette sous-traitance de la fabrication était précaire.

Ces affirmations ne sont cependant étayées d'aucun élément de preuve de nature à mettre en doute la réalité de l'origine de ces productions alimentaires, particulièrement sensibles au contrôle sanitaire de leur origine pour garantir les conditions de leur vente, et que les sociétés Ibis ont achetées et distribuées sans interruption depuis 2002 jusqu'en juin 2015, la réalité de cette délégation étant au surplus confortée par les activités des sociétés déclarées au registre du commerce ainsi par l'attestation de l'expert-comptable selon laquelle les sociétés Régals de Bretagne, Atlantique productions et BPC sont détenues à cent pour cent de leurs parts par la société CB expansion.

2.2. D'après la rupture brutale de la relation commerciale établie

Les sociétés Ibis concluent, en deuxième lieu, que la rupture de la relation commerciale n'était ni imprévisible, ni soudaine, ni violente, qu'à tout le moins, elle ne pouvait leur être imputée à faute et qu'en toute hypothèse, les sociétés Régals, Atlantique productions et BPC ont bénéficié d'un préavis utile de quinze mois entre mars 2014 et juin 2015, alors que la distribution des produits fabriqués a été confrontée à une succession d'incidents dont il est résulté une défiance des consommateurs et le déréférencement des produits par les vendeurs en Allemagne ainsi que le reflux des commandes auxquelles les sociétés Ibis ne pouvaient suppléer.

Les sociétés Ibis relèvent ainsi, que les commandes ont régulièrement baissé de près de 25 % entre 2011 et 2013 sans que la société Régals n'ait émis de réserves sur ce déclin (le chiffre d'affaires était de 12 926 970,07 euros en 2011, 11 273 325,41 euros en 2012 puis 10 600 775,19 euros en 2013).

Ensuite, à partir de 2013, les produits de la société Régals ont été confrontés à la multiplication de critiques sur leur qualité ayant donné lieu à de nombreuses réclamations des clients des sociétés Ibis tenant au dessèchement des brioches, à l'excès de cuisson, puis à la présence d'une lame de cutter dans un pain au lait fourni au mois de mars 2013 qui a entraîné l'ouverture d'une procédure pénale en Allemagne, et enfin à un second incident au mois de février 2014 par la découverte de morceaux de verre dans des pains au lait vendus par la chaîne de distribution allemande Aldi qui a provoqué une enquête de la direction départementale des fraudes, un dédommagement de 200 000 euros par la société Régals ainsi qu'un frein aux volumes commandés par la société Aldi en raison de la durée de conservation des produits de boulangerie-viennoiserie limitée à 28 jours à compter de leur production (le volume de commandes par paquets de 100 000 et 120 000 par semaine, est tombé 71 344 paquets la huitième semaine calendaire de 2014 puis à 21 336 la neuvième semaine, 17 640 paquets la dixième semaine et 23 107 la onzième semaine, entraînant une chute de chiffre d'affaires de janvier à mars 2014 de 740 423,02 euros en janvier 2014 à 555 587,63 euros en février 2014, et à 469 780,13 euros en mars 2014).

Enfin, les sociétés Ibis opposent, d'une part, l'échec des négociations convenues pour fixer les volumes et les prix des commandes le 1er mars 2014 en raison du refus de la société Régals de prendre en considération la baisse du prix du blé entrant dans la fabrication des produits et d'autre part, l'initiative de la société Régals de nommer pour la distribution de ses produits en Allemagne la société Dancake, concurrent direct des sociétés Ibis, ce qui a eu pour effet d'atteindre l'image commerciale des sociétés Ibis auprès des chaînes de distribution allemandes qui reconnaissaient la société Régals comme distributeur de ses produits de boulangerie depuis douze ans.

Au demeurant, ni la quarantaine de réclamations de clients émises en 2013 sur des produits par des clients finals en Allemagne, comparée aux volumes distribués, ni les procédures de traitement des deux incidents qui ont affecté deux marchandises ne permettent de déduire la preuve d'un reflux général de la demande des consommateurs de ces produits en Allemagne ou celle de leur déréférencement par les chaînes de distribution allemandes.

Et tandis qu'il est constant, d'une part que la rupture partielle de la relation établie a pour point de départ le 1er mars 2014 lorsque les négociations pour le renouvellement du contrat ont échoué, ce dont il résulte que la société Régals était déliée de l'exclusivité avec les sociétés Ibis, d'autre part, que la société Régals a enregistré une chute continue des volumes des productions fabriquées par les sociétés Atlantique productions et BPC à compter du mois d'octobre 2014 puis de l'arrêt de toute commande en juin 2015 par rapport au courant d'affaires des années qui ont précédé, et enfin, que les sociétés Ibis n'ont signifié aucun préavis devant aménager le terme de leur relation commerciale établie, la rupture fautive de celle-ci sera retenue au détriment des sociétés Ibis et le jugement infirmé de ce chef.

2.3 D'après la durée du préavis suffisant

Alors, en troisième lieu, qu'il est constant que la relation commerciale était établie entre les sociétés Ibis et la société Régals depuis 2002 et que les commandes ont régulièrement diminué depuis la rupture partielle et fautive le 1er mars 2014 jusqu'en juin 2015 pour des volumes non contestés, et relevés dans un graphique en page 21 des conclusions des sociétés Régals Atlantique productions et BPC, et tandis par ailleurs que l'exclusivité des productions en litige était restreinte à l'Allemagne sans que les sociétés Atlantique productions et BPC n'établissent la valeur de leur production totale au moment de la rupture, il ne peut être déduit la preuve de leur dépendance économique à l'égard des sociétés Ibis.

Sur la base de ces éléments, la cour fixera le préavis suffisant à six mois.

Enfin, si les sociétés Atlantique productions et BPC sont bien fondées à revendiquer le doublement du délai de préavis pour la fourniture de leur produits sous marque de distributeur, ainsi que cela est prescrit à l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce, troisième phrase, les sociétés Ibis opposent dûment que cette majoration ne peut s'appliquer aux productions distribuées par la société Régals sous la marque Ibis qui représentaient 57 % de leur production de sorte qu'il sera fait application ci-dessous de la règle du doublement à 43 % de l'assiette du préjudice.

3. Sur le préjudice

Pour s'opposer à l'assiette des dommages et intérêts que revendiquent les sociétés Atlantique productions et BPC, les sociétés Ibis prétendent d'une part, que leur responsabilité fondée sur l'article 1382 du code civil limite la réparation de la perte de chance des fabricants de poursuivre les productions commandées par la société Régals.

Les société Ibis contestent, d'autre part, la portée de l'attestation de l'expert-comptable que les sociétés Atlantique productions et BPC mettent aux débats et concluent que les chiffres d'affaires sur lesquels ces producteurs établissent leur marge nette ne peuvent être retenus, alors qu'elles n'ont pas publié leurs comptes au registre du commerce, qu'aucune information n'est donnée sur la valeur des échanges ou des ventes entre elles et la société Régals, en particulier selon que le préjudice affectait les pains au lait ou les autres productions qui n'ont pas connu de baisse à la suite de l'incident de qualité du mois de février 2014, que la moyenne du chiffre d'affaires ne peut être calculée sur la base des années 2011 à 2013, mais seulement sur l'année 2013 lorsque le chiffre d'affaires avait déjà diminué de 25 % et qu'enfin, le taux de marge brute de 39,57 % revendiqué par le producteur Atlantique productions et celui de 41,34 % par le producteur BPC ne sont pas cohérents avec le taux de 41,65 % que la société Régals a prétendu réaliser en première instance, alors qu'elle se limitait à revendre les produits fabriqués par ses sous-traitants.

Néanmoins, et ainsi que cela est déjà relevé ci-dessus, les sociétés Ibis ne mettent aux débats aucune présomption de nature à remettre en cause le volume des productions fournies par les sociétés Atlantique productions et BPC, ni leur lien capitalistique avec la société Régals, de sorte que bien que tiers à la relation commerciale avec les sociétés Ibis, elles sont bien fondées à prétendre à la réparation des conséquences directes et certaines de la rupture sur leur activité au moment où celle-là est survenue, et qui peut être appréciée sur la moyenne des trois années de chiffre d'affaires qui l'ont précédée. Et tandis que le surplus des affirmations des sociétés Ibis n'est pas de nature à remettre en cause les valeurs sur la base desquelles l'expert-comptable des requérantes atteste de leur marge brute au soutien de l'assiette de la réparation de leur préjudice, la cour adoptera cette base de calcul.

Il suit ainsi de l'attestation de l'expert-comptable que sur les valeurs de 2011 à 2013, la moyenne mensuelle du chiffre d'affaires de la société Atlantique productions s'établit à 463 912 euros avec taux de marge de 39,57 %, de sorte que sur la base des préavis de six et douze mois répartis pour 57 % et 43 % de la production ainsi que cela est retenu au point 2.3 ci-dessus, les sociétés Ibis seront condamnées à payer la somme totale de 1 575 030 euros (soit 463 912 x 39,57 % = 183 570 x 57 % x 6 mois = 627 809 euros ainsi que 183 570 x 43% x 12 mois = 947 221 euros).

En ce qui concerne la société BPC, la moyenne mensuelle de son chiffre d'affaires s'établit à 437 132 euros avec taux de marge de 41,34, de sorte que là encore sur la base des préavis de six et douze mois répartis pour 57 % et 43 % de la production, les sociétés Ibis seront condamnées à payer la somme totale de 1 550 491 euros (soit 437 132 x 41,34 % = 180 710 euros x 57 % x 6 mois = 618 028 euros ainsi que 180 710 euros x 43 % x 12 mois = 932 463 euros).

4. Sur les frais irrépétibles et les dépens

Les sociétés Ibis succombant à l'action, il convient d'infirmer le jugement en ce qu'il a statué sur les frais irrépétibles et les dépens et statuant à nouveau y compris en cause de renvoi sur cassation, elles supporteront tous les dépens et seront condamnées à verser à chacune des sociétés Atlantique productions et BPC la somme de 10 000 euros au titre des frais irrépétibles.

PAR CES MOTIFS :

Rejette les fins de non-recevoir ;

Infirme le jugement en toutes ses dispositions déférées,

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Condamne solidairement les sociétés Back-Holding GmbH et Ibis Backwarenvertriebs GmbH à payer à la société Atlantique productions la somme de 1 575 030 euros ;

Condamne solidairement les sociétés Back-Holding GmbH et Ibis Backwarenvertriebs GmbH à payer à la société Biscuiterie pâtisserie carrée la somme de 1 220 491 euros ;

Condamne les sociétés Back-Holding GmbH et Ibis Backwarenvertriebs GmbH aux dépens de première instance et sur renvoi de cassation ;

Condamne les sociétés Back-Holding GmbH et Ibis Backwarenvertriebs GmbH à payer aux sociétés Atlantique productions et Biscuiterie pâtisserie carrée, chacune, la somme de 10 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.